samedi 8 octobre 2011

L’Amazonie, nouvelle destination des réfugiés africains

Depuis deux ans, un nombre croissant de réfugiés africains s’installe dans la jungle brésilienne. C’est le destin de Nicolas Wilson.

Après avoir fui le nord-ouest de la République démocratique du Congo (RDC) et ses conflits ethniques meurtriers, Nicolas Wilson1 est devenu le premier réfugié originaire d’Afrique à s’installer dans la région amazonienne du Brésil. Son parcours reflète une tendance nouvelle dans le plus grand pays d’Amérique latine, où plus des deux tiers des réfugiés sont africains et installés en majorité dans le sud-est, près des ports de Rio de Janeiro et São Paulo.
«Nous voyons maintenant un nouveau type de réfugiés en Amazonie», assure Luiz Fernando Godinho, porte-parole du bureau local du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). «Cette région, qui reçoit surtout des personnes venues d’Amérique du sud, connaît un afflux en provenance d’Afrique. Un changement certes léger et discret, mais remarqué depuis deux ans.»
En effet depuis 2010, selon les Nations Unies, quelque 30 demandeurs d’asile africains se sont nouvellement établis dans les différents Etats de l’Amazonie. Pour la plupart migrants politiques, ils viennent aussi bien de Côte d’Ivoire, du Ghana, de Guinée-Bissau, du Nigeria et de la Sierra Leone, en Afrique de l’Ouest, que du Kenya en Afrique orientale, ou du Zimbabwe en Afrique australe, et de la RDC.
Et ils ne sont pas les seuls: cette immense portion de jungle – qui couvre plus de la moitié du territoire mais abrite seulement 10% de la population brésilienne – accueille à l’heure actuelle près de 140 réfugiés, venus surtout de la Bolivie voisine, et environ 700 demandeurs d’asile de différentes nationalités. Tous attendent leur sésame du gouvernement de Brasilia. La procédure peut durer six mois.

«La loi brésilienne va plus loin que celle de l’Onu car elle reconnaît comme réfugié toute personne dont les droits humains ont été violés massivement, explique Renato Zerbini, professeur de Droit international et coordinateur du Conare. Et La force de notre  système d’accueil repose sur l’efficacité de la coordination entre les Nations unies, le gouvernement et la société civile.» Le Brésil accueille actuellement 4305 réfugiés, selon les chiffres du Comité national brésilien pour les réfugiés (CONARE), dont 65% d’Africains. En tête les Angolais (39%), suivi des Congolais de RDC (10%) et les Libériens (6%).
Jusqu’à présent, le Brésil n’a pas instauré de quotas pour limiter le nombre de réfugiés: avec un océan le séparant des traditionnelles routes migratoires d’Afrique ou d’Asie, il n’est pas une destination privilégiée. Du moins pas encore. Car la situation pourrait d’autant plus évoluer que le pays aux 192 millions d’habitants n’a pas fait de l’entrée illégale d’un étranger sur son sol un critère de refus de sa demande d’asile.
C’est probablement l’une des raisons qui a poussé Nicolas à débarquer à São Paulo fin 2009. Victime d’une fausse promesse d’embauche, il se rend à Manaus, la capitale de l’Etat d’Amazonas, la plus grande ville d’Amazonie. Sur place, avec l’aide de la Pastoral do Migrante, une organisation catholique qui assiste les migrants et les réfugiés, il dépose une demande d’asile auprès de la police fédérale et du CONARE. Requête acceptée en février dernier. Une première dans cette zone tropicale, réputée inhospitalière mais friande en main d’œuvre bon marché pour les activités agro-pastorales, minières ou forestières, qui grignotent chaque jour davantage la jungle.
Nicolas affirme avoir quitté son pays à cause de la guerre. En 2009, il a été missionné par son gouvernement pour organiser la répartition des terres et des vivres entre deux clans rivaux, au nord de la RDC. Mais le conflit s’est vite envenimé, avec l’implication de groupes lourdement armés. Accusé d’être un espion, il s’est caché dans la forêt avec des centaines de compatriotes, dont un grand nombre de femmes et d’enfants.
Cultivé, ce scientifique parle plusieurs langues: le lingala – un dialecte bantou congolais – le français, le swahili, l’anglais et le portugais. Mais le mot «saudade» (envie ou nostalgie en portugais) prend un sens nouveau pour lui quand il évoque sa famille, qu’il n’a pas revue depuis son départ. «Je souffre beaucoup de cette séparation», confesse-t-il. Il n’a pas les moyens de voyager, et rien à leur offrir à Manaus.

