mercredi 1 juin 2011

Migrants et réfugiés subsahariens : les oubliés de la sale guerre en Libye

Environ 2,5 millions de migrants, originaires d’Asie et d’Afrique, travaillaient dans ce pays avant le début du conflit. Face à une situation désastreuse et aux violations incessantes de leurs droits humains, migrants et réfugiés africains quittent, dans une détresse indescriptible la Libye de Kadhafi en proie à une rébellion armée et à des bombardements incessants du monde occidental sous la houlette de l’OTAN. A ce jour, l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM) et ses partenaires ont rapatrié plus de 136,000 personnes vers une trentaine de pays  (y compris plus de 300 ressortissants sénégalais).

La situation des migrants et réfugiés noirs originaires de l’Afrique sub-saharienne est extrêmement préoccupante. Selon les témoignages recueillis auprès de ceux qui ont pu quitter la Libye et rejoindre l'Egypte ou la Tunisie, de nombreux réfugiés africains, notamment Somaliens, se sentent pris au piège et ont peur de sortir de chez eux, même s'ils ont peu ou pas de nourriture. « Certains nous ont rapporté avoir été pris pour cible car ils sont soupçonnés d'être des mercenaires » se désole le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR). « Les ressortissants originaires d’Afrique sub-saharienne et de l’Ouest notamment font l’objet depuis de nombreuses années de mesures discriminatoires de la part de certains segments de la société libyenne ». Ceci a été souligné à maintes reprises par le représentant spécial sur les droits des migrants, Jorge Bustamente, rappelle Jean Philippe Chauzy de l’Organisation Mondiale pour les Migrations (OIM).

Une situation intenable

Depuis le début du conflit, en février, plus de 1, 200 personnes auraient péri en mer. Le matin du mercredi 6 avril 2011, plus de 220 réfugiés somaliens, érythréens et ivoiriens se sont noyés lorsque leur
bateau a chaviré à environ 39 milles marins au sud de l’île italienne
de Lampedusa. Par ailleurs l’OTAN, la France, l’Italie sont accusés par des survivants pour non assistance de personne en danger. Plus de 60 personnes sont mortes au cours d’un terrible périple, essentiellement de faim et de soif. Leur faute, fuir la Libye bombardée nuit et jour par l’OTAN, un pays où le dirigeant est accusé de tirer sur sa propre population dont une partie armée s’est organisée en rébellion n’hésitant pas à tuer des Noirs d’Afrique assimilés à des mercenaires à la solde du Colonel Muammar Kadhafi. Ce dernier est également accusé d’inciter les migrants de quitter le pays pour faire pression sur l’Europe et le reste de la communauté internationale.

Les violences commises à l’encontre des migrants et réfugiés provenant d’Afrique subsaharienne : violences physiques, harcèlement racistes, menaces et injures, licenciement sans salaire, ont été exacerbées depuis le début de la rébellion à Benghazi, à Misrata et l’entrée en guerre de l’OTAN sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy en Libye.

Concernant le naufrage du 6 avril, Le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), basé à Genève s’insurgeait : « C’est la pire tragédie survenue ces dernières années en Méditerranée dans le cadre de ces tentatives de traversée».  « Une longue tradition de sauvetage des vies humaines en mer pourrait être menacée si elle devient l’objet de litiges entre les Etats sur la question de qui sauve qui. C’est pourquoi nous avons d’urgence besoin d’un mécanisme de recherche et de sauvetage plus opérationnel
et plus efficace », souligne, pour sa part, Erika Feller, la Haut Commissaire assistante du HCR en charge de la protection.

La fuite comme seule alternative

Depuis la crise beaucoup d’Africains ont quitté la Libye avec souvent l’aide des organisations internationales comme le HCR et l’OIM dont les appels d’urgence pour venir en aide à ces personnes sont peu financés.

