lundi 28 février 2011

Dans le ventre d'une migrante à Genève

L'association «Enceinte à Genève» guide des femmes migrantes au cours de leur grossesse et leur fournit un soutien dans une ville où tout renvoie à la différence.

Toutes originaires d'ailleurs, c'est pourtant ici qu'elles deviendront mères. Dans quelques mois, elles donneront naissance à leur premier enfant à Genève, leur nouvelle terre d'asile, sans réellement savoir comment cette étape majeure de leur existence va se dérouler. Une situation vécue avec beaucoup d'angoisse, celle d'être livrée à soi-même ou celle de ne pas pouvoir communiquer avec le personnel médical. Pour vaincre ce stress, des femmes exilées allophones ont décidé de s'informer auprès du programme «Enceinte à Genève». Il propose de suivre cinq cours de préparation à l'accouchement pour femmes migrantes non-francophones, remboursés par l'assurance maladie. Réalisé dans les locaux de l'Arcade sages-femmes à Plainpalais, le programme est mené en collaboration avec l'association Appartenances-Genève, qui s'engage pour l'accès aux soins des familles et des personnes exilées.
C'est ainsi que chaque vendredi après-midi, durant cinq semaines, une quinzaine de ressortissantes rejoignent la salle de cours au boulevard Carl-Vogt, chacune accompagnée de son interprète. Elles sont originaires d'Europe de l'Est, d'Afrique ou d'Amérique latine et vivent à Genève depuis quelques mois, voire quelques années. Elenice est brésilienne, elle atteint son huitième mois de grossesse et ne parle pas un mot de français, à part un «bonjour» qu'elle murmure avec timidité en entrant dans l'arcade. La plupart des femmes allogènes présentes à ces cours ne parlent pas ou très peu le français et ne savent souvent ni le lire, ni l'écrire. Ce qui limite en conséquence les interactions avec leur entourage francophone. Si la barrière de la langue constitue un frein à l'intégration, ici tout le monde a son interprète et a le droit d'être comprise.

Pas d'homme à l'horizon
Les deux sages-femmes qui animent le cours, Fabienne Borel et Odile Evéquoz, s'affairent à installer des sièges contre les murs tout en accueillant avec un large sourire et des gestes affectueux les nouvelles arrivantes. Tandis que certaines viennent s'installer sur de gros coussins, ou que d'autres s'agitent devant la fontaine à eau, Elenice patiente devant les toilettes de l'Arcade. «C'est universel chez les femmes enceintes, elles sont toujours au petit coin», confie Fabienne Borel sur un ton amusé.
Les interprètes, mandatées par la Croix Rouge suisse, sont aussi des femmes, des mères ou des grands-mères venues des quatre coins du monde. Ici, les hommes ne sont pas autorisés. «Leur présence peut entraîner des gênes, notamment chez les femmes musulmanes», remarque l'instigatrice de ce programme. L'agitation s'estompe peu à peu, toutes les femmes prennent place et le silence s'impose rapidement. Les regards se tournent vers les deux sages-femmes qui s'enquièrent de l'état de santé des participantes au cas par cas. Ebou, Burkinabée de 24 ans, entre dans l'arcade avec un peu de retard. Tout en s'excusant, elle explique qu'elle devait emmener sa fille de cinq ans à l'école. D'un même élan, les interprètes traduisent les paroles de la jeune Africaine. Les autres femmes, l'oreille tendue, esquissent des sourires complices.

Unies dans la précarité
Au-delà de leurs origines diverses, un détail les réunit: le ventre rebondi. Autre point commun: les situations légales précaires. «La majorité d'entre elles sont requérantes d'asile, les autres, dans une moindre mesure, sont clandestines, explique Fabienne Borel. Pour la plupart, elles sont plongées dans l'incertitude, dans la peur du renvoi, dans la difficulté du logement. Certaines vivent dans des foyers pour requérants d'asile, dans une pièce unique.» C'est le cas d'Abyssa, originaire d'Ethiopie. Elle loge depuis quatre mois dans une chambre du centre d'accueil au Grand-Saconnex. «Je partage la salle de bain, les toilettes ainsi que la cuisine avec d'autres locataires. Avec le bébé, ce sera plus difficile», craint-elle.
Une femme érythréenne saisit alors une poupée, à disposition pour les démonstrations, et lui montre comment, dans son pays, les femmes baignent le nouveau-né dans une bassine. Ses gestes méticuleux sont ceux d'une mère. Elle a déjà donné la vie, mais elle pense tout de même avoir besoin de suivre ce cours, «car ici tout est différent». De l'achat des couches-culottes à l'accouchement dans un hôpital, il faut tout réapprendre et s'adapter aux autres façons de faire.

Des représentations particulières
Pour Eden, originaire elle aussi d'Erythrée, la situation est tout aussi pesante: «J'habite dans un petit appartement au foyer des Tattes, au troisième étage sans ascenseur. Monter les escaliers est maintenant une épreuve pénible. Mais avec le bébé dans une poussette, ce sera pire!». «Pourquoi ne pas porter l'enfant dans le dos, comme le font les femmes de votre pays?», lui suggère Fabienne Borel. Eden hoche la tête mais ne semble pas convaincue. Porter son enfant dans le dos, c'est à nouveau se distinguer des autres mères d'ici, alors qu'adopter la poussette peut représenter un facteur d'intégration.
La séance débute par un cours d'anatomie «pour sensibiliser aux différentes parties du corps, comme l'utérus, ou à l'évolution du bébé dans le ventre de la femme, signale la sage-femme. Nous avons constaté que les plus éduquées n'ont pas d'idée précise des étapes de la grossesse.» A chaque parole énoncée par l'une des deux maïeuticiennes succède une cacophonie provoquée par les dialectes différents. La patience est de rigueur, chaque explication nécessite une traduction. Une fois le silence rétabli, les animatrices du cours proposent un nouvel exercice. «Nous leur demandons souvent de représenter le bébé à l'intérieur du corps, explique Odile. Certaines dessinent un serpent, une sorte de spermatozoïde géant dans le ventre de la femme. Elles ont une idée très vague, magique voire animiste de ce phénomène.»
La présentation terminée, les questions fusent les unes à la suite des autres. Fadouma est la plus loquace. Elle a vécu en Somalie ainsi qu'au Yémen et attend à présent son premier enfant. Ses questionnements sont multiples et très précis. Ils concernent l'alimentation, l'allaitement, le sommeil, le sexe, l'exercice physique, etc. Trop longtemps contenues, ces interrogations doivent être exprimées. Elles dévoilent toute l'anxiété sous-jacente. Fadouma pense pouvoir compter sur le soutien de son mari, mais convient qu'elle ne peut pas tout déléguer.
La dernière rencontre s'achève. Certaines femmes sont déçues: «Nous avons appris énormément mais c'était bien trop court.» Elles se sont néanmoins senties en sécurité dans ce lieu suffisamment réconfortant pour envisager sereinement la venue de leur enfant, sans pour autant échapper aux écueils de leur vie. Une ultime séance sera organisée la semaine suivante, cette fois-ci en présence des futurs pères, pour ceux qui le veulent.

Une crise humanitaire aux frontières de la Libye

Egyptiens, Chinois, Ghanéens… Ils sont déjà plus de 50 000 à avoir fui la Libye via la ville tunisienne de Ras Jedi. Et l’afflux ne cesse de croître. La crise vire au chaos humanitaire à la frontière. Il faut d’urgence un pont aérien et maritime pour évacuer les migrants et éviter une crise sanitaire. De leur côté, les cantons suisses craignent une vague de réfugiés. Ils demandent à la Confédération d’appliquer une politique restrictive en la matière. Sans compter que les accords de Dublin connaissent quelques ratés.

Au milieu des ballots, ils sont des centaines sous le soleil et dans la poussière. Coincés entre des bus déglingués et les pots d'échappement des voitures qui font la navette entre Ben Guerdane et le poste frontière tunisien de Ras Jedir, ils attendent. Certains sont là depuis plusieurs jours. Ils ont dormi dans le froid sur des trottoirs, des parkings ou les dalles d'un entrepôt. Les plus chanceux rejoindront un abri, voire un avion pour Le Caire. Car la majorité des migrants fuyant la Libye en guerre civile sont des Egyptiens. Ce qui était une crise humanitaire a viré au chaos ce week-end.

«C'est de pire en pire»

«C'est de pire en pire», témoigne Fedora Gasparetti de l'Organisation internationale des migrations. «Chaque jour qui passe voit le nombre de migrants augmenter.» Depuis le début de l'exode, il y a une semaine, ils sont près de 50 000 à avoir transité par Ras Jedir. Aux 18 000 Tunisiens des premiers jours, se sont ajoutés les étrangers. Les autorités locales, qui au début avaient bien géré le flot ininterrompu, semblaient hier dépassées, d'autant que les organisations internationales tardent à prendre le relais. Pour la seule journée de samedi, près de 10 000 personnes ont franchi la frontière, à en croire Monji Slim, président local du Croissant-Rouge. Et les premiers décomptes d'hier confirmaient une tendance à la hausse: «Entre minuit et huit heures, on a recensé 3000 personnes. Il faut trouver une solution, car on ne pourra pas continuer longtemps comme ça», s'alarmait Monji Slim.C'était juste avant le débarquement de 1300 Chinois, épuisés par un périple de dix-huit heures en camion entre Khoms (120 km à l'est de Tripoli) et Ras Jedir. Affalés sur des valises ou à même le sol, ces ouvriers du consortium CCECC, qui travaillaient jusqu'à la semaine dernière pour la construction d'une ligne de chemin de fer, se préparaient hier après midi à la venue d'un diplomate et à leur transfert vers Pékin. En zone libyenne, à une cinquantaine de mètres, un millier d'hommes sont assis sur la terre battue, guettant l'ouverture du portail bleu vers la Tunisie et la distribution d'eau et d'aliments fournis par des Tunisiens très mobilisés. Des Ghanéens, des Maliens et des Coréens étaient attendus au poste frontière assailli par les étrangers.

Pas assez de bus

A huit kilomètres de là, le colonel-major Essoussi pare au plus pressé. A Choucha, au milieu de la plaine littorale de la Djeffara parcourue par les chameaux et le vent du large, le militaire tunisien a monté en hâte un hôpital de campagne. Sous les eucalyptus, il recense les arrivants qui ont droit à une visite médicale sommaire et à un abri. Le soldat dit «contrôler la situation», mais, depuis mercredi, il ne cesse d'araser la garrigue pour monter ses tentes kaki. Les bulldozers ont toujours un temps de retard sur les migrants qui s'agglutinent au milieu d'un chaos indescriptible de voitures, de valises et de passants.Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) a prévu de déployer des abris pour 10 000 personnes. «Il y a un problème de transport», reconnaît Houda Chalchoul, assistante juridique au HCR. «Nous n'avons pas assez de bus pour acheminer toutes ces personnes qui voyagent avec leurs effets personnels.» Le pont aérien a démarré jeudi entre Djerba et Le Caire où 7200 Egyptiens ont déjà atterri samedi. Deux ferries escortés par des navires de guerre égyptiens devaient arriver au port tunisien de Zarzis, à 80 km au nord de Ras Jedir.