Il survit grâce à de maigres emprunts ou de petits boulots, et avec ce qu’il arrive à gagner en enseignant le français. Dans la précipitation de sa fuite de RDC, il n’a pas pu récupérer ses diplômes pour valider au Brésil l’équivalence de ses études universitaires, et ne peut trouver aucun poste dans son domaine d’expertise: la géo-informatique et la détection à distance. Mais il ne perd pas espoir.

Fabiola Ortiz et Sandra Titi-Fontaine dans le Courrier

L’histoire de l’immigration tend un miroir aux institutions suisses

Silvia Arlettaz, professeur à l’université de Fribourg, nous rappelle que l’immigration est aussi une clef pour comprendre les courants idéologiques qui ont façonné la Suisse.

L’attitude de la Suisse à l’égard des étrangers puise ses racines dans une histoire relativement complexe faite d’évolutions et de ruptures notables. Nous avons tendu le micro à Silvia Arlettaz, professeur d’histoire à l’Université de Fribourg et coauteur d’un ouvrage traitant de cette problématique 1.

Si l’on prend en compte les deux cents dernières années, la politique suisse en matière d’immigration se distingue-t-elle plutôt par une constante ou observe-t-on des changements de cap notables?

Silvia Arlettaz: Sur le long terme, on distingue principalement deux grandes périodes: celle qui va de 1848 aux années trente. Et un second cycle qui conduit à nos jours. Ensuite, on peut diviser ces deux époques en sous-groupes avec des césures. Par exemple, la Première Guerre mondiale marque clairement une rupture.

Quelles sont les caractéristiques de la première période qui va de la naissance de la Suisse moderne à l’entre-deux-guerres?

C’est une période où la société est dominée par des conceptions libérales. Entrer en Suisse est alors beaucoup plus facile. La Confédération met peu d’entraves et les cantons sont compétents pour le séjour, l’établissement et les prises d’emploi. Dans de nombreuses législations cantonales, les étrangers sont assimilés à des Confédérés établis hors de leur canton d’origine. A la veille de la Première Guerre mondiale, 99% de l’immigration provient des Etats voisins, avec lesquels la Suisse a conclu des accords bilatéraux.

Quelle politique met-on alors en œuvre?

Le but de l’Etat fédéral est alors d’accroître la prospérité et d’intégrer la Suisse dans un marché européen en construction. On se rend bien compte qu’il s’agit de répondre aux besoins du marché du travail. La Suisse est fortement demandeuse en la matière. Son solde migratoire est négatif à partir du milieu de la seconde moitié du XIXe siècle.

A quel moment, assiste-t-on à l’émergence d’une politique en matière d’immigration au niveau fédéral?

Ce rôle, inauguré par l’article 34 de la Constitution de 1874, est étendu avec l’adoption en 1890 d’un article 34 bis qui place dans la compétence fédérale l’introduction de l’assurance en cas de maladie et d’accident. Les réformes envisagées concernent en premier lieu les Confédérés, mais elles touchent également les étrangers qui sont à la fois objet et enjeu du discours.

