mardi 30 janvier 2007

Dans la peau d'un Noir - sur Canal +

LEXPRESS.fr - Canal Plus: Dans la peau d'un Noir - L'Express:
Quand deux familles échangent leurs couleurs de peau sous l'œil des caméras de Canal Plus . Entre documentaire et spectaculaire

Comme un relent d’apartheid

Lire le dossier du Journal du JuraJournal du Jura en ligne
La présence d’un centre de demandeurs d’asile dans cette commune vaudoise (Bex) entraîne des dérives préoccupantes au sein de la population. Le syndic, notamment, est sous le feu des critiques.

Ce gérant ne voulait plus de trafic de drogue dans son établissement alors il a banni les Africains. Pas uniquement les dealers ou les résidents du centre d’hébergement de la FAREAS de Bex. Plus aucun Noir n’était accepté dans ce pub bélerin. Journaliste et écrivain d’origine ivoirienne, Innocent Naki ne voulait pas y croire. Il a dû faire le déplacement jusqu’à Bex pour enregistrer cette phrase à l’aide d’un dictaphone dissimulé sous sa veste: «Nous ne servons pas les Noirs.»

Une dénonciation publique s’ensuit, ce qui oblige le bistrotier à mettre un terme à ses pratiques ségrégationnistes. Aujourd’hui, les Noirs sont à nouveau acueillis dans cet établissement. Mais Innocent Naki est persuadé que le mal est plus profond, une conviction qu’il développe dans son livre à paraître en mars «Sois parfait ou retourne chez toi! – Chronique d’une exploitation populiste des faits divers en Suisse»*. Bex occupe une place prépondérante dans cet ouvrage. «De plus en plus, on amalgame l’Africain et le dealer, s’inquiète l’auteur. Les opérations de police de grande envergure, comme celle qui s’est déroulée en novembre dernier, sont insuffisantes et mal dirigées, car guidées par un objectif ethnique. Elles se concentrent sur l’offre sans englober la demande. On oublie souvent que la détention de drogue, même pour une consommation personnelle, est considérée comme un acte délictueux.»
Des êtres humains ou du bétail ?

Innocent Naki dénonce également les propos du syndic de Bex Michel Flückiger. A plusieurs reprises, ce socialiste de 57 ans a assimilé les résidents du centre à des animaux. Il a notamment parlé de la «faune de personnes non désirables comme les NEM (requérants frappés d’une décision de non- entrée en matière n.d.l.r.)». Il s’est fendu d’un «nous venons d’assister à un nouvel arrivage avec des petits» lorsque des familles africaines ont été affectées au centre de la FAREAS. Enfin, il a estimé que le système d’encadrement dudit centre s’apparentait à de la «stabulation libre», terme utilisé pour l’élevage en étable. Des déclarations publiques qui n’ont pas suscité un grand émoi, s’inquiète Innocent Naki: «L’écrivain allemand Bertolt Brecht disait: «Celui que tu veux détruire, commence par le traiter de sauvage!» Par ses déclarations, Michel Flückiger déshumanise ces demandeurs d’asile. Galvanisée, la population bélerine prend peur. Qui a envie de vivre à côté d’animaux?»

A l’instar du syndic de Bex, Innocent Naki est membre du Parti socialiste. Par courrier, l’écrivain a interpellé la présidente du PS vaudois Josiane Aubert, qui est priée de prendre position sur les assertions de Michel Flückiger. «En l’absence d’excuses de M. Flückiger ou de sanctions venant du PS, je déposerai ma démission du parti, fulmine Innocent Naki. Je ne vois pas pourquoi l’on devrait accepter d’un élu socialiste des phrases que l’on dénoncerait dans la bouche d’un UDC.»

«Sois parfait ou retourne chez toi! – Chronique d’une exploitation populiste des faits divers en Suisse» d’Innocent Naki, avec notamment la collaboration d’Olivier Guéniat, docteur en criminologie et chef de la police criminelle de Neuchâtel, Jacques Antenen, Juge d’instruction cantonal (Vaud), et Pierre Imhof, directeur de la FAREAS. Parution en mars 2007. Pour Innocent Naki, les résidents du centre de la FAREAS sont trop souvent confondus avec des dealers. (

La région n’est pas épargnée
Les dérives observées à Bex ne sont pas des cas isolés en Suisse. Dans le canton de Berne, des faits similaires ont été observés par le Carrefour de réfléxion et d’action contre le racisme anti-Noir (CRAN). Ponctuellement, cette organisation œuvrant dans toute la Suisse procède à des contrôles dans les établissements et enregistre les plaintes d’Africains qui se sentent victimes de brutalités policières.

«A Berne, le Cuba Bar a refusé l’entrée à un Noir à cause de sa couleur de peau», déclare Félicienne Villoz-Muamba, vice-présidente du CRAN et conseillère de ville biennoise. C’est le seul cas de ce genre constaté à l’heure actuelle par l’organisation.

En ce qui concerne le ciblage ethnique pratiqué par la police, deux incidents ont été rapportés au CRAN. Le premier cas s’est déroulé en 2006 dans un bar situé près de la place centrale. «Deux policiers sont entrés en compagnie d’une femme qui venait de se faire violer, raconte Johannes Sala, délégué du CRAN. Deux Africains ont été fouillés avant de devoir se mettre en sous-vêtements devant une trentaine de personnes. Ils étaient innocents.» Toujours l’année dernière, un demandeur d’asile a été arrêté par la police municipale. Avant d’être relâché, il restera nu dans une cellule durant près d’une heure. A sa sortie, il se verra confisquer son téléphone portable et son argent, qu’il avait gagné en toute légalité. «Grâce à notre intervention auprès des autorités, cet homme a pu recouvrer ses possessions», signale Félicienne Villoz.

