dimanche 31 juillet 2011

La croix blanche de Moudon et ses absents

La croix blanche humaine qui a accueilli la présidente de la Confédération, c'etaient eux : les résidents de l’Établissement Vaudois de l'Accueil des Migrants de Moudon. Une action symbolique d'intégration à nuancer.

moudon evam La croix blanche de Moudon, c'est l'idée de Cécile. A six jours de la fête nationale, la responsable du secteur nord ouest de l’Établissement Vaudois de l'Accueil des Migrants (Evam) est venue proposer aux 160 migrants hébergés dans deux immeubles à la sortie de Moudon, de participer à l'accueil de la présidente de la Confédération.

Cette trentenaire toute pimpante est passée inviter chaque famille pour une réunion informelle qui se tient au pied de l'immeuble. Les enfants y chantent un « joyeux anniversaire » destiné à la Suisse et comptent les jours qui les séparent de l'événement.  « Ce sera un coup de pub qui fera la première page des journaux », promet Cécile à la soixantaine de migrants présents. Quelques jeunes traduisent ses propos en albanais ou somali.

« Et elle a qu'elle âge la Suisse ? », lui demande Albert avec un accent vaudois. A 6 ans, cet Albanais préfère l'école aux vacances. «  Je m'embête ici », marmonne t-il. S'il est scolarisé, sa famille logée par l'Evam, est dans une situation de transition. Ses parents attendent une réponse de Berne qui se fait attendre depuis plusieurs mois afin d'obtenir des permis de travail.

D'ailleurs, suite à leurs études, leurs enfants n'auront pas nécessairement les papiers pour postuler à un emploi. « C'est l'une des contraction des lois sur l'immigration, rappelle Cécile. Ces textes sont sujets à de multiples révisions électoralistes depuis une dizaine d'années alors qu'ils concernent moins d'1% de la population. »

Pour les 5000 habitants de Moudon, les statuts kafkaïens des demandeurs d'asiles sont difficiles à comprendre. « Toujours est-il que maintenant qu'ils sont là, il faut cohabiter. Et cela ne peut se faire qu’en les invitant aux événements de la ville », soutient Claude Vauthey, le secrétaire municipal.

A Moudon, tout passe par la conviction qu'une fête des enfants vaut mieux qu'un grand discours politique sur l'intégration venu de Berne. La municipalité soutient donc les projets de mixité sociale de Cécile ou ceux de l'association Suisse étranger, devenue véritable médiateur entre les principales communautés étrangères et la municipalité.

Les réticences de l'accueil à l'école

L'arrivée des migrants n'a pas été toujours bien acceptée dans la ville ouvrière, comprenant 42% d'étrangers. Au départ, les Moudonnois se sont opposés à la création d'un foyer d'hommes célibataires. Aujourd'hui, avec l'hébergement des familles, c'est l'éducation qui fait débat. 

« Quelques parents y réfléchissent par deux fois avant d'envoyer leurs enfants dans l'école communale avec un fort taux d'étrangers  », mentionne Magadis Richardet élue communale UDC, tout en avouant, que dans la classe de son fils, « la tête de classe est un Yougoslave ». « Bosniaque », rectifie le cadet. L'agricultrice, mère de quatre enfants, reconnaît le succès d'une fresque réalisée en mai dernier à la sortie de l'école, en collaboration avec des migrants de l'Evam. « En discutant, nous réalisons que nous avons les même centres d’intérêts, comme le bien être de notre famille. »

L'épicerie du coeur à Moudon. Photo Caroline Venaille Magadis apporte désormais une soixantaine d’œufs de son exploitation à « l'épicerie du coeur »,  organisée chaque jeudi par des bénévoles. Les plus démunis de Moudon, dont la plupart vivent à l'Evam, viennent y chercher les invendus des grandes surfaces. En fin de journée, la place centrale de Moudon s'anime d'un va-et-vient de familles avec leur cabas, sous le regard des grand-mères moudonnoises. Pour certains enfants, c'est l'occasion de sortir de leur immeuble.

Un dense réseau associatif

Le carnet d'adresse de Jan de Haas, le pasteur de Moudon, recense 300 contacts, toutes couleurs politiques confondues, souhaitant aider un ou des migrants. « Nous avons permis à six familles dont le voyage de retour était prévu. Aujourd'hui, elles ont obtenu des permis B de travail». Des actions soutenues par un dense réseau associatif qui tente de pointer les contradictions législatives pour aider les migrants qui vivent dans l'ombre, comme Adam.

Ce jeune guinéo-sénégalais n'en pouvait plus d'attendre une décision administrative de renvoi dans un foyer. Depuis que sa demande d'asile a été rejetée, passer ses journées devant la télé alors qu'il avait seulement envie de travailler le rendait fou.

Il a préféré aller démarcher des chantiers et a renoncé à « l'aide d'urgence » de 350 CHF versée tous les mois par l'Evam. « Question de dignité », souligne t-il. Aujourd'hui, Adam vit caché. Des promesses d'embauches signés par des patrons potentiels n'ont pas suffit à régulariser sa situation. Il reste en dehors de cette croix suisse, à laquelle, pourtant, il participe économiquement.

Caroline Venaille pour l’Hebdo et Blogtrotters 2011

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Caroline Venaille est une des participantes de Blogtrotters 2011 de l’Hebdo. Elle poste ses articles, au fil de son périple à vélo à travers la Suisse, à la découverte des étrangers.

Vers les articles de Caroline Venaille

samedi 30 juillet 2011

«Mettre fin à des pratiques indignes de la Suisse»

Trois ans après La forteresse , le Lausannois Fernand Melgar revient à Locarno avec Vol spécial . Un documentaire très attendu sur les sans-papiers «jetés» de notre pays.

vol spécial 2

Ils sont environ 150 000 en Suisse – quelque 5000 à Lausanne – à vivre sans papiers. Depuis 1995, une loi autorise leur expulsion, même s’ils n’ont rien à se reprocher et sont bien intégrés. Sur simple décision administrative, certains d’entre eux sont «raflés» sans préavis et conduits, menottés, jusqu’à un vol spécial dans lequel ils seront entravés, sous la surveillance de trois gardiens par individu, parfois jusqu’à quarante heures d’affilée, contraints de faire leurs besoins sur leur siège. La Suisse est le seul pays du monde à pratiquer un entravement si musclé. L’agence européenne Frontex, qui gère les renvois pour l’espace Schengen, n’utilise qu’un menottage léger. Un état de fait qui ne pouvait laisser indifférent l’ancien sans-papiers qu’est Fernand Melgar, fils d’immigrés espagnols devenu l’un des ténors du nouveau cinéma suisse… Entretien.

Quel parcours avez-vous suivi de La forteresse à Vol spécial ?

Après La forteresse , l’expulsion de l’un de nos «acteurs», l’Irakien Fahad, m’a fait découvrir le centre de détention administrative de Frambois, près de Genève. Il en existe une trentaine de similaires en Suisse. J’y ai rencontré des sans-papiers qui n’avaient pas commis le moindre délit, mais dont certains allaient passer là jusqu’à deux ans de leur vie. J’ai voulu en savoir plus…

L’autorisation de filmer a-t-elle fait problème?

Le capital de confiance acquis avec La forteresse , loué par la conseillère fédérale Widmer-Schlumpf et régulièrement montré à ses collaborateurs, m’a facilité les choses. La prison de Frambois, qui découle de la mauvaise conscience des cantons latins accusés de ne pas appliquer les mesures de renvoi, reste un lieu relativement ouvert. Les détenus ne sont pas coupés du monde 23 heures sur 24 comme à Zurich ou à Berne, et la préparation des vols spéciaux se fait avec des égards. Tant le directeur que les conseillers d’Etat des cantons concernés de Genève, de Vaud et de Neuchâtel, m’ont soutenu dans ma démarche, sachant que je resterais objectif.

Le film dégage, pourtant, une très forte charge émotionnelle…

Evidemment, toute sa dramaturgie, liée à l’attente angoissée du vol spécial, suit le développement de situations humaines souvent poignantes, voire bouleversantes.

Comment avez-vous choisi les six «cas» suivis de plus près?

En fonction, précisément, du caractère particulier, mais toujours aussi intense ou complexe, du drame vécu. Par exemple Pitchou le Congolais, en Suisse depuis dix ans, coiffeur à Aigle, et qui vient d’être père, auquel un policier vaudois annonce qu’il va être renvoyé… et qui sera finalement libéré, – le seul! – sans qu’on sache pourquoi (lire encadré)

Allez-vous «suivre» les destinées de vos personnages?

Certainement, et ce sera particulièrement important pour ce que vit l’un d’eux, réfugié politique pour ainsi dire livré à ses bourreaux, torturé à son retour dans son pays sous prétexte qu’il avait osé demander asile en Suisse, et qui se trouve actuellement sous notre «protection». En outre, le film sera prolongé par un webdocumentaire coproduit par la RTS et ARTE, où l’on pourra suivre le développement de chaque situation particulière.

Quel «message» entendez-vous faire passer avec Vol spécial ?

Le film pose une question simple: comment mettre un terme à des pratiques humiliantes, indignes d’un pays qui se réclame des droits de l’homme? Ce qu’il montre clairement, faits à l’appui, c’est que l’arbitraire règne dans les décisions prises. Dans le seul canton de Vaud, le pouvoir discrétionnaire d’une poignée de fonctionnaires détermine le sort des sans-papiers. Au niveau fédéral, à l’Office des migrations (ODM) – qui n’a pas vu notre projet d’un bon œil –, nous savons que quatre collaborateurs sur cinq jugent que les décisions prises par l’ODM «ne sont pas prises sur la base de faits établis et d’arguments objectifs».

Jean-Louis Kuffer


Vol spécial sera projeté en première mondiale au Festival de Locarno, le 6 août, à 14 h, à la FEVI.

Sortie en salle le 21 septembre.

Il passera également sur la TSR et Arte.

www.volspecial.ch


témoignage pitchou kitchima

Leur première fête nationale dans la peau d’un Suisse

Avant de pouvoir exercer leur droit de vote cet automne, des Suisses naturalisés depuis peu racontent leur 1er Août.