A partir de cette révision constitutionnelle de 1874, les compétences de la Confédération s’accroissent. Pour une raison assez simple: les effets de l’industrialisation, des migrations, de la prolétarisation, se font sentir. La paupérisation s’accroît, ce qui oblige l’Etat à intervenir.

Quand la question des étrangers devient-elle politique?

A partir de 1898 et plus particulièrement entre 1909 et la Première Guerre mondiale, le courant en faveur d’une intégration libérale des étrangers étend son influence. La «question des étrangers», d’abord circonscrite à certains cantons acquiert progressivement une dimension nationale. La naturalisation apparaît comme la solution politique et juridique. Pour l’élite libérale et républicaine, les périls ne sont pas attribués aux fondements du système politique suisse. Au contraire, c’est à travers l’exercice des droits politiques que l’étranger est amené à s’intéresser à la vie nationale et aux institutions suisses.

Cette conception d’une assimilation civile et civique des étrangers à la vie politique suisse s’accompagne d’une vision culturaliste de la société. En effet, les protagonistes de l’assimilation des étrangers par la naturalisation postulent que les valeurs suisses constituent la mesure de l’intégration et qu’elles sont par elles-mêmes en mesure d’effectuer.

En quoi la Première Guerre mondiale marque-t-elle une rupture?

En 1917 naît ainsi la Police des étrangers, avec l’ordonnance du Conseil fédéral en vertu des pleins pouvoirs qui instaure l’Office central de police des étrangers le 21 novembre 1917. La mise sur pied d’un appareil centralisé de contrôle de l’établissement et du séjour permet de conduire une nouvelle politique d’immigration fondée sur des bases protectionnistes. C’est cet appareil qui va prendre l’initiative des mesures jugées nécessaires à la lutte contre la «surpopulation étrangère».

Du fait des mobilisations, nombre d’étrangers vont quitter la Suisse. Et ils vont être remplacés par des réfractaires, des déserteurs des puissances en conflit. Ce qui indispose tant la France que l’Allemagne, qui protestent. Ces gens sont plus politisés, plus revendicatifs et mieux organisés. La grève générale de 1918 sera un vrai traumatisme et vue comme un danger pour la cohésion sociale.

Dès la fin de 1917 et tout au long de l’année 1918, la notion de sécurité prend un sens nouveau; c’est désormais le système social qui est en cause. La grève générale de novembre 1918 exacerbe les passions dans un conflit dont la droite entend restreindre la signification aux «influences étrangères».

L’image de l’étranger change: il est vu comme indésirable, un facteur de trouble. La réponse du pouvoir politique évolue alors: on passe d’une catégorie sociale qu’il s’agit d’assimiler à une population qu’il faut contrôler. La naturalisation devient non plus le chemin de l’intégration mais une sorte de consécration pour une personne d’ores et déjà assimilée. A l’inverse, on parle dès lors de «Papierschweizer», le Suisse qui n’en aurait que la nationalité mais insuffisamment intégrée. Et l’on assiste à la construction du concept d’«Ueberfremdung» (la dénonciation d’une présence étrangère vue comme posant problème en terme sociaux, culturels ou linguistiques, ndlr).

Cette vision nationaliste se maintient-elle après la Seconde Guerre mondiale?

Après la Seconde Guerre mondiale, on peut distinguer deux grandes périodes. La première porte jusqu’au début des années soixante, la seconde nous mène à nos jours. Lors de la première séquence, ce sont véritablement les besoins de l’économie qui priment. La politique de l’Etat obéit surtout à des considérations d’ordre sécuritaire, identitaire et économique. On maintient une politique de rotation forte de cette main d’œuvre, en limitant les durées de séjour. Ce qui permet de maintenir une forme de précarité qui arrange bien les entreprises. Le terme utilisé «Gastarbeiter» [travailleurs invités] est en soit révélateur. L’étranger est davantage considéré comme un invité que comme quelqu’un susceptible de rester.

Qu’est-ce qui va infléchir ces pratiques?