L'état de santé s'altère

Les autorités ont demandé l'organisation en urgence d'un pont aérien et maritime pour évacuer les migrants et éviter ainsi une crise sanitaire. Elles envisagent le pire. «Si la frontière s'ouvre, nous aurons à gérer un afflux important de blessés des combats en Libye», s'inquiète le colonel-major Essoussi. Plus les jours passent, plus leur état va s'altérer car le système de santé libyen est dépassé par les événements.»Signe de l'ampleur de la crise, le sud tunisien a été mobilisé. Des migrants ont été plutôt bien accueillis par les «Comités de sauvegarde de la révolution» à Ben Guerdane, Médenine, Djerba, Zarzis. Là, dans les centres de vacances réquisitionnés, les touristes sont rattrapés par la crise libyenne.

Arnaud Vaulerin, Ras Jedir et Zarzis, dans la Liberté

A Benghazi, l'enfer pour les travailleurs africains

Benghazi est la deuxième ville du pays, après Tripoli. Avant la révolte actuelle, des milliers de travailleurs venus des pays de l’Afrique sahélienne sont venus s’y installer. Les évènements de ces derniers jours ont libéré Benghazi du joug de Kadhafi, mais ont fait de la ville un véritable enfer pour ces hommes.

libye africains

Des Africains soupçonnés d'être des mercenaires à la solde de Kadhafi, détenus dans une salle du tribunal de Benghazi ©REUTERS/Suhaib Salem

Ils sont une vingtaine à vivre dans une maison en construction de 3 étages. Le bâtiment n’est pas terminé, les murs sont encore en béton brut. Les chambres ressemblent à des cellules, il n’y a même pas de fenêtre.  Ils viennent du Mali, du Niger ou encore du Tchad et ils sont terrorisés. Omar est l’un d’entre eux. Il travaillait comme maçon avant la révolution. Maintenant, il n’ose plus sortir de cet endroit pourtant peu accueillant.

Des rumeurs de meurtres racistes courent dans Benghazi. Il faut dire que depuis le début de cette révolution, Muammar Kadhafi a fait appel à des mercenaires africains pour le défendre. Des hommes coiffés de casques jaunes en plastique que l’on a vus lors des affrontements un peu partout dans le pays. Que l’on voit encore dans Tripoli actuellement.  Et la population de Benghazi a du combattre ces hommes, lourdement armés par le régime. La rébellion s’est emparée de la ville la semaine dernière. Et maintenant, tous les Noirs qui se trouvent ici sont suspectés d’être des mercenaires. Des gens qui ont tué des révolutionnaires, des frères, des parents, des proches, des amis des habitants de Benghazi.

Ces travailleurs africains rencontrés à Benghazi sont terrés dans cette maison insalubre. Lorsqu’ils sortent, c’est pour parcourir les quelques mètres qui les séparent de l’épicerie, juste en face. Dès qu’ils tentent d’aller plus loin, ils sont insultés, menacés. Certains disent avoir été frappés. C’est le cas de Driss. Il était soudeur dans une entreprise pétrolière. Et hier lorsqu’il est sorti dans la rue, il dit que 2 jeunes Libyens l’ont poursuivi et l’ont battu.

Le racisme est très présent à Benghazi. La population est franchement hostile aux noirs.  Avec cette révolution et ces mercenaires embauchés par Kadhafi, le racisme s’est développé ici. Et même des gens plutôt cultivés sont capables de tenir des propos xénophobes particulièrement violents. Et vous trouverez difficilement des Libyens pour prendre la défense de ces immigrés, totalement isolés. On leur reprochait déjà auparavant de venir piquer des emplois. Désormais les griefs sont bien plus graves...  Ces derniers jours, les pays européens, la Chine, l’Inde… ont affrété des avions, des bateaux, des bus pour évacuer leurs ressortissants. Mais rien pour les Africains : ils viennent de pays pauvres. Qui n’ont rien prévu pour leur permettre de revenir au pays en sécurité. Ils regardent à la télévision les évacuations d’autres étrangers vivant en Libye. Mais ce n’est jamais leur tour. Ils se sentent complètement oubliés. Ils ont aussi vu à la télévision des prisonniers que l’on présente comme des mercenaires alors qu’ils ont reconnu des amis ou des collègues de travail, des Africains installés ici depuis plusieurs mois.

Ils ne travaillent plus, ils n’ont donc plus beaucoup d’argent. Ils se contentent de manger du pain dans leurs chambres minuscules. Ils sont littéralement emprisonnés car dehors c’est dangereux.  Ils aimeraient rejoindre l’Egypte par la route, à 7 heures d’ici à peu près. Mais impossible de trouver un chauffeur qui veuille bien les emmener et puis de toutes façons, ils n’ont pas les moyens de payer le trajet. Kadhafi ou pas, ils s’en moquent complètement. Tout ce qu’ils constatent, c’est que leur vie est en danger. Ils veulent partir. Par n’importe quel moyen. Grâce à leur pays d’origine, une nation étrangère ou une organisation humanitaire, peu importe. C’est une question de vie ou de mort.

Richard Place, envoyé spécial en Libye, pour France Info

Pour écouter le reportage de Richard Place

Les Africains qui cherchent asile en Israël sont réduits à l'esclavage dans le Sinaï

Une étude du groupe "Médecins pour les droits de l'homme" publiée mercredi, révèle les épreuves extrêmes rencontrées par les demandeurs d'asile qui traversent le Sinaï pour gagner Israël.

Sur les 284 demandeurs d'asile que le groupe a pris en charge dans son dispensaire entre octobre 2010 et janvier 2011, près des deux tiers déclarent avoir été emprisonnés 59% avoir été emprisonnés pendant leur périple, et 52% avoir subis des violences sérieuses (privation d'eau et de nourriture, coups, brûlures au fer rouge, électrocutions, agressions sexuelles allant souvent jusqu'au viol, parfois collectif).  Certains ont été enterrés vivants dans le sable.

Aux mains de véritables trafiquants d'esclave, ils sont parfois séquestrés et violentés, dans de véritables "camps de torture", jusqu'a que leurs familles ou leurs proches versent des rançons. 44% d'entre eux disent avoir été témoins de violence sur d'autres prisonniers, et parfois de violence mortelle, et 88% avoir été privés de nourriture pendant leur détention.  L'ONG accuse les officiels israéliens d'ignorer le problème, et de refuser d'accorder des titres de séjours à ces demandeurs d'asile politique, et demande au ministère de la Santé de leur permettre, quel que soit leur statut, de bénéficier de l'assurance maladie israélienne.

Près de 200 éthiopiens et érythréens seraient actuellement détenus et réduits en esclavage dans des camps. Selon l'organisation, d'autres camps de ce type dans le Nord Est du Sinaï.  La péninsule du Sinaï est devenue une sorte de No Man's Land, la zone de tous les trafics où cohabitent de véritables pirates, des trafiquants de drogue, d'esclaves ou d'armes. Les évènements en Égypte ont provoqué un reflux des troupes égyptiennes qui tentaient, tant bien que mal, d'assurer l'ordre dans le Sinaï, face notamment aux tribus bédouines dont certaines sont impliquées dans les trafics. Le Hamas, quant à lui, laisse fleurir ces trafics, les organise parfois, et en tire parti.

David Koskas pour israel-infos

Inquiétudes à Berne

Simonetta Sommaruga et Johann Schneider-Ammann préparent des solutions pour les semaines à venir.

La vague de révolte dans les pays arabes inquiète Simonetta Sommaruga et Johann Schneider-Ammann. La ministre de la Justice table sur la collaboration européenne pour maîtriser un éventuel afflux de réfugiés. Pour l'heure, personne ne peut prévoir l'importance de la vague.

Selon la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, les conséquences de la révolte en Libye et de son lot de réfugiés vers l'Europe restent totalement inconnues. De même, on ne peut évaluer pour l'heure la taille d'une éventuelle vague de migrants, a-t-elle déclaré samedi à la radio alémanique DRS.

Il n'y a toutefois pas lieu de paniquer, a souligné la plus haute responsable de l'asile en Suisse. La Confédération doit aider à gérer les suites des turbulences dans le monde arabe et pour ce faire, il s'agit de collaborer avec les Etats de l'Union européenne. Mme Sommaruga a ajouté qu'on ne saurait utiliser ces réfugiés comme thème de campagne électorale et a appelé les partis à la retenue.

L'Office des migrations est prêt

En cas d'arrivée très importante de réfugiés, la Suisse serait dans une situation d'urgence absolue, souligne la vice-directrice de l'Office fédéral des migrations (ODM) Eveline Gugger Bruckdorfer: il faudrait alors recourir temporairement à des installations de la protection civile.

La Confédération peut gérer actuellement 1200 demandes de requérants d'asile par mois, pour lesquels elle dispose de places. Ces demandes peuvent être traitées rapidement. Cette infrastructure peut être étendue à 1800 places au maximum, précise Eveline Gugger Bruckdorfer dans une interview au journal dominical «Sonntag». Il sera difficile d'aller au-delà en cas d'afflux plus important. «Nous nécessiterions alors des bâtiments dont nous ne disposons pas actuellement. Mais nous cherchons des solutions. Au final, il appartient aux cantons de développer leurs structures».  Or ceux-ci se montrent réticents depuis des semaines.

La présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police Karin Keller-Sutter rappelle dans la presse alémanique de dimanche que la Confédération doit refouler immédiatement les réfugiés économiques tunisiens, sans les transférer aux cantons.

Pas d'armée aux frontières

Dans «Le Matin Dimanche», le chef du Corps des gardes-frontières Jürg Noth explique qu'en cas d'afflux massif, il peut s'imaginer une aide de l'armée pour la surveillance aérienne ou une aide logistique. Il est toutefois hors de question de placer des soldats de milice aux frontières.

Un soutien est également possible à travers les organisations partenaires des pays voisins, sur la base des accords policiers et douaniers bilatéraux. Ceci pourrait se faire avec l'Allemagne et la France afin de dégager des moyens pour les régions où il y a un manque de personnel, comme au Tessin, explique Jürg Noth.

Quant au ministre de l'Economie, Johann Schneider-Ammann, il a annoncé samedi dans la «Berner Zeitung» qu'au vu des contestations actuelles, les demandes d'exportation d'armes vers le monde arabe sont examinées avec beaucoup de prudence. Pour l'instant, aucune requête n'a été déposée par un pays arabe.

Pas de durcissement

Le conseiller fédéral PLR renonce à un durcissement des règles pour les exportations d'armes et de munitions. Les directives ont été renforcées il y a trois ans déjà: depuis, armes et munitions ne sont plus livrées à des pays qui enfreignent systématiquement et de manière grave les droits humains, a-t-il rappelé. Pour cette raison, les exportations d'armes sont interdites vers l'Arabie saoudite. En 2010, la Suisse a pourtant encore livré du matériel de guerre d'une valeur de 132,6 millions de francs vers Riyad: mais il s'est agi d'un système de défense anti-aérienne dont l'exportation avait été autorisée en 2006. Johann Schneider-Amman espère une rapide stabilisation dans les pays en révolte. Afin d'y parvenir, il n'exclut pas une aide extérieure à l'économie. Il juge intéressante l'idée d'une sorte de plan Marshall - un programme de reconstruction économique - mais, selon lui, elle est irréaliste et ne se fera «certainement pas avec la Suisse dans les premiers rangs».

