lundi 6 avril 2009

Sans-papiers en 2001, naturalisés en 2009

Sans-papiers en 2001, naturalisés en 2009 - Lu dans 24heures

PARCOURS | Isabel et Carlos Basantes et leurs enfants sont maintenant bourgeois de Lausanne. Il y a huit ans, Isabel, Equatorienne clandestine, était interpellée par la police de Pully.



© FLORIAN CELLA | ​Grâce aux images télévisées, Isabel Basantes replonge dans l’épisode pénible de 2001 où elle était interpellée par un policier pulliéran. C’est en famille qu’elle savoure aujourd’hui son nouveau statut.

ALAIN WALTHER | 06.04.2009 | 00:03

Isabel et Carlos ont réussi leur examen devant la commission présidée par le municipal Jean-Yves Pidoux. Voilà les époux Basantes bourgeois de Lausanne depuis l’automne dernier. Heureux couple lausannois, qui en décembre prochain ira en vacances en Equateur… avec leurs passeports suisses. Le serment du Grütli, la guerre du Sonderbund, le nom de tous les conseillers fédéraux: ils prêteront serment fin avril au Palais de Rumine. La routine sur le chemin de la naturalisation. Un exploit pour ces anciens travailleurs clandestins qui ont bien failli être expulsés. Aujourd’hui avec Stéphanie, gymnasienne, et Bastien, collégien, ils coulent une vie tranquille au Jardin de Prélaz dans l’Ouest lausannois.

Dans le Wall Street Journal 
A l’époque, l’affaire fait grand bruit. Même le Wall Street Journal dépêche son enquêteur spécialiste du dossier immigration. On apprenait ainsi dans le journal étasunien que dans la banlieue de Lausanne, à Pully, «200 femmes sud-américaines avaient été appréhendées à la descente du bus». Le confrère gringo avait un peu forcé le trait. La vérité était suffisamment choquante.

Le 17 mai 2001, Isabel Basantes, femme de ménage sans-papiers depuis onze ans, est interpellée par un policier pulliéran. L’agent fait dans la légalité mais pas dans la dentelle. Préventivement, il oblige la clandestine à retirer 4300 francs en prévision de l’amende à payer avant son expulsion. Levée de boucliers dans le canton de Vaud. Leur patron, des politiciens, des artistes, un collectif, l’administration vaudoise, tout le monde voudrait bien que ces étrangers, employés modèles parfaitement intégrés, restent dans le canton de Vaud. Berne finira par accorder des permis humanitaires. Victoire pour le comité de soutien qui demandait la régularisation de tous les sans-papiers.

2009: encore plus dur
Le temps a passé, les employés modèles mais clandestins, comme les Basantes en 2001, sont toujours aussi nombreux. Equatorien comme Mauricio Catota, cuisinier soutenu par son employeur, le Lausanne-Palace ( 24 heures du 16 mars). Comme Fausto aussi, le grand frère de Carlos. Arrivé en 1991, l’aîné de Basantes, 50 ans, est aujourd’hui grand-père. Berne a demandé qu’il y soit renvoyé. «C’est par la grâce de Dieu et le soutien des gens que nous sommes devenus Suisses», expliquent Isabel et Carlos qui savent qu’aujourd’hui, c’est encore plus dur d’être un «Basantes».


Savoir et se taire est grave

   BENOÎT PERRIER    

ActuelINTERVIEW - La présidente de l'Observatoire suisse du droit d'asile et des étrangers souligne la dureté des lois actuelles et la nécessité de coopérer au niveau européen. 
Après l'échec de leur référendum en 2006, les opposants à la nouvelle loi sur les étrangers (LEtr) et la révision de la loi sur l'asile (LAsi) sont ébranlés: soixante-huit pour cent des Suisses ne les ont pas suivis. Ils décident de surveiller l'application des deux lois et créent des Observatoires régionaux du droit d'asile et des étrangers. Depuis, ces organismes répertorient des cas concrets qui montrent l'ampleur des problèmes provoqués par cette législation et les situations inhumaines qu'elle suscite. L'ancienne conseillère nationale Ruth-Gaby Vermot (PS/BE) préside l'Observatoire suisse qui rassemble et diffuse les données recueillies par les observatoires régionaux1. Entretien. 


Au même temps que vous présentez un bilan dramatique des lois actuelles, la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf annonce un nouveau durcissement.

