mardi 1 décembre 2009

L'initiative est discriminatoire pour l'ONU


Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l'homme, condamne une décision "tout-à-fait malheureuse".Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l'homme, condamne une décision "tout-à-fait malheureuse". [Reuters]

Minarets: interdiction discriminatoire pour l'ONU

L'interdiction des minarets décidée dimanche par le peuple suisse est "clairement discriminatoire", a affirmé mardi la Haut-Commissaire aux droits de l'homme Navi Pillay. Elle a regretté un vote qui "risque de mettre le pays en contradiction avec ses obligations internationales".

Dans un communiqué d'une page, la Haut Commissaire affirme que l'interdiction des minarets est "discriminatoire, divise profondément et est une décision tout-à-fait malheureuse pour la Suisse". "J'hésite à condamner un vote démocratique", ajoute Navi Pillay, "mais je n'ai aucune hésitation à condamner des campagnes politiques alarmistes anti-étrangers qui ont lieu dans certains pays, y compris la Suisse, et qui contribuent à produire de tels résultats".

Lundi, un porte-parole du Haut Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme avait précisé: "Des experts sont en train d'examiner la question sur le plan légal".

Lors de la campagne, des experts de l'ONU avaient mis en garde les autorités fédérales à plusieurs reprises en raison du caractère discriminatoire de l'initiative.

Droits de l'homme oubliés

La Haut-Commissaire note que le gouvernement suisse n'a pas soutenu l'initiative, mais souligne que l'interdiction d'une construction associée à une religion est clairement discriminatoire.

«Des politiciens qui ont proposé ce texte ont affirmé qu'il ne visait pas l'Islam ou les musulmans», poursuit Navi Pillay. «D'autres ont affirmé que l'interdiction des minarets pourrait améliorer l'intégration. Ce sont des affirmations étranges quand le symbole d'une religion est visé», ajoute la Haut-Commissaire de l'ONU.

Elle se déclare «triste» que de tels arguments aient eu un écho suffisant auprès d'une large proportion de citoyens suisses de manière à leur faire oublier leur soutien de longue date aux droits de l'homme. «Des politiques basées sur la xénophobie et l'intolérance sont extrêmement troublantes, où qu'elles se produisent», souligne l'ex-juge sud-africaine et juge au tribunal international sur le génocide au Rwanda.

Contraire au Pacte de l'ONU

«Je demande à tout le monde dans tous les pays de considérer cette question de la discrimination de manière extrêmement sérieuse. Si on leur permet de se développer, la discrimination et l'intolérance non seulement nuisent considérablement aux membres du groupe visé, mais aussi divisent la société dans son ensemble», affirme encore la Haut-Commissaire.

Elle rappelle que la conférence de l'ONU sur le racisme, organisée à Genève en avril dernier, a mis en évidence l'augmentation des incidents d'intolérance raciale et religieuse, dont l'islamophobie et l'anti-arabisme, et a relevé de manière plus spécifique la stigmatisation des personnes basées sur leur religion et leurs croyances.

La Haut Commissaire rappelle aussi que, le 3 novembre, le comité des droits de l'homme de l'ONU a exprimé sa préoccupation à propos du vote organisé le 29 novembre en Suisse et «la campagne de publicité inflammatoire en faveur du oui».

Le comité des droits de l'homme, composé de 18 experts indépendants, a clairement indiqué que l'initiative, si elle était adoptée, mettrait la Suisse en contradiction avec les articles 2, 18 et 20 du Pacte de l'ONU sur les droits civils et politiques, conclut Navi Pillay.

Les anti-minarets veulent encore serrer la vis


Tombes chrétienne et musulmane voisinant dans un cimetière suisse.
Tombes chrétienne et musulmane voisinant dans un cimetière suisse. (Keystone)

Après avoir réussi à imposer l'interdiction des minarets, l'Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) veut aller plus loin encore pour empêcher l'«expansion» de l'islam en Suisse. Diverses interdictions sont à l'étude.

Au lendemain de sa victoire contre tous les autres partis, l'UDC ne lâche pas «le morceau». «Les citoyens ont montré clairement qu'il veulent stopper le pouvoir pris par l'islam politique en Suisse au prix de nos lois et de nos valeurs, déclare Adrian Amstutz, conseiller national UDC bernois. Les musulmans doivent être encouragés à s'intégrer à notre société.»

La lutte contre les mariages forcés et les mutilations sexuelles des femmes, l'interdiction du port de la burka en public et des dispenses de cours de natation pour les enfants musulmans doivent, selon l'UDC, désormais être mis en bonne place de l'agenda politique.

Adrian Amstutz indique que son parti va lancer différentes propositions dans ce sens au Parlement. Il s'agit toujours de lutter contre «l'islamisation rampante de la société suisse».

L'UDC envisage même de supprimer l'autorisation de carrés musulmans existant dans les cimetières de certaines villes, comme Zurich. Le président du parti, Toni Brunner, a insisté: les musulmanes de Suisse ne peuvent pas aller au travail avec un foulard sur les cheveux.

Pas de sociétés parallèles

Les Suisses ne veulent pas de sociétés parallèles, c'est l'enseignement du scrutin de dimanche, a encore dit Toni Brunner.