Le Nouvelliste

Tensions nationales sur les réfugiés du Maghreb

suisse tension réfugiés maghreb

24 Heures

dimanche 27 février 2011

Berne peut gérer 1'200 demandes d'asile par mois

La Confédération peut gérer actuellement 1200 demandes de requérants d'asile par mois, pour lesquels elle dispose de places. Ces demandes peuvent être traitées rapidement. Ensuite, les requérants sont répartis sur les cantons, rappelle la vice-directrice de l'Office des migrations (ODM).

Cette infrastructure peut être étendue à 1800 places au maximum, précise Eveline Gugger Bruckdorfer dans une interview au journal dominical "Sonntag". Il sera difficile d'aller au-delà en cas d'afflux plus important de réfugiés en provenance des pays arabes en révolte.

"Nous nécessiterions alors des bâtiments dont nous ne disposons pas actuellement. Mais nous cherchons des solutions. Au final, il appartient aux cantons de développer leurs structures".

En cas d'arrivée très importante de réfugiés, la Suisse serait dans une situation d'urgence absolue: il faudrait alors recourir temporairement à des installations de la protection civile, explique la vice-directrice de l'ODM, qui rappelle que personne ne veut "vendre" publiquement ses réserves trop tôt.

De plus, les installations de la protection civile ne permettent pas d'héberger des familles pendant des mois. Selon Mme Gugger Bruckdorfer, l'expérience montre qu'il faut quatre à cinq semaines avant que les réfugiés n'arrivent en Suisse. "Les autorités impliquées savent que quelque chose les attend. Et elles entendent prendre leurs responsabilités", souligne-t-elle.

Aux frontières

Dans "Le Matin Dimanche", le chef du Corps des gardes-frontière Jürg Noth explique qu'en cas d'afflux massif, il peut s'imaginer une aide de l'armée pour la surveillance aérienne ou une aide logistique. Il est toutefois hors de question de placer des soldats de milice aux frontières.

Un soutien est également possible à travers les organisations partenaires des pays voisins, sur la base des accords policiers et douaniers bilatéraux. Ceci pourrait se faire avec l'Allemagne et la France afin de dégager des moyens pour les régions où il y a un manque de personnel, comme au Tessin, explique Jürg Noth.

ATS

"Le Conseil fédéral a caché les problèmes de Dublin"

L'Union démocratique du centre (UDC) est fâchée contre le Conseil fédéral, accusé d'avoir caché les problèmes d'application des accords de Dublin, signés avec l'UE.

A la suite des déclarations des directeurs cantonaux de justice et police, elle considère que le gouvernement a caché à la population les problèmes d'application des accords de Dublin survenus avec l'Union européenne (UE). Depuis quelques semaines, aucun demandeur d'asile ne peut plus être renvoyé en Grèce et on ne pourra apparemment plus renvoyer de réfugié en Italie, alors que c'est là-bas que leur demande devrait être traitée, a déploré dimanche dans une prise de position Martin Baltisser, le secrétaire général de l'UDC.

Alors que depuis quelques semaines des rumeurs circulaient à Berne, les responsables des cantons ont maintenant confirmé pour la première fois de graves problèmes dans l'application des règles de Dublin, a relevé Martin Baltisser. Or, cela ne fait plaisir à personne que la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et ses fonctionnaires cherchent des lieux d'hébergement en Suisse pour un possible afflux de personnes d'Afrique du Nord et ne parlent plus du respect des accords de Dublin et du renvoi dans d'autres pays.

Le secrétaire général de l'UDC cite les déclarations de la présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police, selon laquelle la procédure Dublin avec l'Italie ne fonctionne plus correctement. L'Italie n'accepte de reprendre qu'un petit nombre de personnes et les vols spéciaux sont refusés. L'UDC estime que les accords de Dublin sont donc factuellement inappliqués sur le deuxième axe central d'afflux de demandeurs d'asile en Suisse.

Des problèmes avec l'Italie, selon Mme Keller-Sutter

Le renvoi de requérants d'asile vers l'Italie est problématique, a reconnu Karin Keller-Sutter dans les pages du journal alémanique «SonntagsZeitung». Il ne fonctionne plus correctement déjà aujourd'hui, a ajouté la présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police.

L'Italie n'accepte plus qu'un seul vol régulier par jour, avec un nombre réduit de «cas de Dublin»: cinq personnes si le vol vient de Zurich, quatre si le vol part de Genève, a indiqué Mme Keller- Sutter. Rome n'accepte plus aucun vol spécial, a précisé la conseillère d'Etat saint-galloise.

Si le nombre de réfugiés augmente effectivement, les limites du système de Dublin seront testées, a-t-elle aussi affirmé. Aujourd'hui déjà, il y a des temps d'attente excédant un mois. «Je pars du principe, que la Confédération cherche le dialogue avec l'Italie», a-t-elle conclu.

Dans le cadre du traité de Dublin, les requérants n'ont l'autorisation de déposer une demande d'asile que dans un des pays ayant signé l'accord. Si le requérant demande l'asile dans un autre pays, sa requête n'est pas traitée et le demandeur est renvoyé dans le pays où il a déposé son premier dossier.

ATS et AP relayées par 20minutes

La forteresse Europe face au drame libyen

Le drame libyen révèle la vision largement paradoxale qu'a l'Europe, union politique cimentée par les droits de l'homme, des migrants d'outre-Méditerranée.

Alors que les travailleurs immigrés subsahariens, nombreux dans la Grande Jamahiriya du colonel Kadhafi, figurent, comme tous les étrangers, parmi les cibles de premier plan de la répression sanglante en cours, l'Europe semble d'abord les considérer comme un fardeau, comme de possibles envahisseurs prêts à déferler en masse sur ses côtes.

Certes, il ne serait pas étonnant que les Africains, qui, par milliers, étaient attirés par l'eldorado libyen, cherchent à fuir un pays en proie à une extrême violence. Un pays où, déjà accueillis avec hostilité en temps ordinaire, ils risquent aujourd'hui d'être assimilés, en raison de la couleur de leur peau, aux mercenaires recrutés par le Guide libyen sur tout le continent et qui sont évidemment haïs par la population en rébellion.

Certes, l'Italie a des raisons de s'alarmer d'un possible afflux de migrants sur l'île de Lampedusa - qui fait face à la Libye et à la Tunisie. Rome a d'autant plus de motifs de s'inquiéter que la solidarité de l'Union européenne est loin de lui être acquise.

Faute d'une réelle politique commune en matière d'immigration et d'asile, la charge de l'accueil des migrants continue de revenir aux pays géographiquement exposés. Les pays du nord et de l'est de l'UE n'ont ainsi nulle envie de modifier la convention de Dublin, qui fait du pays de premier contact le seul compétent pour examiner les demandes d'asile.

Mais les menaces d'"invasion" brandies par l'Italie masquent mal un injustifiable message xénophobe adressé par le gouvernement Berlusconi à ses électeurs. Elles traduisent aussi le désarroi de dirigeants italiens face à la possible chute d'un régime - celui de Mouammar Kadhafi - dont ils avaient fait leur premier allié dans la lutte contre l'immigration. Le Guide n'avait-il pas proposé de protéger l'Europe contre des "invasions barbares" moyennant le versement de 5 milliards d'euros par an ?

Il ne faudrait pas que l'Europe, que son histoire fait la gardienne du droit d'asile, oublie cet héritage, alors que brûle un pays situé à ses portes. Il serait tout aussi paradoxal que les craintes de l'Europe lui fassent regretter la chute de régimes totalitaires comme ceux de Ben Ali ou de Kadhafi, sous prétexte que les gouvernements susceptibles de leur succéder pourraient se montrer moins coopératifs pour refouler les migrants.

Le dernier paradoxe de la situation n'est pas le moindre : alors que la démocratie et le développement dans les pays du Sud sont, à juste titre, souvent présentés comme les meilleurs moyens de prévenir l'émigration, l'expérience montre que cet effet n'est obtenu qu'à long terme.

Dans un premier temps, l'irruption de libertés donne des ailes à des hommes et des femmes longtemps entravés. Pour les peuples en quête de souveraineté, l'émigration est le corolaire de la liberté.

Editorial du Monde

Crainte d'afflux de réfugiés en Suisse

Entretien avec Philippe Leuba, chef du département de l'intérieur vaudois, sur la TSR.

TSR

Libye: près de 100'000 personnes ont fui le pays en une semaine

Près de 100.000 personnes ont fui en une semaine la Libye, pays en proie à de violentes émeutes depuis le 15 février, selon l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

Outre des citoyens libyens, de nombreux Tunisiens, Egyptiens, Chinois et autres ressortissants asiatiques comptent parmi les réfugiés qui affluent ces derniers jours aux frontières égyptiennes et tunisiennes fuyant la violence en Libye, apprend-t-on du site Web de l'organisation.

L'UNHCR a en outre rendu hommage aux gouvernements tunisien et égyptien pour "l'esprit humanitaire" qu'ils démontrent et a exhorté la communauté internationale à dépêcher une aide afin d'éviter une catastrophe humanitaire dans la région.

La Libye est le théâtre de violentes manifestations contre le régime de Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans. Le leader contesté ne contrôle plus la partie est du pays et les villes tombent une à une aux mains des insurgés. Selon les Nations unies, la répression des soulèvements a fait plus d'un millier de morts et une multitude de blessés. De nombreux pays évacuent par air et par mer leurs citoyens pris au piège des violences. Kadhafi a déclaré mardi à la télévision nationale qu'il n'allait pas quitter son poste et son pays.

RIANovosti

Les cantons craignent un afflux de réfugiés

Alors des milliers de personnes fuient les violences dues aux révoltes qui secouent actuellement l’Afrique du Nord, les cantons helvétiques craignent une vague de réfugiés en provenance de cette région et demandent à la Confédération d'appliquer une politique restrictive.

Les demandes d'asile peuvent déjà être traitées sur l'île italienne de Lampedusa, a déclaré à la SonntagsZeitung la conseillère d'Etat saint-galloise Karin Keller-Sutter, présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police. Celle-ci estime également que les réfugiés "économiques" doivent être logés dans les centres de la Confédération et non attribués aux cantons.

A la Confédération d’agir

On aurait ainsi plus de capacités pour accueillir les "authentiques" réfugiés s'ils devaient venir de Libye en Suisse, a-t-elle expliqué. Pour elle, la Confédération doit donc veiller à ce que l'Italie reprenne les réfugiés venus en Suisse mais déjà enregistrés dans la Péninsule, comme le prévoient les accords de Dublin. Très peu de candidats à l'asile ont été récemment renvoyés en Italie.

Aux Grisons, la conseillère  d'Etat Barbara Janom Steiner a lancé un appel à la Confédération afin qu'elle trouve une solution avec l'UE. Selon elle, les réfugiés d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient doivent voir leurs demandes d'asile traitées déjà aux frontières de l'UE et la Suisse peut apporter son aide.

Moyens supplémentaires attendus

En outre, si des réfugiés pour raisons économiques venaient à être attribués aux cantons, il serait alors très difficile de les renvoyer dans leurs pays, a-t-elle expliqué à la Südostschweiz am Sonntag.