Ruth-Gaby Vermot: Elle donne un signal: elle reste ferme, dans la même logique que l'UDC, mais ses propositions sont alarmantes. Par exemple ne plus accepter la désertion comme motif d'asile, alors qu'il est clair que renvoyer un objecteur de conscience ou un déserteur peut lui coûter la vie. Mme Widmer-Schlumpf envisage aussi d'interdire le dépôt de demandes d'asile dans les représentations suisses à l'étranger. Des pays n'offrent pas cette possibilité, certes, mais cela n'empêche pas la Suisse d'être un exemple en la matière. En 2008, 8% de ces demandes ont été acceptées. Les personnes concernées ont pu gagner la Suisse sans utiliser les «services» d'un passeur et les dangers que cela implique. 

Et les deux autres mesures envisagées?

On entend interdire l'action politique des requérants. C'est s'attaquer à leur liberté d'expression et d'opinion, mais aussi à celle des Suisses. Ils pourraient être inquiétés s'ils les aident. Le quatrième point est encore plus invraisemblable: il s'agit, pour les requérants déboutés qui s'opposent à leur expulsion, de prouver eux-mêmes que le renvoi est impossible. Comment le pourraient-ils, sans mobilité, avec très peu de moyens et de possibilités de communication? Les deux lois sont entrées en vigueur progressivement, entre 2007 et 2008. Sur le sujet du code pénal pour les mineurs, Mme Widmer Schlumpf a affirmé qu'il fallait trois à quatre ans pour mesurer les effets d'une législation. Pourquoi donc s'attaquer à la loi sur l'asile après une année? 

Ce d'autant plus que les cas recueillis par l'Observatoire montrent les répercussions des lois actuelles.

Oui. L'Observatoire suisse publie les données que recueillent les Observatoires régionaux. Il les relaie dans les médias, auprès des politiques et des administrations nationale et cantonales. Ces documents sont des cas avérés et vérifiés, ils peuvent sensibiliser la population et motiver les autorités à revoir des lois qui sont souvent en conflit avec les conventions internationales, notre propre Constitution et l'état de droit. Je pense qu'une grande part de la population ne souhaite pas que la Suisse viole ses propres engagements.


Le droit international comme levier? On sait qu'en Suisse il ne fait pas barrage au populisme.

Oui et c'est malheureux! Mais il y a quand même des citoyens qui entendent nos arguments et se laissent toucher par des cas concrets, qui, aussi, ne veulent pas faire du droit un non-droit. Avec les cas bien documentés dont nous disposons, nous pouvons faire comprendre qu'on ne peut pas traiter les requérants comme des criminels! Quand je parle à des gens partiellement informés, je leur explique la situation d'une famille avec deux enfants qui doit vivre avec l'aide d'urgence, soit 504 francs par mois. Elle ne connaît personne, est isolée, vit dans un logement minuscule souvent inadapté aux enfants Ceux-ci n'ont fréquemment plus le droit d'aller à l'école, car la famille attend d'être renvoyée dans son pays d'origine ou un pays tiers. Ces gens à qui je parle se rendent compte que ces demandeurs d'asile ne veulent pas «abuser» de la Suisse et que les lois sont bien trop sévères. 
Le travail de l'Observatoire défait l'amalgame autour d'étrangers «qu'on ne voudrait pas». Les cas répertoriés montrent qu'il s'agit d'êtres humains. 

Vous avez notamment vu des inégalités dans la gestion des cas de rigueur, qui peuvent permettre une régularisation.

Suivant les cantons, c'est une loterie. En Suisse romande, ça se passe plutôt bien, des personnes sont admises provisoirement ou obtiennent un permis B. En Suisse alémanique, par contre, les différences sont énormes entre les cantons. Un requérant attribué à Genève ou au canton de Vaud a plus de «chance» qu'à St-Gall, et beaucoup plus qu'à Zurich ou à Schaffhouse. Selon la loi, c'est une discrimination puisque les personnes ne sont pas traitées également et que les mêmes données sont interprétées différemment. Une autre disparité concerne l'accès à la santé. Chaque personne en Suisse pour plus de trois mois doit être assurée contre la maladie. Certains cantons assurent les requérants, d'autres ne le font pas. C'est dans le lieu où les requérants habitent qu'on leur permet ou non d'aller voir un médecin. On ne peut pas demander à quelqu'un qui n'est pas médecin de se prononcer sur un tel besoin. 

Et les conditions varient aussi pour l'aide d'urgence.

