J’y vis, j’y vote un peu, mais pas trop. Après avoir accepté en 2003 le principe du vote et de l’éligibilité des étrangers au niveau communal, les Vaudois ont sèchement refusé à ces mêmes personnes l’élargissement de leurs droits au niveau cantonal: seuls trois votants sur dix ont glissé un «oui» dans l’urne – pardon, l’enveloppe – en faveur de l’initiative populaire «Vivre et voter ici».
En cas d’acceptation, Vaud aurait été le troisième canton de Suisse, après le Jura et Neuchâtel, à accorder le droit de vote aux étrangers au plan cantonal, et surtout le premier à leur offrir le droit d’être élu. Afin de pouvoir en profiter, les aspirants citoyens se devaient d’être au bénéfice d’une autorisation de séjour et d’avoir vécu un minimum de dix ans en Suisse, dont trois dans le canton de Vaud – quelque quatre-vingt-cinq mille personnes étaient concernées. Les initiants, de gauche pour la plupart, estiment qu’il est injuste de payer ses impôts et ses assurances sociales en Suisse sans avoir son mot à dire dans les scrutins cantonaux, où se décident nombre d’enjeux qui influencent la vie de tous les jours.
L’échec de l’initiative était attendu, mais pas son ampleur. Elle s’explique en partie par la focalisation de l’attention sur l’autre grand objet de vote du dimanche, concernant l’école. Ainsi, «Vivre et voter ici» n’a pas bénéficié d’un réel débat, encore moins depuis que le Conseil d’Etat a attiré toute l’attention médiatique sur son contre-projet à l’initiative «Ecole 2010», à la suite d’un sondage défavorable publié par 24Heures. Aussi, le couplage entre droit de vote et d’éligibilité, choisi par les initiants afin de ne pas créer de «demi-citoyens», en a sans doute effrayé plus d’un. Que les étrangers votent est une chose, qu’ils légifèrent ou nous gouvernent semble en être une autre. «Une personne étrangère pourrait être élue au Conseil des Etats», mettait même en garde l’exécutif cantonal dans la brochure destinée aux électeurs. Un pseudo-Vaudois pour défendre les intérêts de son canton d’adoption? Impensable!
Enfin, du côté de l’électorat de gauche, certains citoyens ont sans doute été séduits par le principal argument du camp du «non»: plutôt que d’accorder ces droits, il faut encourager les naturalisations. Rappelons que, après douze ans passés en Suisse, les étrangers peuvent accéder, sur demande, à la nationalité suisse et aux droits qui lui sont liés. Encourager l’adoption massive du passeport suisse permettrait par ailleurs de faire perdre à la droite dure son principal cheval de bataille, puisque les statistiques du nombre d’étrangers en Suisse – autour de 22% aujourd’hui – baisseraient drastiquement.
Afin de permettre cela, il faudrait toutefois multiplier les efforts pour simplifier la naturalisation. Par exemple en laissant de côté une fois pour toutes les exigences qui fleurent bon l’époque des Faiseurs de Suisses (1978). Mais, quoi qu’il en soit, un étranger qui vit dans notre pays devra toujours pouvoir choisir d’embrasser ou non la nationalité helvétique. L’idéal, en Pays de Vaud, aurait été que ces personnes puissent tout de même voter et être élues, au niveau communal comme à l’échelon du canton. Un projet enterré pour longtemps.
Editorial de Samuel Schellenberg dans le Courrier