mercredi 24 novembre 2010

Référendum, vent de populisme

Faut-il expulser les étrangers condamnés pour des crimes graves ? C’est la question à laquelle les Suisses devront répondre dimanche prochain lors d'un referendum. L'UDC, l'Union démocratique du centre, a mené une campagne agressive contre ceux qu’elle désigne comme des « moutons noirs ».

Les invités de l'émission Focus sont:

  • Pascal SCIARINI, Directeur, Département de science politique, Université de Genève, en direct de Genève, Suisse
  • Vincent DEFAIT, Correspondant France 24, en direct de Genève, Suisse

Émission préparée par Charlotte Oberti, Kate Williams et Patrick Lovett pour France24

Un visage sur les migrations

que fais-je iciL'hôtel de ville de Bailleul accueille une exposition consacrée à des portraits de migrants. Nadège Fagoo et Émilie Lenancker les ont réalisés l'hiver dernier auprès de clandestins de passage au camp médical bailleulois. Récit à deux voix de leur démarche.

Expression grave ou sourire éclairé, les portraits captent l'oeil du visiteur dans le hall de l'hôtel de ville de Bailleul. Vingt-cinq hommes, des Afghans de 12 à 36 ans, racontent leur histoire personnelle, leur périple. Cette galerie de portraits, Que fais-je ici ?, est présentée jusqu'à demain.

À l'origine de la démarche, Nadège Fagoo, photographe à l'agence Light Motiv à La Madeleine, et Émilie Lenancker, professeur d'anglais. Les deux Bailleuloises ont rejoint l'association Flandre terre solidaire l'automne dernier, au moment de l'ouverture du camp sanitaire Intermed. S'est alors dessinée l'envie de « garder une trace de leur passage ».

Nadège Fagoo, épaulée d'Émilie Lenancker à la traduction, a imaginé des rencontres illustrées de portraits. De ces entretiens, menés de décembre au printemps, elles ont récolté des récits forts, émouvants. qu'elles ont voulu transmettre. La semaine de la Solidarité qui se profilait a été le déclencheur de l'exposition.

« Des interviews se sont révélées bouleversantes, nous n'imaginions pas leurs parcours si dramatiques. » Des extraits bruts, sans fioritures, volontairement courts pour être percutants, accompagnent les photos de Nadège Fagoo, prises sur le vif pendant les entretiens. « Les gens m'ont dit de partir ou je serais tué », témoigne Mohammed, 24 ans. « Depuis que je suis né, je n'ai jamais connu le bonheur », raconte Mustapha, 19 ans. « Tout le monde dit que l'Europe est le pays des droits de l'homme, mais pas pour les migrants », note l'un d'eux. Ces histoires ont un élément commun : « Ces hommes ont tout quitté, pleins d'espoir. Arrivés ici, certains voient leurs espoirs déçus, ils s'attendaient à être accueillis à bras ouverts avec des papiers. En parallèle, ils sont reconnaissants des actions de solidarité qui ont été mises en place », note Nadège Fagoo. « Ils sont tous attachés à leur pays. Beaucoup gardent espoir d'une vie meilleure », complète Émilie Lenancker.

Les deux Bailleuloises impliquées dans le milieu associatif - Émilie Lenancker préside le collectif artistique La Sauce -, ou politique - Nadège Fagoo est adjointe au maire à Bailleul - reconnaissent que leur sentiment de révolte a été moteur. « Notre but n'était pas de faire un album photo », précise l'enseignante. « Nous voulions parler au sens large de l'immigration, du problème des sans-papiers, du gouvernement et de sa politique dure sur l'immigration », indique la photographe. En filigrane, aussi, la volonté de « titiller » les Bailleulois, les inciter à s'interroger sur l'immigration « un problème auquel on n'est pas confronté au quotidien ».

Enfin, elles rendent hommage au mouvement de solidarité qui s'est enclenché l'an dernier, lors de l'installation du camp, rapprochant les associations.

Quelle suite à ce travail ? « On ne se projette pas encore », répond Émilie Lenancker. Il est d'ores et déjà fixé, en revanche, que l'exposition se déplacera. Elle est attendue au cinéma L'Univers à Lille, du 15 au 19 décembre. •

Exposition visible dans le hall de l'hôtel de ville de Bailleul jusqu'à demain.

