samedi 22 janvier 2011

Le dernier recours des requérants déboutés

A Lausanne, des personnes menacées de renvoi occupent des refuges depuis plus de cent jours. Un abri fragile où ont atterri Teka et Diallo, après plusieurs années passées à lutter. Témoignages.

L'avenir du refuge pour les requérants d'asile menacés de renvoi est incertain. Alors que l'abri ouvert le 13 décembre à la paroisse catholique du Saint-Esprit va fermer, des négociations étaient toujours en cours, hier, entre la délégation des Eglises réformée et catholique et la Coordination asile et migration Vaud (CAMIV) pour déterminer un nouveau lieu d'hébergement. Elles se poursuivront jusqu'à lundi au moins. Plus de cent jours après l'ouverture d'un premier abri à Lausanne et après plusieurs déménagements dans des locaux paroissiaux, le refuge pourrait être déplacé la semaine prochaine à Morges, a-t-on seulement appris.
Le refuge de la paroisse du Saint-Esprit compte actuellement deux occupants, Teka et Diallo. Un troisième requérant, hébergé depuis six semaines, l'a quitté ces derniers jours, la décision de renvoi le concernant ayant été frappée d'un effet suspensif.
Pour Teka et Diallo en revanche, la possibilité d'être arrêté en vue d'un renvoi est bien réelle. Le premier avait déposé une demande de régularisation au terme de l'article 14 de la loi sur l'asile (autorisant la délivrance d'un permis B pour «cas de rigueur»), qu'il s'est vu refuser en juin dernier. Ses voies de recours sont désormais épuisées. Pour Diallo cependant, une demande de permis humanitaire sera encore effectuée à Berne dans les semaines à venir.
Dans le canton, une quarantaine de personnes déboutées sont dans la même situation, rappelle Graziella de Coulon. La représentante de la Coordination asile espère un geste politique en leur faveur. Elle annonce la constitution d'un comité de soutien pour appuyer une nouvelle demande de régularisation collective. Des députés sont notamment sollicités pour y participer.

Arnaud Crevoisier dans le Courrier


Un «Européen» sans papiers

A 40 ans, Teka a passé la moitié de sa vie en Europe. Natif de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), il a connu la trajectoire typique des jeunes Africains venus sur le Vieux-Continent avec le rêve d'une vie meilleure.

Un voyage «vers l'espoir» qu'il a préparé dès la fin de sa scolarité, en travaillant dans le petit commerce de rue. Issu d'une famille de six enfants, Teka n'imaginait pas connaître la dure réalité d'une vie de sans-papiers. Il quitte Kinshasa en 1990 en raison d'un climat politique qu'il ne supporte plus. Il passe par l'Angola et le Portugal avant d'arriver en Espagne. Il y séjourne douze ans, durant lesquels il travaille sans interruption. En juillet 2002, il demande l'asile en Suisse. Refus. Pour Teka, qui parle le lingala, le français, l'espagnol et le portugais, c'est l'incompréhension. «Depuis ma jeunesse, j'essaie de convaincre les Européens que je suis européen depuis l'âge de 20 ans», dit-il.

Teka est hébergé dans un abri PC à Begnins, puis dans un centre de l'Evam à Bex. Dès 2007, il séjourne au Centre de requérants d'asile à Vevey. Au début, son permis N lui permet de travailler. Il est d'abord «médiateur à la cuisine» du centre Evam durant un an. Ensuite, il travaille une autre année comme aide de cuisine au Casino de Montreux. Avec l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'asile, il perd son droit au travail. En 2009, il reçoit une convocation de la Direction générale de la migration (DGM) à Berne, afin de rencontrer une délégation de son pays d'origine en vue de son retour. Les représentants congolais décident de lui délivrer un laisser-passer pour retourner au Congo. Cependant, Teka a peur: ses soeurs ont reçu la visite de la police et elles ont dû confirmer ce qu'il avait déclaré. Elles sont dorénavant surveillées et son dossier est entre les mains de la police congolaise. Le 16 février 2010, Teka est arrêté à Renens en vue de son expulsion. «Ils m'ont incarcéré dans une prison pour des criminels à Berne. J'étais seul dans une cellule. Puis j'ai été conduit à l'aéroport de Kloten pour être expulsé de force, sans mes affaires, sans rien.» Teka résiste pour ne pas rentrer au Congo. La police lui met les menottes et l'amène au poste. Après deux semaines de prison à Berne, il est conduit à Frambois. Après la mort du Nigérian et la suspension des renvois forcés, la Coordination asile Vaud demande la libération de Teka ainsi que de tous les autres détenus vaudois de Frambois; elle obtient gain de cause, aidée en cela par un arrêt du Tribunal fédéral. «Quand je suis sorti de la prison, dit Teka, je n'étais pas bien. Je n'arrivais pas à dormir par peur de la police. Pour nous, la police, ça signifie voyager dans des fourgonnettes, des wagons cellulaires, attendre dans des containers... Cela signifie aussi le vol spécial de Zurich. Partout, on est menottés. Même à l'audience.» Les mots et le regard de Teka portent aujourd'hui les séquelles des prisons, des cellules et des menottes. «J'ai vu presque toute l'Afrique, même des blancs, (il parle des ressortissants de pays de l'Est, ndlr), menottés dans ces wagons cellulaires. Nous étions comme des marchandises.» Aujourd'hui, l'accueil, même précaire, dans les locaux paroissiaux lui offre un répit. «Ici au refuge, on est bien» dit-il.

