samedi 6 juin 2009

La forteresse Europe et le délit de solidarité




«La pauvreté pousse à l'émigration, la richesse invite à l'expatriation mais une fois arrivés nous sommes tous des immigrés.» Michel H.A.Patin

Les mouvements migratoires ont toujours existé. Ils semblent constituer à la fois un problème central pour le monde d'aujourd'hui et un enjeu déterminant pour celui de demain, étroitement liés et dépendants de l'évolution des géopolitiques mondiales dans leurs aspects politiques, sociologiques et démographiques. D'après le rapport du secrétaire général des Nations unies, le monde compterait près de 200 millions de migrants. Un tiers environ se sont rendus d'un pays en développement vers un autre et un autre tiers d'un pays en développement vers un pays développé. Les plus forts taux de population immigrée se retrouvent dans les pays du golfe Persique: 90% aux Émirats arabes unis, 86% au Qatar, 82% au Koweït.
Pour les États, l'immigration peut permettre de faire face à un déficit des naissances ou encore assurer une quantité ou qualité de main-d'oeuvre suffisante. Pour le migrant, l'émigration peut avoir une ou plusieurs raisons: professionnelles (mission de longue durée à l'étranger) et études; politiques (réfugié politique fuyant les persécutions); sécuritaires, notamment en cas de guerre dans le pays d'origine; économiques (habitant de pays pauvres cherchant un meilleur niveau de vie dans les pays riches, éventuellement temporairement); personnelles (volonté de s'installer dans un pays par goût); familiales (rejoindre le conjoint, l'enfant déjà installé); fiscales (l'installation dans un pays offrant un niveau d'imposition moins élevé) ou de plus en plus dans le futur, nous aurons aussi les réfugiés ou émigrés écologiques du fait de l'impossibilité de vivre dans le pays d'origine à cause des changements climatiques(1)
Face au durcissement généralisé des politiques migratoires, l'immigration clandestine connaît une recrudescence et devient une préoccupation majeure. Selon la revue de presse de Fortress Europe 8966 immigrés sont morts aux frontières de l'Europe depuis 1988, dont 3079 sont disparus en mer. En mer Méditerranée, ont perdu la vie 6495 migrants. Dans le canal de Sicile 2023 personnes sont mortes, entre la Libye, l'Égypte, la Tunisie, Malte et l'Italie, dont 1209 disparus, et 35 autres ont perdu la vie le long des nouvelles routes entre l'Algérie et l'île de Sardaigne. 3086 personnes sont mortes au large des îles Canaries et du détroit de Gibraltar entre le Maroc et l'Espagne, dont 1277 disparus.