Le parti en profite aussi pour promouvoir une autre de ses initiatives, qui réclame le renvoi du pays d'immigrés qui enfreignent les lois suisses ou qui abusent de l'aide sociale. La date du vote n'est pas encore connue.

D'autres partis se préoccupent aussi des droits des femmes. Le Conseil fédéral lui-même veut lutter contre les mariages forcés. Les démocrates-chrétiens ne veulent pas des burkas.

L'UDC jubile. «Jusqu'ici, nos propositions ont été refusées ou affaiblies, note Adrian Amstutz. Le gouvernement et les autres partis comprennent peut-être enfin qu'ils doivent faire quelque chose.»

Le parti a aussi d'ores et déjà averti qu'il ne tolérerait pas de report dans la mise en vigueur de l'initiative anti-minarets.

«Ceux qui se demandent si elle peut entrer en vigueur ou non révèlent de graves lacunes dans la compréhension des droits populaires.»

Poursuivre malgré tout

Si la Cour européenne des droits de l'homme décide que l'interdiction des minarets est illégale, l'UDC est d'avis que la Suisse devrait suspendre son adhésion. Mais cette possibilité a d'ores et déjà été exclue par Micheline Calmy-Rey, ministre des affaires étrangères.

A Langenthal (canton de Berne), où un projet de minaret est en cours, les musulmans ont décidé de poursuivre malgré tout. Ils sont prêts à aller en justice pour cela.

De nombreux experts, cités lundi par l'Agence télégraphique suisse, sont en outre d'avis que les juges européens basés à Strasbourg démontreront que l'initiative est non conforme aux droits de l'homme.

La Suisse compte actuellement quatre minarets et environ 200 lieux de prières musulmans

Les partis chrétiens exploitent le filon

LA FICELLE ÉTAIT ÉNORME

LA FICELLE ÉTAIT ÉNORME

Paru le Mardi 01 Décembre 2009
KARL GRÜNBERG*

ContrechampMINARETS - Au lendemain du plébiscite de l'initiative anti-minarets, les milieux antiracistes et leurs soutiens lancent un appel de solidarité avec les musulmans. Pour Karl Grünberg, d'ACOR SOS Racisme, la propagande des initiants renvoie aux heures les plus sombres de la Suisse des années trente.
«Nous ne sommes pas racistes, nous combattons l'islamisation rampante.» Les islamophobes ont tiré sur une énorme ficelle et la Suisse s'est réveillée lundi matin avec la gueule de bois. Une très large majorité de citoyen-ne-s suisses – 57,7% – a voté l'interdiction de construire des minarets que revendiquaient, avec le soutien de l'UDC, des politiciens islamophobes. L'opinion publique internationale découvre avec effroi cette Suisse xénophobe que nous connaissons bien. Les moutons noirs avaient écoeuré. L'inscription d'une disposition antimusulmane dans la loi stupéfie. Depuis des années les identitaires européens font de l'islamophobie leur cheval de bataille. La Suisse qu'ils découvrent aujourd'hui leur donne des ailes. Du Vlaams Belang à la Lega Nord, elle ouvre l'appétit aux nationalismes xénophobes. Empêtré dans son débat sur l'identité nationale. Sarkozy n'en demandait pas tant.
Le vent du boulet en a décoiffé plus d'un. Mais qui l'a tiré, où est-il tombé? De nombreux commentaires attribuent ce résultat à une information insuffisante sur les musulmans en Suisse, à une démystification insuffisante des peurs qu'ils soulèveraient.
Oui, dès demain toutes celles et tous ceux qui sommes engagé-e-s dans la lutte contre le racisme et les discriminations, nous ne pourrons pas nous limiter à combattre la peur qu'éprouveront de nombreux musulmans. Nous devrons mettre un accent tout particulier sur la lutte contre cette peur qui a conduit de nombreux-se-s citoyen-ne-s à soutenir une disposition raciste.
Mais qui donc, sinon des politiciens racistes et xénophobes, a patiemment, systématiquement, alimenté ces peurs en manipulant les rumeurs et les fantasmes? Mais pourquoi la majorité de la classe politique ne s'est-elle pas explicitement attaquée à ce racisme? Pourquoi ne l'a-t-elle pas clairement dénoncé? Faut-il reconnaître une part de responsabilité?
La globalisation de l'économie mondiale ébranle les Etats et les sociétés. Dans le monde entier se développe la conviction que les identités nationales, culturelles ou religieuses constitueraient des obstacles à l'avance de son rouleau compresseur.
Qu'il surgisse dans le monde musulman ou dans l'occident dominateur, le fantasme du clash des civilisations en est le fruit. La défense de valeurs universelles et le développement de nouvelles solidarités sont évidemment nécessaires.
Le syllogisme identitaire d'Oskar Freysinger, conseiller national UDC, est évocateur: «L'islam est milliardaire. Cette 'puissance étrangère' grouille de pauvres, cache des terroristes. Les musulmans 'nous' envahissent. Chacun connaît un camarade de classe, un voisin, un collègue musulman... En Suisse, l'islam ne pose apparemment aucun problème: c'est précisément la preuve du danger qu'il représente. Il faut interdire la construction de minarets pour 'leur' montrer qu'on n'est pas dupe.» La ficelle était énorme. Comment se fait-il qu'un tel truc ait pu marcher?
Cette propagande hélas a très bien marché dans le passé. Et pas seulement en Allemagne. En Suisse, les juifs ont dû attendre 1867 pour obtenir l'égalité des droits. Le droit d'initiative date de 1892 et la première initiative antisémite, de 1893. La Loi sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE, l'ex-LEtr) légalisera dès 1931 la lutte contre «l'enjuivement». - La manipulation: Le musulman (le juif) ressemble à Madame ou Monsieur tout le monde et voilà bien la preuve qu'il se cache, qu'il dissimule l'âme noire que dévoile la caricature! Le racisme, faut-il le rappeler, est «la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression». (Albert Memmi, 1964).
- Déguiser la victime en agresseur: Malheureusement la lutte pour le contrôle des ressources en gaz et en pétrole conduit l'Occident à multiplier dans le monde arabo-musulman (Afghanistan, Irak) des guerres que son rapport à la Palestine conduit Israël à soutenir. Au XIXe siècle, la diffusion du christianisme et du progrès avaient été brandies pour justifier le pillage colonial. Celui-ci se réclame aujourd'hui de la démocratie et du droit des femmes.
- Insécurité réelle et prétendu «sentiment d'insécurité»: La peur du chômage et de la régression sociale, mais aussi l'incertitude face à l'avenir se déclinent de plus en plus sur le mode de l'insécurité... Les partis gouvernementaux acceptent ces désastres comme une fatalité sans les combattre. Tous accusent un bouc émissaire: le mendiant, le réfugié, le délinquant étranger multirécidiviste, le Rom, le Maghrébin... le musulman. CQFD. I
* ACOR SOS RACISME



