dimanche 7 mars 2010

“Engager des apprentis sans-papiers, c’est le germe de la xénophobie. Que diront les autres jeunes ?”

Seul élu de droite à l'exécutif de la Ville de Genève et président de la Commission fédérale pour la jeunesse, le libéral-radical refuse que l'on offre des places d'apprentissage à des clandestins. Propos recueillis par Titus Plattner dans le Matin Dimanche.

Pour Pierre Maudet, la Ville de Lausanne est sur le point de remplacer une hypocrisie par une autre.

Image © Valdemar Verissimo

Pierre Maudet, Lausanne a décidé d'engager des apprentis sans-papiers. Et au Conseil national, des élus de droite ont voté pour une telle ouverture. Vous, vous êtes contre: pourquoi?
Je dirais que vouloir engager des apprentis sans papiers est une démarche généreuse et pleine de bons sentiments. Dans le cas précis, il s'agit d'un coup d'esbroufe politique.

Comment ça?
Le problème des sans-papiers est bien réel, mais ce n'est pas un problème d'apprentissage. Les effets de cette initiative seront nuls: une fois leur apprentissage terminé, ces jeunes sans-papiers n'auront pas de travail. On leur crée de faux espoirs; on remplace simplement une hypocrisie par une autre et on reporte le problème.

Les jeunes sans-papiers ont droit à une scolarité obligatoire. Alors pourquoi pas à une formation professionnelle?
La Convention des droits de l'enfant, que la Suisse a signée et que je soutiens pleinement, prévoit qu'un jeune a droit à l'éducation. Seulement, cela n'engendre pas le droit d'exercer un métier. L'accepter pour les sans-papiers serait un message pernicieux qui va à l'encontre des démarches entreprises ces dernières années pour lutter contre le travail au noir. Imaginez un peu: la Municipalité de Lausanne a des inspecteurs du travail notamment chargés de lutter contre le travail au noir. Ces derniers seraient-ils censés fermer les yeux sur ce qui se passe dans leurs propres bureaux?

Reste que l'apprentissage peut être considéré avant tout comme une formation.

C'est une formation duale, avec des cours et du travail en entreprise. Selon la loi, ces jeunes travaillent. Au niveau fédéral, cette filière dépend d'ailleurs du Département de l'économie de Madame Leuthard. Quand certaines Municipalités annoncent qu'elles prendront des clandestins comme apprentis, elles plantent les germes de la xénophobie.

De la xénophobie?
Oui. Car en annonçant cela, elles s'engagent à recruter spécifiquement au moins tant de sans-papiers sur la prochaine volée d'apprentis. Cette priorité à l'engagement est une forme de discrimination positive. Que diront les autres jeunes, suisses ou étrangers, qui sont légalement en Suisse, mais qui n'ont pas trouvé d'apprentissage? C'est un boulevard pour les populistes qui demanderont de renoncer à toute formation des sans-papiers, même à la formation obligatoire des mineurs.

Donner un métier à ces jeunes, c'est aussi faciliter leur retour dans leur pays d'origine.
Ces jeunes doivent pouvoir se construire un avenir ici ou ailleurs. C'est pour cela que je soutiens les solutions au cas par cas, comme le préconise d'ailleurs la Confédération. A moins d'être pour une libre circulation totale des travailleurs au niveau planétaire, le cas par cas reste la seule solution. Les régularisations en masse de certains pays n'ont fait qu'attirer de nouveaux clandestins. Il est d'ailleurs assez piquant de relever le silence des syndicats sur le débat actuel.

Votre collègue de l'exécutif de la Ville de Genève, la socialiste Sandrine Salerno, elle, s'est exprimée en faveur des apprentis sans papiers.
Je respecte la position personnelle de Madame Salerno. Cela dit, je pense que sa position n'est pas responsable. Cette discussion n'est pas agendée pour le moment, mais je me réjouis que le Conseil administratif de la Ville de Genève puisse en débattre. Le Conseil d'Etat genevois, par la voix du socialiste Charles Beer, lui, a été clair: il n'y a pas de place pour des solutions extralégales.

Le débat sur les sans-papiers sera rugueux

Dans la guerre que mènent un certain nombre de partis pour la légalisation de ce qu'on appelle les «sans-papiers», l'opération de guérilla de la Ville de Lausanne aura connu, ces dernières semaines, un succès certain. Editorial de Michel Danthe, rédacteur en chef du Matin Dimanche.

Bien décidée à violer la loi en engageant comme apprentis des jeunes en situation irrégulière, la Ville de Lausanne joue sciemment la provocation. Et déclenche un débat aujourd'hui d'ampleur nationale.