Nés sur le bon continent
S'agissant justement de «l'Europe des Lumières» et de sa stratégie pour traquer le basané, la Directive de juin 2008 est un blanc-seing à tous les pays européens pour durcir à qui mieux mieux les conditions de rétention, Ainsi, dans le journal allemand Frankfurter Rundschau du 20/06/2008, on lit: «L´Union européenne instaure un "nouveau type d´apartheid", elle se comporte comme si le droit de vivre dans des conditions humaines n´existait que pour ceux qui sont nés sur le bon continent.» L´Europe se barricade et jette, par-dessus bord, tous ceux et celles qui s´accrochent en vain pour accéder à une condition humaine. Les dispositions scandaleuses de cette directive sont les suivantes: la détention peut atteindre 18 mois (32 jours au maximum en France actuellement). L´interdiction de retourner sur le territoire européen pendant cinq ans est systématique. Les migrants illégaux sont renvoyés dans leur pays d´origine. La détention et l´éloignement des mineurs accompagnés ou isolés est permise. L´obligation de délivrer des titres de séjour aux personnes gravement malades est supprimée. La «directive retour» est considérée comme l´élément central du «Pacte européen pour l´immigration» proposé par le président français Nicolas Sarkozy depuis sa campagne électorale. L'organisation Attac confirme son désaccord total avec cette volonté de constituer l'Europe en forteresse, surveillée par les moyens policiers et militaires de Frontex. La politique de l´immigration choisie et triée, avec la négation du droit à vivre en famille, avec le pillage des cerveaux des pays du Sud, la restriction de l´exercice du droit d´asile et de l´accueil des malades, fait partie de cette réorganisation du monde au seul bénéfice des pays dominants
Plus de 30.000 étrangers non européens sont ainsi parqués comme au bon vieux temps des «zoos humains» dans des centres fermés sur tout le continent. Demandeurs d'asile ou en instance d´expulsion, ces clandestins sont retenus à l´abri des regards dans des conditions souvent insalubres. De l´Irlande à la Bulgarie, de la Finlande à l´Espagne, les camps de rétention pour étrangers se sont multipliés dans l´Union européenne. On dénombre aujourd´hui 224 camps de rétention disséminés à travers l´UE. Par contre, l´UE est impatiente d´attirer des immigrants hautement qualifiés de pays tiers afin de combler le déficit en termes de démographie, de main-d´oeuvre et de compétences. Lorsqu´il a présenté la proposition de la carte bleue le 23 octobre 2007 à Strasbourg, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a déclaré: «L´immigration de main-d'oeuvre en Europe dynamise notre compétitivité et donc notre croissance économique. Elle permet aussi de faire face aux problèmes démographiques résultant du vieillissement de notre population. Ceci est particulièrement vrai pour la main-d´oeuvre hautement qualifiée. Tout est dit, l´Europe continuera sans vergogne à aspirer les rares élites du Sud sans payer au minimum la contrepartie de leur formation évaluée au minimum à 100.000 dollars par diplômé.»(2)
Il n'existe pas de «bonnes» conditions de rétention. Comme le démontrent toutes les observations menées sur le terrain par les ONG ou les chercheurs, dont l'objectif est de dénoncer les dérapages des politiques d'asile en Europe, l'internement administratif auquel sont soumis les étrangers en Europe est par sa nature même porteur de violations, plus ou moins systématiques, plus ou moins inévitables lorsqu'elles ne sont pas volontaires, de leurs droits fondamentaux: en premier lieu, la liberté d'aller et venir, mais aussi le droit d'asile, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants, ou encore les droits spécifiques des mineurs.(3)
Que font les citoyens européens pour dénoncer au nom des droits humains les dérives? Bien que le corps social européen soit au mieux indifférent et pire encourage les gouvernements dans sa «traque des basanés», on constate malgré tout, une mobilisation remarquable des associations, notamment en France (la Cimade, le Gisti, Emmaüs France, le Secours Catholique, SOS Racisme, la Ligue des droits de l'Homme (LDH) ou encore le Syndicat des avocats de France (SAF)) Ainsi, des manifestations ont eu lieu mardi 2 juin à Paris et aux abords d'une dizaine de centres de rétention pour dénoncer la nouvelle politique d'intervention auprès des immigrés en instance d'expulsion. Cette mobilisation, à l'appel de la Cimade, d'associations de soutien aux étrangers et de partis de gauche, a été maintenue malgré le désaveu infligé samedi par le tribunal administratif au ministre de l'Immigration, Eric Besson. «Dehors, dedans, nous restons aux côtés des étrangers», scandaient environ 200 manifestants, selon les organisateurs, réunis place du Palais Royal, dans le centre de Paris. «Nous tenons à réaffirmer haut et fort notre solidarité avec les étrangers retenus et demander, ensemble, une défense effective du droit des étrangers en rétention», a déclaré une porte-parole.
Stéphane Thépot et Laetitia Van Eeckhout du journal Le Monde sont allés à la rencontre des protestataires toulousains. Ecoutons-les: Ils étaient près de 120, mardi 26 mai, à être venus observer non pas une mais 60 minutes de silence, place de la République à Lille. Comme tous les derniers mardis du mois depuis un an de 18h30 à 19h30, ils se tiennent là, silencieux, en cercle autour de la dalle des droits de l'homme pour manifester leur refus des méthodes expéditives d'interpellation, d'arrestation, d'enfermement et d'expulsion des étrangers. «Pour que la France redevienne le pays des droits de l'homme», dit simplement une banderole à l'extérieur du cercle. (..) Initiés par les franciscains de Toulouse fin 2007, les Cercles du silence rassemblent aujourd'hui chaque mois dans plus de 120 villes de France, près de 10.000 personnes, croyants et non-croyants, sexagénaires, quadras, jeunes salariés ou étudiants, hommes d'affaires cravatés ou enseignants, militants associatifs ou simples citoyens...«Le silence est une discipline exigeante mais qui est à la portée de tous. Beaucoup de personnes sont prêtes à cette exigence à cause de la gravité de ce qui se passe», confie le frère Alain Richard. Doyen de la communauté des franciscains de Toulouse c'est lui qui a lancé le premier Cercle de silence en octobre 2007 sur la place du Capitole pour dénoncer l'enfermement des sans-papiers au centre de rétention de Blagnac-Cornebarrieu. C'est durant la guerre d'Algérie que cet ingénieur agronome de formation, entré dans les ordres en 1947, a découvert la force de la non-violence. «Ce n'est pas un "truc", une recette, mais un chemin pour être plus humain», dit-il, estimant que l'enfermement des sans-papiers «détruit ce qu'il y a de plus humain en nous».(4)
Il vient que la législation étant des plus coercitive, la solidarité est un délit puni. Pour Eric Besson, ministre en charge de l'Identité, ancien transfuge de la Gauche: «Tous ceux qui aident de bonne foi un étranger en situation irrégulière doivent savoir qu'ils ne risquent rien.» Pour les associations, la solidarité est un devoir pas un délit. Selon Eric Besson, seuls deux bénévoles auraient été condamnés en vertu de l'article 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui punit de cinq ans d'emprisonnement, et de 30.000 euros d'amende, «toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d'un étranger en France». «Certes, les tribunaux, cléments, condamnent rarement des bénévoles en vertu de cet article» explique Claire Rodier du Gisti (Groupement d'information et de soutien des immigrés), «mais les interrogatoires, les interpellations, les gardes à vue sont innombrables», poursuit-elle, citant plusieurs aidants qui ont dû faire face à des «pressions policières». «Tout cela vise à faire des aidants des délinquants de la solidarité.»(5)
Dans le même ordre, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) dénonce, dans son bilan 2008, les conditions d'accueil des étrangers dans la zone d'attente de l'aéroport de Roissy. «Non-respect des droits fondamentaux» des étrangers, «des personnes malades qui ne reçoivent pas les traitements adéquats», «des violences policières», «des séparations de famille»...Dans ce rapport annuel publié début mai, l'Anafé parle d'une «inhumanité» de traitement dans ce lieu d'enfermement où les étrangers sont «souvent perdus et épuisés». Elle pointe plus particulièrement le sort «des mineurs isolés qui se retrouvent perdus au milieu d'adultes» et note que les conditions de leur maintien en zone d'attente «constituent en elles-mêmes une mise en danger des mineurs isolés».(6)