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Les islamophobes l'ont-ils emporté?

ACOR, SOS RACISME

A l'époque nazie, sévissait en Suisse une politique contre «l'enjuivement». Aujourd'hui, certains parlent d'«islamisation rampante» de la Suisse, obtiennent l'interdiction de la construction de minarets, déjà, des mosquées sont souillées. Que se passera-t-il demain? Quel résultat choquant! Quel manque de confiance entre le peuple et le gouvernement! Quel gâchis cette peur de nombreux Suisses vis-à-vis de la communauté musulmane! Ce succès qu'elle n'attendait pas étonne l'UDC, ses politiciens identitaires sont débordés. Aujourd'hui, grâce à eux, la Constitution suisse est la seule constitution antimusulmane au monde.
Suivant Lausanne, quelques villes suisses avaient compris l'enjeu et condamné la campagne du comité antiminarets. Elles sont restées isolées. Leur volonté de chasser le racisme de l'espace public n'a pas été suivie. Elles dénonçaient le danger que des droits fondamentaux soient violés et n'ont pas été écoutées. Aucune coalition ne s'est constituée pour combattre l'islamophobie.
Plutôt que d'affronter clairement l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, but réel des initiants, la grande majorité des adversaires de l'initiative avaient exprimé leurs propres doutes à l'égard de l'islam. La conseillère fédérale Evelyn Widmer Schlumpf avait envisagé il y a quelques jours l'interdiction de la burqa.
Pourquoi tant de complaisance? Peut-on oublier la vieille politique d'Überfremdung (altération excessive de l'identité) qui a servi des années 1920 aux années 1940 à la lutte contre «l'enjuivement» du pays? Peut-on oublier que les autorités suisses ont attendu 1995 pour critiquer cette politique? Peut-on ignorer qu'elles ont fait adopter, en 2006, une 1oi sur les étrangers inspirée de cet esprit: elle limite l'accès de la Suisse «aux ressortissants des pays qui ont les idées européennes (au sens large)».
Après des années de propagande, le résultat est là. «Nous ne pouvons pas être racistes, la religion n'est pas une race» ricanaient les Baettig, Freysinger, Perrin. Et les juifs sont-ils une race? Et n'est-ce pas le racisme qui les a assassinés par millions? Et depuis quand les races existent-elles? Contre la science, seuls les racistes croient à leur existence.
La prétendue «délinquance étrangère» fait les choux gras des médias. Elle fait grimper les scores des politiciens qui manipulent le sentiment d'insécurité plutôt que de combattre l'insécurité réelle, le chômage, le prix de la santé, la détresse des personnes âgées. Le vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin devait fêter la démocratie, il nous montre un champ de ruines. Chômage et régression sociale, logements hors de prix ou introuvables, service public et prestations délabrés. Les retraites s'effritent, le futur de nos enfants est incertain.
Comment la Suisse pluriculturelle progressera-t-elle contre les fantasmes et les préjugés que nourrissent ceux qui divisent ses citoyen-ne-s en communautés opposées? Comment la minorité musulmane en Suisse devra-t-elle vivre avec l'image haineuse et repoussante qu'a glissée dans l'urne une large majorité du corps électoral?
Aux côtés des musulmans comme de toutes les autres minorités nous ne pourrons pas nous limiter à combattre les discriminations, nous devrons travailler à faire connaître la réalité, à dissiper les peurs.
ACOR SOS Racisme rejoint l'appel à manifester aujourd'hui, mardi 1er décembre, à 18 h contre l'islamophobie rampante et contre toutes les formes du racisme de la Cathédrale Saint-Pierre à la mosquée du Petit-Saconnex.
Dès demain nous engagerons le combat pour abolir l'article de la honte, l'article islamophobe, pour réunir les victimes de toutes les stigmatisations et toutes les personnes attachées à la justice et à l'égalité des droits, pour engager le combat contre toutes les discriminations. KARL GRÜNBERG, ACOR SOS RACISME
TARIQ RAMADAN, PRÉSIDENT DU EUROPEAN MUSLIM NETWORK, BRUXELLES
Note : * Rassemblement mardi 1er décembre à 18 h sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre à Genève: «Ni racisme, ni discrimination, nous sommes toutes et tous des musulmans». Le rassemblement sera suivi d'une veillée.
Soutiennent cette action: ACOR SOS Racisme, Fondation de l'Entre-Connaissance, Paroisse et Espace Saint-Gervais/Pâquis, Droits Pour Tous, solidaritéS, United Black Sheep, Union des organisations musulmanes de Genève, Appel spirituel de Genève, Plateforme inter-religieuse de Genève, Syndicat SIT (liste non exhaustive).



