le rapport en question est riche d’autres enseignements. On s’aperçoit ainsi que, loin de pousser les requérants estampillés NEM à quitter le pays, la mesure qui les prive d’aide sociale depuis deux ans s’est accompagnée, durant la même période,
d’une multiplication par cinq des coûts de l’aide d’urgence. Sur 4990 requérants frappés de NEM avant le 1er avril 2004, 1067 étaient ainsi toujours à l’aide d’urgence durant le 3e trimestre 2005. Quant aux quelque 3000 autres, on n’a aucune idée de leur sort: le rapport se borne à noter que les deux tiers des personnes
privées d’aide sociale n’ont jamais demandé d’aide d’urgence. Sans pouvoir dire si
elles ont quitté la Suisse ou se sont perdues dans la nature. Les seuls départs contrôlés, ceux effectués sous contrainte, étaient durant ces même trois mois au
nombre de 21 pour toute la Suisse. Quant aux 5670 personnes frappées d’une NEM depuis
avril 2004, elles étaient 830 à avoir sollicité une aide d’urgence au troisième trimestre 2005. Le même flou persiste pour les autres, de nombreux requérants
préférant survivre par leurs propres moyens pour échapper aux contrôles de police qui, dans certains cantons, accompagnent ladite aide... Seuls indicateurs clairs: environ «60% des bénéficiaires d’une aide d’urgence recensés au 3e trimestre
2005 sont originaires de pays dans lesquels l’exécution du renvoi sous contrainte n’est possible que sous des conditions draconiennes et pour lesquels l’établissement de l’identité et la délivrance de documents de voyage posent problème», souligne
le rapport. Qui, en toute logique, observe deux autres tendances: l’allongement de la
durée de perception des prestations et un recours répété à l’aide d’urgence.
Dernier chiffre à retenir: 55% des «nouveaux NEM» qui ont recouru à l’aide d’urgence en été 2005 séjournaient en Suisse depuis plus d’un an. Des données qui devraient
faire réfléchir à l’heure où la Suisse s’apprête à étendre ce régime prétendument dissuasif à l’ensemble des requérants déboutés. Il appartiendra au peuple, qui sera probablement saisi le 24 septembre des référendums sur la Loi sur l’asile et celle sur les étrangers, de décider s’il entend aligner un peu plus encore la Suisse sur Soleure. Le Souverain devra garder aussi à l’esprit la capacité de discernement
souvent discutable dont semble faire preuve l’ODM. Qui note sans sourciller dans son
rapport une autre tendance observée durant le «trimestre sous revue»: «A noter également (parmi les nouvelles décisions de NEM, ndlr) la forte baisse des personnes originaires de Russie et de Macédoine, qui cèdent leur place aux nationaux irakiens et camerounais.» Au fait, à quel guichet doit-on s’adresser pour les rapatriements vers l'Irak.
samedi 25 mars 2006
Asile: ombres et lumières de la voie soleuroise
Lire l'article de Didier Estoppey dans Le Courrier
Il y a un an, le Tribunal fédéral (TF), statuant sur un recours soleurois, rendait un arrêt appelé à faire date: il contraignait ce canton à accorder aux requérants frappés de non-entrée en matière (NEM) l'aide minimale d'urgence prévue par la Constitution. Le Conseil des Etats, qui avait voté la veille la suppression de cette aide à tous les requérants déboutés, s'est vu obligé par la suite de se raviser. Et de réfréner un tout petit peu l'ardeur des Chambres fédérales dans leur entreprise de démantèlement du droit d'asile, mise sous toit en décembre dernier.
Hier, c'est à nouveau de Soleure qu'est venue une autre décision de justice, qui, elle aussi, marquera peut-être les esprits. Elle concerne un requérant guinéen frappé de NEM, vivant en Suisse depuis quatre ans. L'homme a vainement tenté plusieurs démarches pour obtenir les papiers lui permettant de rentrer chez lui. Ce qui n'ôte rien au caractère illégal de son séjour, ont estimé les autorités: contrôlé à deux reprises par la police, il a été condamné à une double amende. Et à la confiscation de ses maigres économies et de son téléphone portable, vu qu'il n'était pas en mesure de s'acquitter de son dû.