L'aide d'urgence est seulement une possibilité prévue par la loi. Si un recours est pendant, par exemple, le canton peut laisser la personne concernée à l'aide sociale. Cette décision appartient aux cantons mais la Constitution exige que la dignité de l'être humain soit maintenue. Or l'aide d'urgence, telle qu'elle est utilisée, va à l'encontre de cet impératif. Comment une famille avec deux enfants peut-elle vivre dignement avec 504 francs par mois? C'est la condamner à une existence de mendicité; cette somme représente moins du tiers de ce que toucherait une famille qui, dans le même cas, bénéficierait de l'aide sociale. 


Ces mesures ont-elles un effet sur le nombre de requérants?

Non. Si la situation s'aggrave dans certains pays, comme l'an passé, un plus grand nombre de personnes cherchent asile en Europe et en Suisse. La semaine dernière, plus de 200 personnes faisaient naufrage en Méditerranée. En tant que membre du Conseil de l'Europe, j'ai visité Lampedusa, en Italie. C'est une catastrophe humaine: les gens sont humiliés, les soins sont rudimentaires. Les Européens ferment les yeux et la Suisse ferme ses portes. La Suisse ne peut pas régler la question de l'asile et des étrangers seule. Une coopération avec les autres pays d'Europe est nécessaire pour une gestion humanitaire commune. Au lieu de renvoyer les gens vers l'Italie ou l'Espagne, la Suisse doit faire preuve de solidarité avec l'Europe du Sud, débordée par cet afflux. Dans les pays d'origine, il faut aussi investir dans la résolution de conflits et l'aide au développement. 

Les conclusions de l'Observatoire atteignent-elles les parlementaires?

En partie, mais cette thématique interpelle peu. Ce désintérêt est alarmant car il implique qu'on accepte l'injustice et l'atteinte à la dignité de ces personnes. Savoir et se taire est grave; les élus et l'administration doivent prendre nos observations en compte et admettre que nous risquons de bafouer nos engagements. Il ne faut pas seulement être catastrophé mais agir. C'est pour cela que le travail des observatoires régionaux est inestimable. Grâce aux cas qu'ils documentent, nous pouvons montrer des situations réelles. Personne ne peut accepter qu'une mère étrangère non mariée soit expulsée avec son enfant, ce qui le sépare de son père suisse. Dans un tel cas, le «respect de la vie familiale» que demande la Convention des droits de l'homme est foulé aux pieds. I 
Note : www.odae-suisse.ch et www.odae-romand.ch



article

Chroniques de l'injustice ordinaire

   BENOÎT PERRIER    

Ubuesques, absurdes et inhumains: difficile de ne pas frémir quand on prend connaissance des 72 cas que relaye l'Observatoire suisse du droit d'asile et des étrangers. Chacun fait l'objet d'une fiche qui résume la situation d'une personne ou d'une famille, détaille les démarches effectuées et souligne les enjeux que soulève le cas. Florilège partiel. Que dire de la décision de renvoyer une fillette, naturalisée suisse, parce que sa mère est sans statut légal, la privant ainsi de son père (cas 009)? Ou de la situation d'une fille de 7 ans et de sa mère, retenues pendant quarante-sept jours dans la zone de transit de l'aéroport de Cointrin avec, en tout et pour tout, deux sorties à l'air libre d'une demi-heure (cas 046)? Ou encore de ce garçon de 8 ans, orphelin de mère, quasiment livré à lui-même en République dominicaine mais dont on refuse qu'il rejoigne sa tante en Suisse (cas 066)? Des contradictions? Elles ne manquent pas: la nouvelle loi obligeant le requérant à présenter des papiers d'identité dans un délai de quarante-huit heures, un ressortissant ougandais se voit frappé de non-entrée en matière. Seul problème, l'Ouganda ne délivre pas de cartes d'identité; quant aux passeports, ils sont uniquement accordés aux puissants (cas 031). On pourrait poursuivre longtemps la litanie. On renverra seulement le lecteur au site de l'Observatoire, en lui signalant qu'une série de fiches illustre les dangers du projet de révision Widmer-Schlumpf, donnant des exemples de demandes légitimes que celui-ci interdirait. BPR



article

Vivre Ensemble fait peau neuve

   BENOÎT PERRIER    

La semaine dernière, l'association Vivre Ensemble présentait la nouvelle maquette de sa publication. Active depuis vingt-cinq ans, elle fait le lien entre les différents acteurs du domaine de l'asile et sensibilise également le grand public. 
Au programme, une mise en page plus aérée et une nouvelle rubrique qui met en lumière les conditions d'un pays d'émigration (dans ce numéro, le Nigeria). La future révision de la loi sur l'asile est bien évidemment largement évoquée dans le dernier numéro, qui détaille la situation des déserteurs érythréens et dénonce la volonté d'interdire une activité militante aux requérants. 
L'association gère aussi un centre de documentation sur l'asile et publie une liste des parutions sur le sujet. BPR 
Note : Numéro 122 (avril 2009) consultable sur le site de l'association www.asile.ch.