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VEILLÉES PROTESTATAIRES

ACOR, SOS RACISME



En Suisse romande

Pour marquer le désaccord avec les résultats du vote contre la construction de minarets, diverses initiatives spontanées, soutenues par les milieux antiracistes, ont fleuri en Suisse. Aujourd'hui 1er décembre, une veillée de 15 minutes, aux bougies ou flambeaux, est organisée dans les grandes villes. Les participants sont conviés à amener leurs bougies, qui seront symboliquement allumées pour «dire non à une Suisse d'exclusion, non à l'intolérance religieuse».
> Genève: Rassemblement à 18 h sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre, suivi d'une veillée.
> Lausanne: Rassemblement à 17 h 30 sur le parvis de la cathédrale, marche jusqu'à la mosquée, passage de Montriond 14, suivie d'une veillée qui se terminera vers 19 h.
> Sion: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 place de la Planta.
> Neuchâtel: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 près de la Fontaine avant la Montée au Château.
> La Chaux-de-Fonds: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 à L'espacité.
> Fribourg: Rassemblement de 19 h à 19 h 15 place Python.
Infos complémentaires: http://www.facebook.com/event.php?eid=206833432111&index=1

La Suisse, laboratoire de l'islamophobie

La Suisse, laboratoire de l'islamophobie

Paru le Lundi 30 Novembre 2009
RACHAD ARMANIOS

SuisseHier, la crainte du péril vert s'est exprimée par un raz-de-marée en faveur de l'interdiction des minarets. L'ampleur inattendue de ce succès de la droite dure et chrétienne est à la mesure du coup de poing reçu par les défenseurs d'une Suisse fondée sur le respect des minorités. En étant le premier pays occidental à inscrire une telle discrimination religieuse dans sa Constitution, elle met à mal l'Etat de droit, basé sur l'équité de traitement.
Ainsi, paradoxalement, la victoire populaire d'hier grâce aux outils de la démocratie est une défaite de cette dernière. La Cour européenne des droits de l'homme aura probablement à se prononcer sur la validité du nouvel article. Mais même si Strasbourg devait l'annuler, le mal est fait.
L'uppercut cogne les principaux partis, les milieux économiques et les Eglises, tous désavoués. Mais il va en premier lieu au Conseil fédéral et au parlement. Ils avaient refusé d'invalider l'initiative, au motif qu'elle ne violait pas le noyau dur des droits humains. Ce manque de courage politique était justifié par une confiance dans le bons sens du peuple. C'est raté, même si le gouvernement voulait croire, hier, que le scrutin «ne constitue pas l'expression d'un rejet de la communauté musulmane, de sa religion ou de sa culture». La méthode Coué pour tenter de calmer le jeu sur la scène internationale.
Car le monde entier, stupéfait, a observé le berceau du droit humanitaire se muer en laboratoire de l'islamophobie. Mais ce n'est pas hier que la xénophobie a gangrené les esprits. Le scrutin sur les minarets s'inscrit dans une longue liste de votes d'exclusion, dont le durcissement du droit des étrangers et de l'asile, ou le refus de la naturalisation facilitée. En habituant les Suisses à chercher des boucs émissaires, le gouvernement et la majorité de droite portent une responsabilité dans le fiasco de ce dimanche. Sa particularité étant qu'au ressentiment contre l'immigration de populations musulmanes, se mêle une défiance et des craintes contre une religion qui dépassent le contexte helvétique. En imposant dans les urnes l'image figée d'un islam conquérant, incompatible avec la laïcité et insoluble dans les démocraties occidentales, la droite populiste a pris en otage la majorité des croyants qui désirent vivre leur foi dans le respect des lois.
Les musulmans sont donc mis au défi de convaincre que leur religion ne se résume pas à sa caricature fondamentaliste. Ou à un islam conservateur, tant il est vrai que les musulmans libéraux peinent à offrir une alternative dans le paysage religieux et médiatique.
Plutôt qu'un tentant repli identitaire, les musulmans de Suisse doivent s'unir avec les adversaires de l'exclusion. La tâche sera ardue, tant les cartouches de l'extrême droite sont inépuisables.

Pourquoi ce rejet des minarets?