Entre 1963 et, disons, 1973, l’économie suisse est en surchauffe. Ce qui influe sur la politique menée à l’égard des étrangers. Peu à peu se fait jour l’idée que la précarité dans laquelle on maintient cette main-d’œuvre est aussi un oreiller de paresse pour l’économie. La facilité qu’il y a à puiser dans ce réservoir bloque les initiatives et les idées pour moderniser l’appareil de production.

L’attitude de la Suisse évolue alors vers une politique à trois piliers visant à contenir l’immigration mais aussi à la stabiliser et à sélectionner les nouveaux arrivants.

Sur le terrain quel impact aura cette évolution?

Le nombre de personnes avec un statut fixe augmente alors de manière substantielle: en 1960, 25% de la population résident étrangère est au bénéfice d’un permis C, contre 75% à la fin des années 1990.

Après la crise des années septante, qu’est-ce qui va changer?

Dans les années quatre-vingts, l’économie démarre de nouveau avec vigueur. L’élément clef de ces dernières décennies – qui imprègne aussi les débats actuels – est l’amalgame qui est fait entre immigrants et réfugiés. Cette confusion était bien sûr déjà présente auparavant et explique aussi que la Suisse ait imparfaitement joué son rôle de refuge durant la Seconde Guerre mondiale. Car immigrants et réfugiés relèvent de démarches séparées. Ainsi, les communards, les Polonais ou, après-guerre, les Hongrois n’avaient pas suscité de tels débats.

Le 6 octobre 1986, le Conseil fédéral promulgue une ordonnance limitant le nombre des étrangers et qui reprend les points incontestés du précédent projet de loi. Les étrangers désireux d’exercer un emploi doivent provenir en premier lieu des régions traditionnelles – Europe occidentale, Yougoslavie incluse, Etats-Unis et Canada –, des pays «où les valeurs culturelles, religieuses et sociales correspondent aux nôtres». L’image des faux réfugiés devient alors très populaire et très utilisée par les partis politiques.

La Suisse se retrouve dans la forteresse Europe?

Elle externalise en quelque sorte ses frontières au sein d’un espace plus large. La Suisse s’ouvre sur l’Europe mais se ferme davantage à tout ce qui est extra européen ou plutôt, on assiste au concept des deux ou trois cercles avec une approche culturaliste sous-jacente.

La Suisse reste donc un pays frileux en matière d’immigration?

Le Conseil fédéral annonce clairement en 1991 qu’il ne souhaite pas que la Suisse soit une terre d’immigration attractive. Dans son rapport de 1991, il affine les critères de sélection des immigrants et propose le «modèle des trois cercles» auquel il associe une politique de recrutement spécifique.

Propos recueillis par Philippe Bach pour le Courrier

Bibliographie

Pour aller plus loin 1 Silvia et Gérald Arlettaz, Les étrangers en Suisse. L’immigration et le développement de la formation nationale 1848-1933. Lausanne, Hist.ch, Antipodes & SHSR, 2004 [2e édition 2010]. 167 p. Ainsi que Citoyens et étrangers sous la République Helvétique 1798-1803. Genève, Georg, 2005, 440 p.

Chiasso, quand la frontière devient psychose

Dans cette ville née du trafic frontalier, c’est le pire du populisme tessinois qui s’exprime, raconte l’épicier Marco Ferrazzini. Ancien maire adjoint de Chiasso, il critique avec des mots durs les partis politiques, qui enveniment le climat, sans sens des responsabilités.

Chiasso, pour beaucoup, c’est une grande gare et des douanes, infrastructures grâce auxquelles la ville doit son essor à partir de 1850. Aujourd’hui, c’est aussi un centre pour réfugiés, et des dizaines, voire des centaines d’immigrés qui tentent chaque mois de pénétrer clandestinement au Tessin. Ce sont des milliers de frontaliers qui entrent chaque jour en toute légalité pour «envahir» le canton – dixit la Lega.