Le Croissant-Rouge et le Haut commissariat aux réfugiés s'alarment de la situation humanitaire aux frontières libyennes.  [Keystone] Le Croissant-Rouge et le Haut commissariat aux réfugiés s'alarment de la situation humanitaire aux frontières libyennes. [Keystone]

Pour sa part, le directeur de Frontex Ilkka Laitinen attend des moyens supplémentaires mis à disposition par la Suisse. Le chef de l'organisation de protection des frontières de l'Union européenne (UE) a expliqué au journal dominical qu'ils seraient engagés dans des opérations aux frontières entre la Grèce et la Turquie, entre la Pologne et l'Ukraine, ainsi qu'entre la Slovaquiie et l'Ukraine.

Ilkka Laitinen estime que moins de 10% des réfugiés arrivés sur l'île de Lampedusa entrent en considération pour une demande d'asile.

Aide suisse aux frontières libyennes

La Suisse a envoyé deux équipes d'intervention humanitaire aux frontières de la Libye, côtés égyptien et tunisien. Avec l'aval des pays concernés, ces experts doivent notamment clarifier les besoins sur le terrain et engager les premières mesures d'urgence, a annoncé le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Une somme d'un demi-million de francs a également été versée au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour l'aide médicale d'urgence. "De nombreuses personnes qui ont fui les troubles et les violences en Libye arrivent épuisées en Egypte et en Tunisie et ont besoin de soutien", a expliqué le DFAE. La Suisse va donc apporter sa contribution pour soulager les souffrances de ces personnes.

Les deux équipes d'intervention rapide (EIR) devaient arriver ce week-end sur le terrain. Elles sont composées respectivement de quatre et de deux membres du Corps suisse d'aide humanitaire (CSA). Sur le terrain, les experts vont déterminer les besoins et engager les premières mesures d'urgence en collaboration avec les autorités locales et les organisations partenaires.

Il s'agira également d'examiner les canaux de transport et les structures de distribution pour l'aide humanitaire. "La situation humanitaire en Libye et dans les régions frontalières est précaire, il est toutefois difficile à l'heure actuelle d'en évaluer l'ampleur", a reconnu le DFAE. La Suisse a également dépêché un spécialiste du CSA à Tunis et un autre au Caire afin de renforcer le personnel de ses ambassades.

AP et ATS et TSR

"Un Libyen dans votre salon"

A propos d'un éventuel afflux de réfugiés en provenance de Libye, Ariane Dayer signe l'éditorial du Matin Dimanche.

Déjà, on ergote. On envisage de trier rationnellement, de séparer le requérant politique du réfugié économique. Afin, bien sûr, de refouler le second. C’est la rhétorique défendue cette semaine par le chef de l’Office des migrations, Alard du Bois-Reymond. Il voit remonter le printemps arabe, ça lui donne des envies de nettoyage.

Curieux tout de même comme argumentation. Si les révolutions arabes n’ont pas de conséquences politiques, comment se fait-il que les pays du Nord s’affolent pour rapatrier leurs propres ressortissants? Si le problème est purement économique, pourquoi ne pas avoir injecté de l’argent plus tôt, pour éviter que l’éclatement du marché des matières premières ne sème une telle zizanie?

On voit d’ici les pauvres fonctionnaires qui devront argumenter: «Monsieur le Tunisien, retournez donc reconstruire votre pays qui vient si joliment de se libérer dans les effluves de jasmin. Le dictateur est parti, vous ne risquez plus rien.» Indécent.

Evidemment, l’angélisme n’est pas de mise. Il est refroidi par la réalité individuelle et concrète: pas sûr que nous soyons tous prêts à héberger trois Libyens dans le salon, ni des centaines dans l’abri du village. L’Europe ne pourra pas accueillir tout le monde, elle va devoir se donner des critères et ce sera complexe.
Mais il va falloir faire notre part. Dépasser l’hypocrisie d’avoir pleuré de joie devant le courage de ces révolutions pour s’en laver les mains après. En Suisse, l’UDC réclame déjà l’armée aux frontières, la Lega veut un mur en béton de 4 mètres de haut. En année électorale, le délire inflationnel menace. L’appel au sang-froid est vital.
Il n’y a pas, chez ces hommes qui fuient leur pays, de cas plus ou moins économiques, de définition manichéenne. Quand l’histoire fait un bond aussi énorme que ces dernières semaines, les étiquettes volent en éclats. Ne laissant qu’une certitude: un réfugié est toujours politique.

Les cantons ne veulent pas payer pour les réfugiés

Ces prochaines semaines, la Suisse s’attend à un afflux massif de réfugiés, en particulier en provenance de Libye, où 2,5 millions de Noirs africains étaient jusque-là retenus dans des camps. Réunis jeudi pour élaborer des scénarios de crise, cantons et Confédération débattent déjà âprement de qui va devoir payer quoi.

libye afflux réfugiés

Les quelques milliers de Tunisiens qui sont arrivés en Italie ne sont qu’un début. Car, ces prochaines semaines et prochains mois, des centaines de milliers de réfugiés suivront. Des Noirs africains principalement, jusque-là maintenus dans seize camps par le régime libyen. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ils seraient 1,5 million; 3 millions, selon Muammar Kadhafi. Interrogée hier sur les ondes de la Radio alémanique, la ministre de Justice et Police, Simonetta Sommaruga, avançait pour sa part le chiffre de 2,5 millions de personnes. «Maintenant que les frontières avec la Tunisie et l’Egypte ont été ouvertes, expliquait-elle, beaucoup tenteront de fuir la guerre civile.» Selon Frontex, l’agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, entre 500 000 et 1 million de personnes pourraient finalement poser le pied sur sol européen.

Face à cette urgence humanitaire, les responsables des cantons ne perdent toutefois pas le nord. Réunis jeudi à Berne pour élaborer des scénarios de crise, ils ont tenté de s’assurer qu’ils ne paieraient pas un centime de plus que ce qu’ils devraient. Il faut savoir que c’est la Confédération qui est responsable financièrement des demandeurs d’asile, mais les cantons s’occupent de leur hébergement. Berne leur verse donc une indemnité de quelque 55 francs par personne et par jour.

Seulement voilà, maintenant qu’on demande aux cantons d’anticiper, en prévoyant des capacités d’accueil pour l’avenir, ceux-ci veulent aussi se faire dédommager. «Louer un hôtel vide, pour peut-être s’en servir dans deux ou trois mois, cela coûte cher», explique un représentant cantonal. Voilà pourquoi le comité d’experts chargé d’élaborer une planification concrète «tiendra également compte des aspects financiers», comme le laissait laconiquement entrevoir le communiqué de presse diffusé jeudi par l’Office fédéral des migrations. Outre ces considérations pécuniaires, les experts réunis jeudi ont dessiné trois scénarios.

Scénario 1: statu quo
Cela peut sembler incroyable, mais le premier scénario part sur la base d’un statu quo, c’est-à-dire environ 1300 demandes d’asile par mois. Car les autorités suisses, les cantons en premier, espèrent encore que les règles de Dublin s’appliqueront pleinement. En clair: que le premier pays européen sur lequel ces migrants auront posé le pied se chargera de la procédure d’asile. Mais l’Italie a déjà commencé à faire obstruction, à limiter le nombre de «cas Dublin» qu’elle accepte en retour. Voilà pourquoi, en Suisse, beaucoup espèrent que ces réfugiés n’arrivent même pas jusqu’ici. «Si possible, les arrivants doivent déjà être triés sur place, par exemple à Lampedusa», indique ainsi Karin Keller-Sutter, présidente de la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police.

Procédures accélérées
Les deux autres scénarios misent sur une augmentation, l’un à «1800 demandes par mois» et l’autre à «plus de 1800 demandes par mois», sans limite vers le haut. C’est bien ce dernier qui risque de se réaliser.

Afin de pouvoir y faire face, tout le monde semble s’accorder pour accélérer au maximum la procédure d’asile. «Personne ne sait combien il y aura de réfugiés, mais ce qui est certain, a indiqué la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, c’est que les procédures devront être les plus rapides possibles, afin de refouler tout de suite les réfugiés économiques.» Elle-même privilégie une aide sur place, d’abord en Egypte et en Tunisie, où la situation est plus stable: «Il faudra une aide financière de ces pays. Nous pouvons aussi aider dans le processus de démocratisation, dans l’organisation d’élections par exemple.»

La cheffe du Département de justice et police s’attend toutefois à devoir prendre des mesures exceptionnelles, surtout pour les réfugiés libyens ou actuellement réfugiés en Libye, mais venant d’Afrique subsaharienne. «En cas de situation exceptionnelle comme pendant la crise du Kosovo, a-t-elle déclaré, la Suisse a déjà su faire preuve de solidarité.» Le pays avait accueilli 47 000 réfugiés.

Titus Plattner et Pascal Tischhauser dans le Matin Dimanche


Berne craint l'arrivée d'islamistes radicaux

Parmi les milliers de demandeurs d’asile qui pourraient arriver ces prochains mois, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) craint l’arrivée d’islamistes radicaux. Jeudi à Berne, lors de la séance spéciale du comité d’experts «Procédure d’asile et hébergement», un cadre du SRC, spécialisé dans la lutte contre le terrorisme international, s’en est inquiété auprès de ses collègues, indiquent plusieurs personnes présentes à la réunion. L’agent C. D., vingt ans d’expérience avec les groupes islamistes, voulait s’assurer que ses services disposeraient suffisamment tôt des informations d’identité concernant les nouveaux arrivants en provenance d’Afrique du Nord. Le SRC a peur d’être débordé par un trop grand nombre de contrôles à effectuer. Contacté, le porte-parole du SRC n’a pas souhaité commenter nos informations. Sous couvert de l’anonymat, un haut responsable du SRC indique toutefois que «ces vérifications font partie de la procédure standard». Il faut savoir que, jusqu’au bout, les régimes de Moubarak, de Ben Ali ou de Kadhafi ont fermement réprimé les islamistes. Ces dernières semaines, nombre de leurs leaders radicaux sont sortis de prison à la faveur des mouvements de libération. «La question n’est pas de savoir si des islamistes viendront en Suisse, mais comment on fera pour les identifier», s’inquiète le conseiller national UDC et inspecteur de police Yvan Perrin. T. P.


Six questions à Jürg Noth, chef du Corps des gardes-frontière

L’UDC veut que l’armée vienne soutenir le Corps des gardes-frontière. Serait-ce utile?

Un recours à l’armée n’est pas prévu. Même si on réintroduisait des contrôles systématiques à la frontière – comme le permettraient en ultime recours les Accords de Schengen – il faut du personnel spécialement formé. Pour contrôler les migrants ou lutter contre la criminalité transfrontalière, les gardes-frontière sont nécessaires.

Mais, en cas d’afflux massif de réfugiés, il vous faudra de l’aide…
A ce stade, nous n’avons constaté aucun changement en raison des événements en Afrique du Nord. En cas de besoin, le Corps des gardes-frontière peut déjà transférer du personnel d’autres régions vers les zones concernées. Si une vague de migration importante a effectivement lieu, je peux tout au plus m’imaginer une aide de l’armée pour la surveillance aérienne (hélicoptères, drones) ou éventuellement une aide logistique.

