Simonetta Sommaruga projette de condenser les procédures d’asile. La juriste Marie-Claire Kunz craint surtout un durcissement.
Juriste au Centre social protestant de Genève, Marie-Claire Kunz juge sévèrement l’accélération des procédures d’asile voulue par la conseillère d’Etat Simonetta Sommaruga et détaillée dans un rapport.
Les requérants y gagneront-ils avec ces nouvelles procédures?
Marie-Claire Kunz: Sur le principe, une accélération sert leurs intérêts. Mais seulement si elle respecte leurs droits et garantit une véritable protection. Or elle semble justifier de nouvelles restrictions.
Mais Mme Sommaruga promet une protection juridique complète, gratuite et professionnelle dans les futurs centres fédéraux.
Je doute qu’elle suffise à pallier les nouveaux problèmes. Le premier porte sur l’indépendance de ces juristes. Ils dépendront du Département fédéral de justice et de police (DFJP) – voire du Département de l’intérieur – et seront désignés par ce département. On ne sait ni sur quelle base ni avec quel mandat exact.
Quels autres problèmes?
Si l’accélération des procédures péjore l’instruction des dossiers, les recours se multiplieront, peut-être même devant la Cour européenne des droits de l’homme. Or, même s’il bénéficie tout de suite d’un avocat, un requérant peine à faire valoir tous ses motifs dans un délai très court. Ces gens, souvent traumatisés, peinent à raconter certains événements. Le contexte de cloisonnement des centres de procédures n’aidera pas à instaurer la confiance.
Les délais de recours seront plus courts...
En procédure ordinaire, ils seraient de sept jours (vingt dans une phase transitoire, ndlr), contre trente actuellement. Pour les 20% en procédure élargie, le délai serait de quinze jours. Pourtant, dans un domaine aussi sensible – des gens en danger de mort chez eux –, il faut du temps pour réunir des preuves, des documents ou demander des expertises médicales. De plus, retirer l’effet suspensif est grave, car cela suppose qu’on peut renvoyer quelqu’un en danger chez lui.
Les délais contraignants imposés au Tribunal administratif fédéral (TAF) et à l’Office des migrations (ODM) pour statuer sur un recours sont-ils une bonne solution?
On sent une attaque de l’ODM, la première instance, contre la deuxième instance qu’est le TAF. Car depuis un certain temps, celui-ci casse davantage les décisions de l’ODM, en particulier parce qu’il ne respecte pas sa jurisprudence. Dans le projet de révision, si le tribunal dépasse les délais, il ne pourra plus renvoyer la cause à l’ODM. Cela ressemble à la réponse du berger à la bergère. Mais le risque, c’est d’engorger le tribunal ou qu’il casse plus rapidement les décisions de l’ODM pour éviter à devoir trancher les recours sur le fond et obliger l’ODM à reprendre l’instruction de la demande. Cela rallongera les procédures et on n’aura rien gagné.
Justement, le rapport juge problématique que les avocats «s’emploient à épuiser les nombreuses possibilités
de recours afin de prolonger autant que possible le séjour du requérant»...
Le rôle d’un avocat est d’utiliser les lois! Et il y a très rarement des sanctions pour demandes abusives. Les services comme les nôtres sont submergés, on ne recourt pas pour le plaisir. Surtout, les avocats gagnent régulièrement! Le problème de ce rapport, c’est qu’il ne prend pas en compte ce que l’ODM pourrait lui-même améliorer pour éviter d’aboutir à la multiplication des procédures.
Attacher des médecins aux centres fédéraux, est-ce une bonne mesure?
On peut se demander si leur travail sera réellement indépendant. Il faudra faire appel à des contre-expertises... En outre, beaucoup d’admissions provisoires sont prononcées pour des pathologies, surtout psychiques, identifiées après coup. Or le projet s’attaque à cela. En estimant que la pratique du TAF est trop large en la matière. Et en restreignant la possibilité de réexamen médical si le requérant n’a pas utilisé l’opportunité de l’examen initial.
Que pensez-vous de centraliser les démarches dans des centres de procédures fédéraux?