«Je n’ai pas l’intention de m’excuser»

Syndic de Bex depuis 1994, Michel Flückiger aime à évoquer la tradition humanitaire et multiculturelle de sa commune. Le socialiste estime toutefois que la présence d’une frange importante de trafiquants et autres délinquants dans le centre de la Fareas nuit à cet équilibre social et contribue à une montée de la xénophobie auprès de la population.

– Michel Flückiger, comment a évolué la situation à Bex, depuis l’importante opération de police, le 9 novembre dernier?


– Les choses se sont un peu améliorées. J’ai reçu de nombreuses lettres d’habitants qui remercient la Municipalité d’avoir rétabli la sécurité. Auparavant, la place du Marché et ses alentours étaient envahis de Noirs. En 2004, cela représentait près de 80 personnes.

– Et tous étaient des trafiquants de drogue?


– Je n’ai jamais dit cela. Une vingtaine d’entre eux se livraient à la vente de stupéfiants. C’est tout de même une proportion assez importante.

– Et les autres? En quoi gênent-ils les habitants?


– On voit que vous n’habitez pas ici. C’est un rapport de nombre. Blancs et les Noirs se regardent souvent comme chiens et chats! Le racisme va dans les deux sens. Lorsque les Bélerins se font traiter de «connards de Suisses», la presse ne s’émeut guère.

– Afin d’éloigner le trafic de drogue de son établissement, le gérant d’un pub de Bex a refusé l’accès aux Noirs. Soutenez-vous ce genre de mesure?

– Absolument pas. Pour une bonne et simple raison: c’est illégal.

– A plusieurs reprises, vous avez utilisé des termes déshumanisants pour désigner des demandeurs d’asile, notamment «faune de personnes non désirables comme les NEM» et «nouvel arrivage avec des petits» pour parler de familles africaines affectées au centre...

– (il coupe) Je n’ai pas prononcé ces mots
.

– Si, à la virgule près. Vous parliez également de «stabulation libre» pour désigner la surveillance autour du site.

– (hésitant) Oui, peut-être. Je viens d’un milieu agricole, c’est du langage terre à terre. S’il s’agissait de Suisses, j’aurais dit exactement la même chose. Je ne suis pas raciste.


– Mais vous avez conscience que de tels propos peuvent choquer la communauté africaine?

– Oui.

– Comptez-vous formuler des excuses?

– Je ne vais pas m’excuser, surtout pas auprès des NEM, qui ne disposent pas de statut légal. Je ne trouve pas mes propos si choquants que ça. Dans toute histoire, il faut un méchant. Si l’on veut me coller cette étiquette, cela ne me dérange pas.

Qu'on arrête de banaliser le racisme!

Lire l'article de Federico RapiniJournal du Jura en ligne
Des Noirs se voient refuser l'entrée d'un bar en raison de leur couleur de peau. La scène ne se déroule pas dans un Etat ségrégationniste étasunien au cours de années 50, mais l'année dernière, dans une commune du Chablais vaudois. Ou dernièrement, dans la capitale helvétique. Certes, on peut parler de cas isolés, de gérants aveuglés par la peur de l'étranger et encouragés par une extrême droite qui claironne son infâme idéologie depuis les plus hautes sphères politiques suisses. Mais alors que le ministre de la Justice Christoph Blocher remet en cause le bien-fondé de la norme pénale antiraciste, ces récents événements démontrent au contraire toute la nécessité de ce texte de loi. A Bex comme partout ailleurs en Suisse. Dans un Etat de droit, il n'est pas tolérable qu'un hurluberlu animé de motivations racistes inscrive «Nègre Go Home» sur les murs - comme c'est arrivé à Bex - sans être inquiété par la justice.

L'exclusion et la persécution d'individus basées sur des critères d'ethnie ou de race sont une réalité en Suisse. Pas besoin de chercher bien loin. A Bienne, l'opération «Boule de neige», qui vise à combattre le petit trafic de cocaïne, cible avant tout les Noirs. Le commandant de la police municipale ne s'en cache pas. Sous prétexte que le marché de la rue est tenu par les Africains, chaque personne de couleur devient un trafiquant de drogue présumé. Avec toutes les bavures que cela engendre.

Dans ce contexte de paranoïa, l'attitude de Michel Flückiger ne peut être que dénoncée. Par ses déclarations, le syndic de Bex attise un feu du racisme déjà bien alimenté par l'UDC. Employer un vocabulaire destiné aux animaux pour désigner des requérants d'asile n'est pas très reluisant. Mais refuser de s'excuser «surtout auprès des NEM, car ils ne disposent pas d'un statut légal» frise le dédain. Pourquoi «surtout pas les NEM»? Leur humanité est-elle réduite ou effacée en raison de leur situation instable? Existe-t-il des classes de personnes qui, par défaut, ne méritent pas le respect? Passés quasi inaperçues, les allégations de Michel Flückiger prouvent qu'il a urgence. Le racisme se banalise peu à peu. Tout rempart pour s'en protéger se révèle donc indispensable.