On estime que 700 000 à 800.000 personnes ont fui la Libye pour rejoindre la Tunisie et l'Egypte depuis le début du conflit. Le HCR a organisé, conjointement avec l'Organisation pour les Migrations (OIM), une opération massive de rapatriement des personnes ayant fui vers ces deux pays au cours des premières semaines du conflit, permettant ainsi aux travailleurs de pays tiers ayant fui la Libye de rentrer chez eux. Ces personnes ont fui, ont fui la Libye depuis le début de la crise, essentiellement vers L’Egypte (près de 290,000), la Tunisie (plus de 409,000), le Tchad (près de 25,000), le Niger (plus de 66,000) et dans une moindre mesure vers l’Algérie (mois de 19,000), le Soudan (2,800) ou ont traversé la Méditerranée pour atteindre l’Italie et Malte (+/- 12,000). A ce jour, l’OIM et ses partenaires ont rapatrié plus de 136,000 personnes vers une trentaine de pays  (y compris plus de 300 ressortissants sénégalais)

Pour les personnes originaires de pays en conflit et ne pouvant rentrer chez elles, le HCR facilite leur prise en charge en améliorant leurs conditions de réception aux frontières, notamment par la création d'un camp à Choucha en Tunisie (Ce camp est actuellement brûlé aux deux tiers. Migrants et réfugiés s’y sont déclarés la guerre- voir Encadré) et l'apport d'une assistance humanitaire. Le HCR continue également à chercher des solutions de long terme pour ces réfugiés, y compris leur réinstallation dans des pays tiers désireux de les accueillir. « Nous faisons tout notre possible pour les assister. Nous avons notamment mis en place un service d'assistance téléphonique 24h/24 pour répondre à leurs appels et tenter de leur venir en aide » assure Mme Cécile Pouilly de l’organisation onusienne pour les réfugiés.

La théorie et la pratique

En Libye comme dans le reste du monde, les migrants en tant qu'êtres humains jouissent des droits de l'homme et des libertés fondamentaux et inaliénables universellement reconnus dans des instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1948. Nul ne peut être privé de ces droits ou les voir céder à une autre personne, c'est pourquoi ils sont définis comme étant inaliénables. Les droits de l'homme sont garantis prima facie à toute personne présente dans un Etat, quelle qu'elle soit. Ils sont également garantis aux migrants indépendamment de leur statut juridique (réguliers ou irréguliers) ou de la durée de leur séjour. Ces droits sont appliqués sans discrimination ; en d'autres termes, aucune différence entre des personnes ne saurait justifier la privation ou le mépris des droits de l'homme et des libertés fondamentales d'une personne. Les réfugiés ont des droits comme tout être humain, dont le droit à la vie et à ne pas subir de torture ou de traitement dégradant. Ils sont de plus protégés par la Convention de 1951. Leur protection est au cœur du mandat du HCR qui reste très préoccupée par les dangers encourus par les réfugiés qui sont bloqués en Libye et manquent de tout.

Notons que la Libye n’a jamais ratifié la Convention de l’ONU sur le Statut des réfugiés de 1951 et aucun système national ne garantit le droit d’asile. Par ailleurs, des expulsions de migrants étaient régulièrement pratiquées en violation du droit international. Par ailleurs l’Union européenne, dans le cadre de l’externalisation de sa politique migratoire, a fait de Kadhafi un partenaire important dans la lutte contre les migrations irrégulières vers l’Europe. « En 2010, l’UE négociait avec Kadhafi les conditions d’octroi d’un fonds d’assistance à la Libye, destiné à renforcer « la lutte contre les migrations irrégulières » rappelle Médecins Sans Frontières (MSF).

Le droit de la mer ne s’applique –t-il pas aux Noirs d’Afrique ?

Récemment l'Otan, la France et l'Italie sont accusés de n'avoir pas  secourus des migrants et réfugiés quittant la Libye. Le HCR  a recueilli le témoignage de survivants ayant fui la Libye par bateau et qui affirment n'avoir pas été secourus en mer, bien que des bâtiments militaires soient passés deux fois non loin de leur bateau. Le premier navire militaire a refusé leur demande de monter à bord. Le deuxième a seulement pris des photos, a indiqué le survivant, qui n'a toutefois pas réussi à identifier le port d'attache de ces navires. Plus de 60 personnes sont mortes au cours de ce terrible périple, essentiellement de faim et de soif. Nous appelons les capitaines de navires à une vigilance accrue et au respect continu du devoir maritime ancestral consistant à prêter assistance à toute personne se trouvant en situation de détresse en mer. Certes, les personnes fuyant la Libye tentent la traversée de la Méditerranée à bord de bateaux bondés et impropres à la navigation. Est-ce une raison de les laisser mourir ? Le HCR exhorte les Etats, les compagnies de transport maritime commerciales et d'autres bâtiments en Méditerranée à estimer que toute embarcation quittant la Libye pour l'Europe doit être considérée comme étant en situation de détresse. L’OIM souligne, de son côté, l’importance de renforcer les mesures de sauvetage en mer et de respecter le droit international maritime de prêter assistance à toute personne se trouvant en situation de détresse en mer.