Cela semble difficile, car les populations et les localités se braquent contre les centres regroupant beaucoup de requérants. Il est en outre critiquable de les retrancher de la société dans laquelle ils sont ensuite censés être accueillis.
Les cantons devront augmenter le nombre de centres de détention pour les requérants récalcitrants en attente de leur renvoi...
En Suisse romande, la détention administrative est marginale. En 2005, une étude comparative entre Genève et Zurich a montré qu’elle ne donne pas de meilleurs résultats. Le rapport le souligne: la difficulté ne vient pas des gens, mais des pays qui refusent de les reprendre.
A quoi bon raccourcir les procédures si on ne peut toujours pas renvoyer les requérants?
Exactement! La durée de mille quatre cents jours depuis le dépôt de la demande en Suisse comprend la longue période d’attente avant le renvoi. On pourra construire autant de centres de détention qu’on veut, on augmentera surtout la peur et par conséquent le nombre de requérants se réfugiant dans la clandestinité.
Berne cherche-t-il à reprendre la main sur les cantons «trop laxistes» en matière
de renvois?
On peut le penser puisque l’ODM pourra prononcer des détentions administratives en vue du renvoi. Il pourra aussi entreprendre sans le feu vert des cantons les démarches pour obtenir les documents de voyage auprès des ambassades, sans attendre qu’un recours soit tranché. Or, si des cantons se montrent prudents, c’est pour ne pas mettre le requérant en danger en signalant à son pays qu’il a demandé l’asile. I
Quadrupler les centres fédéraux
La cheffe du Département fédéral de justice et de police (DFJP), la socialiste Simonetta Sommaruga, veut, d’ici cinq à six ans, avoir drastiquement raccourci les procédures d’asile. Le projet de révision de la loi sur l’asile a été présenté dans un rapport du DFJP rédigé par l’Office des migrations (ODM) et soumis à un comité d’experts. Les délais sont actuellement de mille quatre cents jours en moyenne entre le dépôt de la demande d’asile et une autorisation de séjour, une admission provisoire ou le départ de Suisse. Dans 80% des cas (procédure ordinaire), la durée serait ramenée à cent vingt jours au plus.
Et ce notamment par la centralisation des démarches dans les centres de procédures fédéraux, qui devraient être quadruplés et dont le personnel serait augmenté. Une phase préparatoire de six jours à trois semaines précèdera la procédure d’asile. Celle-ci, de quelques jours, serait rythmée par des étapes (audition, examen, etc.) à respecter strictement. Les instances de recours – l’ODM puis le Tribunal administratif fédéral (TAF) – auront des délais accélérés et contraignants. Pour garantir le droit, une assistance juridique complète sera offerte.
Les cas plus complexes, 20%, seront traités en un an au plus (procédure élargie) et transférés dans les cantons, qui continueront d’exécuter les renvois. Les requérants qui ne satisfont pas à leur obligation de quitter le pays seront soumis à l’aide d’urgence.
L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) salue une protection plus rapide des réfugiés, qui évite en même temps de renvoyer des gens ayant eu le temps de s’intégrer. Le président des socialistes Christian Levrat a salué «des solutions pragmatiques qui respectent les droits des personnes».
Propos recueillis par Rachad Armanios dans le Courrier
Les Juristes démocrates de Suisse (JDS), en revanche, s’opposent au projet de loi. Le vœu d’une accélération des procédures, conforme aux principes de l’Etat de droit, n’est en soi pas criticable, ont écrit hier les JDS dans un communiqué. Mais à leurs yeux, le projet est dans la droite ligne du durcissement des mesures imposées aux requérants d’asile en 2009/2010. De plus, la légalité de nombreuses mesures est douteuse, dénoncent-ils.
La Commission des institutions politiques du Conseil des Etats a donné son feu vert à l’unanimité. La mise en place demandera beaucoup de préparation et une collaboration avec les cantons. Des mesures à court terme seront auparavant prises. Les parties initiales du projet de révision de la loi sur l’asile proposées avant l’arrivée de Mme Sommaruga aux affaires – pas d’asile pour les déserteurs, pas de demande d’asile dans les ambassades suisses à l’étranger, etc. – restent de mise.
Le Courrier