mardi 2 août 2011

Tuerie d'Oslo : le signe extrême du glissement à droite en Europe

le monstre douxIl y a quelques mois, le politologue italien Raffaele Simone publiait « Le Monstre doux », dans lequel il analysait la « droitisation » générale de l'Europe. Il attribuait ce mouvement au fait que les gauches européennes n'avaient pas pu offrir d'alternative crédible, n'ayant pas compris à temps les mouvements sociologique et intellectuel profonds de nos sociétés.

Notre époque est devenue d'abord consommatrice, évidemment individualiste – ce à quoi la gauche prétend répondre par l'« autonomie », sans bien en définir les contours – pressée, changeante, « zappante » , médiatique.

Selon Raffaele Simone, la droite a su s'associer aux entreprises et aux médias pour exploiter au mieux ces évolutions, en promouvant une société de divertissement et de réponse de court terme – et médiatique – aux compulsions populaires.

Sous l'aile des promesses de droite, des personnes âgées

Ces facteurs se sont traduits, notamment, sous impulsion anglo-saxonne, depuis 1980, par une course générale à la baisse des taux d'imposition sur les hauts revenus et les entreprises, même de la part des sociodémocrates. Il n'y a pas de société sans impôt, mais quand l'individualisme gagne, et quand la société, peu à peu, se dissout, la baisse des taux d'imposition accompagne logiquement cette lente dissolution.

A ces facteurs de progression de la droite gouvernementale classique, dont l'archétype est la droite berlusconienne en Italie, s'ajoute, pour expliquer, en son sein, les progrès de son extrême – et la manifestation norvégienne de son « cerveau reptilien » – un autre mélange complexe composé :

  • du vieillissement général de l'électorat,
  • de la montée de la délinquance évidemment liée à la pauvreté,
  • de l'insuffisance des moyens du couple justice-police, pour y faire face.

Quand les inégalités s'élèvent, comme c'est le cas dans toute l'Europe, quand le chômage reste élevé un peu partout, au-delà même de sa baisse conjoncturelle liée à la reprise de 2010, il est « naturel » que la délinquance s'élève.

Et les personnes âgées, plus démunies face à elle, sont tentées de chercher l'aile protectrice des promesses de la droite. Promesses qu'elle ne peut pas tenir, car, par ailleurs, elle ne cesse de chercher à réduire les dépenses publiques, donc les moyens affectés au couple justice-police. La droite gouvernementale ne sort pas de ce dilemme.

C'est la faute des immigrés…

Mais la droite extrême, elle, s'en sort par un discours xénophobe, raciste, islamophobe. Le chômage ? La faute aux immigrés qui prennent les places des bons et « vrais » Européens ! En oubliant le « plafond de verre » qu'en France, au moins, l'on oppose encore dans nombre d'entreprises, à l'embauche et à la progression des jeunes issus de l'immigration.

En oubliant, plus prosaïquement, que, dans toute l'Europe, les jeunes en général, et, plus encore, bacheliers et diplômés de l'université, n'ont guère de goût pour les emplois d'éboueurs, de femmes de ménage et de serveurs dans les restaurants. Par qui les remplacer ? Par des immigrés, qui n'ont ensuite rien de plus pressé que d'obtenir la nationalité. Sans accepter, pour autant, de perdre leurs coutumes.

La délinquance ? A 70%, le fait des immigrés ! En confondant sciemment les immigrés récents et les nationaux issus de l'immigration ! Les statistiques « ethniques » des prisons, interdites en France, qui circulent sous le manteau, exposant le pourcentage élevé d'immigrés parmi les détenus, ont malheureusement toutes les chances d'être grossièrement exactes, car qui sont les victimes prioritaires de la crise économique latente depuis trente ans ?

Les fils et petits-fils des immigrés des années 60-70 et qui, études terminées à tous niveaux, ne trouvent pas d'emploi, et ne résistent pas aux petits, puis aux grands trafics.

Ajoutons, pour la France, la rémanence de la guerre d'Algérie, qui diminue lentement, mais dont on reconnaît bien l'existence aux drapeaux algériens qui ressortent lors des matchs de foot France-Algérie ou lors de quelques mariages de familles issues de l'immigration et de nationalité française.

… musulmans !

Reste la composante islamophobe ! Elle est évidemment colinéaire au rejet « économique » de l'immigré, car l'islam est la religion majoritaire chez les immigrés d'Europe. Aux Etats-Unis, elle est la conséquence du 11 Septembre !

Elle est liée aussi à quelques provocations intégristes, qui sont moins l'expression d'un islamisme extérieur et conquérant, qu'une affirmation individuelle identitaire face aux discriminations de toutes sortes dont sont victimes les immigrés.

Elle amène les fous de l'extrême droite à brandir les vieilleries historiques de la lutte contre les Maures et les Sarrasins.

Un vrai défi pour le candidat de la gauche

Le glissement général à droite de l'électorat, qui fait jaillir Marine Le Pen, comme les extrêmes droites dans toute l'Europe, déplace évidemment les centres de gravité électoraux respectifs, des candidats de droite, comme de gauche.

Nicolas Sarkozy l'a bien intégré, lui qui, en 2007, avait su capter les voix du Front national et qui s'efforce de les récupérer aujourd'hui, par des transgressions régulières de la frontière des deux droites.

Mais pour le candidat de gauche, c'est beaucoup plus compliqué ; Il doit d'abord, à contre courant, annoncer une hausse des impôts. Il faut évidemment l'intégrer dans une réforme de la fiscalité. Mais la moitié, voire les deux tiers de l'électorat, peut-être sa totalité, si l'on augmente la TVA, devra payer plus. Nicolas Sarkozy, l'attaquera immédiatement la dessus, même si, réélu, il devrait inévitablement se dédire et augmenter, à son tour, les prélèvements.

L'emploi, pour lutter contre la délinquance

Mais que faire s'agissant de la délinquance, face au discours sécuritaire et islamophobe ? Expliquer, inlassablement, qu'on doit aller aux racines du chômage, cause primaire de ces dérives.

Annoncer à des Français, qui gardent quand même, pour cette moitié là au moins, un minimum de raison et un attachement aux principes républicains, un vrai plan de développement industriel initié, promu, « cornaqué » par l'Etat, pour créer ou recréer des filières créatrices d'emplois.

Dire que l'emploi n'est pas suffisant pour réduire la délinquance, certainement ! Affirmer la nécessité de sanctions pour tous les délits, comme le dit d'ailleurs, le projet socialiste ? Sans aucun doute ! Réformer l'Education ? Bien sûr !

Mais la condition nécessaire du recul de la délinquance, donc du racisme et de l'islamophobie qu'elle suscite dans certaines populations, et des « manifestations » communautaires, c'est quand même bien l'emploi.

Jean Matouk sur Rue89