Ce lundi, la croix suisse n’apparaîtra pas seulement sur les lampions et les drapeaux. Elle sera aussi dans leur poche, sur un passeport rouge tout neuf. Pour ouvrir les feux de ce 1er Août, 24 heures est parti à la rencontre de femmes et d’hommes qui viennent d’être naturalisés. Cet automne, ils pourront, certains pour la première fois, mettre leur bulletin de vote dans l’urne, en cette année d’élections fédérales où la question de l’immigration est déjà inscrite dans le débat.

Il y a les Mekonnen, arrivés d’Ethiopie comme requérants d’asile il y a une quinzaine d’années. Tous deux employés chez Nespresso, ils vivent dans un quartier populaire des hauts de Lausanne. Alain Avni Celik, lui, a débarqué à Moudon en 1979, muni de son contrat de travail à la fonderie. Sa femme l’a rejoint et ils n’ont plus quitté la bourgade. Daniel Sautrey a dirigé, pour sa part, les fabriques de Nestlé à Broc (FR) et à Orbe, dont lui et son épouse, Annie, sont bourgeois depuis l’automne 2010. Tous deux sont d’origine française. Enfin, la famille Vogel, arrivée de Bavière pour s’installer à Préverenges voilà vingt-deux ans, pour raisons professionnelles. Horst Vogel est professeur de chimie à l’EPFL. Ont-ils d’autres points communs qu’une identité suisse qu’ils ont choisie?

L’an dernier, dans le canton de Vaud, ils ont été quelque 4100 à être ainsi naturalisés, contre 5900 en 2009. Les deux années précédentes, ce chiffre s’élevait à 5600. Selon le secteur des naturalisations du Service vaudois de la population, cette baisse relative s’explique notamment par l’afflux d’étrangers venus des Balkans, qui s’est répercuté dix ans plus tard sur les nationalisations dont ils étaient demandeurs. Le canton a alors mis des ressources pour augmenter le nombre de cérémonies de prestation de serment qui officialisent les naturalisations. Désormais, la situation devrait se stabiliser au niveau de 2010.


«Cette fois, on saura qu’on est Suisses»

Au salon, des drapeaux suisses et des bougies à croix blanche. La famille Mekonnen a décoré son appartement, imprégné des effluves d’un repas évoquant leur Ethiopie d’origine. Sur le guéridon trône l’invitation pour leur cérémonie officielle de naturalisation.

Le 1er Août, les Mekonnen iront comme d’habitude faire la fête à Ouchy. «Cette fois-ci, ce sera différent», estime Argaw Mekonnen, manutentionnaire chez Nespresso. «Avant, c’était seulement la fête. Là, on saura qu’on est Suisses», approuve sa femme, Aberra Marey. Et cet automne, ils utiliseront leur droit d’élire leurs autorités. «C’est quelque chose d’important, surtout en Suisse. Là, il y a une différence lorsqu’on vote.»

Pour eux, leur nouveau pays est incomparable. «C’est l’humanitaire. Ils ont accueilli les gens», relève Aberra Marey. Arrivés en 1996 et 1997, ils faisaient partie des fameux «523», ces requérants d’asile sans papiers revendiquant le droit de rester dans un bras de fer politique et médiatique.

«Même sans papiers, l’administration était ouverte pour nous comme pour tout le monde», remarque Argaw. «Lorsque M. Mermoud (ndlr: conseiller d’Etat alors en charge de l’asile) nous a interdit de travailler, c’était finalement une bonne décision, car cela a fait bouger les choses qui traînaient depuis des années.»

Ils ne diront rien de ce qui pourrait changer ici, de ce qu’ils aimeraient peut-être retrouver de l’Ethiopie. «La Suisse est unique. Le 1er Août fête cela, même si tout n’est pas parfait à 100%.»


«J’apprécie l’esprit de consensus»

Originaires de Dole, en Franche-Comté, Annie et Daniel Sautrey sont devenus citoyens d’Orbe en octobre 2010. Ce couple de jeunes retraités vit au Mont-Pèlerin. Depuis leur terrasse, ils ont une vue splendide sur Vevey, le lac et les montagnes. Pourtant leur choix de devenir Urbigènes n’est pas le fruit du hasard. En effet, durant les sept dernières années de sa vie professionnelle, Daniel Sautrey a dirigé la fabrique Nestlé d’Orbe. Sa bonne entente avec les autorités locales l’a incité à demander la bourgeoisie de la commune.

Le 1er Août, ils iront chez leur fille en Valais et, avec leur petit-fils de 13 mois, ils prendront part aux festivités de Martigny. «Il est important pour nous de bien s’intégrer dans le pays où l’on vit. Nous votons à chaque scrutin. Et cet automne, nous avons à cœur de participer aux élections fédérales pour la première fois, commentent en chœur les époux Sautrey. De plus, le système de vote par correspondance simplifie bien la tâche.»

«J’apprécie l’esprit de consensus et le goût du travail que l’on trouve en Suisse, témoigne Daniel Sautrey. La cohabitation des langues et des religions me touche. Chaque village a su conserver ses traditions, ce qui fait la richesse du pays. J’ai conservé un bredzon en souvenir de mon passage à la direction de la fabrique de chocolat à Broc.» Annie Sautrey apprécie la tranquillité de notre pays.

«Je n’oserais plus me rendre seule dans un parking souterrain dans une ville comme Marseille.» Le couple souligne également que l’adaptation en Suisse a été plus facile que celle au sud de la France.


«C’est un pays qui accepte la diversité»

Sur la terrasse de la villa située dans un quartier tranquille non loin du lac, de petits drapeaux suisses sont plantés dans les pots de fleurs d’un jardin campagnard. Chaque année, ou presque, depuis plus de vingt ans, la famille Vogel, d’origine allemande, assiste à la célébration du 1er Août sur la plage de sa commune, à Préverenges. Elle fera de même lundi. «Avec les enfants nous avons beaucoup participé, et c’est aussi l’occasion de voir les vieux amis», se réjouit Doris Vogel.

Ses fils sont âgés de 27 et 25 ans aujourd’hui. «J’ai les deux passeports, allemand et suisse, mais lorsque l’on m’interroge à propos de ma nationalité, je réponds que je suis Suisse, car c’est ainsi que je me sens», confie Julian, prêt à repartir à Shanghai, où il travaille. Son père, Horst Vogel, est professeur de chimie à l’EPFL.

La famille se prépare à voter lors des prochaines élections fédérales en octobre. «C’est absolument nécessaire. Cela représente une opportunité unique d’influencer la politique fédérale, celle qui unit la Suisse. Nous adhérons à ses valeurs: le respect de la diversité et la préservation de l’environnement», développe Horst Vogel. La famille se dit très sensible à cette notion de partage identitaire qui fait la richesse de son pays d’adoption. «Cependant, il est dommage que, durant leur scolarité, les élèves ne visitent pas une fois au moins le Palais fédéral pour se forger une image de leur pays», estime Doris Vogel. Son fils Julian renchérit: «Après dix ans de cours d’allemand à l’école, personne ne parle cette langue. Il faudrait agir pour rapprocher les régions linguistiques et promouvoir une identité fédérale pour lutter contre ce manque de compréhension entre les régions.»


«Moudon, c’est comme chez nous»

Elle a choisi le prénom de Nathalie pour compléter Sureyya. Lui a opté pour Alain, en plus de son identité turque, Avni. En devenant Suisses, l’an dernier, les Celik se sont dit: «Changeons tout!»

Ce qu’ils ne modifieront pas, c’est leur façon de fêter le 1er Août. «Trois jours avant, on regarde où il y a des choses intéressantes. L’an dernier, c’était à Estavayer, parfois à Moudon pour boire un verre avec les amis. Cette année, ce sera à Ouchy. On aime la fête, avec les feux, le monde et le lac.» Pensent-ils le vivre différemment? Nathalie est dubitative. «Ah si! réagit son mari. Avant, tout le monde nous voyait comme des étrangers.» Aujourd’hui, c’est plutôt en Turquie qu’ils se sentent touristes. Leurs grands enfants, naturalisés depuis un moment, n’y ont jamais vécu. «Je suis arrivée ici à 19 ans et j’en ai 46. Ma vie est ici, je vais mourir ici», confie-t-elle. «Moudon, c’est comme chez moi. Parfois, c’est juste un peu difficile à cause de la langue, approuve Alain, qui aime trop la ville, où il est arrivé en 1979, pour songer à la quitter. Ici, c’est vraiment particulier. En Suisse, il y a ce mélange des cultures. On vit mieux, la démocratie est différente. C’est là qu’on gagne notre salaire.» Il travaille à l’usine d’emballage et elle fait le ménage au CHUV.

Après avoir voté comme étrangers au niveau communal, ils ont déjà mis deux fois leur bulletin de vote de citoyens suisses dans l’urne cette année, et prendront part aux élections fédérales cet automne. A Moudon, Alain Celik s’est d’ailleurs présenté ce printemps sur les listes radicales. Son épouse est-elle d’accord? Elle esquisse une moue ironique. «Toujours…»

Laurence Arthur, Pierre Blanchard, Laure Pingoud, Florian Cella (photos) dans 24 Heures

vendredi 29 juillet 2011

Christoph Blocher s’en prend massivement aux étrangers

A 70 ans, l’UDC revient pour les élections fédérales. Selon lui, la Suisse peut vivre sans accords bilatéraux.

Christoph Blocher est bien vivant. Le Zurichois, que l’on donnait pour mort suite à son éviction du Conseil fédéral en 2007, se présente au Conseil des Etats et au National en octobre. S’il a pris un petit coup de vieux, sa conviction de devoir sauver la Suisse contre l’immigration et l’Union européenne (UE) est intacte depuis 1979. A 70 ans, le vice-président de l’UDC mène sa dernière guerre. Pour la gagner, il est prêt à mourir sur scène. Interview.

N’êtes-vous pas trop vieux pour siéger au parlement?

Non, j’ai beaucoup d’expérience. C’est d’ailleurs pour cela que les Jeunes UDC sont venus me chercher. Mais j’avoue que j’ai un peu moins d’énergie qu’eux.

Ne craignez-vous pas la maladie ou le vieillissement?

Peut-être que ma santé me lâchera, mais, ces cinquante dernières années, je ne suis allé à l’hôpital qu’une fois pour une opération de l’intestin, lorsque je siégeais au Conseil fédéral. Personne n’en a rien su! Avec l’âge, j’aurai peut-être moins de repartie, mais, pour l’heure, je suis en pleine forme.