Quelle éthique pour la politique de l'immigration en France ?

Quelle éthique pour la politique de l'immigration en France ?

Le ministre de l'Immigration Eric Besson le 2 avril 2009 (Pascal Rossignol/Reuters).

Politique de l'immigration et éthique entretiennent aujourd'hui en France un lien qui semble fort ténu -et la question est relancée avec l'initiative du maire d'Evry, Manuel Valls, invitant pour la sixième édition des « Rendez-vous de l'éthique » le ministre Eric Besson à un débat, lundi 6 avril, auquel Dominique Sopo (Président de SOS Racisme) et moi-même sommes également conviés.

C'est l'occasion de mieux comprendre et de questionner la synthèse inédite des deux ouvertures prônées par le chef de l'Etat, qui a confié à un transfuge de la gauche le soin de mener une politique destinée à flatter l'électorat d'extrême droite.

Logique de responsabilité contre éthique de conviction

Il y a déjà bien longtemps qu'en ce domaine, nous sommes habitués, pour reprendre la terminologie de Max Weber, à constater l'existence d'une tension entre éthique de conviction, qui veut, à la limite, par exemple, que l'hospitalité soit sans frontières, absolue, et éthique de responsabilité, qui pousse en particulier les dirigeants politiques à tenir compte de divers impératifs pour réguler ou contrôler l'immigration.

L'humanisme des droits de l'homme, les valeurs morales, voire religieuses, l'engagement des associations, celui, aussi, des intellectuels sont du côté des convictions, l'action publique, l'intervention de l'Etat, au nom éventuellement de la raison, voire de la Raison d'Etat, tendent plutôt à se situer du côté de la responsabilité.

Mais il ne s'agit plus de cette tension, nous sommes au-delà, et il faut admettre que se profile une pure et simple dissociation des deux logiques.

Plusieurs dimensions de la politique actuelle de l'immigration nous incitent en effet à considérer cette dissociation, et à nous en inquiéter : le bilan de cette politique ne correspond assurément pas à l'image que la France aime à donner d'elle-même, le pays des droits de l'homme et du combat pour les Lumières et les valeurs universelles, le droit, la raison.

En voici quelques illustrations, parmi les plus significatives.

Le candidat Nicolas Sarkozy, non sans succès du côté de l'extrême droite, a annoncé dans sa campagne présidentielle son projet de créer un ministère de l'Identité nationale qu'il a effectivement mis en place une fois élu, associant donc, dans le même libellé, immigration, intégration, développement solidaire et identité nationale -une association immédiatement contestée : elle débouche sur une disqualification ou tout au moins sur un soupçon pesant sur les migrants, tenus alors non pas tant comme des êtres humains que comme un problème pour la Nation et son identité.

Le chef de l'Etat, poursuivant la politique qu'il avait inaugurée comme ministre de l'Intérieur, a fixé des objectifs quantifiés en matière d'expulsions d'étrangers en situation irrégulière -25 000, puis 27 000 et 29 000 par an-, comme si la réussite devait être mesurée à l'aune de ce nombre, et de sa hausse, et non en fonction du nombre de migrants accueillis. Des centres de rétention administrative ont été chargés de la phase préalable à ces expulsions, qui se déroulent dans bien des cas de façon scandaleuse et inhumaine.

L'éthique de conviction, ici, est à l'évidence du côté des associations qui protègent les enfants scolarisés victimes de cette politique, tel le Réseau éducation sans frontières (RESF), ou qui veillent au respect des droits de l'homme, tels la Cimade oule Gisti. Elle est du côté de ces passagers d'avions de ligne indignés au spectacle d'étrangers menottés et refusant de voyager dans le même vol.