Ce sont ces amendes que vient d'annuler le Tribunal administratif soleurois en acquittant le requérant. Les juges ont considéré que l'homme n'a pas intentionnellement séjourné en Suisse sans papiers. Les autorités soleuroises sont donc sommées de restituer au requérant, dans les trente jours, les sommes et le téléphone confisqués.
«Un cas d'école»
L'association IGA SOS Racisme, à l'origine du recours (comme de celui tranché l'an dernier par le TF), ne crie pas pour autant victoire: «Nous avons choisi un cas d'école, explique sa permanente, Françoise Kopf. Cette personne a pu prouver qu'elle n'était aucunement responsable de l'illégalité de sa situation, puisqu'elle a multiplié les démarches pour tenter de rentrer chez elle. Mais nous avons connaissance de dizaines de requérants ainsi mis à l'amende ou condamnés à la prison pour séjour illégal. Cumulées, ces amendes peuvent aller jusqu'à 5000 francs.»
Le harcèlement systématique auquel sont soumis les requérants estampillés NEM à Soleure a souvent été porté à la connaissance du public grâce à la combativité d'IGA SOS Racisme. Une combativité qui, couplée à l'excès de zèle dont font preuve les autorités soleuroises, ont amené la justice à mettre le holà à certaines pratiques.
Soleure est pourtant loin d'en avoir le monopole. De la même manière que le Conseil des Etats se montrait prêt, il y a un an, à étendre à l'ensemble du pays et des requérants déboutés le «modèle soleurois», la mise à l'amende des requérants en séjour illégal relève d'une stratégie largement répandue.
CQFD
Il est à cet égard édifiant de se pencher sur les chiffres du dernier «rapport de monitoring NEM» publié par l'Office fédéral des migrations (ODM), et portant sur le troisième trimestre 2005. Trois mois durant lesquels, dans toute la Suisse, 699 requérants «NEM» ont été interpellés à 843 reprises, tous délits confondus. Dont près de 50% pour séjour irrégulier uniquement. Notant que les interpellations pour deal ou vol sont quant à elles en «perte de vitesse», l'ODM se réjouit de constater qu'il n'y a pas de lien entre la privation d'aide sociale dont sont victimes les requérants «NEM» depuis avril 2004 et une hausse de la criminalité. CQFD. Même si, paradoxalement, on continue à faire l'amalgame entre requérants et délinquance pour justifier les durcissements de la loi sur l'asile...
Mais le rapport en question est riche d'autres enseignements. On s'aperçoit ainsi que, loin de pousser les requérants estampillés NEM à quitter le pays, la mesure qui les prive d'aide sociale depuis deux ans s'est accompagnée, durant la même période, d'une multiplication par cinq des coûts de l'aide d'urgence. Sur 4990 requérants frappés de NEM avant le 1er avril 2004, 1067 étaient ainsi toujours à l'aide d'urgence durant le 3e trimestre 2005. Quant aux quelque 3000 autres, on n'a aucune idée de leur sort: le rapport se borne à noter que les deux tiers des personnes privées d'aide sociale n'ont jamais demandé d'aide d'urgence. Sans pouvoir dire si elles ont quitté la Suisse ou se sont perdues dans la nature. Les seuls départs contrôlés, ceux effectués sous contrainte, étaient durant ces même trois mois au nombre de 21 pour toute la Suisse.