Etes-vous sur Facebook?

Face… quoi? ( Ndlr.: son porte-parole lui explique qu’il a dix profils à son nom, mais aucun compte officiel.) J’avoue que je ne suis pas un amateur de ces technologies. Je n’ai pas de télévision, je ne vais jamais sur internet et ne sais pas me servir d’un iPhone. Cela me permet de rester concentré sur l’essentiel.

L’essentiel se résume aux mêmes thèmes depuis 30 ans.

C’est qu’ils sont d’actualité! La Suisse doit rester autonome face à l’Europe. C’est pour cela que je veux revenir au parlement. Contrairement à ce que disent certains, je ne reviens pas pour me venger de mon éviction du Conseil fédéral, mais pour défendre mes idées.

L’une d’elles est la limitation de l’immigration en Suisse. Votre parti lance d’ailleurs une initiative pour renégocier la libre circulation avec l’UE. En tant qu’ancien patron, y croyez-vous ou cherchez-vous un thème de campagne?

Cette initiative permet certes de rappeler nos positions aux électeurs, mais je crois aussi que l’immigration est trop importante en Suisse. Elle fait augmenter les loyers, surcharge nos transports, met les salaires sous pression. Il faut réintroduire des contrôles aux frontières. S’assurer que les emplois sont offerts aux Suisses d’abord, et que les immigrés viennent seulement lorsqu’ils ont un contrat de travail. Et créer des contingents maximums chaque année.

Vous parler de pression sur les salaires. Pourtant votre parti a toujours refusé d’instaurer plus de contrôles et de mesures d’accompagnement.

Ces mesures sont des outils de régulation. Il est bête d’ouvrir les frontières s’il faut ensuite prendre sans cesse des mesures en plus. C’est une perte de temps de devoir vérifier chaque cas de dumping salarial. Il faut une solution globale négociée avec Bruxelles.

Mais EconomieSuisse craint que Bruxelles refuse et rejette l’accord sur la libre circulation et, du coup, tout le paquet des accords bilatéraux…

C’est un risque. Mais la menace restera une menace. L’UE a intérêt à négocier, puisque c’est elle qui profite le plus de la libre circulation. Et, soyons honnêtes: la Suisse s’en sortirait très bien sans les accords bilatéraux. Nous avons des liens directs forts avec les pays européens. Il y a vingt ans, lors de la votation sur l’Espace économique européen, l’économie disait aussi que notre pays allait sombrer en cas de refus. Aujourd’hui, elle reconnaît que notre pays s’en sort mieux ainsi. C’est vrai que les entreprises auront plus de peine à engager du personnel si notre initiative passe, mais l’économie du pays s’en sortira mieux.

Vous dites être le parti du peuple. A-t-il toujours raison?

Non. La voix du peuple n’est pas la voix de Dieu, ni celle du gouvernement. Mais c’est important, dans une démocratie, d’accepter les résultats d’une votation.

Pourquoi ne le faites-vous pas cette fois-ci? Le peuple a accepté toutes les votations sur la libre circulation…

Mais nous respectons ses décisions! Cette initiative ne tente pas de revenir en arrière, mais d’adapter un système après en avoir fait l’expérience. Du reste, cette fois-ci encore, le peuple décidera au final.

Vous serez sans doute élu, sinon aux Etats, au moins au National. Combien de temps resterez-vous à Berne?

Je m’en irai seulement quand j’aurai le sentiment que mes idées ont été écoutées… et adoptées.

Nadine Haltiner, Zürich, dans 24 Heures

Requérants de Nyon: travaux d’utilité publique

Depuis le début du mois, des requérants d'asile du centre de Nyon se relaient dans les pâturages, pour débroussailler les plantes que les vaches ne peuvent pas brouter. Cette initiative permet d'occuper les migrants en transit, mais aussi de les valoriser aux yeux de la population.

TSR

Reconstitution d'un renvoi forcé de Suisse (en allemand)



Augenauf

jeudi 28 juillet 2011

L'UDC combat «la mort de la nationalité suisse»

L’UDC va combattre «avec force» l’initiative «Vivre et voter ici» soumise aux Vaudois le 4 septembre. Accorder le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers «signifierait la mort de la nationalité suisse», a affirmé Fabrice Moscheni, président de l’UDC-Vaud .

«Vivre et voter ici» a été lancée par la gauche et différentes associations. L’initiative prévoit le droit de vote et d’éligibilité pour les étrangers au niveau cantonal sous conditions. Un «oui» serait «un premier pas vers la destruction des valeurs de la Suisse», a expliqué jeudiFabrice Moscheni.

Etrangers caricaturés
L’UDC va axer sa campagne, qui démarre immédiatement, sur le symbole de la fête nationale du 1er août afin de souligner l’importance du sujet. Le visuel de l’UDC-Vaud sera sobre, avec une croix blanche sur fond rouge. Les jeunes UDC vaudois reprendront en revanche une affiche utilisée à Bâle sur la même thématique et montrant des personnes «étrangères» (femme voilée, jeune portant une casquette de travers, homme barbichu), convoiter une urne de scrutin. Questionné sur ce genre de propagande après les tueries en Norvège, Michaël Buffat, député et président des Jeunes UDC-Vaud, a affirmé qu’»ils ne jouaient pas avec le feu». «On veut éviter tout amalgame» avec ce qu’a fait ce Norvégien «complètement désaxé», a assuré Fabrice Moscheni.

Contre «la loi des autres»
L’initiative donnerait des droits aux étrangers, mais pas les devoirs qui vont avec, comme le service militaire, selon Fabrice Moscheni. L’UDC refuse que des étrangers devenus députés, conseillers d’Etat ou conseillers aux Etats, puissent légiférer en Suisse. La naturalisation est le meilleur moyen de s’intégrer et de participer à la vie politique suisse. L’UDC conteste que ce processus soit difficile: sur 85’000 électeurs étrangers domiciliés dans le canton de Vaud, 75’000 peuvent franchir le pas, affirme le parti qui a pour l’heure 5000 francs de budget de campagne, et 2500 francs pour les Jeunes UDC.

Vaud pionnier
Pour rappel, Vaud deviendrait un canton pionnier en cas de «oui» le 4 septembre. Neuchâtel et Jura accordent déjà le droit de vote aux étrangers au plan cantonal, mais Vaud serait le premier à octroyer aussi le droit d’éligibilité, à l’instar de ce qui est admis au niveau communal depuis 2003. L’initiative «Vivre et voter ici» a recueilli 14’400 signatures. Le droit de vote et d’éligibilité serait accordé à ceux qui vivent depuis plus de dix ans en Suisse et plus de trois dans le canton de Vaud. Les initiants ont indiqué disposer d’un budget de campagne de l’ordre de 20 à 25’000 francs.

ATS et 24 Heures

Soixante ans après la convention de Genève, que faire du droit d'asile ?

C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec ses trente millions de déplacés de force, et après le drame de la Shoah et ses six millions de morts, qu'à l'initiative des Etats-nations européens fut adoptée à Genève, le 28 juillet 1951, la convention des Nations unies définissant le statut de réfugié. Son article premier stipulait :

"Le terme 'réfugié' s'appliquera à toute personne (…) qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner."

Le droit d'asile, au principe du statut du réfugié, avait été inscrit quelques années plus tôt, dans la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. A lire de près ces deux textes à vocation universaliste, on mesure le gouffre qui les sépare de la politique d'asile des pays européens aujourd'hui.

Rétrospectivement se dévoile ainsi la relativité de l'universalisme – une relativité toute politique en l'occurrence : l'adoption de la convention de Genève de 1951 s'inscrivait dans le nouveau contexte de la guerre froide qui culmina avec la construction du mur de Berlin en 1961. L'Ouest endossait la posture du monde libre et créait le cadre général au sein duquel prenait sens l'accueil de tous ceux qui étaient renvoyés par le bloc soviétique ou parvenaient à s'en échapper.

Puis les décolonisations, la fin de la guerre froide et la mondialisation accélérée ont marqué la période allant de 1960 à 2000 : un tournant radical s'est produit dans les sphères gouvernementales européennes, vers une conception et une gestion de plus en plus classificatoires et fragmentées des "autres" (réfugiés, migrants, étrangers…). Dès les années 1960, les principaux pays européens conçoivent une politique anti-migratoire qui sera mise en œuvre progressivement, d'abord dirigée contre les "indigènes" et "sujets" des anciennes colonies, ou leurs descendants, puis en général vers tous les migrants des pays du Sud. Si le droit des réfugiés semble avoir un temps résisté à cette politique montante de repli sur soi des pays riches (par exemple pour ce qui concerne les réfugiés angolais, vietnamiens ou afghans des années 1970-1980), c'est l'attitude sécuritaire qui s'impose quand la mondialisation s'accélère. Sur les ruines de l'affrontement Est-Ouest, les années 1990 voient en effet les zones les plus prospères de la planète chercher à contrôler une géopolitique devenue mondiale, et non plus régionale ou inter-nationale. Selon une vision idyllique et apparemment humaniste de la fin de la guerre froide, certains croient voir venir la "fin de l'histoire" et l'avènement de l'humain unifié, dans un monde homogène et obsédé par le consensus, ou un "village planétaire". En fait, et selon un paradoxe juste apparent, l'unité proclamée de la planète va se faire au détriment de ses "restes" : des millions de vies en reste ("wasted lives" selon Z. Bauman) de plus en plus nombreuses et diverses sont rejetées et plus ou moins visibles à cette échelle-là, planétaire.