L’acceptation massive de l’initiative traduirait un certain malaise. Ce n’est pas sur l’architecture des mosquées que l’on a voté, mais sur tout un système de valeurs

Muriel Jarp - le 30 novembre 2009, 22h53
Le Matin

126 commentaires

Stupéfaction, consternation. L’heure est à l’analyse et à la réflexion. Comment l’initiative a-t-elle pu être acceptée par 57,5% des votants, alors que les sondages annonçaient le contraire.

Ignorance et méfiance
Les hypothèses sont multiples. Tout d’abord, la communauté musulmane est «très, très mal» comprise des Suisses, comme l’explique Mallory Schneuwly Purdie de l’Observatoire des religions en Suisse (ORS). Une communauté discrète que l’on assimile pourtant souvent à des «intégristes» pour les arabophones, ou à des «délinquants» pour la communauté balkanique. Selon Fawzia al-Ashmawi, experte en islamologie auprès de l’Unesco, les déprédations commises dans les banlieues françaises ont aussi joué un rôle. «Or les musulmans de Suisse sont très différents de ceux de France. Jamais ils n’ont brûlé de voitures.» Sans parler de l’affaire Kadhafi, et ce d’autant que la votation coïncidait avec les 500 jours de détention des otages. «Bien sûr que ça a joué un rôle. C’est un pays islamique, dirigé par un dictateur, qui retient deux Suisses!» s’exclame Naïm Sinanovski du centre islamique de Sion. Des clichés d’autant renforcés que beaucoup de Suisses n’ont probablement jamais discutés avec des musulmans. «Vous avez vu les résultats à Appenzel Rhodes-Intérieures, lance Hisham Maizar, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse. Je peux vous assurer qu’il n’y a pas foule de musulmans là-bas.»

Fawzia al-Ashmawi note aussi une certaine condescendance des Suisses. Phénomène qu’elle explique par des raisons historiques, les premiers musulmans arrivés en Suisse étant des ouvriers saisonniers, Maghrébins ou Turcs, à qui l’on confiait les «sales boulots». «L’attitude était très différente avec les Portugais ou Espagnols, du fait qu’ils étaient chrétiens», se souvient-elle.

Suisse repliée
Du côté de la Suisse, il ne faut pas négliger la période de crise qu’elle traverse. Economique, bien sûr, mais aussi politique et familiale ou encore scolaire. Un sentiment de fragilité parcourt la population. «On ne sait peut-être plus qui on est, mais on sait qui on n’est pas», analyse la chercheuse de l’ORS. En l’occurrence, des musulmans caricaturés comme misogynes, violents ou encore intégristes. La peur – infondée – d’une immigration incontrôlée est aussi latente, estiment les spécialistes. Doit-on y voir de la xénophobie? «Peut-être pas de la xénophobie, nuance Mallory Schneuwly Purdie, mais si la population suisse était perçue comme conservatrice et s’ouvrait à son rythme, cette votation traduit un certain repli sur elle-même.»

Christianisme en berne
La question se pose aussi quant à notre identité religieuse. «Le christianisme, dans sa forme institutionnelle, recule. On s’est battus, en Suisse et en Europe, contre le pouvoir de l’Eglise. Se retrouver face à une communauté religieuse qui, au contraire, demande une visibilité, ça remet en question tout ce combat», analyse Mallory Schneuwly Purdie. Une visibilité croissante de l’islam, avec de jeunes fidèles qui fréquentent volontiers les mosquées, voilà en effet de quoi questionner notre religiosité.

Craintes des femmes
On le voit, l’objet du vote a été largement dépassé. Ce n’est pas sur un aspect architectural que l’on a voté, mais sur tout un système de valeurs. «C’est vrai, estime Naïm Sinanovski. Tous les débats étaient hors sujet. Les minarets n’en ont occupé qu’un petit pourcentage.» Parmi ces débats, celui de la situation de la femme dans l’islam, récupéré par l’UDC. Si quelques féministes, à l’instar de la Thurgovienne Julia Onken, se sont mobilisées pour le oui, ce sont plutôt des cas isolés, relève Silvia Ricci Lempen. «Dans les cantons romands, il n’y a, à ma connaissance, pas eu de féministe qui se soit profilée en faveur de l’initiative. Mais il n’est pas impossible que des femmes, surtout des régions conservatrices, se soient laissé influencer par l’idée assez abstraite que la femme musulmane était soumise.» La féministe dénonce là un discours simpliste de l’UDC qui veut embarquer les femmes dans l’islamophobie. «Je trouve incroyable que ceux qui s’opposent aux crèches utilisent de manière utilitariste ce droit des femmes», dénonce-t-elle. Quant à la burqa, l’invasion n’est pas pour demain: «Jamais je n’ai rencontré de femme portant la burqa en Suisse, tonne Fawzia al-Ashmawi, même pas aux mosquées de Genève.» Impossible pour l’heure de préciser si la participation féminine a été massive, les analyses devraient être disponibles d’ici à deux mois, précise-t-on à l’institut GSF de Berne. Tout au plus sait-on que «les régions rurales et l’électorat de droite» se sont plus mobilisés pour cette votation.