Ihsan Kurt dans le Courrier

En 2007, les ministres suédois voulaient stopper les réfugiés irakiens

Des télégrammes diplomatiques américains transmis par WikiLeaks au quotidien suédois Svenska Dagbladet font état, vendredi 21 janvier, des efforts de plusieurs ministres suédois pour limiter l'arrivée de réfugiés irakiens en Suède. Ces documents, qui font beaucoup de bruit en Suède, sont publiés alors même que le royaume scandinave se livre en ce moment à des séries d'expulsions de demandeurs d'asile irakiens déboutés qui ont provoqué des manifestations dans plusieurs villes de Suède et des dizaines d'arrestations.

suède max bildt

Carl Bildt, ministre conservateur des affaires étrangères, auraient, selon WikiLeaks, demandé à l'Irak de reprendre les demandeurs d'asile refoulés, faute de quoi la Suède ne rouvrirait pas l'ambassade à Badgad. AP/Andy Wong

Mercredi, vingt Irakiens ont été déportés vers le centre de l'Irak, après que leur recours auprès de la cour européenne des droits de l'homme a été rejeté. Le gouvernement suédois a déclaré que la situation générale s'était améliorée en Irak et que les chrétiens d'Irak ne craignaient plus de risque de persécution. Une décision très durement critiquée par le Haut Commissariat de l'ONU aux réfugiés, qui a répliqué que la fuite actuelle de milliers de chrétiens était une indication du contraire.

Vingt-cinq manifestants ont été arrêtés mercredi matin devant le bureau de l'Agence des migrations à Märsta près de Stockholm. La veille, près de Göteborg, dans l'ouest, la police avait arrêté 70 manifestants qui se trouvaient près d'un camp de transit afin d'empêcher l'expulsion d'un groupe d'Irakiens. La Suède a répondu aux critiques en disant que chaque cas était étudié individuellement.

"Pauvres et peu éduqués"

Les autorités sont nettement plus silencieuses s'agissant des informations ressortant des télégrammes diplomatiques. Au cours d'une visite en Irak en 2007, Carl Bildt, ministre conservateur des affaires étrangères, et Tobias Billström, son homologue chargé de l'immigration, au cours d'entretiens avec des officiels américains, avaient exprimé leur souci vis-à-vis de l'ampleur de l'immigration irakienne en Suède. Selon les ministres, cette immigration était tellement importante que l'opinion suédoise réclamait maintenant une politique d'immigration plus dure.

Au cours de cette rencontre, Carl Bildt avait insisté, selon les médias suédois, pour que l'Irak accepte les demandeurs d'asile refoulés. Dans le cas contraire, aurait dit Carl Bildt, la Suède ne rouvrirait pas d'ambassade à Bagdad. Selon les ministres, l'opinion suédoise bougeait à cause de plusieurs cas de crimes d'honneur. Les ministres constataient aussi que beaucoup des Irakiens arrivés en Suède étaient souvent pauvres et peu éduqués, et donc encore plus difficiles à assimiler en Suède.

Aucune de ces déclarations n'a été ni confirmée ni commentée par les ministres concernés mais les réactions sont nombreuses en Suède. Le Conseil constitutionnel devrait être saisi. "Je ne veux pas croire qu'ils ont dit quelque chose d'aussi abominable", a réagi Cecilia Wikström, députée européenne libérale, du même camp politique que les ministres. "Les conservateurs se sont adaptés aux forces xénophobes", a critiqué Bodil Ceballo, des Verts.

L'accord entre l'Irak et la Suède avait été signé en 2008, l'ambassade de Suède à Bagdad a rouvert ses portes il y a tout juste un an. Entre 2007 et 2010, quelque 30 000 Irakiens ont demandé l'asile en Suède. Environ les deux-tiers d'entre eux ont obtenu le droit de rester.

Olivier Truc, correspondant à Stockholm, Le Monde

Maria Amelie, la nouvelle héroïne des sans-papiers de Norvège

maria amelieToute la Norvège a parlé de Maria Amelie cette semaine. Le cas de cette clandestine de 25 ans est en train d’ébranler la coalition au pouvoir et force tout le monde à relancer la discussion sur un thème longtemps balayé sous le tapis: celui de l’immigration.