Dans ce nouveau cadre, celui d'une mondialisation fragmentaire et inégale, ce sont les pays du Sud qui fournissent, par comparaison, le plus grand contingent de vies fragiles et d'indésirables. L'argument prophylactique et sécuritaire – se protéger d'une "misère du monde" soi-disant envahissante – trouve sa place dans ce contexte-là et se substitue à la rhétorique universaliste, devenue encombrante alors même qu'elle devrait trouver dans l'échelle de la planète le périmètre naturel de son action. La compassion – souffrir soi-même du spectacle de la souffrance de l'autre – devient une vertu officielle qui a pour fin de déléguer au loin et aux organisations non gouvernementales le soin de gérer les indésirables. Le gouvernement humanitaire et sans citoyens qui se développe dans ces hors-lieux qu'une frontière renforcée sépare des zones les plus riches et mondialisées, porte en lui la garantie de leur maintien à l'écart, et ainsi d'une paix humanitaire autant injuste qu'intenable. Ces derniers mois la réaction européenne aux printemps arabes fut de ce point de vue un cas d'école. En particulier lorsque le 11 mars 2011 à Bruxelles le président français Nicolas Sarkozy, s'appuyant sur une prétendue menace d'invasion migratoire en Europe, a proposé à ses collègues européens la création en Afrique du Nord de "zones humanitaires" pour "contrôler tranquillement les flux migratoires", accrochant ainsi la bannière humanitaire aux velléités politiques de contrôle de la mobilité humaine…

A partir de la fin des années 1990 et jusqu'à aujourd'hui, les principaux gouvernements européens se sont appuyés sur le "scandale" de l'existence durable – et surtout visible – du centre de transit et d'hébergement de la Croix-Rouge de Sangatte (1999-2002) pour mieux coordonner leurs actions contre des migrants dont bon nombre pouvaient se réclamer du droit d'asile. Il fut alors question de supprimer ou réformer la convention de Genève, ce qui finalement n'a pas été fait pour ne pas afficher publiquement le fait que le droit d'asile et le statut de réfugié étaient devenus dérangeants pour ces politiques.

Les politiques restrictives à l'égard des migrations ont eu pour effet de favoriser tant l'immigration dite "clandestine" que la suspicion à l'égard du droit d'asile. Devenir réfugié apparaît comme une sorte de privilège dérisoire, mais désiré, éventuellement négociable. Pour écarter et tenir à distance ce droit "universel" de l'asile sans le supprimer officiellement, des modalités du traitement de l'asile et de l'immigration hors des frontières de l'Europe ont été adoptées par les pays européens. Et des "accords de réadmission" se sont multipliés entre l'Union européenne – ou certains des pays-membres – et des pays de provenance des migrants (Libye, Sri Lanka, Pakistan, Albanie, Maroc, Sénégal, etc.) pour pouvoir renvoyer sans délai les gens dans ces pays, contre le principe de la Convention de Genève de 1951.

Dans ce cadre soupçonneux et dominé par la peur de l'étranger – un nouvel étranger, global et sans identité –, le droit d'asile est devenu inséparable des politiques de contrôle des flux migratoires : en Europe le taux d'acceptation des demandes d'asile est passé de 85 % au début des années 1990 à moins de 15 % au milieu des années 2000. Et le 20 juin 2011, le haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, António Guterres, a déclaré : "La dynamique globale de l'asile est en train de changer. Le nombre de demandes d'asile dans les pays industrialisés est beaucoup plus bas qu'il y a dix ans". Le même jour, le HCR annonçait qu'en 2010 "80 % des réfugiés dans le monde avaient été hébergés dans des pays en développement".

La dernière période a vu se développer un anti-universalisme au nom du pragmatisme et de la soi-disant real politik. Si dans le même temps l'universalisme s'est aussi développé, c'est de manière de plus en plus théorique et délocalisée (dans les débats intellectuels ou parmi les organisations et les assemblées internationales), et ce fut sans véritable effet gouvernemental ; car son lieu étant le monde entier, il n'y a toujours trouvé que les Etats-nations, sans territoire propre donc. Son contraire, lui, s'est incarné sur le terrain de la gouvernance territoriale, qui est précisément celle des Etats-nations. Les gouvernements nationaux semblent trouver tout le fondement de leur légitimité dans l'opposition à la mondialisation, voire dans la "protection" des populations contre les effets néfastes de cette mondialisation. Le réfugié, le migrant dit "clandestin" ou le sans-papiers représenteraient ainsi la face négative d'une mondialisation moins visible sur les autres plans. Mais cette place symbolique de l'indésirable est celle d'un étranger global au sens où, ne trouvant de place nulle part, son altérité reste inexplorée : le mur qui le tient à l'écart empêche toute expérience de cette altérité.

On sait pourtant que le monde en tant que contexte commun existe bien sur les plans économique, financier, communicationnel, médiatique ou politique. Les Etats ayant déjà cédé sur l'essentiel de leurs prérogatives, tout se passe comme si leurs gouvernants retrouvaient jouissance pleine et entière de leur souveraineté dans la lutte contre la mondialisation humaine et contre ses plus fragiles manifestations : le corps des migrants les plus pauvres et des réfugiés, ou leurs descendants. A armes inégales, la puissance publique traque des individus et fait tenir désormais dans cette police désincarnée tout le sens de l'Etat. Cette (im)puissance s'énonce dans une nationalité dont la frontière devrait être sans cesse colmatée. Triple frontière. Celle du lieu : c'est le périmètre géographique et juridique de la nation avec ses traductions dans le rétablissement des contrôles aux frontières (jusqu'au sein de l'Europe de Schengen comme on l'a vu récemment) et dans les objectifs chiffrés à l'avance de "reconduites à la frontière" des étrangers. Celle de la culture, qui inclut par exemple, en France, les pratiques religieuses, vestimentaires ou alimentaires. Celle enfin de l'identité nationale promue contre ses altérations venues de l'extérieur et de l'intérieur, ce qui finit par ouvrir la voie largement aux conceptions ethno-nationales voire raciales. La virulence raciste, en France, des ministres de l'intérieur successifs depuis 2007 n'est donc pas anecdotique mais bien une part de leur fonction gouvernementale. Plus généralement, le tournant anti-universaliste des Etats européens a favorisé dans les années 2000 la montée des extrêmes-droites qui confortent celui-ci en retour.

L'asile est un idée à double face : dérangeante aujourd'hui pour les Etats-nations qui veulent se protéger des zones du monde les plus précaires et troublées, il représente l'ultime recours autorisant des personnes en danger dans des pays lointains à se déplacer… au risque de leur renvoi, de leur enfermement ou même de leur mort (selon le HCR, 1 500 personnes sont mortes noyées en Méditerranée entre janvier et juin 2011 alors qu'elles tentaient de rejoindre un asile européen).

Faut-il enterrer ou modifier la convention de Genève au motif que le droit d'asile et le statut de réfugié n'auraient presque plus d'effets pratiques ? On peut au contraire s'en saisir et tenir plus que jamais au mot et à l'idée d'asile. Avec quelques autres qui peuvent lui être associés – "hospitalité" sur le plan anthropologique, "droit naturel" sur le plan juridique, "monde commun" sur le plan philosophique… – ces mots sont opposables à ceux qui prévalent aujourd'hui. Il s'agit non pas de changer le droit mais de changer la politique.

Michel Agier, dans la rubrique Idées du Monde


michel agierMichel Agier est ethnologue et anthropologue à l'Institut de recherche pour le développement et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, membre du Centre d'études africaines. Il a publié Aux bords du monde les réfugiés (Flammarion, 2002), Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire (Flammarion, 2008) et Le couloir des exilés. Être étranger dans un monde commun (éditions du Croquant, 2011).

mercredi 27 juillet 2011

Clandestins : les reconduites à la frontière vont augmenter

Fort des nouvelles dispositions législatives, le ministère de l'Intérieur devrait porter à 30.000 la cadence annuelle des éloignements d'étrangers en situation irrégulière.

centre rétention roissy

À peine rentré de l'hôpital, le ministre de l'Intérieur Claude Guéant s'attaque au dossier immigration. Le Figaro est en mesure de révéler que la Place Beauvau va augmenter le nombre de renvois des clandestins interpellés en France. Les 28.000 reconduites pour 2011 devraient être portées à 30.000. Un objectif qui pourrait être dépassé dès cette année.

«Depuis janvier, le niveau moyen de ces éloignements s'établit déjà à 2500 par mois», confie un cadre de la police aux frontières (PAF). Mai 2011 a par ailleurs connu un pic de 32% (3397 reconduites contre 2563 en 2010). Et juillet devrait confirmer la tendance, avec une hausse attendue de 7%.

La Place Beauvau veut y voir le signe de la «mobilisation sans faille des préfectures, notamment durant la crise tunisienne», mais aussi, depuis peu, «l'effet mécanique des nouvelles dispositions contenues dans la loi sur l'immigration votée en mai 2011». Un texte dont les principaux décrets d'application ont été publiés au Journal officiel le 18 juillet dernier.

Les préfets, il est vrai, comptent tout particulièrement sur ces nouveaux outils pour renforcer l'effectivité de leurs décisions, souvent contrecarrées par le juge judiciaire. Dorénavant, l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) sera repoussée à cinq jours, au lieu de deux. Ce qui évitera à un clandestin d'être remis prématurément en liberté, si la procédure d'éloignement dont il fait l'objet se révèle juridiquement fondée.

Autre disposition phare entrée en application depuis quinze jours: la durée de rétention des étrangers en situation irrégulière peut aller jusqu'à 45 jours, au lieu de 32 précédemment. Cet allongement du délai donne plus de chance à l'administration d'obtenir des laissez-passer consulaires de la part des pays qui traînent souvent des pieds pour reprendre leurs ressortissants, comme la Chine, qui attend en moyenne 35 jours avant de délivrer un sésame, ou le Mali, qui en met environ 38.

Privilégier le «pragmatisme»

De l'aveu même du prédécesseur de Claude Guéant à Beauvau: la non-délivrance de laissez-passer représente «la première cause d'échec des procédures d'éloignement, soit 34% des cas». En Espagne, le socialiste Zapatero a pu porter le délai de rétention à 60 jours. Et l'Europe tolère jusqu'à 18 mois. Il sera toujours temps de faire modifier le délai tricolore si les résultats espérés tardent à venir.

En tout état de cause, l'équipe Guéant dit vouloir privilégier le «pragmatisme» dans la lutte contre l'immigration illégale. Et ce n'est pas sans satisfaction que l'hôte de Beauvau a pris connaissance, lundi dernier, de ce commentaire de la Commission européenne au sujet de la gestion de l'affaire tunisienne: «Du point de vue formel, les mesures prises par les autorités italiennes et françaises ont respecté la loi européenne», a déclaré la commissaire chargée des Affaires intérieures, Cecilia Malmström. Paris avait décidé de rétablir les frontières avec l'Italie au lendemain de la régularisation massive par Rome de quelque 25.000 Tunisiens. «Les contrôles de police menés par les autorités françaises ont été effectués en conformité avec le code de Schengen», a reconnu Mme Malmström, pourtant véhémente à l'égard de Paris, au début de la crise.