Délaissant le centre pour le nord-ouest de la ville, nous traversons les voies ferrées, errons dans des espaces fantomatiques parsemés de hangars et de vieilles fabriques, pour arriver soudain dans un quartier d’habitation populaire, au charme désuet, parsemé de jardinets: le quartier de la Via Soldini, où nous dénichons non sans peine le magasin d’alimentation avec bar de Marco Ferrazzini.

Cela fait soixante et un ans qu’il vit ici, et 37 ans qu’il tient le négoce paternel. Le temps semble s’être immobilisé, le monde s’être figé dans ce petit univers qui nous ramène 30 ans en arrière. Son propriétaire y accueille politiciens, artistes et intellectuels, aux côtés des petits vieux ou des balayeurs du quartier, pour échanger potins et idées devant un verre de vin. Pipe à la bouche, regard malicieux, cet ancien politicien de gauche est lui-même ce qu’on appelle un personnage dans la région.

Les angoisses des Tessinois face à la frontière? «Quelles angoisses?» demande-t-il, provocateur. Les immigrés? On rencontre ici et là en ville de Chiasso de petits groupes d’Africains avec une bière en main, mais ils ne se jettent pas sur les passants. «Certes, avec l’arrivée des immigrés maghrébins, des cas de petite délinquance se sont produits, mais à l’intérieur du centre d’enregistrement pour la plupart.»

La polémique enfle pourtant à Chiasso, et la peur semble s’être insinuée dans la population: vols à la tire, avec deux agressions, rixes entre réfugiés, alcoolisme. Le fait que des réfugiés aient soulagé leur vessie contre le mur d’une église a mis le feu aux poudres. La municipalité somme la Confédération de déplacer le centre hors de la ville.

Pour Marco Ferrazzini, qui fut par le passé maire adjoint de Chiasso, le vrai problème est ailleurs: «Les politiciens, et même la presse, créent la psychose.» Quand un maire (PLR) affirme lors d’un débat télévisé que les requérants du centre de Chiasso sont tous des soûlards et des canailles, quel exemple d’équilibre et de bon sens donne-t-il à la population, se demande le retraité. Quand un député (Lega) au Grand Conseil interpelle le gouvernement cantonal sur une «onde de violence et de peur», quel signal lance-t-il?

«A Chiasso, on retrouve la variante la plus fruste de la Lega.» La Lega, responsable d’une dérive vers la droite populiste dans tout le canton, n’a fait qu’exploiter «la pire part des Tessinois», le côté arriéré, peu cultivé, juge Marco Ferrazzini. En vingt ans, les habitants de Chiasso ont quant à eux perdu l’ouverture d’esprit qui en faisait des citoyens de la frontière. En quête du consensus électoral, les autres partis «se laissent conditionner par une politique du paraître et de l’éphémère».

Les frontaliers – dont le nombre a dépassé les 51 000 dans le canton – sont un autre sujet chaud au sud des Alpes. Dans les (rares) usines ou fabriques de Chiasso, les ouvriers viennent presque tous de la Péninsule. «Plus aucun Tessinois ne veut y travailler», lance Marco Ferrazzini. Les locaux vivent surtout du commerce et des banques. Les CFF n’occupent plus que 300 personnes, contre encore 1500 il y a 30 ans. Les rancœurs contre «les Baillis de Berne» – expression de la Lega faisant allusion à la douloureuse période où le Tessin était un bailliage de la Confédération – sont habilement alimentées par la politique tessinoise, critique notre interlocuteur. «Mais si Berne décidait vraiment de fermer les robinets au Tessin, ce serait notre ruine.»

Barbara Knopf, Chiasso, dans le Temps

Une jurisprudence pour mieux protéger les requérants mineurs non accompagnés

Le Tribunal administratif fédéral a désavoué l’Office fédéral des migrations et donné raison à deux frères afghans, mineurs, qui avaient transité par l’Italie.