Pourrait-il aussi s’agir de miliciens?
Il est hors de question de recourir à des soldats de milice pour la surveillance des frontières. Pour cette tâche, il faut des professionnels formés et expérimentés.

Mais vous êtes déjà aujourd’hui en manque de personnel…
Nos effectifs sont serrés. Sur les 35 postes que nous avons demandés au Conseil fédéral, onze ont été accordés…

Alors que ferez-vous en cas de situation de crise?
Je peux très bien m’imaginer un soutien à travers les organisations partenaires des pays voisins, sur la base des accords policiers et douaniers bilatéraux.

Vous voulez dire que des gardes-frontière étrangers viendraient surveiller les frontières suisses?
L’accord avec l’Allemagne le permettrait, mais ce n’est pas l’idée. Il s’agit d’abord d’intensifier encore la collaboration, en échangeant par exemple des analyses de la situation ou en faisant des patrouilles communes là où c’est possible (avec les Français et les Allemands, ndlr). Cela permettrait de dégager des moyens pour les régions où nous manquerions de personnel, par exemple au Tessin. T. P.

Le Matin Dimanche

vendredi 25 février 2011

Grenoble: une "avancée" sur la question des Roms

Ce jeudi 24 février à la préfecture de l'Isère les associations humanitaires ont eu l'impression d'être entendues. Le rendez-vous était demandé depuis longtemps par ces associations qui tirent la sonnette d'alarme sur le cas des 200, voire 300 Roms qui vivent dans les rues de l'agglomération de Grenoble.

Le préfet leur a promis l'ouverture d'un lieu d'hébergement d'urgence même en dehors du plan "grand froid" au moins pour accueillir les 50 familles de demandeurs d'asile installées dans un square.

Le local en question est déjà bien connu des roms qui pour certains y ont séjourné. C'est le garage du 19, rue Prosper Mérimée qui sera ouvert jusqu'au 31 mars, date de la fin de la trêve hivernale.

Les associations sont satisfaites mais...car il y a un "mais". Le garage est en effet réputé pour être mal chauffé. Dans la journée les roms devront en outre gagner les lieux d'accueil de jour s'ils veulent un peu de chaleur. 

Quant à l'après hiver, les associations n'ont rien obtenu de plus. La mairie de Grenoble est aussi inquiète. Avec l'arrivée du printemps un "nouvel afflux de demandes d'hébergement" est à redouter.

"Une concertation étroite et un travail collectif entre l'Etat, dont c'est la compétence, les collectivités territoriales et les associations doit donc se poursuivre et s'amplifier pour anticiper du mieux possible cette crise prévisible et obtenir les moyens nécessaires de la part de l'Etat", note la municipalité dans un communiqué.

Lundi 21 février, ces Roms s'étaient rappelés aux bons souvenirs des élus de la ville qui leur avaient montré la "direction" de la préfecture.

Avec leurs principaux soutiens, ces roms avaient manifesté devant la mairie. Certains n'en peuvent plus de vivre sous des tentes au square Jean Macé. Ils se sont installés là récemment depuis qu'ils ont été expulsés des abords de la Gare SNCF par les forces de l'ordre.

"On les expulse d'un lieu public dépendant de l'Etat, la gare, pour les amener dans un lieu public dépendant de la mairie avec l'incapacité pour le maire d'intervenir", a expliqué Michel Destot, le député-maire de Grenoble, sur l'antenne de France Bleu Isère.

C'est inhumain et inextricable !

"Je peux certes saisir le préfet pour les exclure, mais pour les emmener où ? (...) C'est inhumain et c'est aussi inextricable car la ville n'a pas les moyens de répondre à ces questions et on sait très bien que dans les villes confrontées au même problème et qui ont répondu de façon humaine, c'est un appel à d'autres publics de même nature".

"Avec les meilleures volontés du monde, avec les meilleurs principes, les meilleures valeurs humanitaires, nous n'arriverons pas à résoudre ces problèmes. ça veut dire que l'Etat au plus haut niveau doit assumer ses responsabilités, c'est à lui de réguler. On ne peut pas les accueillir sur notre territoire et ne pas assurer leur hébergement et l'accompagnement qui est nécessaire", a conclu l'élu.

"Au bout du bout"

Le 18 février dernier sur notre antenne, Bruno Charlot, le secrétaire général adjoint de la Préfecture de l'Isère, expliquait qu'on était arrivé "au bout du bout" dans cette affaire, que le nombre de lits ouverts à l'hébergement d'urgence pour ces réfugiés n'avait cessé de progresser, passant de 700 à 1.400 en une année, que 9 millions d'euros avaient déjà été investis.

Il rappelait aussi la très grande difficulté pour ses services de trouver des hébergements pouvant accueillir des familles entières avec leurs enfants (jusqu'à 8 personnes).

Un représentant de l'Etat qui n'a pas évoqué de solutions mais dressé un constat : "actuellement 150 demandes d'asile arrivent en préfecture chaque mois". Le problème est donc loin d'être résolu.

Franck Grassaud pour France 3

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«Il est prématuré de s’occuper du flux des réfugiés»

denise efionayi-maederLes ministres de l’Intérieur de l’UE – et de la Suisse – se sont rencontrés jeudi à Bruxelles pour débattre de l’afflux de réfugiés en provenance du sud de la Méditerranée. Mais pour la spécialiste des migrations Denise Efionayi-Mäder, il est trop tôt pour s’alarmer. Interview.

Les troubles dans les pays arabes, tout spécialement en Tunisie et en Libye, ont des effets sur l’afflux de réfugiés en Europe. C’est ainsi que plusieurs milliers d’entre eux ont déjà atteint les côtes du sud de l’Italie. La situation n’est pas sans préoccuper l’Union européenne (UE).
Pour Denise Efionayi-Mäder, vice-directrice du Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population, à Neuchâtel, il conviendrait plutôt, pour le moment, de s’occuper en priorité de la situation dans les pays concernés.

swissinfo.ch: Faut-il s’attendre à une avalanche d’émigrés depuis l’Afrique et la Méditerranée?

Denise Efionayi-Mäder: Pour l’instant, il est très difficile de répondre, car la situation est assez peu prévisible. Tout dépend de l’évolution de la situation et des perspectives.
Je trouve cependant que nous avons été un peu alarmistes suite à l’arrivée d’un certain nombre de réfugiés, ce qui n’est pas une situation exceptionnelle. Mais bien sûr, avec ce qui se passe actuellement en Libye, il est très difficile de préjuger. Je pense qu’il faudra attendre le développement ultérieur pour se prononcer.

swissinfo.ch: Partagez-vous les craintes de l’Union européenne?

D. E.-M.: Je suis un peu étonnée que l’on parle surtout des réfugiés. Il y a quand même des massacres, avec des gens tués et blessés. J’estime qu’il est prématuré de ne s’occuper que du flux des réfugiés, même s’il y a une certaine continuité dans cette logique.
Je pense que l’Europe est tout à fait en mesure d’y faire face. Il y a des situations bien pires, notamment en Afrique. Par exemple le Kenya qui, en peu de temps, a dû recevoir un flux de réfugiés autrement plus important en provenance de Somalie.

swissinfo.ch: Selon vous, les craintes, exprimées en particulier par l’Italie, sont exagérées…

D. E.-M.: Je trouve la réaction un peu alarmiste et disproportionnée dans le sens où elle détourne finalement l’attention. En suivant l’actualité, on a l’impression que le problème qui se passe actuellement autour de la Méditerranée est davantage un problème européen qu’un problème de l’Afrique du nord.

swissinfo.ch : S’agit-il d’une crise temporaire ou faut-il prévoir des effets à long terme?

D. E.-M. : Cela dépend de la manière dont la situation va évoluer. Personne n’avait prévu le moment de l’éclatement de cette crise ni son ampleur. Je pense donc qu’il est exagéré de dire ce qui va se passer.
Il est clair qu’il y a des choses graves qui se déroulent, notamment en Libye. Mais j’espère qu’il y a aussi des perspectives qui vont s’ouvrir à long terme. Dans les pays concernés, cela peut être une chance d’avoir un régime un peu plus ouvert, un peu plus démocratique et peut-être aussi des politiques économiques un peu plus soutenues et durables.

swissinfo.ch: Et cela aurait donc une influence sur la migration…

D. E.-M.: Evidemment, cela n’arrête pas un flux de réfugiés en cas de crise. Mais celui-ci peut être à court terme et plus ou moins réversible.
Mais, à long terme, le fait qu’il existe des perspectives pour les populations locales est quelque chose qui diminue une pression migratoire qui était contenue jusqu’à présent, mais par des moyens souvent répressifs.

swissinfo.ch: La Suisse devrait-elle s'intégrer dans un effort «global»?

D. E.-M. : Je pense que oui, car la Suisse est pleinement intégrée géographiquement et économiquement dans l’Europe. Il est indispensable que la Suisse suive de près les efforts de l'Union européenne et que l'on coordonne les moyens, chacun en fonction de ses spécialités.
Je fais confiance à la Suisse pour s’associer aux efforts de l’UE. Encore que, au niveau européen, il ne sera pas facile de tout coordonner en raison du grand nombre de pays impliqués.

swissinfo.ch: Pour un ressortissant des pays de l'Afrique du Nord, quels sont les défis en Suisse?

D. E.-M.: Tout dépend de sa situation au départ. On peut tout à fait imaginer qu’il y ait des personnes qui fuient pour des raisons qui rentrent dans le cadre de la Convention des réfugiés. Je pense que celles-ci ont probablement une chance réelle de pouvoir obtenir l'asile dans un pays comme la Suisse.
Pour les autres, il n'y a pas de perspectives à long terme, car les gens ne provenant pas d’un pays de l’UE ou de l’AELE ont très peu de chances de décrocher un contrat de travail en Suisse, à moins d’exercer une profession particulièrement recherchée sur le marché suisse de l’emploi.
Il est évident que la Suisse ne va pas renvoyer un habitant de Tripoli en l’état actuel. Mais une fois que la situation sera redevenue calme, il est probable que ces personnes seront renvoyées, à moins d’avoir été reconnues comme réfugiées.

Michela Montalbetti, Olivier Pauchard, swissinfo.ch

Libye: la Suisse affiche sa solidarité à Bruxelles

s sommaruga bruxellesAlors que l'UE envisage une «intervention militaire à titre humanitaire» en Libye, la ministre suisse Simonetta Sommaruga a témoigné jeudi à Bruxelles de la «solidarité» de Berne à l’égard des pays qui redoutent une arrivée massive de migrants en provenance d’Afrique du Nord.

Après la condamnation des actes de violence «intolérable» perpétrés par le régime de Mouammar Kadhafi et les menaces de sanctions qu’elle a proférées, l’Union européenne envisage de passer à l’action en Libye.
De hauts fonctionnaires du club communautaire ont confirmé que l’UE était en train d’élaborer un «plan d’urgence» afin de parer à toute dégradation de la situation en Libye.
«On prépare une éventuelle évacuation» massive des ressortissants des pays occidentaux qui sont bloqués dans le pays, ont-ils souligné. Dans ce contexte, la Hongrie, qui préside actuellement le club communautaire, a d’ailleurs annoncé l’activation du «mécanisme de protection civile» de l’UE, en vue de créer une flottille européenne.