La commissaire a été jusqu'à proposer une plus grande latitude pour rétablir temporairement les contrôles aux frontières en cas de pression migratoire «forte» et «inattendue» ou de «défaillance» d'un État membre aux frontières extérieures de l'Union. Tout ce que réclamait Guéant.

L'Europe définira en septembre les critères visant à légitimer cette initiative. «Comme quoi la fermeté paie», ne peut s'empêcher de traduire l'un des plus proches conseillers du ministre.

La Belgique se dote d'un "centre de retour" pour les demandeurs d'asile

Le gouvernement fédéral ouvrira à l'automne un centre spécial pour les demandeurs d'asile dont la requête a été rejetée. Le Centre pourra accueillir 70 personnes, qui y attendront la fin des formalités préparant leur retour dans leur pays d'origine. Il s'agit d'une première en Belgique, rapporte mercredi De Morgen.

Le centre occupera un immeuble vide détenu par la Régie des Bâtiments. Il se situera à quelques dizaines de kilomètres de Bruxelles, et donc non loin de l'aéroport. La plupart des demandeurs d'asile déboutés seront en effet rapatriés par avion. Le gouvernement n'a pas encore divulgué la localisation précise du centre, car l'arrivée de ce type d'établissement provoque toujours une vague de protestation parmi les riverains. Jusqu'à présent les demandeurs d'asile appelés à rentrer chez eux résident dans des centres d'accueil "ordinaires" et disposent de plusieurs jours pour quitter le territoire belge. Le gouvernement souhaite désormais faire une différence claire entre les centres (et le personnel) qui accueillent les demandeurs d'asile et les centres "de retour". Dans un premier temps, ce centre fera figure de projet-pilote. Il n'accueillera que des demandeurs d'asile isolé, principalement originaires des Balkans, et donc pas de familles avec enfants. Si ce projet est une réussite, le centre pourra être ouvert à un public plus large.

RTLinfo

Le multiculturalisme au cœur des attentats

Les causes du drame restent floues. La principale relève-t-elle de la psychiatrie ou de la haine de la différence culturelle?

oslo recueillement

Est-ce la faute à la psychiatrie (lire ci-dessous) ou au multiculturalisme? Anders Behring Breivik est-il en d’autres termes un monstre qui a agi de façon isolée ou a-t-il été influencé par un contexte sociétal donné? Ou est-ce un peu des deux? Le double attentat perpétré vendredi par ce Norvégien de 32 ans interroge sur les causes réelles de la tragédie qui a coûté la vie à 76 personnes.

Dans une vidéo diffusée sur Internet peu avant de passer à l’acte, Anders Behring Breivik parle du «viol culturel et marxiste de l’Europe» entre 1968 et 2011. Il y dénonce le multiculturalisme comme une «idéologie haineuse anti-européenne destinée à déconstruire» la culture, les traditions, les identités et la chrétienté européennes voire même les Etats-nations européens. A ses yeux, il est impossible aujourd’hui de stopper l’alliance multiculturelle (ndlr: élites, médias, politiques) de façon démocratique. Il appelle à l’avènement de la révolution conservatrice qui permettra de «bannir une nouvelle fois l’islam d’Europe».

Professeur à l’Université de Genève et spécialiste du multiculturalisme, Matteo Gianni constate que le discours très critique sur le multiculturalisme n’est pas propre au terroriste présumé d’Oslo. Cela fait plus de quinze ans que l’extrême droite radicale véhicule cette rhétorique de la menace, de l’invasion, voire du racisme anti-Blancs. «Samuel Huntington (ndlr: Le choc des civilisations) avait déjà thématisé le sujet. Aujourd’hui, le discours anti-musulmans est la locomotive de cette rhétorique. On l’a vu en Suisse avec le vote sur les minarets. Les partis populistes en ont fait leur fonds de commerce et les partis traditionnels de centre droit doivent jouer sur la même corde, même si sur le fond, ils contestent ces thèses.» Spécialiste de l’extrême droite à l’Institut de relations internationales et stratégiques, Jean-Yves Camus souligne que l’obsession de Breivik, c’est l’Eurabia, cette idée née dans la tête des néo-conservateurs selon laquelle l’Europe serait devenue un vassal de l’islam.

Ces derniers mois, des figures politiques de premier plan s’en sont aussi prises au multiculturalisme. Pour la chancelière allemande Angela Merkel, le «Multikulti» a été un échec total. Son compatriote Thilo Sarrazin, social-démocrate qui fut membre du directoire de la Bundesbank, enfonça le clou avec son livre L’Allemagne va à sa perte. Le président français Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique David Cameron sont intervenus dans le même sens récemment. En mars 2007, le philosophe français Alain Finkielkraut s’était même fendu de ce commentaire dans le quotidien Haaretz: «Les juifs de France n’ont d’avenir que si la France reste une nation; il n’y a pas d’avenir possible pour les juifs dans une société multiculturelle, parce que le pouvoir des groupes antijuifs risque d’être plus important.»

Sur quoi reposent ces critiques? Matteo Gianni estime qu’il y a une grande confusion dans les termes utilisés. D’un point de vue sociologique, parler de multiculturalisme, c’est décrire l’état social d’une société. C’est la conséquence sociologique inévitable de tout système démocratique par définition ouvert. Voici trois décennies, la Norvège était encore un Etat relativement homogène. La mondialisation a transformé le pays, le nombre d’immigrants ayant doublé depuis le milieu des années 1990. Aujourd’hui, il abrite 500 000 immigrés, qui représentent 10% de la population.

D’un point de vue politique, le multiculturalisme traduit les mesures qui sont mises en place pour permettre à la société multiculturelle de vive en relative harmonie. Sociologiquement, la France est multiculturelle, politiquement elle ne l’est pas au contraire du Canada ou, dans une moindre mesure des Pays-Bas. Angela Merkel parle d’échec, mais «techniquement», l’Allemagne n’a jamais appliqué politiquement le multiculturalisme, privilégiant une politique d’assimilation et de naturalisation restrictive et n’ayant accordé que récemment le droit à la double nationalité. Jean-Yves Camus explique: «On a peut-être été trop loin dans la politique d’intégration des cultures d’origine et pas assez insisté sur l’adaptation à la culture d’accueil.»

«Le discours d’Anders Behring Breivik paraît cohérent, mais il est totalement déstructuré, poursuit Matteo Gianni. Il voit dans le multiculturalisme un danger pour la démocratie et l’identité culturelle de l’Europe. Or le fait de donner des droits à des étrangers n’est pas un acte de charité, c’est la simple application des principes fondamentaux de nos systèmes démocratiques. Nier le multiculturalisme équivaut dès lors à nier la démocratie. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas débattre de jusqu’où doit aller l’ouverture à la différence.» Jean-Yves Camus réfute un lien causal entre le débat actuel sur le multiculturalisme et l’acte terroriste de Breivik: «Ce dernier s’est radicalisé avant, dès les années 2000. Et les partis populistes scandinaves, dont le Parti [norvégien] du progrès ont émergé dans les années 1970.»

Le multiculturalisme serait-il dès lors le cheval de Troie de l’islamisme? Directeur de recherche au CNRS, Pierre-André Taguieff est l’auteur de la formule. Mais il l’explicite: «Le projet de se servir du multiculturalisme comme un cheval de Troie est bien présent dans certains milieux islamistes considérant qu’en Europe, le djihad serait voué à l’échec et qu’il faut en conséquence suivre une stratégie culturelle (au sens gramscien) pour modifier le système des représentations et des croyances des Européens, avant de passer à la phase politique de la prise du pouvoir.» Pierre-André Taguieff voit néanmoins dans la critique du multiculturalisme «l’expression d’un désarroi face à la globalisation perçue comme un processus aveugle et destructeur, quelque chose comme une machine à broyer les peuples». De fait, on tend à conférer une «étiquette culturalisante» à tout, s’étonne Matteo Gianni. Si le chômage et la criminalité augmentent, c’est la faute au multiculturalisme. «Un système politique qui ne s’ouvrirait pas à la différence ne serait pas démocratique», rappelle pourtant le professeur. «Il ne faut d’ailleurs pas faire l’erreur de croire que tous les problèmes liés à l’immigration sont d’ordre culturel. Certains relèvent par exemple du niveau d’éducation», analyse le professeur.

Dans son manifeste de 1500 pages, Anders Behring Breivik associe le multiculturalisme aux marxistes «culturels». Serait-ce dès lors un concept de gauche qui aurait justifié que l’auteur de la tuerie d’Oslo et d’Utoeya, décrit comme un conservateur chrétien, s’en prenne aux jeunesses travaillistes norvégiennes? Pierre-André Taguieff s’en défend: «Le multiculturalisme peut être conçu et défendu aussi bien par des gauchistes radicaux que par des libéraux de droite, voyant dans la diversité culturelle un atout ou un moyen d’approfondir le système démocratique.»

Stéphane Bussard dans le Temps

Réfugiés : l'Europe doit défendre ses valeurs

Soixante ans après la signature de la convention de Genève sur les réfugiés, le 28 juillet 1951, qui a aidé des millions d'hommes, de femmes et d'enfants fuyant la persécution, les guerres et la torture, à obtenir la garantie d'une protection et l'espoir d'un avenir meilleur, le monde reste marqué par les conflits.

Depuis le printemps, nous avons vu plus d'un million de personnes laisser derrière elles tout ce qu'elles possédaient pour fuir la guerre en Libye. Bien que seul un nombre restreint d'entre elles ait échoué en Europe, les images de ces réfugiés ont marqué les esprits. Des images choquantes d'hommes, de femmes et d'enfants tentant, au péril de leur vie, de traverser la Méditerranée, le plus souvent dans des embarcations de fortune, un périple au cours duquel ils seront nombreux à laisser la vie, même si le nombre de victimes reste inconnu.