«Nous fermons les portes»
L'Italie n'est pas en reste «envahie» par des hordes de faméliques, elle se «protège». Les députés italiens ont adopté mi-mai un texte qui place leur pays parmi les plus sévères en Europe sur le sujet. 76% des Italiens soutiennent la loi, qui est en revanche vivement critiquée par la gauche et les ONG. «Nous fermons les portes et nous ne les entrouvrons que pour ceux qui viennent pour travailler et s'intégrer». Le texte a pour objectif clair et net de lutter contre l'immigration clandestine. La loi crée notamment un délit «d'immigration et de séjour» clandestins, puni d'une amende de 5 à 10.000 euros et rend possible la dénonciation à la justice de tout immigrant en situation irrégulière. La mesure la plus emblématique, adoptée est la possibilité pour des «associations de citoyens» d'effectuer des rondes pour signaler aux forces de l'ordre des atteintes à l'ordre public. La loi prévoit aussi l'enregistrement des sans-domicile-fixe. Nous y voilà, les dénonciations vont payer, nous revenons au bon vieux temps des dénonciations pendant la guerre. La chasse au faciès de ce fait, a de beaux jours devant elle
Et nous en Algérie? Nous sommes aussi interpellés. Dans un rapport récent, il est dit que l'immigration clandestine entraîne dans son sillage toutes les autres formes de criminalité transfrontalière et menace la santé publique. «L'Algérie, auparavant pays de transit, est en passe de devenir un pays de fixation et d'installation.» les immigrés clandestins qui arrivent des pays africains voisins, du Sahel ne transitent plus par l'Algérie pour se rendre au Vieux Continent, mais ils viennent plutôt pour s'y installer. Trois facteurs pour expliquer cet état de fait: «La fermeture des frontières avec l'Europe et la mise en place de l'espace Schengen, l'évolution économique en Algérie, ce qui veut dire plus d'emplois, et la crise financière qui ne favorise pas les immigrés clandestins.» On retrouve les mêmes «préoccupations» des pouvoirs publics avec une indifférence de la société civile. En définitive, les grands perdants quels que soient les pays sont ces épaves humaines. Aucun pays ne peut se targuer d'avoir une politique humaine de l'émigration. Chacun applique avec plus ou moins de contrainte le «containment» de ces damnés de la Terre. Il n'empêche que les conditions de rétention dans les pays du Nord sont «meilleures» que celles des pays du Sud. Nous sommes alors bien mal placés pour donner des leçons. Constatons seulement que la condition a considérablement régressé préfigurant l'avènement de sociétés de plus en plus fascistes. Pour le moment, les regards sont braqués sur l'étranger qui mange le pain des autochtones, l'allogène, «ce pelé, ce galeux d'où viennent tous nos maux». Ainsi va le Monde...

(*) Ecole nationale polytechnique

1.Chems Eddine Chitour: La nouvelle immigration entre errance et body shopping. Ed.Enag 2004
2.Chems Eddine Chitour http://www.alterinfo.net/Ambivalence de l'Euriope _a21033.html
3.Nathalie Ferré présidente du Gisti- Les oubliettes de l'Europe - jeudi 3 avril 2008
4.Stéphane Thépot et Laetitia Van Eeckhout Sans-papiers: le silence pour réveiller les consciences Le Monde 27/05/2009
5.Jean-Baptiste Chastand - Le délit de solidarité aux sans-papiers existe-t-il? Le Monde 8/04/09
6.L'Anafé dénonce l'«inhumanité» de la zone d'attente de Roissy - Le Monde 10 mai 2009

Pr Chems Eddine CHITOUR (*)

Le peuple votera sur l'interdiction des minarets

Détention en vue du renvoi raccourcie

Les requérants d’asile déboutés détenus en vue de leur renvoi devraient passer dix-huit mois au plus derrière les barreaux, contre vingt-quatre aujourd’hui. Le Conseil fédéral lance la consultation sur la mise en œuvre de la directive européenne sur le retour. L’adaptation requise découle d’un développement de l’acquis de Schengen.

ATS