L'expulsion d'Abdirashid : un non-sens absolu
Mr Abdirashid Ali, 17 ans en 2009, est arrivé de Somalie, son pays d'origine, en 2008 par bateau sur les plages de l'île de Lampedusa (Italie), île mondialement connue pour accueillir les Africains … amateurs d'"Asylum shopping".
Après trois mois de promiscuité et d'hygiène déplorables dans un centre de transit, il en est " remercié " (!), avec le mot de passe : " L`Italie est grande, débrouillez-vous".
Autrement dit : " Dis-pa-rais-sez !!! ".
Après quelque temps à errer dans le pays, Abdirashid se présente en Suisse en janvier 2009.
Accueilli au Centre EVAM de Lausanne (Canton de Vaud), spécialisé dans l'accueil des mineurs étrangers non-accompagnés, il fréquente les classes OPTI de l'école publique vaudoise (perfectionnement, transition et insertion professionnelle).
Ses enseignants le disent excellent élève, sérieux, motivé.
Comme les Accords de Dublin, auxquels la Suisse a adhéré (bien que non-membre de l'UE), ne font pas de différence entre adultes et mineurs, Abdirashid risque l'expulsion vers le premier pays de "débarquement", l'Italie. Et donc le jeudi 12 novembre 2009, à 7 h du matin, la police cantonale vaudoise se présente à son domicile, l'emmène au Commissariat pour le conduire, menotté, en fourgon grillagé jusqu'à Berne, puis dans un train "adapté" pour Zurich, sans menottes, avec chocolat et biscuits.
A Zurich, douche et vêtements propres, puis re-menottes dans un fourgon blindé vers l'aéroport pour un avion vers l'Italie. A la descente d'avion, les policiers italiens embarquent l'adolescent pour prise d'empreintes digitales aux bureaux d'immigration, lui donnent un ticket de bus pour se rendre dans un centre, ainsi qu'un billet de train pour la Sicile (où il avait débarqué il y a désormais un an).
On voudrait l'inciter à la clandestinité qu'on ne ferait pas autrement.
Pas d'argent, rien à manger, l'adolescent traîne pendant une nuit dans la gare de Rome, puis dans les locaux de l'ancienne ambassade de Somalie, un journaliste italien rencontré le conduit vers un centre pour mineurs tenu par des Jésuites.
On en est là à ce jour (21.11.09).
Abdirashid Ali, 17 ans, mineur somalien non-accompagné,
expulsé de Suisse en 48 heures, sans avoir commis ni délit ni crime.
Source photo (Eric Vandeville)
D'où ces quelques questions, dont les réponses circonstanciées nous obligeraient :
Mesdames, Messieurs les Conseillers d'Etat
du Canton de Vaud,
force est restée à la loi… mais laquelle ?
et en quoi Abdirashid l'avait-il enfreinte ?
- la procédure de renvoi est réputée légale, tant au niveau fédéral que cantonal … à cette réserve près que la Convention relative aux Droits de l'enfant (ratifiée par la Suisse, et dont vous n'avez pas manqué de célébrer les 20 ans ce vendredi 20 novembre) dispose dans son Article 22, concernant les mineurs demandeurs d'asile : " Lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut être retrouvé, l'enfant se voit accorder, selon les principes énoncés dans la présente Convention, la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit."
- Le Comité des Droits de l'enfant (en charge du suivi de l'application de la Convention par les Etats) exige, dans son Commentaire No 6 : " Le but ultime de la prise en charge d'un enfant non accompagné ou séparé est de définir une solution durable qui permette de répondre à tous ses besoins en matière de protection, tienne compte de l'opinion de l'intéressé, et si possible, mette un terme à la situation de non accompagnement ou de séparation."
Voilà donc un mineur qui a quitté un pays où il n'y a plus d'Etat depuis 15 ans (ce qui – soit dit en passant – ne dérange personne, au sein de l'honorable "communauté internationale"), et où la violence règne à chaque coin de rue. Il décide de risquer sa vie sur un bateau pourri en espérant une vie un peu meilleure que le pire. Il affronte une situation d' abandon total pendant plusieurs mois, s'obligeant à dénicher la moindre ressource de survie physique et psychologique.