L'Europe se doit de chérir les valeurs de la convention sur les réfugiés de 1951. Elle le doit, non seulement, à tous les réfugiés, mais aussi à elle-même. La convention est née du puissant sentiment de "Plus jamais ça !" ressenti à la suite de la seconde guerre mondiale. Elle a fourni un cadre juridique clair à la protection des individus fuyant la persécution. Les valeurs qui y sont inscrites ainsi que dans d'autres textes internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions de Genève sur le droit en matière de conflit armé, font partie de l'identité de l'Europe et de l'Union européenne (UE). Une Union dont les droits de l'homme et la protection des réfugiés sont des éléments essentiels.

Pendant quatre des six décennies écoulées depuis la signature de la convention de Genève, les principaux bénéficiaires de la protection des réfugiés ont été les Européens, dont bon nombre sont aujourd'hui des citoyens de l'UE. Nous gardons tous en mémoire les conflits armés dans les Balkans et les réfugiés nécessitant une protection. Et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a été créé d'abord pour aider les centaines de milliers de personnes qui étaient toujours déracinées et sans ressources cinq ans après la fin de la seconde guerre mondiale.

Les dirigeants politiques européens ont longtemps encouragé le développement de structures démocratiques comme étant le meilleur garant des droits et une réelle opportunité pour les peuples. A l'heure où se déroulent les événements que l'on sait sur la rive sud de la Méditerranée, il existe une vraie chance de traduire les exhortations en actions. Les gouvernements et les populations de Tunisie et d'Egypte ont fait preuve d'une générosité et d'une hospitalité remarquables en accueillant des milliers de personnes fuyant la Libye. Si l'UE a reconnu l'importance d'être solidaire avec les pays d'Afrique du Nord, elle pourrait faire beaucoup plus.

Les débats dans les Etats membres ont tendance à se concentrer sur les défis que peuvent poser les personnes fuyant la Libye plutôt que sur le potentiel d'enrichissement qu'elles représentent pour nos sociétés. Ils méconnaissent souvent la répartition relative des demandeurs d'asile et des réfugiés dans le monde.

Ensemble, les Vingt-Sept ont reçu un peu plus de 243 000 demandes d'asile en 2010, soit 29 % du total mondial. L'Afrique du Sud, à elle seule, en a reçu environ 180 000. Quant aux réfugiés reconnus en tant que tels, ils sont environ quatre sur cinq à vivre dans les pays en développement. Les Etats membres ont accordé le statut de réfugié ou une autre forme de protection à approximativement 74 000 personnes en 2010. A titre de comparaison, le seul complexe des camps de réfugiés de Dadaab, au Kenya, a accueilli environ 400 000 réfugiés, nombre qui augmente, selon les estimations, de 1 300 à 1 500 unités par jour en raison de la crise que connaît la Somalie.

L'UE dispose de la capacité à accroître sa part de responsabilité en matière de réfugiés et de demandeurs d'asile. Il reste illusoire, à l'heure actuelle, d'espérer un régime d'asile commun, et ce en raison de la persistance de divergences significatives entre les politiques d'accueil et de traitement des demandeurs d'asile dans les différents Etats membres.

En 2010, la probabilité pour les demandeurs d'asile originaires d'Irak d'obtenir une protection internationale était de 49 % en France, de 56 % en Allemagne et de moins de 2 % en Grèce ou en Irlande. Un régime traitant les demandes d'asile de manière aussi disparate est incomplet. Le 60e anniversaire de la convention fournira, nous l'espérons, une nouvelle impulsion à la mise en place d'un régime d'asile européen commun digne de ce nom. Le nouveau Bureau européen d'appui en matière d'asile devrait y contribuer de manière sensible, tant entre les pays de l'UE qu'entre l'Union et les pays tiers.

Mais l'Europe pourrait faire bien plus en termes de réinstallation, processus par lequel des réfugiés sont transférés à titre permanent, généralement d'un pays moins développé vers un nouveau pays de résidence permanente, le plus souvent dans un pays développé. Les réfugiés sont réinstallés lorsqu'ils ne peuvent séjourner en sécurité dans leur premier pays d'accueil ou qu'il n'existe aucune perspective de solution durable dans ce pays. Les quelque 6 000 places rendues disponibles en Europe à des fins de réinstallation représentent environ 7,5 % des places disponibles au niveau mondial.

L'accélération d'un programme de réinstallation à l'échelle de l'UE et l'élaboration d'un système d'admission plus efficace, notamment par la mise à disposition de places supplémentaires et par l'accélération des procédures de départ pour les personnes en attente de réinstallation aux frontières de la Tunisie et de l'Egypte avec la Libye, constitueraient une preuve bienvenue d'un engagement accru en matière de solidarité internationale.

A l'heure de la célébration du 60e anniversaire de la convention sur les réfugiés, reconnaissons combien elle reste essentielle pour les valeurs de l'Europe. Alors que de nouvelles crises surviennent sans que les anciennes aient été résolues, engageons-nous de même à faire plus pour protéger les personnes déplacées et persécutées. L'Europe a un rôle irremplaçable et toujours crucial à jouer. Soyons certains de ne pas manquer ce rendez-vous important.

Antonio Guterres, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés et Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée des affaires intérieures, dans la rubrique Idées du Monde

Retour du polyhandicapé expulsé de France : « L'Etat a menti »

Ardi Vrenezi, Kosovar de 16 ans, va bientôt revenir en France. Des dizaines de policiers étaient venus le chercher sur son lit d'hôpital le 3 mai 2010. Il avait été expulsé le lendemain avec sa famille pour séjour irrégulier.

Ardi est atteint d'encéphalopathie dégénérative, une maladie rare qui ne peut être guérie, mais une prise en charge médicale permet de limiter les atteintes physiques et mentales. C'est ce dont a bénéficié Ardi en France, pendant deux ans. D'abord à domicile, puis dans un établissement spécialisé de Moselle.

De mai à décembre, Ardi « a perdu 6 à 8 kg »

La loi est pourtant censée protéger les personnes malades atteintes de pathologies graves contre les expulsions et leur permet d'avoir un titre de séjour. Ce qui aurait dû être le cas d'Ardi rappelle Richard Moyon, de Réseau éducation sans frontières (RESF). (Voir la vidéo réalisée par le comité de soutien à Ardi sur Rue89)


Or, comme l'avait montré Rue89 en octobre 2010, le Kosovo ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour prendre en charge cette lourde maladie.

Isabelle Kieffer, la pédiatre qui suivait Ardi en France, s'est rendue sur place en décembre 2010. Cela a d'ailleurs fait l'objet d'un documentaire, « Immigration aux frontières du droit », réalisé par Manon Loizeau et diffusé le 1er juin 2011 sur Canal+.

Contactée par Rue89, Isabelle Kieffer explique que l'état de santé d'Ardi s'est dégradé :

« Il est en déficit alimentaire depuis plusieurs mois. Au Kosovo, j'ai constaté qu'au bout de six ou sept cuillerées, il ne pouvait plus avaler, car c'était trop fatigant pour lui. De mai à décembre, il a perdu 6 à 8 kg. Et il a sans doute encore perdu du poids.

Il fait également des crises d'épilepsie quasiment tous les jours et très soutenues alors qu'en France, il en faisait une ou deux par mois. C'est à cause de la rupture des médicaments. Ardi a dû être hospitalisé deux fois en urgence à Pristina. »

Au Kosovo, un accès aux médicaments compliqué

En juin 2010, la préfecture de Lorraine charge l'agence régionale de santé d'envoyer des médecins afin de vérifier l'évolution de la maladie d'Ardi. Coût de la journée au Kosovo : 1 264 euros. D'après L'Humanité, voici ce qu'il en ressort :

« Nous [les experts chargé du rapport, ndlr] avons constaté qu'il était possible de se procurer l'ensemble des molécules actives nécessaires au traitement d'Ardi Vrenezi. »

L'accès aux médicaments au Kosovo est pourtant bien plus compliqué qu'en France : certains sont difficiles à trouver et très chers. Et un autre, contre les crises d'épilepsie, n'existe pas sous forme buvable, seul moyen pour Ardi de l'ingérer. Le documentaire de Manon Loizeau montre que les médecins du Kosovo ont subi des pressions.

« L'Etat a dû recourir au mensonge »

Selon Isabelle Kieffer, les experts envoyés par l'agence régionale de santé n'ont pas examiné Ardi :

« Il y a de fausses citations dans le rapport. Il y est écrit qu'Handikos, l'ONG située dans le village d'Ardi, est suffisamment équipée pour accueillir dans de bonnes conditions le patient. Or, la responsable leur a affirmé tout le contraire. Et ils ont refusé d'aller voir Ardi à son domicile pour vérifier ses conditions de vie.

Je ressens beaucoup d'amertume. Ils nous [les médecins qui ont suivi Ardi en France, ndlr] citent comme étant d'accord, alors qu'ils ne nous ont pas demandé à un seul instant notre avis. C'est gravissime. »

Pour le docteur Kieffer, cette mission n'avait pour but que de légitimer l'expulsion d'Ardi en montrant qu'il pouvait se soigner de manière correcte au Kosovo. Si l'état d'Ardi s'est dégradé, c'est à cause de la prise en charge partielle de la maladie :

« Il a fallu attendre quatorze mois alors qu'on avait tous les éléments qui prouvaient qu'Ardi ne pouvait pas être soigné au Kosovo. C'est une honte pour le pays. Pour justifier une décision injustifiable, l'Etat a dû recourir au mensonge. »

Un visa de trois mois. Et après ?

Ardi et sa famille ont obtenu un visa de trois mois, d'après l'Association des paralysés de France (APF) et RESF. Dans un premier temps, les associations craignaient que seuls Ardi et ses parents aient droit à un visa. Contacté par Rue89, Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l'Intérieur, dément :

« Il n'a jamais été question de n'accorder un visa qu'à Ardi et ses parents. Sa sœur et son frère auront donc bien un visa. »

Par contre, le porte-parole n'a pas souhaité s'exprimer sur la durée de permis de séjour, ni sur la date de retour des Vrenezi. A son arrivée, qui devrait s'effectuer en avion sanitaire, Ardi sera hospitalisé afin de faire un bilan. L'institut d'éducation motrice de Freyming-Merlebach (Moselle) est disposé à l'accueillir à nouveau. Depuis son expulsion, une place lui était réservé jusqu'en août 2012.