Flou persistant
Quant aux 5670 personnes frappées d'une NEM depuis avril 2004, elles étaient 830 à avoir sollicité une aide d'urgence au troisième trimestre 2005. Le même flou persiste pour les autres, de nombreux requérants préférant survivre par leurs propres moyens pour échapper aux contrôles de police qui, dans certains cantons, accompagnent ladite aide... Seuls indicateurs clairs: environ «60% des bénéficiaires d'une aide d'urgence recensés au 3e trimestre 2005 sont originaires de pays dans lesquels l'exécution du renvoi sous contrainte n'est possible que sous des conditions draconiennes et pour lesquels l'établissement de l'identité et la délivrance de documents de voyage posent problème», souligne le rapport. Qui, en toute logique, observe deux autres tendances: l'allongement de la durée de perception des prestations et un recours répété à l'aide d'urgence. Dernier chiffre à retenir: 55% des «nouveaux NEM» qui ont recouru à l'aide d'urgence en été 2005 séjournaient en Suisse depuis plus d'un an.
Des données qui devraient faire réfléchir à l'heure où la Suisse s'apprête à étendre ce régime prétendument dissuasif à l'ensemble des requérants déboutés. Il appartiendra au peuple, qui sera probablement saisi le 24 septembre des référendums sur la Loi sur l'asile et celle sur les étrangers, de décider s'il entend aligner un peu plus encore la Suisse sur Soleure.
Le Souverain devra garder aussi à l'esprit la capacité de discernement souvent discutable dont semble faire preuve l'ODM. Qui note sans sourciller dans son rapport une autre tendance observée durant le «trimestre sous revue»: «A noter également (parmi les nouvelles décisions de NEM, ndlr) la forte baisse des personnes originaires de Russie et de Macédoine, qui cèdent leur place aux nationaux irakiens et camerounais.»
Au fait, à quel guichet doit-on s'adresser pour les rapatriements vers Bagdad?I
Il y a un an, le Tribunal fédéral (TF), statuant sur un recours soleurois, rendait un arrêt appelé à faire date: il contraignait ce canton à accorder aux requérants frappés de non-entrée en matière (NEM) l'aide minimale d'urgence prévue par la Constitution. Le Conseil des Etats, qui avait voté la veille la suppression de cette aide à tous les requérants déboutés, s'est vu obligé par la suite de se raviser. Et de réfréner un tout petit peu l'ardeur des Chambres fédérales dans leur entreprise de démantèlement du droit d'asile, mise sous toit en décembre dernier.
Hier, c'est à nouveau de Soleure qu'est venue une autre décision de justice, qui, elle aussi, marquera peut-être les esprits. Elle concerne un requérant guinéen frappé de NEM, vivant en Suisse depuis quatre ans. L'homme a vainement tenté plusieurs démarches pour obtenir les papiers lui permettant de rentrer chez lui. Ce qui n'ôte rien au caractère illégal de son séjour, ont estimé les autorités: contrôlé à deux reprises par la police, il a été condamné à une double amende. Et à la confiscation de ses maigres économies et de son téléphone portable, vu qu'il n'était pas en mesure de s'acquitter de son dû.
Ce sont ces amendes que vient d'annuler le Tribunal administratif soleurois en acquittant le requérant. Les juges ont considéré que l'homme n'a pas intentionnellement séjourné en Suisse sans papiers. Les autorités soleuroises sont donc sommées de restituer au requérant, dans les trente jours, les sommes et le téléphone confisqués.
«Un cas d'école»
L'association IGA SOS Racisme, à l'origine du recours (comme de celui tranché l'an dernier par le TF), ne crie pas pour autant victoire: «Nous avons choisi un cas d'école, explique sa permanente, Françoise Kopf. Cette personne a pu prouver qu'elle n'était aucunement responsable de l'illégalité de sa situation, puisqu'elle a multiplié les démarches pour tenter de rentrer chez elle. Mais nous avons connaissance de dizaines de requérants ainsi mis à l'amende ou condamnés à la prison pour séjour illégal. Cumulées, ces amendes peuvent aller jusqu'à 5000 francs.»
Le harcèlement systématique auquel sont soumis les requérants estampillés NEM à Soleure a souvent été porté à la connaissance du public grâce à la combativité d'IGA SOS Racisme. Une combativité qui, couplée à l'excès de zèle dont font preuve les autorités soleuroises, ont amené la justice à mettre le holà à certaines pratiques.