Il arrive dans un pays, la Suisse, qui lui assure le gîte, le couvert et une scolarisation, le temps d'une procédure. Il se tient "à carreau", ne commet aucun délit ni crime, ni même, que l'on sache, une quelconque incivilité de nature à fragiliser la moindre chance d'un avenir : mais un matin de novembre, la police le menotte et l'expédie par le premier avion vers l'étranger.
La loi, peut-être. Le droit, oui, à géométrie variable. Mais le non-sens, assurément.
Le même Commentaire No 6 du Comité des Droits de l'enfant dispose : (…) " Les Etats doivent tenir compte du fait que l'entrée illégale ou le séjour illégal dans un pays d'un enfant non accompagné ou séparé est susceptible de se justifier au regard des principes généraux de droit – si cette entrée ou ce séjour constitue le seul moyen d'empêcher une violation des droits fondamentaqux de l'intéressé."(…)
Ayant sciemment et volontairement été laissé à lui-même en Italie, obligé de survivre seul par tous les moyens, les risques sont tels qu'un retour en Italie était, de l'avis même d'Abdirashid, inconcevable. Il avouait lui-même préférer rentrer en Somalie, car il savait au moins où aller dormir…
Ne vous aurait-il pas effleuré les neurones qu'un jeune dans cette situation, sachant le "parcours du combattant" qu'il a connu et la résistance à laquelle il a déjà dû faire face, serait peut-être déjà une personne avec qui il est possible de discuter, de négocier (ce qui comporte des obligations qu'il aurait probablement acceptées si on lui avait parlé sérieusement), c'est à dire de discuter des avantages que les "deux parties" pourraient tirer de sa formation et de sa volonté de s'intégrer.
Est-ce qu'au moins quelqu 'un lui a posé la question de savoir s'il voulait s'intégrer en respectant toutes les lois et procédures qu'on lui imposerait ? Et si oui, a-t-on tenu compte de ses réponses ?
- les menottes et les fourgons grillagés sont en général utilisés pour les délinquants présentant un risque pour l'ordre public. En quoi Mr Abdirashid Ali comportait-il un risque pour l'ordre public ? Quel délit ou crime avait-il commis ou était-il présumé vouloir commettre ? Disparaître dans la clandestinité ? N'est-ce pas hypocrite de préférer le voir disparaître dans la clandestinité en Italie plutôt qu'en Suisse ?
- Vous avez obtenu de l'ODM (l'office fédéral des migrations) l'assurance qu'aucune expulsion de mineur dans un pays "précédent" ne peut se faire sans la garantie qu'il sera accueilli et pris en charge ne serait-ce que sous l'angle de sa protection. Nous savons maintenant par témoignage direct et véréfié que cela n'a pas du tout été le cas. Allez-vous demander, avec le même sérieux, le même degré de garantie pour la dizaine de mineurs que le directeur du centre EVAM annonce comme étant sur liste d'attente pour expulsion ?
Cette expulsion n'est-elle pas un message adressé aux "suivants" : " Disparaissez avant qu'on ne vous expulse…"
Et si on se mettait à la place du directeur du Centre d'accueil de ces mineurs,on se poserait la question de savoir quel travail on peut faire avec des mineurs qui sont convaincus que s'ils sont placés là, c'est en vue – et uniquement en vue – de leur expulsion ?
- Même si, en Suisse, la décision de renvoi est prise au niveau fédéral et que le canton est chargé de l'exécution de la décision, vous savez fort bien que vous avez la possibilité d'attendre la fin de l'année scolaire pour procéder à l'"exécution" - voir vos propres archives à propos des mineurs kosovars de l'école de Moudon en mars 2003. Même si aucun texte fédéral ne le prévoit, il existe, comme vous le savez, une certaine jurisprudence en la matière. Merci de nous indiquer ce qu'il en est pour les mineurs en liste d'attente, sachant qu'il est possible de surseoir à un délai d'exécution si une raison majeure s'y oppose. Si le droit à l'éducation n'est pas une raison majeure pour un mineur, cela en dit long sur les valeurs que vous prétendez représenter.