Musulmans invisibles
La communauté musulmane aurait-elle dû mieux communiquer? «A voir, répond Mallory Schneuwly Purdie. Il faut aussi aller à sa rencontre. Si les musulmans prennent la parole, on leur reprochera de prendre trop de place.» Ce que confirme le président du centre islamique de Sion. S’il n’y a pas encore eu de véritable journée portes ouvertes, Naïm Sinanovski précise que «la porte est ouverte. Mais c’est vrai qu’on ne va pas placarder partout que tout le monde est bienvenu au repas du ramadan.» La peur qu’un affichage trop visible soit mal interprété le retient, avoue-t-il. En revanche, Hisham Maizar, président de la Fédération d’organisations islamiques de Suisse, estime, lui, qu’ils auraient dû plus s’impliquer. «Les Suisses ne vont pas venir à notre rencontre par curiosité, ce n’est pas dans leur nature, et je comprends», explique-t-il. Et de déplorer une confusion entre l’islam traditionnel et politique: «Ce n’est pas un islam politique que nous vivons ici. Nous faisons très attention à ce qu’il n’y ait aucun excès dans la communauté.»

Sondages trompeurs
Quant à l’establishment politique, il s’est peut-être trop reposé sur le sondage GSF – qui prédisait un rejet à 53% – et a négligé d’écouter la population. Or ce chiffre de 53% était à prendre avec des pincettes pour un sujet si émotionnel, analyse Marie-Hélène Miauton, directrice de l’institut de sondage MIS Trend. «C’était une marge bien trop courte pour affirmer quoi que ce soit, d’autant qu’il faut compter avec les indécis et ceux qui n’ont pas envie de dire ouvertement leur choix sur un thème si tabou.»

«Le peuple suisse a été trompé»


Déception: les musulmans de Suisse se croyaient bien intégrés.
Déception: les musulmans de Suisse se croyaient bien intégrés. (Keystone)

Une nette majorité de Suisses a refusé la construction de minarets dans le pays. Ismaël Amid, ex-président de l'Union des organisations islamiques de Zurich, a été totalement pris au dépourvu par ce résultat. Il explique celui-ci par une campagne agressive et trompeuse.

Ismaël Amin, originaire d'Egypte, vit en Suisse depuis 1960. Il a notamment été professeur de philologie arabe à l'Université de Zurich.

swissinfo.ch: Les citoyens suisses ont très clairement approuvé l'initiative interdisant les minarets. Vous attendiez-vous à un tel score?

Ismaël Amin: Absolument pas. Je n'ai jamais imaginé que cette initiative serait acceptée. Cela a été une surprise totale pour moi, car je misais sur un refus, voire un refus de justesse. Cela a été une bien triste journée pour moi.

swissinfo.ch: Comment la communauté musulmane de Suisse a-t-elle réagi?

I.A.: Je n'ai pas vraiment connaissance des réactions. Hier, j'ai téléphoné à quelques amis. Tous sont choqués et déçus de ce résultat.

swissinfo.ch: Six électeurs sur dix se sont prononcés contre la construction des minarets. Comment interprétez-vous ces chiffres?

I.A.: La campagne a été conduite de manière très dure et très agressive. On a beaucoup plus parlé de l'islam que des minarets, et en plus avec des arguments trompeurs.

Ainsi, on a parlé des mariages forcés, alors qu'ils sont expressément interdits par la Charia. On a parlé de l'excision des femmes, alors que tous les Etats de droit l'interdisent. On a parlé du port de la burka, alors qu'on ne voit jamais de burka en Suisse.

On a aussi évoqué des thèmes qui n'ont absolument rien à voir avec les minarets. On a exploité et on a instrumentalisé la peur et l'ignorance de la population. C'est ce qui explique ce résultat décevant.

Mais je ne critique pas le peuple suisse, car il a été induit en erreur.

swissinfo.ch: Une autre explication ne serait-elle pas dans le manque d'intégration de la population musulmane en Suisse?

I.A.: Je ne crois absolument pas que la communauté musulmane soit mal intégrée en Suisse, au contraire. La majorité est bien intégrée et pratique sa religion sans problème.

swissinfo.ch: Il s'agit donc plus de peur, de méfiance?

I.A.: Après la chute de l'URSS, on a cherché un nouvel ennemi et on l'a trouvé dans l'islam. Depuis, le ton utilisé par les médias sur l'islam n'est pas bon. C'est la raison pour laquelle il a été si facile de manipuler les gens et d'utiliser leur méconnaissance.

swissinfo.ch: Quand vous parler de méconnaissance, cela signifie-t-il que la communauté musulmane devrait plus faire parler d'elle, se rapprocher des Suisses?

I.A.: Oui, certainement. Nous devrions affirmer plus notre présence en Suisse. Nous ne pouvons plus continuer à rester à l'arrière-plan, comme si nous n'existions pas dans cette société.

La communauté musulmane est mal représentée dans la société et c'est pourquoi elle n'a pas pu mener sa campagne, contrairement à l'Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice).

swissinfo.ch: Quelque 400'000 musulmans vivent en Suisse. Que va-t-il se passer maintenant?

I.A.: C'est difficile à prévoir. Mais j'imagine que les gens sont tristes, qu'ils vont chercher des solutions, discuter et analyser la situation entre eux pour savoir comment vivre avec cette nouvelle situation.

swissinfo.ch: Et justement, comment continuer?