Une intervention militaire?
Des moyens militaires seront certainement mobilisés dans ce contexte: «Une intervention militaire à titre humanitaire constitue un des scénarios que l’on examine.»
Cette opération, «difficile à mettre en œuvre», pourrait déborder le cadre des évacuations, pressentent d’aucuns. Pour peu que le Conseil de sécurité des Nations unies marque son accord, des moyens militaires pourraient être utilisés pour acheminer de l’aide humanitaire, faire respecter une interdiction de survol de certaines zones par l’aviation libyenne ou encore sécuriser les camps de réfugiés dans lesquels s’entassent des centaines de milliers de personnes, originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne et qui n’ont qu’un seul rêve: gagner les côtes européennes.
La situation de ces réfugiés, ainsi que celle des travailleurs africains présents en Libye (entre 550’000 et 1,5 million de personnes au total), inquiète l’Italie et Malte, qui sont en première ligne et redoutent un «exode biblique» de migrants – Rome a évoqué le chiffre de 300’000 personnes.

Le «signal fort» de la Suisse
Les ministres de l’Intérieur des Vingt-Sept ont débattu hier du problème, en présence de la ministre suisse Simonetta Sommaruga, la cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP).
En tant que membre de l’espace Schengen, la Suisse participe actuellement à une mission (baptisée Hermès) que Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union, a déployée le 20 février dans la Méditerranée afin de lutter contre l’immigration clandestine. Deux experts helvétiques sont désormais à pied d’œuvre sur l’île de Lampedusa, où avaient débarqué quelque 5700 candidats réfugiés en provenance de Tunisie, après la chute de Ben Ali.
Un troisième est en partance et «une vingtaine» d’autres ont déjà été formés pour les suivre, si nécessaire. Pour Simonetta Sommaruga, la Suisse a ainsi envoyé un «signal fort» aux Européens: elle fait preuve de «solidarité» avec eux – et attend, bien sûr, qu’ils lui offrent la réciprocité si nécessaire.

Un fonds de solidarité
Pour Rome, toutefois, l’intervention de Frontex est insuffisante. L’Italie réclame la création d’un fonds européen de solidarité qui permettrait de l’aider à accueillir les réfugiés et «l’acceptation du principe du partage du fardeau» de l’immigration en Europe – chaque pays s’engagerait à accueillir un certain nombre de migrants sur son territoire.
«Aucune décision n’a été prise», a souligné la ministre suisse. «Il ne sert à rien de paniquer», alors que le pire ne s’est pas (encore) produit – la majorité des Etats membres de l’Union partage cet avis. «Pour le moment, il s’agit de se concentrer sur des instruments concrets comme Frontex.»
«L’envoi des trois garde-frontières s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large», a toutefois précisé l’ambassadeur de Suisse auprès de l’UE, Jacques de Watteville.
Ainsi, la Suisse «participera» au cas où des moyens financiers supplémentaires devraient être débloqués afin de faire face à un afflux de migrants. C’est qu’étant en «deuxième ligne», elle a intérêt à ce que tout se passe bien en Italie, avec laquelle elle s’est d’ailleurs engagée à «coopérer étroitement dans les mois à venir», a relevé Simonetta Sommaruga. La Suisse, en effet, veut «protéger» sa propre population contre un afflux éventuel de «criminels» dans le pays.
Afin de réduire le risque d’un afflux de migrants, la Suisse est par ailleurs déterminée à prendre ses «responsabilités humanitaires» en Afrique du Nord, où les structures étatiques sont souvent défaillantes, ce qui aggrave les problèmes «des gens qui ont besoin de protection» sur place. Elle apportera dans ce contexte son soutien à la Croix-Rouge.

Tanguy Verhoosel, swissinfo.ch, Bruxelles

Un problème à affronter, «aussi déplaisant soit-il»

Philippe Leuba a exhorté le district de Nyon de trouver des solutions pour accueillir et occuper les requérants.

Voilà deux ans que Nyon a été contrainte d’ouvrir en urgence un abri de protection civile pour accueillir des requérants d’asile. C’était à l’époque la seule solution pour répondre aux sollicitations du canton auprès d’une région qui ne participait plus, depuis quelques années, à l’effort d’hébergement réclamé à toute commune vaudoise de plus de 2000 habitants. Hier, lors de l’assemblée des syndics du district de Nyon, le conseiller d’Etat Philippe Leuba est revenu à la charge pour qu’ils assument une répartition plus équitable des requérants sur le territoire cantonal.

«Je vous appelle franchement à collaborer, et vous assure qu’on tiendra compte du ratio entre le nombre d’habitants et les places attribuées», a-t-il rappelé. Ce d’autant plus que le canton, qui se doit déjà d’accueillir 8,4% des 16 000 demandes d’asile faites par année en Suisse, risque un afflux supplémentaire de réfugiés avec les conséquences du printemps du Maghreb. «Je sais les craintes et les problèmes que suscite l’accueil de requérants, que votre région connaît une pénurie de logements. Mais il y a des communes qui pourraient faire de l’hébergement et qui ne jouent pas le jeu. Il faut affronter le problème, aussi déplaisant soit-il», a plaidé le conseiller d’Etat, en souhaitant que la région mette la même détermination à accueillir les requérants qu’elle a mis pour accueillir… le siège de l’UEFA.

Dézoner? Illusoire!

Bien sûr, les pontes du football, eux, ne trafiquent pas de la drogue. Alors que la région planche depuis dix ans sur diverses solutions pour offrir un modèle d’accueil, les craintes qui ont surgi autour d’un abri nyonnais surpeuplé et ne réunissant que des hommes, dont certains dealent ouvertement dans la rue, n’encouragent pas les initiatives. Il y en a une pourtant, mais qui se heurte à une fin de non-recevoir. «J’ai proposé le bâtiment délaissé par Radio Suisse, qui appartient à la Confédération. Mais on me dit qu’une dérogation n’est pas possible sur un terrain agricole», a déploré le syndic de Prangins, Hans Rudolf Kappeler, en se demandant si le canton ne pouvait pas faire une exception. Dézoner pour accueillir des réfugiés? Ce serait une procédure interminable et non équitable vis-à-vis des nombreux propriétaires qui demandent des déclassements de terrain, a rappelé le conseiller d’Etat. «Penser qu’à court terme un terrain agricole puisse accueillir des requérants est une illusion. Ce n’est pas réaliste, il me faut une solution demain», a martelé Philippe Leuba. Bravache, il s’est dit prêt à écrire à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga pour voir si un régime d’exception était possible.

Occuper les requérants

En attendant, le directeur de l’EVAM, Pierre Imhof, a appelé les communes à offrir des programmes d’occupation pour les requérants qui sont hébergés à Nyon. A l’exemple de ce que fait Vallorbe, seule commune romande qui s’est vu imposer un centre d’enregistrement de réfugiés. Son syndic, Stéphane Costantini, est venu expliquer sans complaisance les problèmes de cohabitation qu’il génère, mais aussi les travaux d’utilité publique que sa commune peut confier à des requérants, notamment dans ses forêts. A la sortie de la séance, quatre syndics au moins se sont approchés de M. Leuba en se disant prêts à accueillir ou à occuper des migrants.

Madeleine Schürch dans 24 Heures


accueil réfugiés commune

«Restez là-bas, en Tunisie, auprès de vos mamans»

mohamed regrets europeAlors que la Suisse se prépare à un afflux massif de réfugiés arabes, un clandestin tunisien témoigne.

Mohamed est clandestin. Il a quitté la Tunisie alors qu’il n’avait pas 20 ans. A l’époque, il avait les mêmes rêves, les mêmes espoirs que les 5500 jeunes Tunisiens parqués depuis plusieurs jours à Lampedusa, au sud de la Sicile. Aujourd’hui, il est en Suisse et, à 30 ans, il n’a qu’un seul message à leur adresser: «Restez en Tunisie, auprès de vos mamans et de vos familles. Ici, ce n’est pas évident.»

Alors que la Suisse et les autres pays européens multiplient les préparatifs face à un éventuel afflux massif de réfugiés arabes, ce clandestin qui habite en cachette à Lausanne a accepté de raconter son parcours. «J’ai grandi à Tunis, commence-t-il. J’ai fui la pauvreté. Je ne pouvais ni manger à ma faim ni m’habiller à mon goût.» Issu d’une famille nombreuse, sans formation, Mohamed avait les yeux braqués sur l’Europe. «La liberté, le travail, l’argent; pour moi, l’Europe, c’était le paradis. Je regardais les séries ou les films à la télévision. Je ne voyais que ceux qui revenaient au pays avec de l’argent. Ils s’achetaient de grosses voitures.» Pensait-il à un éventuel échec? «J’étais, comme tous les jeunes, sûr d’y arriver. Je me croyais plus malin que les autres.»

mohamed migrant tunisien

En franchissant la Méditerranée, c’est l’enfer qui s’offre au Tunisien. «Je regrette chaque minute que j’ai vécue en Europe», lâche-t-il tout en jetant régulièrement des coups d’œil inquiets vers la porte du café. Sans doute cette peur obsédante d’être découvert par les autorités.

Mohamed a une vie des plus précaires. Sans papiers, parlant à peine le français, il est logé par une famille tunisienne et doit se contenter de petits boulots. Travaux de peinture, déménagements et petits nettoyages suffisent à peine à payer son loyer. «Je demande à des amis de m’aider.» Parfois, sa famille restée à Tunis lui envoie de l’argent.

«Je n’ai pas d’avenir, aucune perspective. J’ai 30 ans et je n’ai rien construit. C’est l’échec total. Je ne sais pas si je pourrai fonder une famille un jour. Mes jeunes frères, restés là-bas, sont mariés. Moi, je n’ai même pas 5 centimes en poche.» Mohamed a pourtant une femme dans sa vie. Une Tunisienne qu’il a épousée en Italie. Un mariage religieux seulement. Toujours ces satanés papiers… Pour la voir, il n’a osé qu’une seule fois prendre le risque de retraverser la frontière.

Voilà dix ans que Mohamed galère. Il lui a fallu six mois pour arriver en Italie. D’abord l’avion jusqu’en Turquie. Les Tunisiens n’ont pas besoin de visa. Ensuite, une marche de 21 jours à travers les montagnes pour arriver en Grèce. La police l’a attrapé. Deux mois d’enfermement et tabassage en règle par les policiers. Plus tard, il réussit à passer en Italie, caché dans un camion. «J’ai vendu de la drogue, avoue-t-il. J’ai volé aussi. C’était ça ou je ne mangeais pas. Je ne suis pas fier.» Peu à peu, Mohamed se construit un réseau. Des amis l’ont déposé au Tessin il y a un an et demi. Et depuis, la galère continue.

Désormais, Mohamed en est convaincu: «Il vaut mieux avoir faim aux côtés de sa mère – je n’ai pas vu la mienne depuis mon départ – qu’être affamé tout seul ici.» Mais la honte de l’échec l’empêche de rentrer.

