«Maintenant, ce sera les CRS ou les papiers»
Evacués de force mercredi de la Bourse du travail à Paris par la CGT qui voulait récupérer ses locaux, 200 travailleurs en situation irrégulière campent sur le trottoir.
CORDÉLIA BONAL
Jeudi devant la Bourse du travail, dans le IIIe arrondissement à Paris. (CB)
Un semblant de calme est revenu autour de la Bourse du travail ce jeudi à Paris, après la violente évacuation la veille des occupants par le service d'ordre de la CGT. Les sans-papiers délogés, au nombre de 200 environ, ont passé la nuit sur le bout de trottoir où ils ont échoué avec matelas et couvertures, et ne comptent pas en bouger pour le moment.
Ce matin, personne n'est parti travailler, tous s'en tiennent au mot d'ordre: ne pas bouger tant que les demandes de régularisations déposées par le collectif (750 dossiers déposés à ce jour à la préfecture, 1200 au ministère) n'avanceront pas. En attendant, on s'organise, sous l'œil de quelques policiers. Des chaises, réchauds, radios ont rejoints le fatras de sacs et matelas. Voisins et associations passent discuter, dire leur colère, distribuer pain et bouteilles d'eau. Sur le trottoir d'en face, quelques cafetiers ouvrent l'accès à leurs toilettes.
Travailleurs isolés en situation irrégulière, originaires d'Afrique pour la grande majorité, les occupants avaient investi il y a 14 mois la Bourse du travail, bâtiment appartenant à la ville de Paris mais géré par plusieurs syndicats, dont la CGT. L'occupation avait été décidée après le refus par la préfecture de police de Paris de recevoir 1.000 dossiers que le collectif, la CSP 75 (coordination de sans-papiers) voulait voir traiter, la préfecture renvoyant vers la CGT.
«Bandits»
«On est en France depuis des années, on travaille, on cotise, nos grands-parents se sont battus pour la France», énumère Keita, intérimaire dans le bâtiment grâce à de faux papiers, comme beaucoup ici. «Alors on ne bougera pas de ce trottoir. Maintenant, ce sera les CRS ou les papiers.»
Depuis hier, les deux accès au bâtiment sont bloqués: grilles baissées côté boulevard, porte close côté rue, qui s'ouvre de temps à autre pour laisser passer une poignée de responsables syndicaux venus reprendre possession des locaux. Entre le collectif de sans-papiers et les membres de la CGT, on évite soigneusement tout contact.
«La CGT ? C'est des bandits!», s'insurge Keita. Même colère chez Anzoumane Sissoko, délégué du collectif, la CSP 75: «Nous ne voulons plus avoir affaire à eux. Après ce qu'ils nous ont fait hier, venir comme ça nous taper et nous asperger de gaz lacrymogène, ça suffit comme ça.» Au lendemain de l'évacuation, Sissoko compte les absents: «six blessés» et «quatre interpellés». Chiffres qui n'ont pas été confirmés ce jeudi par la préfecture.
«Violence injustifiable»
Après l'épisode violent de la veille, associations et partis ont condamné, plus ou moins fermement, la décision de la CGT, syndicat qui se pose par ailleurs régulièrement en intermédiaire pour le dépôt de dossiers de régularisations de travailleurs. Pour France Terre d'asile, «la CGT, avec cette intervention, qu’elle l’ait souhaité ou non, indique clairement qu’elle change de logiciel en se recentrant sur sa "clientèle" habituelle. Nous devons veiller collectivement (...) à ne pas laisser la division et le rejet de l’autre se propager».
Le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) «dénonce la brutalité de la CGT et demande au gouvernement des actions concrètes pour faciliter une sortie de crise de manière plus humaine», tandis que les Verts s'élèvent contre une «violence injustifiable».
Droit au logement, qui s'était «désolidarisé de l'occupation de la Bourse par les sans papiers motivée par des considérations peu crédibles», dénonce néanmoins la méthode, «expéditive».
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