La loi suisse étant ce qu'elle est, c'est tout de même un comble de s'apercevoir que si Abdirashid s'était enfui du centre d'accueil pour entrer dans la clandestinité en Suisse, il avait le droit à la scolarisation sans risque, qui est accordée sans risque aux mineurs clandestins, alors qu'en tant que demandeur d'asile officiel, il se retrouve expulsé manu militari dans les 48 heures…
Pourquoi faire perdre un an de formation à un mineur avant de l'expulser ? Encore une fois, où est le délit, où est le crime, qui justifient les menottes, les fourgons grillagés et la mise dans un avion vers l'étranger, le tout dans les 48 heures, un 12 novembre ?
Pour terminer, Mesdames et Messieurs le Conseillers d'Etat, vous nous permettrez de vous demander une faveur : cessez définitivement, s'il vous plaît, de répondre aux militants, aux ONG, et autres " euv'dentrèdes " qu'ils sont des idéalistes, des angéliques, et qu'on ne peut pas accueillir toute la misère du monde,etc,etc….
VOUS êtes les idéalistes et les angéliques, qui pensez qu'avec un politique répressive, d'expulsions, de renvois avec effets de manche médiatiques et coup de menton, cela va faire diminuer l'immigration. Celas fait diminuer les statistiques pour les batailles de polochon électorales et télévisées, alors que la réalité, c'est l'augmentation de la clandestinité et donc de la délinquance. Ce que vous voulez en fait, c'est que les problèmes aient moins de visibilité publique. Et on en revient toujours au discours tenu à ces immigrés, mineurs ou non : " DIS-PAR-AIS-SEZ !!!!".
D'ailleurs, on vous suggère (à moins que ce soit déjà prévu dans les "procédures") de faire traîner le dossier pendant quelques mois en attendant qu'Abdirashid Ali passe le cap des 18 ans, et le problème aura "disparu" puisqu'il sera devenu majeur. Et l'affaire est close… Au suivant !
On n'est pas près d'oublier ce paragraphe qui figurait en bonne place dans un document officiel – un petit chef d'oeuvre de transparence – de l'Office Fédéral des Migrations, il y a quelques années, à propos des "disparitions" des demandeurs d'asile africains déboutés et donc contraints à la clandestinité :
" Presque 90 % des requérants d'asile (…) quittent le domaine de l'asile par des "départs non-officiels". Sans cette soupape, la politique d'asile devrait assumer un fardeau social et financier qu'elle ne pourrait pas porter. Les disparitions – qu'on le veuille ou non – remplissent ainsi une fonction clé dans la gestion des flux migratoires."
Or, en matière d'immigration comme en matière d'inondation, on ne peut rien contre l'eau qui monte.
Le choix n'est pas entre accepter ou refuser. Parce que la mondialisation n'est pas à option.
Vous savez aussi bien que nous ce que l'OCDE ne cesse de dire : (…) "Il faut adapter l'immigration aux besoins futurs (…) et la traiter comme un phénomène économique et social qui , s'il est bien géré, peut apporter des solutions à certains problèmes et non réagir de façon intuitive ou émotionnelle ou l'utiliser dans un but politique à court terme."
Et quand face au vieillissement de la population et à la concurrence internationale acharnée, les milieux économiques et patronaux seront en état d'alerte, on écoutera, d'ici quelques années, les campagnes électorales de nos politiques , la main sur le coeur, vanter les mérites d'une immigration permettant de remplir les fonctions qu'une population vieillissante ne veut pas ou plus faire…
Tiens , c'est une idée, ça … Quand on sait le respect que les populations africaines porte aux personnes âgées, on pourrait accueillir un certain nombre de gens comme Abdirashid Ali, les former et les employer comme accompagnateurs-trices de nos personnes âgées – il y aurait peut-être moins de maltraitances psychologiques et un peu plus d'humanité dans certains EMS suisses…
Bernard Boeton
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A consulter ces billets précédents du blog, traitant du même sujet :
"Immigration choisie : a-t-on vraiment le choix ?
Lettre-ouverte-a-maitre-fatimata-mbaye/
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Malgré l' apparences de procédures structurées,
qui donnent le sentiment d'une maîtrise de la situation,
beaucoup de mineurs "disparaissent"
soit en haut à droite
soit en bas à gauche…