I.A.: Comme je l'ai constaté dans la presse, il est difficile de dire comment ce vote va se traduire dans les fait. On ne sait même pas si son résultat est applicable. Il est possible que la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg soit saisie. Mais je ne sais pas si cela va se faire, ni comment.

Le Conseil de l'Europe s'interroge sur les limites des votations


Protéger la démocratie

La démocratie directe a été conçue comme contre-pouvoir populaire aux pouvoirs délégués des élus et de l’Etat. Il n’a jamais été question d’en faire une poubelle à émotions
Quels sont maintenant les moyens que va se donner la démocratie suisse pour empêcher que sa grande vertu – le pilotage politique par consultation fréquente des citoyens – ne soit dévoyée par l’excitation des passions primaires qui résident dans les individus?

La question est ancienne. Les fondateurs en ont eu conscience dès le début. Ils ont à plusieurs reprises exprimé les risques qu’il y aurait par exemple à confier l’élection du Conseil fédéral aux humeurs pas toujours bien inspirées de «l’opinion». Dans tous les systèmes politiques démocratiques, la hantise des sages a toujours été le débordement par la démagogie. En Suisse ce dimanche, démonstration a été faite que les sages ont perdu le contrôle et que les démagogues l’ont emporté. Leur objet, les minarets, était d’autant plus captable qu’il était symbolique et gratuit du point de vue matériel: l’idéal pour y engouffrer les remugles.

La démocratie directe a été conçue comme contre-pouvoir populaire aux pouvoirs délégués des élus et de l’Etat. Il n’a jamais été question d’en faire une poubelle à émotions où le premier venu, muni d’un peu d’argent, d’un peu de talent ou d’un peu de roublardise peut appeler le «peuple» à se lâcher.

Dans l’esprit politique qui est le sien à l’origine, la démocratie directe est l’exercice du droit d’exprimer un désaccord avec un projet explicite et précis ou de promouvoir un changement. Lorsque cet exercice aborde sans précaution les questions de société, comme avec l’initiative sur l’emprisonnement à vie des délinquants sexuels, ou d’identité religieuse comme avec les minarets, il soulève des passions dangereuses qu’aucune campagne de raison n’est de taille à maîtriser. Ces passions de société méritent de rester dans la société, éloignées autant que possible du champ politique.

A moins que la sacralisation du peuple par les populistes n’ait entièrement paralysé les sages, ceux-ci ont des moyens institutionnels d’endiguer les dérapages. Il ne leur faut que du courage.

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A Moudon, où le «oui» s’affiche


La cité de la Broye vaudoise hésite entre la honte et la fierté le lendemain du vote qui condamne les minarets

Il neige à Moudon. La nuit tombe comme les flocons trempés sur le parvis de la Migros. Le supermarché, emblème d’une Suisse idéale et coopératrice, draine l’humanité entière empilée dans la cité de la Broye au nord du canton de Vaud. Dimanche, plus de 56% des votants ont accepté l’initiative hostile aux minarets qui en interdit la construction. Les Moudonnois se sont prononcés à contre-courant du vote vaudois, qui a rejeté l’interdiction approuvée en revanche par le reste du pays. Moudon n’est pas une exception dans le canton. Plus on s’éloigne du lac Léman, plus le oui s’affirme. Les statisticiens et leurs cartes bigarrées montrent que la campagne a maté les centres urbains, imposant son rejet.

Incertitude sur le sort du minaret de Langenthal


Le sort du minaret prévu à Langenthal (BE) sur le toit du local de prière de la communauté islamique n'est toujours pas connu. Des recours jusqu'à la Cour européenne des droits de l'Homme sont annoncés. A Wil (SG), le centre islamique sera construit sans minaret.

La communauté islamique de Langenthal indique qu'elle est prête à porter l'affaire jusqu'à Strasbourg. Une telle procédure peut prendre des années, a expliqué Daniel Kettiger, l'avocat de l'association islamique.

Selon le défenseur, il n'est pas définitivement établi que l'article sur l'interdiction de la construction des minarets s'applique au cas de Langenthal, la procédure étant en cours depuis 2006, date de la demande du permis de construire. Pour M. Kettiger, cet article contreviendrait à la loi cantonale bernoise sur les constructions.

Une analyse que ne partage pas le canton de Berne. Le résultat de la votation de dimanche influence la procédure en cours, a relevé sur les ondes de la Radio suisse alémanique DRS Mathias Spack, de l'Office juridique de la Direction des travaux publics. Pour le Conseil fédéral, tous les projets qui ne font pas encore l'objet d'une décision définitive sont visés par l'initiative.

Les Verts suisses pourraient venir à la rescousse des musulmans de Langenthal. "Nous examinons les possibilités juridiques pour combattre l'interdiction de minarets", a déclaré leur président Ueli Leuenberger. Le parti ne peut pas porter plainte contre l'interdiction car il n'est pas directement concerné, a-t-il précisé. Les Verts européens ont également offert leur soutien.

L'Association musulmane de Wil a elle pris acte de la décision du peuple suisse dimanche d'interdire les minarets. Il n'y aura pas de minaret dans la demande de permis de construire. L'association exclut un recours aux tribunaux.