En veut-il aux Européens de ne pas vouloir accueillir les réfugiés? «Je les comprends. Un clandestin doit parfois voler ou faire pire pour vivre, ils n’ont pas envie de ça. Pour moi, ce n’est pas du racisme.» Faut-il une aide internationale pour aider son peuple à se reconstruire? La fierté de Mohamed le submerge: «La Tunisie est un pays riche. Elle peut faire vivre ses enfants, il faut seulement une meilleure répartition des richesses et moins de corruption.»

Fabian Muhieddine dans 24 Heures

Pourquoi l'Europe craint un exode massif

italie libye migrationSous le règne de Mouammar Kadhafi, la Libye est devenue l'antichambre de l'Europe pour des milliers de migrants africains.

A la différence des 5.000 Tunisiens qui viennent de quitter leur pays pour se rendre sur l'île italienne de Lampedusa, ce ne sont pas des Libyens fuyant la guerre qui devraient frapper demain à la porte de l'Union européenne, mais une majorité de migrants originaires du sous-continent africain. Pour nombre d'entre eux, la Libye ne représente en effet qu'une étape, une voie de transit.

Pas moins de deux millions d'immigrés se trouvent actuellement sur le sol libyen. Parmi eux, des Maliens, des Nigériens, des Sénégalais, des Soudanais, des Tchadiens, des Burkinabés ou des Ghanéens, qui ont longtemps perçu ce pays comme une riche terre d'accueil. Vu de Paris, cela peut surprendre. Mais, à défaut de pouvoir se rendre immédiatement en Europe ou dans les pays du Golfe, les populations pauvres de l'Afrique de l'Ouest ne sont pas insensibles aux pétrodollars du colonel Kadhafi.

Certains secteurs de l'économie libyenne comme le bâtiment, la restauration, les services et, dans une moindre mesure, l'agriculture, reposent presque en totalité sur ces immigrés. Outre la manne pétrolière, c'est aussi l'image du fantasque dictateur qui explique cette présence étrangère massive (plus de 30 % de la population) dans un pays qui ne compte qu'un peu plus de 6 millions d'habitants. Après son accession au pouvoir en 1969, le « guide de la révolution » devient le chantre du « panafricanisme ». Il se prononce pour une suppression des frontières héritées de la colonisation, pour celle des visas aussi, ainsi que pour la mise place d'un gouvernement et d'une banque centrale africaine. Un activisme politique qui séduira plusieurs générations d'Africains aux yeux desquels Mouammar Kadhafi passe pour un véritable héros. En 2007, il propose encore à ses pairs du continent la création des Etats-Unis d'Afrique.

Mais rien n'est jamais simple avec lui. Alors qu'il ouvre – dans les périodes de croissance économique – les frontières de son pays à l'immigration, le leader de la « Grande Jamahiriya » utilise les étrangers qu'il reçoit comme bouc émissaire auprès de ses concitoyens (quand l'économie est en berne) ou comme arme diplomatique. Les quelque 1.800 kilomètres de côtes libyennes sont une aubaine pour les clandestins. Contre un contrôle accru de ces dernières et pour éviter (selon les propres termes de Kadhafi) « une Europe noire », les 27 ont accepté de fermer les yeux sur les aspects les plus répressifs du régime. En 2008, au terme d'un traité d'amitié avec l'Italie, Kadhafi reçoit même, des mains de Silvio Berlusconi, un chèque de 3,6 milliards d'euros destiné à l'aider « à lutter contre l'immigration clandestine ». Alors que la guerre s'étend à l'ensemble du pays, la surveillance des côtes n'est plus assurée. Pire, Tripoli menace à présent l'UE, de « lâcher » les migrants sur elle.

Jean-Claude Galli dans France Soir

jeudi 24 février 2011

Lampedusa, un avant-poste dans la tempête

Depuis la mi-février, l'île italienne a accueilli plusieurs milliers de migrants venus de Tunisie par bateaux. Avec des moyens limités, par une météo déplorable et sans soutien politique, les habitants tentent de maîtriser la situation. Reportage en un lieu où l'on évoque un état de guerre.

Quand on le dit, c'est un peu impressionnant, mais c'est pourtant exactement comme si nous nous préparions à une guerre. Pour l'Italie – qui en a déjà mené une – c'est en quelque sorte une deuxième guerre de Libye [la première, qui débuta en septembre 1911, marqua le début de la colonisation italienne en Libye].

Comme un pied-de-nez de l'histoire, les C-130 assurent fébrilement des évacuations parallèles : d'un côté, on évacue les Tunisiens de Lampedusa et de l'autre, les Italiens de Tripoli, parce que désormais, de part et d'autre de ce petit coin de Méditerranée, tous ceux qui peuvent fuient, pour ne jamais revenir. Les bâtiments de guerre font route vers le canal de Sicile pour se joindre à la petite flotte qui y croise déjà. Et l'alerte est passée au niveau supérieur sur toutes les bases aériennes. On se prépare, en somme.

La patience des insulaires à rude épreuve

Et, pendant ce temps, on scrute la mer, en attente de l'ennemi. Mais l'ennemi ne saurait être cette armada de rafiots remplis de clandestins : il y a quelque chose qui cloche dans cette guerre. Dans la nuit de mardi à mercredi, par une mer de force 5, 250 réfugiés supplémentaires ont débarqué à Lampedusa : ils ont parcouru 60 milles nautiques depuis la ville de Sfax, en Tunisie, la moitié de la distance qui les sépare de la côte sicilienne.

La veille, malgré la tempête et la flotte en alerte rouge, certains sont parvenus à toucher terre : ils ont fait sécher leurs vêtements, on remis leurs chaussures et se sont dirigés vers le premier bar venu pour y manger quelque chose de chaud. Le centre d'accueil des clandestins – qui venait à peine d'être vidé – a une nouvelle fois dépassé son quota de 1 000 personnes : la moitié de la semaine précédente, 2 500.

Les clandestins arrivent et repartent en masse, et il est clair que cette situation ne peut plus durer. "Surtout si la mer se calme", marmonne Cono Callipò, le directeur du centre, "parce que si la mer se calme et que Kadhafi se rend, ce que nous avons vu jusqu'à présent ne sera rien comparé à ce qui va se passer".

A vrai dire, il s'est déjà passé bien des choses à Lampedusa. L'artère principale et les ruelles du centre sont en permanence bondées de Tunisiens qui investissent les bars, les supermarchés et surtout les boutiques où ils rechargent leurs téléphones portables. La posture adoptée (c'est-à-dire de ne pas enfermer les migrants dans leur centre) s'est jusqu'à présent révélée la meilleure : mais après une semaine, cette stratégie commence à mettre la patience des insulaires à rude épreuve.

Toutes les portes sont verrouillées à double tour

Dans beaucoup de bars, le café est désormais servi dans des gobelets en carton "parce que", nous explique-t-on au Bar de l'Amitié du vieux Don Pino, "les clients d'ici refusent de boire dans les tasses dans lesquelles ils ont bu".

Les enfants ne sortent quasiment plus de chez eux : toutes les portes sont verrouillées à double tour et les petites filles systématiquement escortées d'un adulte, même pour faire 100 mètres. La patience des habitants est à bout : et ils songent aux chiffres qu'ils entendent débiter à longueur de journée. Tantôt de Rome, tantôt de Bruxelles. Des dizaines de milliers. 100 000. Peut-être 300 000. Les chiffres fluctuent, mais même les plus optimistes sont synonymes de catastrophe.

Dino De Rubeis, le gigantesque maire de Lampedusa, commente : "Vous l'avez vu, nous sommes là et nous ne nous sommes jamais défilés. Nous les avons hébergés partout, nous avons passé des nuits entières sur la jetée, on leur a offert des cigarettes... Mais Lampedusa ne peut pas s'en sortir seule. Nous avons besoin d'aide".

Dino De Rubeis fait la grimace devant les dépêches d'agences, pleines de nouvelles qu'il trouve mauvaises : le Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés lance un appel pour que "les migrants ne soient pas refoulés" ; l'Union européenne demande à l'Italie d'abandonner l'idée de répartir les Maghrébins sur le continent, un peu ici, un peu là ; le gouvernement italien, ne sachant plus sur quel pied danser, envisage d'installer de gigantesques villages de tentes en Sicile. Les hommes scrutent l'horizon, invoquant l'arrivée du mauvais temps.

Des histoires et des anecdotes aux accents fantastiques

Leur supplique pour une mer démontée et des rafales de 40 nœuds a été entendue et, en parlant de débarquement, Lampedusa avait hier des airs de Normandie, avec des bourrasques venues du Nord-Ouest, des rafales de pluie froide et un vent glacé à rester cloîtré chez soi. C'est bien pour la guerre, mais mauvais pour l'île : voilà deux jours que le bateau qui la ravitaille depuis Porto Empedocle ne peut pas prendre la mer. Les avions ne sont pas mieux lotis : hier, deux vols qui devaient transférer un groupe d'immigrants ont été annulés à cause du mauvais temps.

Voilà où en sont les choses, à l'avant-poste de l'Italie et de l'Europe, en attendant l'invasion maghrébine annoncée. Dans les bars et les gargotes où les gens se sont réfugiés à cause de la pluie et du vent, s'entremêlent les histoires et les anecdotes aux accents fantastiques.

On songe à ce qui s'est passé au milieu des années 1980, quand Kadhafi a lancé deux missiles sur la base LORAN [Long range navigation, système de radionavigation à partir d'émetteurs terrestres] de Lampedusa, ratant sa cible de plusieurs kilomètres. Et l'on relève les bizarreries de cette guerre qui se confond avec une autre qui dure depuis longtemps entre les pêcheurs de Mazara del Vallo et les vedettes côtières libyennes ou tunisiennes.

Le chalutier qui a secouru 40 Maghrébins à la dérive dans la nuit de mardi est le "Clair de Lune". Voilà exactement un an, ce même "Clair de lune" était arraisonné et saisi par les vedettes de Kadhafi pour intrusion dans les eaux territoriales libyennes... La guerre, en somme, n'est pas nouvelle.

Un article de Federico Geremicca dans la Stampa, relayé par Presseurop

Articolo originale nella Stampa

L'immigration massive de Libye semble improbable

Des milliers de migrants africains en route pour l'eldorado européen finissent leur périple en Libye. En cas de chute du régime de Kadhafi, certains évoquent la fin d'un rempart pour l'UE et l'arrivée massive de migrants. Pour Jean-Philippe Chauvy, porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), ce scénario a peu de chances de se réaliser.

Depuis le début des troubles en Libye, des chiffres impressionnants sont révélés chaque jour sur le nombre de migrants clandestins se trouvant actuellement dans ce pays et sur la possibilité de leur arrivée massive dans l'Union européenne à la suite des révoltes.

Actuellement, 1,7 million d'étrangers seraient présents en Libye, ce qui représente quelques 30% de la population totale (environ 5% pour la France). Maliens, Nigériens ou Somaliens sont présents en nombre en Libye (voir encadré), mais les verra-t-on bientôt affluer en Italie, à Malte ou en France?

Cette semaine, l'Italie, par la voix de son chef de la diplomatie Franco Frattini, a attisé les craintes de l'UE. Le ministre a dit redouter une vague de 200'000 à 300'000 immigrés en cas de chute de Mouammar Kadhafi, parlant même d'un "exode biblique" dix fois plus important que le phénomène des Albanais dans les années 90. D'autres dirigeants brandissent même le chiffre de 1,5 million de réfugiés prêts à quitter l'Etat africain le plus rapidement possible.