Les requérants d’asile mineurs non accompagnés d’un adulte doivent bénéficier d’une protection particulière. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) leur reconnaît le droit d’être assistés d’une personne de confiance dès le tout début de la procédure, y compris lorsque l’Office fédéral des migrations (ODM) entend les renvoyer directement dans l’Etat Schengen par lequel ils ont transité pour arriver en Suisse.

Dans une décision de principe diffusée vendredi, les juges ont contraint l’ODM à rouvrir le dossier de deux mineurs afghans que les fonctionnaires avaient questionnés seuls, sans qu’ils puissent bénéficier du concours d’un adulte, sur les circonstances dans lesquelles ils étaient arrivés d’Italie. Ils y avaient été arrêtés puis relâchés avant de se retrouver entre les mains de passeurs qui les ont fait entrer en Suisse.

Une audition décisive

La première audition même sommaire dans les centres d’enregistrement, observe le Tribunal administratif fédéral, est déterminante pour l’issue de la procédure. Si l’ODM se convainc que les conditions prévues par les Accords de Dublin sont réunies, il refusera d’entrer en matière sur la demande et ordonnera le renvoi vers l’Etat de provenance. Il importe dès lors qu’à ce stade déjà, les «mineurs non accompagnés», comme les désignent les textes, puissent être assistés de la personne de confiance exigée tout à la fois par la législation fédérale et par le droit international.

Dans le cas précis, l’ODM avait décidé du renvoi des deux frères vers l’Italie au terme d’une audition conduite sans aucune assistance, et «clairement insuffisante», juge le TAF, pour arriver à cette conclusion. En particulier, les fonctionnaires n’ont pas cherché à répondre à la question de savoir si oui ou non une demande d’asile avait déjà été déposée auprès des autorités italiennes.

Denis Masmejan dans le Temps

Vingt ans de croissance pour Français en Jeu

laurent amy Depuis sa création, en 1991, l’association a vu le nombre de personnes suivant ses cours de français se multiplier par dix.

Spécialisée dans les cours de français pour les migrants en situation économique ou sociale précaire, Français en Jeu souffle ce samedi ses 20 bougies à Lausanne. Le point de vue du directeur, Laurent Amy.

Votre association a grandi?

En vingt ans, le nombre de personnes à qui nous donnons des cours s’est multiplié par dix. Nous en avons plus de 1600 actuellement. Nous avons considérablement diversifié notre offre de cours. Au départ, ceux-ci étaient donnés uniquement par des bénévoles dans deux régions, Lausanne et la Riviera, à raison de deux heures hebdomadaires. Aujourd’hui, nous touchons d’autres régions, comme Morges, Echallens, Moudon… et nous avons complété notre équipe d’enseignants par des professionnels chargés de cours semi-intensifs, ou axés sur l’apprentissage par les parents des termes et des expressions propres à l’école. Le tout toujours avec des méthodes pédagogiques qui privilégient le côté ludique et qui font école dans d’autres associations ou d’autres institutions.

1600 «apprenants» dans le canton, c’est suffisant?

On voit clairement qu’il y a encore des besoins. Soit parce que nous refusons du monde dans certaines régions à certaines périodes, soit parce d’autres régions pourraient être mieux desservies encore, comme par exemple le Gros-de-Vaud ou l’Ouest lausannois.

Avec quels moyens?

Notre budget de départ était d’environ 1000 francs. Il dépasse aujourd’hui le million, grâce au soutien de nombreuses collectivités publiques, dont Lausanne, les communes où nous sommes présents, et l’Etat de Vaud. Nous ne pouvons pas demander plus à nos apprenants, ils ont par définition peu de moyens. Le développement passera forcément par les dons et les subventions publiques.