L’OIM de même que le HCR réitèrent, aujourd’hui plus que jamais, leur appel aux états et à tous les navires en Méditerranée, y compris ceux de l'OTAN, de porter une attention particulière à toute embarcation quittant la Libye pour l'Europe comme étant potentiellement en situation de détresse. 

Enquête internationale ?

Aux Nations-Unies, à Genève, certains journalistes ne pouvaient plus accepter le fait que l’OTAN ne veuille pas dire si oui ou non elle a été appelée en secours par les bateaux africains naufragés. Des Ongs ont décidé aussi à leur tour après avoir effectué des séjours en Libye, Tunisie ou Egypte d’interpeller la communauté internationale. La Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH) a, du 8 au 15 mai, envoyé une mission qui s’est rendue dans la ville de Salloum pour enquêter sur la situation des migrants et réfugiés à la frontière égypto-libyenne. La mission avait également pour objectif d’évaluer les conséquences du conflit en Libye pour les travailleurs migrants. Concernant les violences racistes à l’encontre des migrants originaires d’Afrique subsaharienne en Libye, la FIDH demande, dans un document, à toutes les parties au conflit : de respecter les normes de droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ratifiés par la Libye, tels que l’article 3 commun aux conventions de Genève et le protocole additionnel 2 aux conventions de Genève ; de cesser leurs attaques et les actes de violences et de discrimination commis à l’encontre des populations migrantes et de poursuivre en justice les auteurs de ces crimes ; de coopérer pleinement avec les enquêtes en cours de la Cour pénale internationale (CPI).

Médecins Sans Frontières (MSF)  dénonce, pour sa part, avec véhémence, « l’incohérence des politiques européennes qui prétendent protéger les civils en faisant la guerre, mais en leur fermant les frontières ». MSF rappelle l’obligation légale de respecter les droits des victimes de guerre  « en garantissant leur non-refoulement des eaux territoriales et du sol européens vers une zone de guerre ; en leur assurant des conditions d’accueil décentes en Europe, tout comme l’accès à la procédure d’asile, quand elles le demandent. ». «  Les Etats européens engagés dans la guerre en Libye se dédouanent de leurs obligations, tant légales que morales, de l’attention qui doit être portées aux victimes de la guerre dont ils sont partie prenante, explique Christian Captier, Directeur général de MSF ». Les discours et les actes de nos dirigeants, sous fond de la lutte contre l’immigration illégale, restreignent de fait l’accès au sol européen aux victimes de la guerre. M. Captier poursuit : « Ce cynisme politique est indigne ».  

Dossier réalisé par El Hadji Gorgui Wade NDOYE (ContinentPremier.Com)

Des réfugiés libyens de plus en plus nombreux

remada camp réfugiés libyensLe sud-est du pays est directement touché par le conflit libyen. Depuis trois mois, le flux des personnes déplacées n'a pas cessé et le nombre des arrivants dépasse de loin les capacités d'accueil mises en place. Reportage du quotidien tunisien Le Temps.

Depuis le début des combats [le 17 février], les frontières sud du pays ont été prises d'assaut par des dizaines de milliers de travailleurs étrangers fuyant en masse la Libye ; le poste frontière de Ras Jdir fut le premier à accueillir les premières vagues de réfugiés hébergés dans des campements installés pour la circonstance, avant d'être acheminés vers l'aéroport international de Djerba-Zarzis pour être rapatriés. Jusqu'à ce jour, quelque 430 000 réfugiés, toutes nationalités confondues, ont transité par ce poste depuis les premiers jours du soulèvement populaire, dont presque 3 000 continuent à  séjourner dans les camps de Choucha en raison de la rareté des vols de rapatriement.

Depuis que les combats  se déroulent dans les régions montagneuses de l'ouest libyen au niveau de Jabal Nefoussa, le poste frontière de Déhiba, contrôlé tantôt par les milices loyalistes, tantôt par les insurgés, stratégique pour l'approvisionnement en denrées alimentaires, en médicaments et carburant, est le théâtre d'un  interminable flux humain dont l'ampleur et la fréquence varient selon l'évolution des combats opposant les deux parties au conflit ; des familles libyennes de la région occidentale résidant à Nalout, à Yefren, à Kabaou, à Jadou, à Zenten, etc. fuient en masse leurs villes et villages, quittant en détresse leur terre sous la contrainte, craignant pour leur vie et celle de leurs enfants.

