Le débat autour des clandestins jette une lumière crue sur les pratiques en matière de régularisation. Berne admet les cas de rigueur, mais au compte-gouttes et parfois jusqu’à l’absurde. Exemple avec une famille de trois générations. Un article de Caroline Zuercher dans 24 Heures.
«Liliana est à Genève depuis des années, sa maman et son frère sont Suisses, elle parle le français et a toujours été appréciée de ses employeurs. Si les autorités ne considèrent pas qu’il s’agit d’un cas de rigueur, alors que faut-il faire pour obtenir un permis?! s’exclame Thierry Horner, secrétaire syndical au SIT. Nous avons plusieurs cas comme le sien, dans lesquels nous ne comprenons pas le refus des autorités. C’est comme si l’ODM n’appliquait pas les principes qu’il a lui-même édictés.»
L’histoire de la famille bolivienne que défend Thierry Horner est exemplaire. Nazarena* a 46 ans, sa fille, Liliana*, 28 ans, et son petit-fils, Cristiano*, 12. Tous trois ont quitté la Bolivie pour rejoindre illégalement la Suisse. Mais leurs existences ont pris des trajectoires différentes. Et parfois tortueuses. Devenue Suissesse par mariage, Nazarena vit en toute légalité à Genève avec son époux et leur fils de 12 ans. Sa fille, elle, n’a pas eu la même chance: sa demande de régularisation a été définitivement refusée. Cette mère célibataire sera donc expulsée, tout comme Cristiano et son deuxième fils, âgé de 25 mois.
Nazarena arrive à Genève en 1996. «Je m’occupais d’enfants dans une famille sympa. Les choses me paraissaient moins injustes qu’aujourd’hui…» Elle rencontre un Suisse et l’épouse en octobre 1997. Outre-Atlantique, Liliana vit chez une tante avant de rejoindre sa maman. Elle est mineure et Nazarena dépose une demande de regroupement familial. Mais l’Office cantonal de la population (OCP), à Genève, annonce son refus quelques jours après les 18 ans de sa fille.
En 2002, Cristiano arrive à son tour et vit dans l’illégalité avec sa maman. Le garçon commence l’école, Liliana travaille et, en décembre 2005, l’OCP se dit favorable à l’octroi d’une autorisation de séjour exceptionnelle, pour cas de rigueur. Mais l’Office fédéral des migrations (ODM), auquel le dossier est transmis, oppose son veto. Son argument principal: grâce à l’aide de Nazarena, un retour en Bolivie ne représente pas un obstacle insurmontable.
«Mes amis sont ici»
Liliana tombe à nouveau enceinte. En octobre 2007, à son cinquième mois de grossesse, le père de ce deuxième enfant est expulsé. Sa compagne reste en Suisse et le couple perd contact. Entre demande de réexamen et recours, la saga judiciaire se poursuit jusqu’en mars dernier: le Tribunal administratif fédéral rejette alors un ultime recours, Liliana et ses fils devront quitter la Suisse. «Mon beau-père, mes anciens patrons, mes collègues de travail… Tout le monde est intervenu en ma faveur, soupire-t-elle. Ce que je vais faire? J’attends ma convocation et je dirai aux autorités que je refuse de partir!»
«Je n’ai plus d’attaches ni de maison en Bolivie, poursuit Liliana. Ma maman et mon petit frère sont mon unique famille. Mes grands-parents sont malades. Qui va garder mes enfants ou me donner à manger? Ici, je travaille et je réussis à les élever seule.» A ses côtés, Cristiano triture ses mains. De son statut, il a retenu un inconvénient: l’impossibilité de partir en vacances à l’étranger. «Je ne veux pas quitter la Suisse. J’ai mes amis ici.»
«Ma vie se casse»
Le garçon est en 6e année. Il joue au football – «et même bien», précise fièrement sa grand-maman. «A l’école, je suis dans la moyenne de la classe. J’aime les maths mais pas trop l’allemand…» Et quand on lui parle d’avenir, Cristiano annonce son intention de devenir avocat. La Bolivie? Il ne s’en souvient pas. «On m’a dit que c’était plus violent qu’ici. Et puis j’aurais la honte à l’école: je ne sais pas assez l’espagnol, je ne peux même pas l’écrire!»
Nazarena, elle, se sent impuissante. «Avec cette histoire, tout se casse dans ma vie… Je ne me vois pas vivre ailleurs: ici, les gens sont honnêtes. Je demande aux Suisses de ne pas m’enlever le droit d’être avec ma fille et de profiter de mes petits-enfants.» Ses yeux se remplissent de larmes lorsqu’elle explique être venue à Genève pour assurer un meilleur avenir à Liliana… «Aujourd’hui, tout ce que je peux faire, c’est me porter garante pour son appartemen t .»
* Prénoms fictifs