Le thème est émotionnel. La démarche a pour soi d'être généreuse. De faire vibrer toute la gamme des ressorts humanistes qui animent quiconque a devant lui, concrètement, le cas d'un jeune en situation irrégulière à qui la loi refuse, aujourd'hui, d'entrer en apprentissage.

Face à cet océan de sentiments, des voix plus nuancées se font pourtant entendre. Elles pointent la complexité que cette dynamique d'ouverture implique.

A la Tribune de Genève, le conseiller d'Etat socialiste Charles Beer déclare: «Nous sommes d'accord sur le principe de l'engagement de sans-papiers pour un apprentissage, mais les modalités restent à définir. Ce que nous n'allons pas cautionner, ce serait de délivrer des autorisations qui ne seraient pas légales. Mais tout ce qui pourra être assoupli le sera.»

Voilà ce qui s'appelle marcher sur des oeufs, contrairement à sa collègue de parti Sandrine Salerno, qui fonce dans les traces de la Ville de Lausanne.

Au-delà, encore, de cette préoccupation légale, d'autres magistrats, comme le radical Pierre Maudet, voient pointer les effets pervers d'une telle guérilla: sur un marché de l'apprentissage souvent tendu, comment réagiront les jeunes Suisses et les jeunes étrangers légalement établis, à qui l'on préférerait, par discrimination positive, des sans-papiers?

Eh oui: la situation est complexe. Et l'on n'évitera pas un débat qui s'annonce complexe et rugueux.

Les Roms: une liberté chèrement payée

Les populations nomades tsiganes sont confrontées à des discriminations persistantes et subissent une profonde exclusion sociale. Des initiatives citoyennes et des actions de sensibilisation permettent, dans certains cas, de contrecarrer les atteintes à leurs droits.

Il faut voir le magnifique film “Liberté” de Tony Gatlif. Il relate la persécution des Tsiganes pendant la seconde guerre mondiale. Une zone d’ombre que le cinéaste a superbement mis en lumière dans l’histoire de Taloche, un tsigane interné dans le camp de Montreuil-Bellay, sous Vichy, histoire inspirée du livre de Jacques Sigot "Ces barbelés oubliés par l’Histoire" (éditions Wallâda).

On ne l’évoque pas souvent mais sur les deux millions de Tsiganes vivant en Europe, entre 250.000 et 500.000 furent déportés dans les camps de concentration. Quelques milliers de tsiganes ont été enfermés dans des camps en France pendant la guerre. Depuis les élargissements de 2004 et 2007, les Roms constituent aujourd’hui l’une des plus grandes minorités ethniques de l’UE.

Lire la suite de cet article de D. Sabo sur le site place publique

Pierre Maudet s’oppose à l’engagement d’apprentis sans-papiers

Selon le conseiller administratif de la Ville de Genève, suivre l'exemple lausannois comme le préconisait sa collègue Sandrine Salerno ne ferait que reporter le problème.

Pierre Maudet apprentis sans-papiers

Seul élu de droite de l’Exécutif de la Ville de Genève, Pierre Maudet s’oppose à l’engagement d’apprentis sans-papiers. Sa collègue socialiste Sandrine Salerno avait annoncé la semaine dernière que la commune entendait suivre l’exemple donné par Lausanne: quelques places d’apprentissage seront offertes à des jeunes clandestins dès la rentrée prochaine. Une démarche que le canton, qui doit donner son aval, juge illégale.

Pour Pierre Maudet, également président de la Commission fédérale pour la jeunesse, la démarche est «généreuse et pleine de bons sentiments». Mais «dans le cas précis, il s’agit d’un coup d’esbroufe politique», a-t-il déclaré au Matin Dimanche. Selon lui, la discussion n’est pas encore agendée au Conseil administratif.

«Une fois leur apprentissage terminé, ces jeunes sans-papiers n’auront pas de travail. On leur crée de faux espoirs» en reportant le problème, selon Pierre Maudet. De plus, cela va à l’encontre des démarches entreprises ces dernières années pour lutter contre le travail au noir. Le radical préfère miser sur des solutions de régularisation au cas par cas.

Une polémique nationale

La question de l’engagement d’apprentis sans-papiers a pris de l’ampleur ces dernières semaines après l’annonce faite par la Ville de Lausanne de vouloir former au sein de son administration des apprentis sans statut légal. Mais le Conseil d’Etat vaudois a jugé la démarche contraire au droit fédéral et a brandi la menace de sanctions. Des formations en école, pour lesquelles un permis de travail n’est pas nécessaire, sont en revanche possibles.

Une évolution de la législation fédérale n’est toutefois pas impossible. Le Conseil national a en effet approuvé mercredi dernier deux motions visant à autoriser les enfants clandestins qui ont suivi leur scolarité en Suisse à entamer un apprentissage.

ATS