Pour qu'Ardi puisse finir sa vie dans de bonnes conditions, les associations vont maintenant se mobiliser pour que la famille Vrenezi obtienne un titre de séjour.

mardi 26 juillet 2011

L’UDC lance son initiative «contre l’immigration de masse»

Avec l’UDC, les silhouettes menaçantes sont de retour. «Stopper l’immigration massive!» proclame un slogan au bas de l’affiche, alors que des jambes sombres prises en contre-plongée foulent le drapeau suisse. Pour lancer son initiative «contre l’immigration de masse», l’UDC a repris le même graphisme, percutant et destiné à provoquer l’inquiétude, de ses précédentes campagnes. Mais, trois jours après la tuerie d’Oslo, le président Toni Brunner ne voit dans l’initiative aucun risque de provoquer une paranoïa anti-étrangers. «Nous ne faisons qu’aborder des problèmes que les autres partis ne veulent pas voir!» affirme-t-il.

Après les mises en garde des milieux économiques – economiesuisse et l’Union suisse des arts et métiers – contre la menace d’une dénonciation des accords bilatéraux par Bruxelles, la polémique n’a pas tardé. «L’initiative de l’UDC ne vise qu’à attiser la xénophobie», dénoncent ainsi les Verts, alors que le PLR s’en prend à «l’attaque frontale du parti isolationniste contre la prospérité et la stabilité de la Suisse».

Annoncée depuis plusieurs semaines, l’initiative qui vise à limiter l’afflux d’immigrants est publiée ce mardi dans la Feuille fédérale. L’UDC a désormais dix-huit mois, jusqu’en janvier 2013, pour récolter les 100 000 signatures nécessaires. Le parti de Christoph Blocher veut en revenir au système des contingents, en privilégiant les besoins de l’économie. «Le but est de redonner à la Suisse les moyens de gérer de manière autonome l’immigration, alors que le nombre d’immigrants venus en Suisse ces quatre dernières années, notamment par le biais de la libre circulation avec l’UE, dépasse 330 000 et crée des situations tendues», selon le président de l’UDC suisse, Toni Brunner.

Le texte prévoit à l’article 121a que «la Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers». Le cœur de l’initiative, au deuxième alinéa, précise que «le nombre des autorisations délivrées pour le séjour des étrangers en Suisse est limité par des plafonds et des contingents annuels. Les plafonds valent pour toutes les autorisations délivrées en vertu du droit d’asile, domaine de l’asile inclus», mais également pour les frontaliers.

L’article prévoit également que «le droit au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales peut être limité». Les contingents devront être fixés «en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse. Les critères déterminants sont en particulier la demande d’un employeur, la capacité d’intégration et une source autonome et suffisante de revenus.» Aujourd’hui déjà, dans le cadre de l’accord de libre circulation passé avec l’UE, les autorisations de séjour ne sont délivrées que sur la base d’un contrat de travail ou la preuve d’une autonomie financière.

Enfin, dans les dispositions transitoires, l’initiative vise directement l’accord avec l’UE sur la libre circulation des personnes, entré en vigueur en 2008. «Les traités internationaux contraires à l’article 121a doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans.» C’est la clause qui provoque le plus vif rejet de la part des milieux économiques. Dans une interview à la presse dominicale, Hans-Ulrich Bigler, directeur de l’USAM, réaffirme que l’organisation faîtière des PME est clairement du côté des accords bilatéraux et de la libre circulation, «car elle crée les bases d’un marché du travail flexible. C’est un moteur de croissance en Suisse. Pour nous la libre circulation des personnes n’est pas négociable.»

Au risque de passer pour un apôtre de la décroissance et de ternir l’image de l’UDC comme parti de l’économie, le conseiller national vaudois Guy Parmelin estime que «l’immigration débridée se traduit par une augmentation considérable de la consommation de surfaces et d’espaces habitables». Dans l’Arc lémanique ou à Zurich, dénonce-t-il, «les familles originaires de ces régions sont contraintes de déménager; il en résulte une augmentation du trafic pendulaire». Certes, admet-il, il y a des effets positifs, comme la bonne tenue de l’économie et les rentrées financières pour les assurances sociales. Mais le côté négatif l’emporte, «car un jour il faudra bien payer les rentes des cotisants étrangers d’aujourd’hui».

L’UDC, qui mise sur cette initiative pour remettre les questions d’immigration au cœur de la campagne électorale, jusqu’ici dominée par la sortie du nucléaire, devra faire face à la concurrence de deux autres textes, celui d’EcoPop qui veut limiter la hausse de la population à 2% par an, et l’autre des Démocrates suisse qui veulent rééquilibrer le solde migratoire.

Yves Petignat dans le Temps

L'UDC lance son initiative «contre l’immigration de masse»

L'UDC a débuté lundi sa récolte de signatures pour son initiative "contre l'immigration de masse". Une affiche montrant des jambes noires foulant le drapeau suisse l'accompagne.

L’UDC va commencer à récolter les signatures pour son initiative «contre l’immigration de masse». Texte final, affiche, comité, argumentaire: tout est prêt et a été présenté lundi à la presse. En jeu: la réintroduction de contingents et la renégociation de l’accord de libre circulation.
Le texte, qui reprend les grandes lignes dévoilées en mai, sera publié mardi dans la «Feuille fédérale», de même que le délai de 18 mois accordé pour le récolte des 100’000 signatures nécessaires, a précisé le président du parti Toni Brunner. Comme support de campagne, l’UDC s’est dotée d’un visuel dans la lignée de ceux utilisés jusqu’ici.
On y voit des jambes noires fouler un sol rouge marqué d’une croix suisse. Interrogé trois jours après la tuerie en Norvège sur l’impact de telles affiches, Toni Brunner a esquivé la question. C’est le devoir de la politique de trouver des solutions à des problèmes qui existent et que les autres partis négligent, a-t-il déclaré.

Contingents et plafonds
L’initiative tient à préciser dans la constitution que la Suisse gère de manière autonome l’immigration.
Le nombre d’autorisations de séjour devrait être limité par des plafonds et des contingents annuels, qui vaudront aussi pour l’asile et les frontaliers. Comme en mai, l’UDC n’avance pas de chiffres concrets.
Pour les étrangers exerçant une activité lucrative, les quotas devront être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse. Les citoyens helvétiques devront avoir la priorité sur le marché de l’emploi.
L’initiative dresse en outre une liste non exhaustive des critères à remplir pour recevoir une autorisation de séjour: une demande émanant d’un employeur, une source de revenus suffisante et autonome, ainsi qu’une capacité d’intégration. Le texte ne précise pas comment satisfaire à cette dernière exigence. Mais l’UDC a répété son intérêt pour un système à points comme celui pratiqué par le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Le parti souhaite aussi que le droit au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales puisse être limité. Toni Brunner a donné l’exemple de délais de cotisations minimaux pour bénéficier d’une aide.

 Trois ans pour renégocier
L’initiative précise qu’aucun traité international dérogeant à ces règles ne pourra être conclu. Quant à ceux déjà passés et qui ne seraient plus compatibles - notamment l’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes, ils devraient être renégociés dans un délai de trois ans.
Se défendant de s’en prendre sans nuances aux étrangers qui se tournent vers la Suisse, l’UDC affirme vouloir corriger les «abus» découlant de la libre circulation. «En cinq ans seulement, à cause de l’immigration, la population a crû de 380’000 personnes. Et on n’est pas près d’en voir le bout», a lancé Toni Brunner.
Et les orateurs de détailler les conséquences néfastes d’une arrivée massive d’étrangers sur l’économie, les loyers, les prix des terrains, les infrastructures, les écoles, le chômage, la consommation énergétique, le système de santé, les assurances sociales, la criminalité, ainsi que sur les valeurs et la culture suisses.

Plusieurs initiatives
Il y a quatre ans, l’UDC avait dopé sa campagne pour les élections fédérales avec l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers. Elle ne sera toutefois pas seule cette fois à thématiser l’immigration.
L’association Ecologie et Population (Ecopop) a lancé une initiative pour limiter la hausse de la population résidente permanente due aux migrations à 0,2% par an. Le texte exige parallèlement qu’au moins 10% des moyens de la coopération suisse au développement soient affectés à la planification familiale volontaire.
Les Démocrates suisses ont aussi annoncé le lancement d’une initiative réclamant que la Confédération s’efforce à équilibrer le solde migratoire, sans donner toutefois d’exigence chiffrée.

Le Matin

Cocotte-minute populiste

Des jambes noires foulent un sol rouge marqué d’une croix suisse. L’affiche de l’UDC «contre l’immigration de masse», du titre de l’initiative qu’elle a lancée hier, est dans la droite ligne du langage visuel auquel le premier parti de Suisse a jusque-là recouru. Stigmatisant, il joue sur le registre de la peur en traduisant le fonds de commerce anti-étrangers qui a fait son succès. Trois jours après l’attentat et la fusillade terroristes en Norvège, la question de l’impact de telles images, mais surtout du discours de haine qu’elles véhiculent, est d’une sinistre actualité.

Contrairement aux explications qui ont circulé dans un premier temps, le drame qui secoue le royaume nordique n’est pas le fait d’islamistes barbus, mais d’un chrétien blond aux yeux bleus en croisade contre l’islam, l’immigration et le marxisme – il affirme en tout cas avoir agi seul. Certes, la menace djihadiste est objectivement la plus importante depuis le 11-Septembre, mais l’Europe a du coup négligé le risque venant des milieux de l’extrême droite. Avec la tragédie vécue par la Norvège, le Vieux-Continent se réveille brutalement d’une léthargie coupable.
Car si Anders Breivik semble avoir choisi tout seul d’abattre froidement ses innocentes cibles, la pieuvre populiste et nationaliste qui étouffe l’Europe lui a largement fourni le fusil idéologique. En Norvège, le Parti du Progrès, nationaliste et xénophobe, a recueilli plus de 22% des suffrages aux élections législatives de 2009 et sa leader, Siv Jensen, a fait de l’islamophobie la matrice de son discours politique, a rappelé en France le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples. «Ceci ne pouvait rester sans conséquences», a-t-il ajouté, se faisant immédiatement accuser de récupérer cette douloureuse actualité par Marine Le Pen, présidente du Front national. Celle-ci, à l’instar des leaders xénophobes européens, a fermement pris ses distances avec la tuerie attribuée à un déséquilibré isolé.