Jusqu'à ce jour, presque 45 mille personnes ont traversé ce point de passage pour être accueillies  par les habitants de la région qui leur ont offert gîte et couvert, ou dans les trois camps de réfugiés mis en place à Déhiba par les Emirats Arabes Unis et géré par le Croissant-Rouge Tunisien (CRT), à Remada mis en place par le Haut Comité des Nations Unies pour les Réfugiés (l'UNHCR) ou à Tataouine mis en place récemment par le Qatar. La capacité d'accueil des trois camps réunis ne dépasse pas les trois mille cinq cents, c'est dire que la majorité écrasante des réfugiés séjourne en toute quiétude parmi leurs frères et sœurs dans la région, à Tataouine ville, à Ghoumrassen, à Maztouria, à Smar, à Remada, à Déhiba, etc..., ou même ailleurs dans d'autres villes du pays, à Médenine, à Zarzis, à Gabès, à Sfax, etc...dont les habitants n'ont pas hésité bénévolement à prêter main forte en proposant leurs services, de tous genres, à toutes les familles ayant manifesté leur désir de s'y rendre.

L'île de Djerba, à travers sa société civile et ses habitants, a ouvert ses portes et ses espaces privés et publics, depuis le début de la crise, pour accueillir, en attendant leur rapatriement, les premiers réfugiés égyptiens et autres. A l'heure actuelle, entre trois à quatre mille Libyens sont pris en charge, tant au niveau de l'hébergement, de l'approvisionnement en denrées alimentaires, qu'en assistance médicale. Des comités locaux, constitués pour la circonstance à travers tout le territoire de l'île, à Midoun, à Sédouikech, à Guellala, à Adjim, à Mellita, se déploient pour apporter tout le soutien nécessaire  et toute l'assistance requise aux familles dont ils ont la charge, en coordination avec le comité central établi à Houmt-Souk.

Du côté des réfugiés libyens, un comité regroupant des militants ayant fui à temps leur pays, souvent en barque à partir de la ville de Zouara, et des jeunes gens désireux de se rendre utiles en ces moments exceptionnels, sont à pied d'œuvre pour coordonner avec le comité central local au niveau de la distribution et de l'acheminement de l'aide, pour encadrer les familles et faciliter leur intégration. Des cours sont organisés depuis le 30 mai au profit de 7O élèves inscrits, ayant déjà reçu des fournitures scolaires lors d'une cérémonie organisée le 25 mai dans les locaux de l'établissement privé mis à leur disposition par son propriétaire. De même, une association vient de voir le jour portant le nom de "Les Jeunes de la Révolution du 17 février de Zouara", et elle a déjà à son actif la publication du premier numéro d'un journal hebdomadaire Tagrawla (signifiant "La révolution" en amazigh) édité à Djerba, et dont la ligne éditoriale est adepte du discours patriotique prônant le principe unanimement partagé de l'indivisibilité de la Libye ayant pour  capitale Tripoli, et au droit sacré et indiscutable à la différence. 

Face à la recrudescence des frappes aériennes des forces de l'Otan sur la capitale, beaucoup de familles commencent à la fuir et leur apparition à Djerba se fait de plus en plus sentir. Des témoignages recueillis auprès de certains parmi eux font part de la paralysie de l'activité administrative en raison de la désertion obligée des fonctionnaires de leurs lieux de travail, étant dans l'incapacité de s'y rendre en raison de la pénurie du carburant. Certains ont dû s'approvisionner au marché noir en consentant de payer l'équivalent de cent dinars pour acheter un bidon de 20 litres suffisants pour rejoindre les frontières.

Cependant, force est de signaler qu'au moment où nous assistons à cet exode de familles contraintes au départ, arrivant le plus souvent démunies, terrorisées et traumatisées, quelques ressortissants Libyens viennent séjourner le temps d'un week-end, comme si de rien n'était, dans les hôtels les plus huppés de l'île, dépensant des fortunes chaque soir, n'hésitant pas, par-dessus le marché, à scander arrogance, en provocateurs, leur allégeance au colonel Kadhafi en perte de légitimité.

Naceur Bouabid, Le Temps (Tunisie), relayé par le Courrier International