24 Heures

www.francaisenjeu.ch

«Pas d’expulsions de force pour les non-criminels»

Suites politiques du film de Fernand Melgar. Antonio Hodgers dépose trois motions pour modifier la loi.

Vol spécial, de Fernand Melgar, n’en finit pas de susciter la polémiquer. Taxé de fasciste dans un premier temps, désormais de «docu-menteur», le film – selon Fernand Melgar – veut susciter le débat. Quitte à défendre son point de vue en dépeignant une Suisse préfasciste, comme lors d’un débat public à Berne la semaine dernière. Deux policiers ont quitté la salle, outrés par les propos du cinéaste vaudois. Toutes ces controverses se devaient d’engendrer des suites politiques.

Le conseiller national Antonio Hodgers (Verts/GE) va déposer trois textes aux Chambres fédérales pour revoir la pratique en matière d’internement et d’expulsion des étrangers. «On ne traite pas de la même manière un père de famille qui travaille et tente de s’intégrer dont le seul crime est de séjourner en Suisse sans permis, et un dealer de drogue notoire! s’exclame Antonio Hodgers. Or, aujourd’hui, tous sont soumis à la même procédure, et aux mesures de contrainte.»

Pour le Vert genevois, c’est l’une des choses choquantes montrées par le film de Fernand Melgar. Mais la focale n’est-elle pas partielle? «Evidemment, il a voulu toucher par l’émotion des destins individuels. Mais il démontre aussi l’absurdité d’un système qui applique aveuglément des lois. Il y a une distance entre une prise de décision et son application concrète», s’enflamme Antonio Hodgers.

Et la polémique sur le passé criminel de certains détenus de Frambois vus dans Vol spécial ? «Cette polémique sert mes propositions. M. Leuba nous dit que 70% des détenus de Frambois provenant du canton de Vaud ont un passé criminel, alors pourquoi traiter de la même manière les 30% qui n’ont pas enfreint le Code pénal?» avance Antonio Hodgers.

La première motion du Vert genevois exige la suppression des «mesures de contrainte pour les étrangers non criminels». Comme elle a peu de chances de succès, il en a déposé une seconde, qui demande pour ces derniers des mesures de contrainte allégées. Sur le modèle proposé par Amnesty International. Ce texte a obtenu des signatures de parlementaires de droite. Enfin, le Genevois réitère sa demande de documenter les motifs d’expulsion. En 2010, la réponse du Conseil fédéral était limpide: l’Office fédéral des migrations (ODM) n’est pas en mesure de le faire. Idem en octobre 2011, selon notre enquête. renvoi forcé chiffres

«Pas si simple»

«Cet honnête travailleur sans papiers», dont Antonio Hodgers veut défendre les droits, expulsé manu militari comme un criminel violent, existe-il? S’est-il glissé dans ces 30% de non-criminels qu’avance le canton de Vaud? «Pas si simple», explique Philippe Leuba, le ministre vaudois de la Justice. «Nous n’expulsons pas les gens parce qu’ils sont clandestins, mais parce qu’ils refusent une décision juridiquement fondée. Il en va de notre Etat de droit que nous devons faire respecter. Sinon, le séjour en Suisse dépendrait de leur bon vouloir.»

Philippe Leuba souligne aussi la proportionnalité de la contrainte utilisée: de l’escorte policière aux différents niveaux d’entrave selon la détermination des récalcitrants. «Pas impossible mais peu probable qu’un honnête clandestin, père de famille qui travaille, se retrouve menotté dans un avion», affirme Philippe Leuba. «Dans le canton de Vaud, nous essayons au maximum d’obtenir de Berne des permis humanitaires pour ce genre de cas. Depuis 2006, nous avons obtenu la régularisation de 740 personnes. Notre politique est claire: intransigeance avec les criminels, un appui pour favoriser la régularisation des non-criminels qui ont fait l’effort de s’intégrer dans notre société.»

Xavier Alonso, Berne, dans 24 Heures