A Genève, des jeunes appartenant à la mouvance autonome ont érigé lundi matin un minaret en bois d'environ 5 mètres de haut sur la place Neuve pour protester contre le résultat du scrutin de dimanche. Les passants étaient invités à écrire des messages de soutien à la communauté musulmane.

Les minarets n'ont pas fini de faire couler de l'encre

Les minarets n'ont pas fini de faire couler de l'encre

L'initiative anti-minarets continue de faire des vagues.
L'initiative anti-minarets continue de faire des vagues. [Keystone]
L'initiative contre les minarets continue d'occuper la une des journaux suisses, qui s'intéressent ce mardi aux raisons qui ont poussé les Helvètes à accepter le texte. D'autres s'interrogent sur les limites de la démocratie directe, spécialement quand des thèmes de société s'invitent sur le terrain politique. Enfin, le portrait de la «maman de l'initiative», une juriste UDC zurichoise de 33 ans, est présenté dans la presse alémanique.

Comprendre et réparer La presse a besoin de comprendre pourquoi "ils ont dit oui". 24heures publie une série de réactions, à l'image de ce restaurateur qui a voté oui à l'initiative de l'UDC contre les minarets, parce que dans son quartier de villas tous les toits sont dans le même sens et qu'il ne voit pas pourquoi il y en aurait de travers. Le restaurateur a accepté de témoigner mais dans l'anonymat, car une partie de sa clientèle est musulmane. Autre réaction recueillie, celle d'un homme qui craint que les musulmans veuillent conquérir le monde: «Si on allait faire la même chose chez eux, on en sortirait pas vivants». Ou encore: «Si on permet les minarets, après ce seront les scientologues et les témoins de Jéhovah». D'autres ont voté contre les minarets parce que, disent-ils, la Suisse n'est pas prête et ne connaît pas bien l'Islam. C'est sans doute parce que la Suisse a trop tardé à étudier l'Islam, explique dans Le Nouvelliste le chercheur en droit arabo-musulman Sami Aldeeb, ce qui va rendre plus difficile l'intégration de cette religion et mettre en danger la paix confessionnelle. Ce choc, c'est une classe politique déboussolée qui l'encaisse. Hier, sous la Coupole, c'était le triomphe timide d'Oscar Freysinger, comme le décrit Le Matin , immortalisé par une poignée de main avec Micheline Calmy-Rey. On attend des parlementaires qu'ils se préoccupent davantage de l'intégrisme et de la cohabitation avec les minorités religieuses. Un travail de réparation a commencé, décrit Le Temps , alors que la Suisse tente de minimiser les dommages collatéraux.

Les bienfaits de la démocratie? La presse romande s'interroge sur le bien-fondé de certaines initiatives. Dans les systèmes démocratiques, la "hantise" des sages a toujours été le débordement par la démagogie, écrit Le Temps . Lorsque l'exercice de la démocratie directe aborde sans précautions les questions de société, comme avec l'initiative sur l'emprisonnement à vie, ou d'identité religieuse, comme avec les minarets, il soulève des passions qu'aucune campagne de raison n'est de taille à maîtriser. Ces passions méritent de rester dans la société, éloignées autant que possible du champ politique. Présenté, toujours dans Le Temps, comme un ardent avocat de la démocratie, le député socialiste zurichois Andreas Gross réclame des reformes. Il est totalement faux de penser que la démocratie directe peut fonctionner toute seule. Il lui faut une infrastructure dans laquelle la Suisse doit notamment accepter d'investir des ressources pour que les droits populaires puissent s'exercer correctement. Andreas Gross s'en prend également aux médias qui ne couvrent plus les débats publics mais veulent les faire exister par eux-mêmes. Quel que soit le sentiment d'injustice éprouvé au lendemain du vote, aucune valeur supérieure du "bien" n'autorise quiconque à remettre en question la vox populi. Ainsi s'exprime Nicolas Verdan dans un éditorial à lire dans 24heures . En âme et conscience, de nombreux Suisses ont voté. Et personne n'a le droit ici ou ailleurs de prétendre qu'ils se sont trompés. Ce sont les sondages seuls qui se sont trompés.

La maman de l'initiative Le Tages-Anzeiger présente ce matin à ses lecteurs la maman de l'initiative anti-minarets: Barbara Steinemann, une juriste de l'UDC zurichoise âgée de 33 ans. A l'origine de son idée, l'attitude agressive de musulmans dans une affaire de cimetière islamique et le combat de son parti contre un projet de minaret soleurois. Etonnant: Barbara Steinemann a commencé par proposer l'interdiction des minarets devant le Grand Conseil zurichois, c'était en 2006. Son initiative avait été rejetée par une très nette majorité de 112 voix contre 50. La Neue Zürcher Zeitung revient pour sa part sur un passé plus récent. En visite à Zurich en octobre, l'auteur égyptien à succès Alla al-Aswani ne manque pas une occasion de critiquer l'intolérance et les inégalités de son pays. Et à la fin du mois dernier, l'auteur a publié un témoignage enthousiaste sur la campagne helvétique de votation sur les minarets. Les lecteurs égyptiens d'Alla al-Aswani ont ainsi appris qu'en Suisse, la religion islamique avait reçu non seulement le soutien des politiques et des églises chrétiennes - mais même de la communauté juive.