Les affres de l'immigration inspirent la trilogie de Toussaint Dembélé

Sans avoir été directement victime des affres de l’immigration clandestine, Klémagha Toussaint Dembélé ne se sent pas moins concerné. A la faveur de l’exposition, dont le vernissage a eu lieu le 11 novembre 2010, au « Bla bla » de l’Hippodrome, nous avions eu l’occasion d’apprécier la force de l’influence de l’immigration clandestine sur son travail artistique.

Installé sur du sable, assis sur une caisse, tenant avec sa main droite, sa tête symbolisée par un téléviseur, Waka habillé en haillon laisse transparaître toute la misère qu’il a subie. De loin et de prime abord, vous pourrez penser que c’est un modèle qui pose pour la circonstance, tant il a tout d’un être humain. Mais, Waka, même traduisant la réalité, parce que symbolisant la misère subie par un proche de son concepteur est une œuvre d’art qui expose le talent exceptionnel de celui qui est parti pour être un as du multimédia et des installations artistiques. « Waka, ce sont les deux premières syllabes du nom de celui qui m’a inspiré cette œuvre et à qui j’ai voulu rendre hommage », nous indiqué Klémagha Toussaint Dembélé.

A peine sorti du conservatoire, ce jeune artiste malien a décidé d’inscrire son nom en lettres d’or dans la catégorie des grands artistes plasticiens de ce pays. Au lieu de s’exprimer par la peinture, comme c’est de coutume dans notre pays, le jeune artiste sorti major de sa promotion en juin 2010, du Conservatoire de Bamako, s’est spécialisé dans le multimédia et les installations artistiques. Ses œuvres qui seront exposées jusqu’au 16 décembre 2010, au « Bla bla » à l’Hippodrome, sont de nature à nous rassurer que cet artiste n’a pas fait le mauvais choix. Son talent est d’autant plus impressionnant qu’il innove par l’utilisation du fil de fer. Imaginez l’ingéniosité qu’un artiste peut déployer pour faire des tableaux figuratifs avec des fils de fer. C’est ce qu’a fait, dans une parfaite réussite, Toussaint Dembélé alias Klémagha ou le nom de Dieu en langue Minianka.

Au « Bla bla » où il expose actuellement avec Amadou Sanogo, un autre jeune peintre malien non moins talentueux, les visiteurs n’auront aucune difficulté à remarquer la signature de Klémagha. « Waka », son œuvre emblématique qui trône avec beaucoup de fierté au « Bla bla », est un message artistique de la condamnation de l’immigration clandestine et de toutes les misères qui poussent la jeunesse africaine à se jeter sur les routes incertaines qui devaient les conduire vers un Eldorado qui n’existe en réalité nulle part, mais qu’ils croient trouver en Europe. « J’ai un ami d’enfance bijoutier de son état qui a tenté de s’exiler par voie terrestre en Europe.

Courage aidant, avec certains compagnons d’infortune, il est parvenu sur une plage espagnole, après avoir traversé le désert malien et le Maroc. Arrêté par les gardes côtes espagnoles, ils seront jetés dans le Sahara sans repère. Et, c’est après 4 jours de faim, de soif, mais surtout de marche, que les survivants de la bande vont arriver à un poste frontalier malien du côté de Taoudéni où le bijoutier sera secouru par un de ses amis devenu gendarme et en poste à la frontière », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter qu’il a décidé d’utiliser le fil de fer pour traduire la résistance de son ami. L’artiste a poussé la symbolique jusqu’à utiliser du fil de fer rouillé. « Comme la rouille finit par avoir raison du fil de fer le plus solide, le choc subi par mon ami bijoutier finira par le détruire un jour », a-t-il ajouté. « Waka » dont la position exprime la pose qu’il observe actuellement dans sa famille est assis sur une male qui symbolise selon l’artiste le sac du voyageur, mais contient le lecteur DVD qui permet de faire défiler des images sur l’écran du téléviseur, représentant la tête de « Waka ».