Des migrants apeurés et sans argent

Jean-Philippe Chauvy, porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), rejette ce catastrophisme ambiant. A ses yeux, il est impossible de prévoir ce qui arrivera en cas de chute du régime libyen. Parler de tsunami migratoire, d'invasion, ou annoncer 200'000 ou 300'000 migrants est prématuré et hors de propos. Un exode massif de clandestins vers l'Europe doit être écarté à court et à moyen terme actuellement. Quant à parler de millions de personnes, c'est "irresponsable".

L'explication est simple, surtout concernant les nombreux migrants sub-sahariens. La plupart d'entre eux ont déjà dû vendre un terrain ou d'autres biens et débourser beaucoup d'argent pour quitter leurs pays d'origine et arriver en Libye, pays qui était apparemment le plus propice jusqu'à présent pour quitter l'Afrique. Ainsi, "quand ils sont arrivés en Libye, ils étaient le plus souvent épuisés, apeurés, sans argent et livrés à eux-mêmes", note le porte-parole de l'OIM. Mais en aucun cas ils n'ont la possibilité de payer à nouveau pour traverser la Méditerranée.

Pour Jean-Philippe Chauvy, cet alarmisme ambiant provient surtout du "ressentiment actuel contre les immigrés dans l'Union européenne".

Un mouvement de Libye vers l'Egypte

Par ailleurs, il semblerait que, depuis le début de la révolte en Libye, certains migrants sub-sahariens cherchent certes à quitter le pays, mais pas pour aller vers l'Europe. Ils chercheraient plutôt à rejoindre leur pays d'origine. Ainsi, l'OIM cite le cas de 170 ressortissants du Niger qui sont rentrés ces derniers jours et 250 autres qui sont en voie de faire de même.

Pour l'heure, il n'y a aucune trace de ces migrants aux frontières égyptiennes ou tunisiennes, et encore moins du côté de Lampedusa, l'île italienne qui a vécu un fort afflux de Tunisiens après le départ de Ben Ali. La seule incertitude, inhérente à la situation en Libye, est l'éventuelle fuite, notamment vers l'Europe, des Libyens eux-mêmes. Mais, là aussi, la surveillance de la Méditerranée s'étant considérablement accrue, un exode massif semble dans l'immédiat peu envisageable.

Quel avenir pour l'accord Kadhafi-Berlusconi?

Toutefois, la chute de Mouammar Kadhafi pourrait bel et bien faire ressurgir un problème aigu en matière de migration: un accord conclu en 2008 entre le colonel libyen et l'Italie de Silvio Berlusconi a fait de Tripoli le gendarme des migrations vers l'Europe. La Libye canalise les flux de migrants et reprend les candidats à l'immigration interceptés en mer. En échange, l'Italie a promis le versement de 200 millions de dollars par an sur 25 ans (soit 5 milliards en tout).

Cette politique, qui est très controversée au sein de l'Union européenne et surtout dans les organisations de défense des droits de l'homme, a occasionné une plongée de près de 90% du nombre d'arrivées en Italie: de 37'000 en 2008, avant l'accord, à 4300 en 2010. 

Si le leader libyen devait tomber, ce verrou pourrait sauter, redoutent certains, essentiellement à Rome. Et l'UE prend aussi au sérieux la menace proférée par le dirigeant libyen de ne plus collaborer en matière migratoire. C'est dans ce cadre que le ministre italien de l'Intérieur Roberto Maroni a exhorté ses partenaires européens à aider son pays à faire face à un risque de crise humanitaire "catastrophique".

Frédéric Boillat pour TSRinfo


Entretien avec la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga

mercredi 23 février 2011

Rome craint l'arrivée de 300'000 émigrants si Kadhafi tombe

L'Italie pourrait devoir faire face à l'arrivée de 200'000 à 300'000 émigrants en provenance de Libye si le régime du colonel Mouammar Kadhafi venait à tomber, a estimé le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini. Une réunion avec des pays méditerranéens concernés est prévue à Rome mercredi après-midi.

Le Conseil des droits de l'homme se réunira en session spéciale vendredi à Genève pour discuter des violations en Libye, a indiqué mercredi une porte-parole de l'ONU. La Suisse a soutenu cette initiative parmi les 47 pays membres du Conseil.

Un tiers de la population de Libye, soit 2,5 millions d'habitants, est composée d'immigrés d'Afrique subsaharienne. Ils pourraient fuir le pays en cas de chute du régime, dit M. Frattini dans une interview publiée mercredi par le "Corriere della Sera".

Selon lui, cette vague inhabituelle d'immigrés équivaudrait à "dix fois le phénomène des réfugiés albanais que nous avons connu dans les années 1990". "Ce sont des estimations basses. Ce serait un exode biblique", a-t-il continué.

Les ministres de l'Intérieur italien, chypriote, français, grec, maltais et espagnol doivent se retrouver ce mercredi à Rome afin de se pencher sur "l'instabilité" créée par la crise libyenne et ses possibles conséquences sur l'immigration en Europe. Ils entendent établir des politiques communes face aux évènements d'Afrique du Nord et faire des recommandations à la Commission européenne.

ATS

Dans la tête des immigrés déboutés du droit d'asile

Reçus par des psychologues de Médecins sans frontières, les migrants dont la demande d’asile a été refusée tentent de surmonter des traumatismes ravivés par leur rejet.

Deux chaises qui se font face, un carnet de notes et un paquet de mouchoir pour éponger les larmes. Sékou, Guinéen de 35 ans, s’installe devant Nathalie Severy, psychologue clinicienne au centre d’écoute et de soin de Médecins sans frontières, à Paris.
Depuis 2007, la structure vient en aide aux personnes qui, après avoir fui des persécutions politiques ou une zone de conflit, ont sollicité la protection de la France. Elle accorde une attention particulière aux déboutés.
Arrivé en France en novembre 2009, Sékou a vu sa demande d’asile auprès de l’Ofpra rejetée, tout comme son recours devant la Cour nationale du droit d’asile. Son histoire n’a pas convaincu les autorités. Ses déclarations orales ont été jugées trop « évasives dans leur ensemble ». Une obligation de quitter le territoire français lui a été transmise voilà trois semaines. « Devant la commission, les personnes les plus traumatisées ne sont pas à même de convaincre. Dans le cas de Sékou, il est arrivé au centre avec d’importants troubles de la concentration et de la mémoire », explique Nathalie Severy.

Le corps, filtre unique des souffrances psychologiques

Pourtant, les faits sont là. Le 28 septembre 2009, Sékou participe à une manifestation publique organisée dans un stade de Conakry, pour contester la candidature du président Moussa Dadis Camara aux élections. Un rassemblement réprimé dans le sang par les forces de sécurité, comme l’atteste l’ONG Human Rights Watch, devant laquelle Sékou a témoigné après avoir réussi à s’échapper de l’enceinte sportive.
L’ancien commerçant, poursuivi jusqu’à son domicile, s’est par la suite résigné à l’exil. Mais depuis que les portes de la France se sont refermées devant lui, son état psychique s’est considérablement dégradé.
Désormais, il ne reste plus en place, comme pour s’extraire physiquement de ses pensées, faites de sang et de machettes. « Je marche, des heures durant, jusqu’à épuisement, sans jamais m’arrêter », raconte ce père de famille, qui a laissé sa femme et ses deux enfants au pays. Il ne supporte même pas de s’allonger quelques heures pour dormir la nuit. « Dès que je m’arrête, c’est insupportable, mes idées me reviennent, je sais ce qui m’attend si je dois revenir en Guinée », explique-t-il avant de fondre en larmes. Ce phénomène, le centre d’écoute le connaît bien.
Acculés, sans aucun espoir pour l’avenir, les déboutés du droit d’asile sont pris en étau et leur corps devient l’unique filtre de leurs souffrances psychologiques.

Cauchemars et pensées suicidaires

C’est au tour d’Helena, 38 ans, de s’installer dans la salle de consultation. Cette Ouzbèke d’origine russe, mère d’un garçon de 12 ans, ne cesse pas elle non plus de remuer, comme si l’agitation pouvait dissoudre ses angoisses. Son conjoint était un membre actif du mouvement Akromiya. Il recevait des opposants politiques à son domicile.
En 2005, la police tente de lui faire signer des dépositions incriminant plusieurs hommes d’affaires accusés d’appartenir à un groupe islamiste. Elle refuse de collaborer, les autorités la menacent de représailles. Après une fouille musclée de son appartement, elle finit par prendre la fuite pour la France en 2006. Jusqu’à l’an dernier, l’espoir d’obtenir l’asile la faisait tenir. Depuis qu’elle a été déboutée de sa demande, des symptômes physiques sont apparus. Douleurs articulaires, céphalées…
« La pensée ne peut plus prendre en charge l’angoisse, alors c’est le corps qui réagit », observe Nathalie Severy. La souffrance, maintenue hors du langage, s’exprime aussi par des cauchemars. « Je suis engagée sur un rond-point qui n’a pas de sortie, explique cette femme, régulièrement exposée à des pensées suicidaires. Ou alors je vois des têtes coupées dans des valises et alors je cherche un endroit où les cacher, mais je ne trouve pas. »

Des expulsés au ban de leur propre identité

La journée passe, le défilé se poursuit. À présent, c’est Kamaraj qui s’avance. Tamoul chrétien de 50 ans, marié à une Cinghalaise, suspecté de soutenir la lutte des indépendantistes, il a été emprisonné trois fois et torturé par les autorités de son pays. Sa demande de statut de réfugié en France a été rejetée en 2006, puis en 2008 après un recours. Depuis trois ans, il vit dans les rues de Paris.
Selon les psychologues, le verdict juridique n’entraîne pas seulement le risque de l’arrestation et de l’expulsion hors du territoire. Les déboutés, pour beaucoup, se vivent comme mis au ban de leur propre identité. « Depuis l’avis de la commission de l’Ofpra, je suis devenu fou, explique le sans-domicile-fixe, qui en vient parfois à se cogner la tête contre les murs pour ne plus penser. Le rejet, c’est très violent. Ce qui m’a poussé à partir, je l’ai subi pendant des années. Mais je n’ai eu que cinq minutes pour raconter mon histoire. C’est comme si on ne m’avait pas cru, comme si ce que j’avais vécu n’avait jamais existé. »
Cet ancien manager d’un commerce en « duty free » de l’aéroport de Katunayake ne dort plus que par tranches de cinq minutes. « À chaque fois, c’est comme si la foudre venait me réveiller, explique-t-il. Si je me lève, ça s’arrête. Sinon, c’est comme un disque dont on n’arrive pas à trouver la touche "stop". »
Nathalie Severy admet que le centre n’a pas beaucoup de marge de manœuvre pour traiter les souffrances de ces patients sans réelles perspectives d’avenir. « Il s’agit avant tout de faire en sorte que leurs symptômes soient le moins invalidants possible », souligne-t-elle. Et aussi, tâcher de les sortir de leur isolement et d’abaisser les barrières qui les coupent d’un monde extérieur perçu comme hostile.

Jean-Baptiste François dans la Croix