Soleure est pourtant loin d'en avoir le monopole. De la même manière que le Conseil des Etats se montrait prêt, il y a un an, à étendre à l'ensemble du pays et des requérants déboutés le «modèle soleurois», la mise à l'amende des requérants en séjour illégal relève d'une stratégie largement répandue.
CQFD
Il est à cet égard édifiant de se pencher sur les chiffres du dernier «rapport de monitoring NEM» publié par l'Office fédéral des migrations (ODM), et portant sur le troisième trimestre 2005. Trois mois durant lesquels, dans toute la Suisse, 699 requérants «NEM» ont été interpellés à 843 reprises, tous délits confondus. Dont près de 50% pour séjour irrégulier uniquement. Notant que les interpellations pour deal ou vol sont quant à elles en «perte de vitesse», l'ODM se réjouit de constater qu'il n'y a pas de lien entre la privation d'aide sociale dont sont victimes les requérants «NEM» depuis avril 2004 et une hausse de la criminalité. CQFD. Même si, paradoxalement, on continue à faire l'amalgame entre requérants et délinquance pour justifier les durcissements de la loi sur l'asile...
Mais le rapport en question est riche d'autres enseignements. On s'aperçoit ainsi que, loin de pousser les requérants estampillés NEM à quitter le pays, la mesure qui les prive d'aide sociale depuis deux ans s'est accompagnée, durant la même période, d'une multiplication par cinq des coûts de l'aide d'urgence. Sur 4990 requérants frappés de NEM avant le 1er avril 2004, 1067 étaient ainsi toujours à l'aide d'urgence durant le 3e trimestre 2005. Quant aux quelque 3000 autres, on n'a aucune idée de leur sort: le rapport se borne à noter que les deux tiers des personnes privées d'aide sociale n'ont jamais demandé d'aide d'urgence. Sans pouvoir dire si elles ont quitté la Suisse ou se sont perdues dans la nature. Les seuls départs contrôlés, ceux effectués sous contrainte, étaient durant ces même trois mois au nombre de 21 pour toute la Suisse.
Flou persistant
Quant aux 5670 personnes frappées d'une NEM depuis avril 2004, elles étaient 830 à avoir sollicité une aide d'urgence au troisième trimestre 2005. Le même flou persiste pour les autres, de nombreux requérants préférant survivre par leurs propres moyens pour échapper aux contrôles de police qui, dans certains cantons, accompagnent ladite aide... Seuls indicateurs clairs: environ «60% des bénéficiaires d'une aide d'urgence recensés au 3e trimestre 2005 sont originaires de pays dans lesquels l'exécution du renvoi sous contrainte n'est possible que sous des conditions draconiennes et pour lesquels l'établissement de l'identité et la délivrance de documents de voyage posent problème», souligne le rapport. Qui, en toute logique, observe deux autres tendances: l'allongement de la durée de perception des prestations et un recours répété à l'aide d'urgence. Dernier chiffre à retenir: 55% des «nouveaux NEM» qui ont recouru à l'aide d'urgence en été 2005 séjournaient en Suisse depuis plus d'un an.
Des données qui devraient faire réfléchir à l'heure où la Suisse s'apprête à étendre ce régime prétendument dissuasif à l'ensemble des requérants déboutés. Il appartiendra au peuple, qui sera probablement saisi le 24 septembre des référendums sur la Loi sur l'asile et celle sur les étrangers, de décider s'il entend aligner un peu plus encore la Suisse sur Soleure.
Le Souverain devra garder aussi à l'esprit la capacité de discernement souvent discutable dont semble faire preuve l'ODM. Qui note sans sourciller dans son rapport une autre tendance observée durant le «trimestre sous revue»: «A noter également (parmi les nouvelles décisions de NEM, ndlr) la forte baisse des personnes originaires de Russie et de Macédoine, qui cèdent leur place aux nationaux irakiens et camerounais.»
Au fait, à quel guichet doit-on s'adresser pour les rapatriements vers Bagdad?I
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