Intitulé aliénation, le film qui défile dans la tête de « Waka » traduit le traumatisme dont il a été victime. Là aussi, le fil de fer a été mis à contribution pour réaliser des images filmées où des maisons, le luxe, des voitures, des mobylettes et tous les biens éphémères de notre monde s’entrechoquent. « Aucun objet, mieux qu’un téléviseur ne pouvait symboliser la tête de Waka, pour la simple raison que c’est à travers lui que les jeunes Africains découvrent cette Europe où tout semble facile », a-t-il indiqué. A signaler que « Waka » est un élément d’une trilogie dont les deux autres sont : « Les guetteurs d’espoir » et « Le naufragé ». Réalisées avec du fil de fer, toutes ces œuvres traitent de l’immigration clandestine.

« Les guetteurs d’espoir » est un tableau qui représente trois jeunes derrière un mûr en grillage et qui cherchent la petite faille pour passer de l’autre côté. Quant à l’œuvre « naufragé », elle traduit l’un des grands risques qui hantent tous les émigrants clandestins : la noyade dans une mer déchaînée qui fait d’une bouchée les embarcations de fortune.

Assane Koné dans le Républicain (Mali), relayé par Maliweb

"Cette police de la pensée est inquiétante"

christophe reymond centre patronalLe Centre patronal prône le double non sur le renvoi des criminels étrangers. Son directeur, Christophe Reymond, s’en explique.

A quelques jours du scrutin sur les moutons noirs de l’UDC, le conservateur Centre patronal joue ses propres cartes et se démarque du reste de la droite. Il s’oppose à l’initiative et son contre-projet, qu’il juge contraire au fédéralisme en instaurant une politique d’intégration en mains de Berne. Un double non dans le sillage de la gauche. Mais les arguments divergent, avec une différence de taille: à la question subsidiaire l’organisation patronale préfère le texte de l’UDC.

A vos yeux, l’article sur l’intégration du contre-projet constitue une atteinte au fédéralisme. Cela suffit-il à prôner son rejet, au risque de favoriser une proposition UDC dont vous ne voulez pas?

Les arguments institutionnels sont toujours forts et quand on foule aux pieds la répartition des tâches entre cantons et Confédération, nous n’avons pas d’états d’âme. De surcroît, ce projet sur l’intégration est en soi très mauvais.

Les défenseurs du contre-projet vantent le caractère mesuré de leur texte. Que lui reprochez-vous?

Ce n’est pas tant le volet sur le renvoi des délinquants étrangers qui s’avère problématique, d’autant qu’il correspond grosso modo à la pratique vaudoise actuelle. Mais si l’on prend le temps de se pencher sur l’article consacré à l’intégration, on est atterré par son côté prêchi-prêcha, ou inquiet de ses aspects quasi orwelliens. Comment demander à chacun, étranger ou Suisse, de vivre «en accord avec la société»? Puisqu’on demande de respecter les «valeurs fondamentales de la Constitution», va-t-on rééduquer ceux qui entonnent l’Internationale parce qu’ils en appellent à un régime qui contrevient à la liberté économique? Il faut s’opposer à cette police de la pensée. D’autant que le texte envisage une mise en œuvre de cette politique, avec des principes fixés par la Confédération et une mise au pas des cantons récalcitrants.

Pour vous, la loi actuelle sur le renvoi des délinquants étrangers n’a pas besoin d’être changée?

Non. En tout cas, dans le canton de Vaud, on pratique une politique de fermeté, tout en renonçant à des renvois pour des motifs humanitaires et familiaux. Cela me conforte dans l’idée qu’on peut dire deux fois non.

Mais pourquoi privilégier l’initiative UDC à la question subsidiaire?

Il faut choisir entre la peste et le choléra. L’avantage de l’initiative, si l’on peut dire, c’est qu’elle est contraire à de nombreux textes internationaux. Sa mise en œuvre devra forcément en tenir compte et aboutira probablement à une solution assez proche du contre-projet. Avec cependant cet avantage de ne pas prévoir en sus un programme fédéral de normalisation des personnes et d’alignement des cantons.  Laure Pingoud

Laure Pingoud dans 24 Heures