mardi 5 avril 2005

Prédication de Daniel Neeser, le 4 avril 2005

PRÉDICATION DU PREMIER DIMANCHE APRÈS PÂQUES
Chapelle des Crêts 3 avril 2005
Tout être humain est image de son créateur
Pasteur Daniel Neeser
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Lectures bibliques : Gn 1, 24-31 ; Jn 20,11-18

Mon objectif, en délivrant cette prédication, est de fortifier votre foi en Dieu et sa parole qui proclame : tout humain est fait à l’image de Dieu. Il en résulte une attitude éthique fondamentale : le respect de cette image dans toute personne. Respecter signifie ‘regarder l’autre d’une certaine manière’ d’une manière qui fait vivre. Le respect commence déjà avec le regard qu’on porte sur soi et continue sur celui porté sur autrui, sur Dieu et sur la réalisation de son projet.
Or cela est en danger ces temps-ci. Un discours politique fait actuellement croire qu’il serait éthiquement anodin, humainement possible, politiquement efficace et malheureusement nécessaire, de regarder autrement telle catégorie de population et de l’exclure de la vie jusqu’à lui refuser le minimum vital, la possibilité de manger. Je vise, vous l’aurez compris, les récentes décisions parlementaires de supprimer toute aide, même d’urgence, aux personnes à qui la Suisse n’accorde pas le droit de rester sur son territoire.

Si des personnages politiques interpellent les Eglises, les taxant d’irresponsables, à nous de dire haut et fort que l’évangile ne se partage pas, qu’on ne trie pas dans les paroles de la sainte Ecriture. Or la première parole jamais prononcée sur un être vivant fut une bénédiction et le premier regard posé fut admiratif et reconnaissant : que cela est bon, que cela est beau !
Qui est « cela », qui est l’autre, qui suis-je moi-même ? Avant d’être qualifié par ce que je fais, ce que je donne, ce que je produis ou ce que je mérite, je suis, devant Dieu, le sujet de son contentement. Vous remarquerez que l’humain, au Jardin, n’a encore rien produit, n’a donné aucun gage de sa valeur morale, intellectuelle, économique ou religieuse. Il est, de manière absolue, et il est sous le regard de Dieu, sujet de Sa joie ! Le texte ne dit pas que l’homme est bon en tant que tel, mais que ce qui se passe entre lui et son Créateur est bon, que ces vivants, cette création, arbres, verdure, animaux et humains, sont bons au regard de Dieu. Il ne s’agit pas non plus de bonté morale qui serait en quelque sorte un état antérieur à la chute. Ce récit, mythologique, n’a pas été écrit avant la chute. Il est fondateur dans la mesure où il nous annonce un Dieu sous le regard duquel nous, avec la création, sommes bons, provoquant Son émerveillement.
Voilà le fondement de toute la foi biblique, qui nous rassemble avec les juifs et, je l’espère, avec les musulmans et tous les hommes et femmes de bonne volonté : l’humain est bon, pas au sens rousseauiste, mais au sens théologique. Il est bon parce que Dieu s’y lit, y reconnaît son image. Dieu nous regarde avec bonté et bonheur et nous respecte comme sa belle création.

Voilà pour le fondement. Vient maintenant la part de la mission, de la parole à dire. C’est le moment où il faut prendre un risque, où se taire n’est plus possible devant Dieu et devant les humains. Il ne s’agit pas de juger, ni de dire « je suis meilleur, vous êtes mauvais » mais de dire « ça, cette manière de faire, ces paroles, ces décisions, ne sont pas de l’ordre de l’évangile. »
C’est le ‘KAIROS’, moment de vérité, un moment qui ne repassera pas. Si, à ce moment, une décision de rupture n’est pas prise, alors ce sera de plus en plus dur : de refus du risque, justifié par une forme de conformité politique pernicieuse, on passera au refus de voir, puis au refus de réagir et enfin à l’acceptation passive puis active de l’inacceptable.
Encore une fois, ce ne sont pas des personnes que nous jugeons et auxquelles il s’agit de s’opposer, mais des attitudes, des comportements, des décisions, et les valeurs qui les fondent, qu’il faut débusquer. Quand des autorités politiques décident de refuser le minimum vital, c’est-à-dire le droit à la nourriture et à un logement décent, à certaines catégories de personnes et qu’en même temps l’accès au travail ne leur est pas possible, il n’y a plus de regard, celles et ceux que l’on considère ainsi n’existent plus, la joie de Dieu est morte, sa créature n’est plus à son image.

L’argumentation des délits commis par certains ne tient pas. Il n’est qu’un prétexte, malhonnête parce qu’il cache d’autres perspectives, et – pire - pernicieux car il nous permet d’avoir bonne conscience à vil prix. Jamais un délit ne condamne à avoir faim. Quand il y a délit, il doit y avoir jugement et sanction, mais affamer ne fait pas partie des sanctions de notre code pénal ! De plus ces décisions s’appliquent davantage à des personnes n’ayant commis aucun délit.

On objectera, avec une certaine pertinence, que je devrais proposer des solutions. Je n’en ai pas d’autres que celles de ma fonction et de mon autorité, à savoir de dire que dans le regard que nous portons sur ces personnes et dans l’attitude que nous avons à leur égard, notre propre regard sur nous et notre propre identité face à Dieu sont en jeu, l’image que Dieu a mise de Lui en chacun de nous est obscurcie, abîmée.
Il ne s’agit pas d’angélisme, ni d’irresponsabilité mais du témoignage à une parole qui est plus forte que moi. Elle ne vient pas de moi, j’y suis soumis, moi aussi.
Il ne m’est pas facile de dire ce que je vous dis aujourd’hui.
Petite histoire de la... sollicitude de Dieu envers moi ou de son humour... :
Hier, vers 18h. 15 alors que je travaillais à cette prédication, ils sont venus. Deux coups frappés discrètement à la porte. Jeunes, bosniaques, un homme une femme (Dieu qu’elle était jolie !), et un fils de deux ans laissé au pays... Toute une vie qui défile en quelques minutes, dans mon bureau : l’incendie de leur maison, la peur, les mains qui tremblent, les yeux qui s’embuent, la voix qui bégaye puis s’arrête dans la gorge à l’évocation de la mort des parents, et la faim...

Je ne prétends pas faire la morale à nos conseillers fédéraux ni au parlement. Mais j’ai cette mission de porte-parole, même si et quand telle parole me gêne. Car j’aurais presque préféré devoir donner une parole dure, qui les aurait exclus et, en même temps qu’elle les ôtait de mon regard, me protégeait moi-même, me rassurait.
Mais : « S’ils se taisent, les pierres crieront », c’était dans l’évangile des Rameaux, il y a deux semaines ! Et l’évangile de ce dimanche d’après Pâques est celui d’une parole à entendre : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » et d’une autre à dire : « J’ai vu le Seigneur et voici ce qu’il m’a dit. » Comment être témoin de cet évangile sans regarder comme une sœur, comme un frère ces deux étrangers qui étaient venus me dire que ma prédication avait tout son sens. Comment ne pas chercher en eux le reflet de l’image de mon Créateur?