A Lausanne, des personnes menacées de renvoi occupent des refuges depuis plus de cent jours. Un abri fragile où ont atterri Teka et Diallo, après plusieurs années passées à lutter. Témoignages.
L'avenir du refuge pour les requérants d'asile menacés de renvoi est incertain. Alors que l'abri ouvert le 13 décembre à la paroisse catholique du Saint-Esprit va fermer, des négociations étaient toujours en cours, hier, entre la délégation des Eglises réformée et catholique et la Coordination asile et migration Vaud (CAMIV) pour déterminer un nouveau lieu d'hébergement. Elles se poursuivront jusqu'à lundi au moins. Plus de cent jours après l'ouverture d'un premier abri à Lausanne et après plusieurs déménagements dans des locaux paroissiaux, le refuge pourrait être déplacé la semaine prochaine à Morges, a-t-on seulement appris.
Le refuge de la paroisse du Saint-Esprit compte actuellement deux occupants, Teka et Diallo. Un troisième requérant, hébergé depuis six semaines, l'a quitté ces derniers jours, la décision de renvoi le concernant ayant été frappée d'un effet suspensif.
Pour Teka et Diallo en revanche, la possibilité d'être arrêté en vue d'un renvoi est bien réelle. Le premier avait déposé une demande de régularisation au terme de l'article 14 de la loi sur l'asile (autorisant la délivrance d'un permis B pour «cas de rigueur»), qu'il s'est vu refuser en juin dernier. Ses voies de recours sont désormais épuisées. Pour Diallo cependant, une demande de permis humanitaire sera encore effectuée à Berne dans les semaines à venir.
Dans le canton, une quarantaine de personnes déboutées sont dans la même situation, rappelle Graziella de Coulon. La représentante de la Coordination asile espère un geste politique en leur faveur. Elle annonce la constitution d'un comité de soutien pour appuyer une nouvelle demande de régularisation collective. Des députés sont notamment sollicités pour y participer.
Arnaud Crevoisier dans le Courrier
Un «Européen» sans papiers
A 40 ans, Teka a passé la moitié de sa vie en Europe. Natif de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), il a connu la trajectoire typique des jeunes Africains venus sur le Vieux-Continent avec le rêve d'une vie meilleure.
Un voyage «vers l'espoir» qu'il a préparé dès la fin de sa scolarité, en travaillant dans le petit commerce de rue. Issu d'une famille de six enfants, Teka n'imaginait pas connaître la dure réalité d'une vie de sans-papiers. Il quitte Kinshasa en 1990 en raison d'un climat politique qu'il ne supporte plus. Il passe par l'Angola et le Portugal avant d'arriver en Espagne. Il y séjourne douze ans, durant lesquels il travaille sans interruption. En juillet 2002, il demande l'asile en Suisse. Refus. Pour Teka, qui parle le lingala, le français, l'espagnol et le portugais, c'est l'incompréhension. «Depuis ma jeunesse, j'essaie de convaincre les Européens que je suis européen depuis l'âge de 20 ans», dit-il.
Teka est hébergé dans un abri PC à Begnins, puis dans un centre de l'Evam à Bex. Dès 2007, il séjourne au Centre de requérants d'asile à Vevey. Au début, son permis N lui permet de travailler. Il est d'abord «médiateur à la cuisine» du centre Evam durant un an. Ensuite, il travaille une autre année comme aide de cuisine au Casino de Montreux. Avec l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'asile, il perd son droit au travail. En 2009, il reçoit une convocation de la Direction générale de la migration (DGM) à Berne, afin de rencontrer une délégation de son pays d'origine en vue de son retour. Les représentants congolais décident de lui délivrer un laisser-passer pour retourner au Congo. Cependant, Teka a peur: ses soeurs ont reçu la visite de la police et elles ont dû confirmer ce qu'il avait déclaré. Elles sont dorénavant surveillées et son dossier est entre les mains de la police congolaise. Le 16 février 2010, Teka est arrêté à Renens en vue de son expulsion. «Ils m'ont incarcéré dans une prison pour des criminels à Berne. J'étais seul dans une cellule. Puis j'ai été conduit à l'aéroport de Kloten pour être expulsé de force, sans mes affaires, sans rien.» Teka résiste pour ne pas rentrer au Congo. La police lui met les menottes et l'amène au poste. Après deux semaines de prison à Berne, il est conduit à Frambois. Après la mort du Nigérian et la suspension des renvois forcés, la Coordination asile Vaud demande la libération de Teka ainsi que de tous les autres détenus vaudois de Frambois; elle obtient gain de cause, aidée en cela par un arrêt du Tribunal fédéral. «Quand je suis sorti de la prison, dit Teka, je n'étais pas bien. Je n'arrivais pas à dormir par peur de la police. Pour nous, la police, ça signifie voyager dans des fourgonnettes, des wagons cellulaires, attendre dans des containers... Cela signifie aussi le vol spécial de Zurich. Partout, on est menottés. Même à l'audience.» Les mots et le regard de Teka portent aujourd'hui les séquelles des prisons, des cellules et des menottes. «J'ai vu presque toute l'Afrique, même des blancs, (il parle des ressortissants de pays de l'Est, ndlr), menottés dans ces wagons cellulaires. Nous étions comme des marchandises.» Aujourd'hui, l'accueil, même précaire, dans les locaux paroissiaux lui offre un répit. «Ici au refuge, on est bien» dit-il.
Ihsan Kurt dans le Courrier