Le lien factuel n’existe peut-être pas. Mais, outre le basculement dans la violence et le terrorisme, pas grand-chose ne différencie le fond idéologique du tueur d’un Geert Wilders, chef de file de l’extrême droite néerlandaise qu’Oskar Freysinger voulait inviter chez lui. En boutant le feu xénophobe, on ne sait jamais jusqu’où il va se propager.
Les formations nationaliste populistes ne sont pas seules en cause, puisqu’elles ont aspiré dans leur sillage bien des partis «traditionnels». La responsabilité de ces derniers est encore plus engagée, car au lieu de combattre l’idéologie de la haine, nombreux l’ont encouragée. Un exemple parmi tant d’autres? La Franco-Norvégienne Eva Joly, d’Europe-Ecologie, a été l’objet d’un racisme d’Etat pestilentiel lorsque le premier ministre français François Fillon (UMP) a considéré sa remise en cause du défilé militaire du 14 juillet illégitime en raison de son origine.
En Suisse aussi, la propagande xénophobe sape dangereusement la cohésion sociale, en transformant la démocratie en poubelle à émotions. Ou plutôt en une cocotte-minute prête à exploser.

Rachad Armanios dans le Courrier

Lausanne détruit les abris des Roms à la pelleteuse

roms lausanne campDepuis quelques nuits, des mendiants dormaient dans des cabanons abandonnés à Vidy.

Hier vers 11 heures, le directeur de la police lausannoise, Marc Vuilleumier, s’est rendu avec quelques policiers et une pelleteuse au lieu dit les Prés-de-Vidy, des jardins familiaux récemment abandonnés, coincés entre l’autoroute et le cimetière du Bois-de-Vaux.

C’est sur ce lieu bucolique que devra s’élever le futur stade prévu à deux pas de la Bourdonnette. La machine de chantier a épargné les cabanons de la partie nord du site qu’occupe le collectif de jeunes cultivateurs alternatifs La Bourdache, avec qui la Municipalité termine des négociations (lire ci-contre) . En revanche, l’engin mécanique a jeté à bas environ huit cabanes qu’une dizaine de mendiants roms occupaient depuis quelques nuits. «La Municipalité n’interdit pas la mendicité, mais a décidé de ne pas laisser des camps de Roms s’installer de manière permanente», explique le municipal popiste.

Certains d’entre eux étaient présents: la police les a fait sortir de leurs abris avant la destruction. Et avec les membres du collectif La Bourdache, ils ont réussi à sauver une partie des meubles. Il n’en reste pas moins qu’au milieu des fleurs et des herbes folles, les bâtiments jetés à terre laissent entrevoir des grossiers matelas éventrés, une paire de chaussures, des sièges de voiture ou des livres religieux.

Marc Vuilleumier ne cache pas un certain désarroi: «La situation ne me laisse pas insensible, mais nous avions décidé de détruire les cabanons, dont certains contiennent de l’amiante, pour laisser les archéologues faire des sondages avant la construction du stade.»

De «bons voisins»

Une attitude qui s’explique peut-être par l’initiative des libéraux-radicaux d’interdire «la mendicité par métier». Mais elle désole le collectif La Bourdache: «Les Roms se sont comportés en bons voisins, ne nous causant pas le moindre souci.» Elle désole encore plus le collectif Opre Rrom qui défend le sort de ces mendiants venus de Roumanie. Véra Tchérémissinoff, coordinatrice du groupe, constate avec amertume: «Si la mendicité est autorisée, il faut bien que les mendiants dorment quelque part. Ils ont essayé dans leur voiture et dans les parcs, la police les a chassés. Les campings les refusent.»

La police lausannoise a été prévenue dimanche 17 juillet par des voisins. Jeudi dernier, la pelleteuse est venue une première fois, mais Opre Rrom a pu arrêter les travaux et a écrit à la Municipalité. Marc Vuilleumier promet d’ouvrir des discussions. La pelleteuse a fourni hier un début de réponse: pas question de campement sauvage.

Justin Favrod dans 24 Heures

L’Australie exportera ses clandestins en Malaisie

Le gouvernement australien troquera 800 illégaux contre 4000 réfugiés. Un plan très controversé.

kuala lumpur manifestation

Après des semaines de polémiques, l’accord a été signé hier à Kuala Lumpur. L’Australie va échanger 800 migrants arrivés clandestinement sur son territoire contre 4000 personnes enregistrées comme réfugiés en Malaisie, selon un programme inédit qui sera étalé sur quatre ans. Il y a un mois, au parlement australien, les Verts et la droite, dans une alliance inhabituelle, avaient pourtant demandé l’abandon de ce projet gouvernemental. Les Verts trouvaient la solution inhumaine, la droite préférait placer ces indésirables sur des îles du Pacifique.

Pour le premier ministre (travailliste) Julia Gillard, ce plan est toutefois le seul possible pour dissuader le trafic de clandestins qui s’organise depuis les côtes indonésiennes, au gré de traversées périlleuses, parfois mortelles. En 2010, près de 7000 migrants clandestins (Irakiens, Iraniens, Vietnamiens, Sri Lankais, Afghans) ont ainsi débarqué en Australie. Nombre d’entre eux sont détenus sur Christmas Island, à 2400 km du continent, dans des conditions difficiles. Le traitement de leurs dossiers peut prendre jusqu’à 18 mois. Des émeutes y ont encore éclaté il y a quelques jours.

Mauvais traitements

Si les transférés de Malaisie se verront offrir une solution durable en Australie, pas sûr en revanche que les migrants illégaux échoués en Australie et qui seront expédiés en Malaisie y trouveront un meilleur clandestin malaisie bastonnadesort. Choquées par cet accord, les organisations humanitaires dénoncent les conditions dans lesquelles la Malaisie, qui n’a pas signé la convention des Nations Unies sur les réfugiés, gère leur accueil depuis des années. Une avocate de l’organisation malaisienne Aliran souligne que bien souvent la police de son pays ne reconnaît pas les cartes de légitimation que reçoivent les demandeurs d’asile, ne faisant que la distinction entre migrants avec ou sans papiers. Fréquemment arrêtés, ils sont soumis à des mauvais traitements. Entre 2002 et 2008, 35 000 cas de bastonnade ont été rapportés sur des migrants sans documents, selon un rapport d’Amnesty International publié en 2010. Au sujet du troc, l’organisation a d’ailleurs réagi, parlant de «risque de détention inhumaine, voire de torture». Des organismes chrétiens australiens ont aussi mentionné que des enfants de migrants pouvaient être détenus en Malaisie pendant plus de quatre ou cinq ans, sans scolarisation.

Pour donner du crédit au plan, le ministre australien de l’Immigration, Chris Bowen, a souligné ces derniers jours que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) avait été «impliqué dans le projet». Hier à Genève, le HCR, prenant acte de l’accord, a précisé qu’il avait été consulté mais «n’était pas signataire de l’arrangement». Il note toutefois que les deux pays se sont engagés à respecter tous les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés, dont le principe de non-refoulement et un accueil dans des conditions humaines, ce que l’agence ne manquera pas de contrôler.

Cathy Macherel dans 24 Heures

L’UDC pour le retour des contingents migratoires

La libre circulation est visée par l’initiative «Contre l’immigration de masse». Au grand dam de l’économie.

udc stop migration masseEn 2007, l’Union démocratique du centre (UDC) avait misé avec succès sur ses moutons noirs pour remporter les élections. Cette fois elle espère que ce seront les bottes noires de l’envahisseur étranger, foulant la bannière suisse, qui serviront de dopant électoral. Le plus grand parti du pays a lancé hier la récolte de signatures pour son initiative «Contre l’immigration de masse». Il a 18 mois pour récolter 100 000 signatures. L’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne (UE) devrait être renégocié en cas de oui.

«La Suisse gère de manière autonome l’immigration des étrangers.» Telle est la disposition centrale du texte. Selon l’UDC la maison brûle. Guy Parmelin (VD), conseiller national: «Les 330 000 résidants supplémentaires sur les quatre dernières années constituent une immigration débridée faisant pression sur les infrastructures, les besoins en sol, la consommation d’énergie ou encore les logements.»

Instruments essentiels: l’introduction de «plafonds et de contingents annuels». Seraient concernées non seulement les personnes relevant de la législation sur les étrangers, mais également du domaine de l’asile et les frontaliers. Selon quels critères? «Les intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale.»

Pour concrétiser ces exigences, les traités internationaux «contraires» devraient être «renégociés et adaptés» trois ans après l’approbation de l’initiative par le peuple et les cantons. Dont celui sur la libre circulation des personnes avec l’UE. «On a l’impression que dans ce pays on signe des accords pour l’éternité», a ironisé Guy Parmelin, pour qui une nouvelle négociation est une question de volonté politique.

«Cette initiative doit être clairement rejetée, contre-attaque Delphine Jaccard, responsable de projets chez EconomieSuisse. Elle menace la voie bilatérale et réduirait inutilement la flexibilité du marché du travail. Ces derniers mois il est question surtout, pour ne pas dire exclusivement, des effets négatifs de la libre circulation des personnes, tandis que ses avantages sont totalement occultés.» Et de citer les nouveaux immigrés comme d’importants contributeurs nets au 1er pilier, en plus de permettre de combler «sur le marché du travail suisse les lacunes qui l’empêchent de croître. Il manquera ainsi 32 000 spécialistes des technologies de l’information et de la communication à l’horizon 2017.»

Ne pas fermer les yeux

Pour Delphine Jaccard, pas question toutefois de fermer les yeux: «Nous ne sous-estimons nullement les conséquences sur le marché de l’immobilier ni les contraintes imposées aux infrastructures ou au corps social. En pratiquant une politique adéquate, ces effets peuvent être atténués de telle sorte que le bilan général demeure clairement positif. Beaucoup des problèmes actuels sont à mettre sur le compte de la politique migratoire déficiente des années 80 et 90. La réintroduction des contingents serait un très mauvais choix politique!»

Pour le Parti libéral-radical, l’UDC commet une «attaque frontale contre la prospérité et la stabilité de la Suisse», ajoutant que «la droite isolationniste renonce définitivement à une politique économique bourgeoise. Les Verts parlent d’une initiative qui ne fait qu’attiser la xénophobie», oubliant qu’il faut avant tout «limiter le gaspillage de ressources».

Romain Clivaz, Berne, pour 24 Heures