Résumons l’affaire qui commence en 2002 : Venus d’Ossétie du Nord, Maria Amelie et ses parents demandent asile à la Norvège, qui la leur refuse la même année. Maria Amelie est encore mineure quand ses parents décident de ne pas obtempérer à l’ordre de quitter le sol norvégien.

C’est donc en situation de clandestinité, que Maria Amelie va apprendre le norvégien et exercer un boulot de femme de ménage, comme bon nombre de femmes immigrantes, avec ou sans papiers.

Mais Maria Amelie va plus loin : elle va finir ses études secondaires avec les plus hautes distinctions, réussir sans problème ce qui serait l’équivalent du cégep et finalement obtenir une maîtrise en sciences et technologies à l’Université de Trondheim.

Jusqu’ici tout va bien. Les autorités norvégiennes sont peut-être strictes, mais on rencontre toujours des gens prêts à aider, ou à simplement fermer les yeux.

L'année dernière, Maria Amelie publie un livre, Ulovlig norsk ("Illégalement Norvégienne") où elle raconte son expérience en souhaitant sensibiliser la population au sort des quelques milliers de sans-papiers qui habitent la Norvège; elle est déclarée « Norvégienne de l'année » par la revue Ny tid (Temps nouveau).

Et voilà qu’arrive cette soirée du 12 janvier dernier.

Maria Amelie est invitée à prononcer une conférence à l’école Fridtjof Nansen de Lillehammer. Fridtjof Nansen - il faut le noter - premier à atteindre le pôle Nord, également humaniste et grand défenseur des réfugiés. Haut-commissaire pour les réfugiés de la Société des Nations en 1921, prix Nobel de la paix en 1922 et instigateur du passeport Nansen qui permit à des milliers de déportés, réfugiés ou apatrides de retrouver ailleurs une situation de légalité.

C’est donc lors de cette conférence, à l’occasion d’une pause où Maria Amelie se trouve à l’extérieur de l’école Fridtjof Nansen, que huit policiers l’arrêtent et l’embarquent sans lui laisser le temps d’aller chercher ses affaires.

Huit policiers pour Maria Amelie ? C’est ce que tous les médias ont rapporté, mais la police a répliqué qu’ils n’étaient que cinq. Quoi qu’il en soit, ils ne lui ont pas laissé le temps d’aller chercher ses affaires et la cour a par la suite déclaré que l’opération policière avait manqué de doigté et de "musicalité".

Depuis l’arrestation, des milliers de Norvégiens armés de chandelles sont descendus dans les rues de Oslo, Trondheim ou Bergen pour demander au gouvernement de ne pas déporter Maria Amelie. Des offres d’emplois ont suivi et même la Statoil, la pétrolière de l’État, lui a offert un poste.

Des divisions ont éclaté au sein de la coalition gouvernementale, entre le parti socialiste qui souhaite l’annulation de l’ordre de déportation et le parti des travailleurs qui se veut réaliste : le règlement, c’est le règlement et y faire une exception ne serait pas équitable pour les autres clandestins…

Quant aux partis d’opposition, le parti chrétien souhaite qu’on offre la résidence à Maria Amelie mais soutien que le gouvernement se servira de cet exemple pour montrer au reste du monde comme il est difficile de s’établir en Norvège.

À droite, le parti conservateur, d’ordinaire peu sensible à la situation des réfugiés et demandeurs d’asile, trouve quand même dommage que Maria Amelie doive partir parce qu’elle correspond selon eux au profil d’immigrant idéal, celui de travailleur qualifié. Le parti réclame quand même des ajustements quant aux règles qui prévalent dans le cas de demandeurs d’asile mineurs qui deviennent majeurs pendant l’étude du dossier.

La droite populiste, le mal nommé "Parti du Progrès" (FrP) qui ne rate jamais une occasion de réclamer des lois plus sévères contre l’immigration, marche sur des œufs, de peur de se mettre à dos la vague de sympathie populaire à l’égard de Maria Amelie. En bon populiste, le parti s’interroge à savoir pourquoi la Norvège devrait abriter des terroristes notoires comme ce mollah Krekar, supposément menacé de mort en Irak, et se départir de Maria Amelie, qui s’est bien intégrée aux valeurs norvégiennes et qui a reçu une éducation norvégienne (possible qu’elle soit largement plus éduquée que la plupart des électeurs de ce parti).
Dans le même souffle, on déclare que toute cette bonne intégration n’est pas valide, puisqu’elle a été acquise dans l’illégalité.

Maria Amelie est toujours dans l’attente d’être renvoyée en Russie. Après une semaine d’incarcération à Trandum, le centre carcéral de l’immigration près de l’aéroport d’Oslo, elle a pu retrouver sa liberté sous condition de se rapporter à la police sur une base quotidienne.

Pression populaire oblige, il est possible qu’on assouplisse les règles pour favoriser son retour rapidement. Une autre raison pour Maria Amelie de se consoler : les ventes de son livre explosent comme jamais.

En attendant, le règlement c’est le règlement.

Bruno Fortin, agence science presse