Elle est encore du côté de ceux qu'inquiètent les dérives policières que suscite cette politique, en matière de contrôles au facies par exemple, ou qui s'interrogent : l'idée récemment exprimée par le ministre de délivrer un titre de séjour aux étrangers en situation irrégulière qui dénonceraient leurs passeurs constitue quoi qu'il en dise un appel à la délation. En tous cas, l'esprit de cette démarche, dont la diffusion a de fait précédé l'énoncé, pénètre désormais le système de répression, au point que la situation des clandestins devient une catastrophe humanitaire et sanitaire : ils n'osent plus par exemple se présenter à l'hôpital ou dans des centres de soin, ils se terrent, ils sont terrorisés.

L'immigration doit être « choisie », selon la politique actuelle, ce qui met en cause le droit au respect de la vie privée et familiale de bien des migrants, et s'avère vite raciste -le « choix » ne va-t-il pas écarter les migrants venus de pays particulièrement pauvres, et servir surtout à éliminer les candidats en provenance du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne ?

Y a-t-il une éthique de responsabilité du côté de l'Etat ?

Un amendement est venu lester la loi sur l'immigration de 2007, il prévoit la possibilité de recourir à des tests génétiques pour permettre le regroupement familial -ce qui a choqué jusqu'au sein de la majorité politique actuelle.

Mais envisageons la question sous l'angle de l'éthique de responsabilité : est-elle bien du côté de l'Etat, et du ministère concerné ? Le moins qu'on puisse dire est qu'on peut en douter.

Les expulsions, les centres de rétention administrative coûtent cher au contribuable, des chiffres stupéfiants sont même couramment avancés (il est question de 15 à 25 000 euros par personne expulsée, les éléments d'un chiffrage figurent dans le rapport Mazeaud -publié à la Documentation Française) et leur efficacité est faible. Cet argent ne pourrait-il pas servir plutôt à accueillir les migrants, à leur offrir un minimum d'accès aux soins ou au logement, à accélérer leur apprentissage du français ?

Le bilan établi en janvier 2009 pour Le Monde par Patrick Weil, et qui n'a pas été sérieusement contesté, indique que le prédécesseur d'Eric Besson, Brice Hortefeux, a en réalité connu l'échec, en particulier s'il s'agit des chiffres des expulsions, particulièrement « gonflés ».

L'immigration « choisie » n'est pas une idée neuve, et les expériences du passé montrent qu'elle n'a jamais constitué une politique efficace : rien n'indique qu'il en est autrement cette fois-ci, et ce n'est pas parce qu'à l'échelle européenne un consensus a été affiché pour la promouvoir qu'il y aura des mesures concrètes d'application.

L'« amendement ADN » a été pratiquement vidé de son contenu par le Conseil constitutionnel, ce qui en fait un chiffon idéologique -ce dont on ne peut certes que se réjouir. Mais qu'il ait été possible de le concevoir, et qu'il n'ait pas été purement et simplement supprimé constitue là aussi un défi à l'éthique.

Ainsi, l'éthique de conviction ne semble pas animer la politique actuelle de l'immigration, et l'éthique de responsabilité sort mal en point de toute évaluation de l'action des ministres concernés, sauf à accepter l'autosatisfaction qu'ils affichent : non seulement les deux éthiques se séparent, mais ni l'une ni l'autre ne semble caractériser la politique actuelle de l'immigration. La double ouverture qu'aurait pu tenter d'incarner Eric Besson n'en est qu'une, tournée exclusivement vers l'électorat de la droite la plus dure et de l'extrême droite.

Photo : le ministre de l'Immigration Eric Besson le 2 avril 2009 (Pascal Rossignol/Reuters).

A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89

Sans-papiers en 2001, naturalisés en 2009

Grâce aux images télévisées, Isabel Basantes replonge dans l’épisode pénible de 2001 où elle était interpellée par un policier pulliéran. C’est en famille qu’elle savoure aujourd’hui son nouveau statut.(Photo Florian Cella). Isabel et Carlos Basantes et leurs enfants sont maintenant bourgeois de Lausanne. Il y a huit ans, Isabel, Equatorienne clandestine, était interpellée par la police de Pully. Un article d’Alain Walther dans 24 Heures.

Isabel et Carlos ont réussi leur examen devant la commission présidée par le municipal Jean-Yves Pidoux. Voilà les époux Basantes bourgeois de Lausanne depuis l’automne dernier. Heureux couple lausannois, qui en décembre prochain ira en vacances en Equateur… avec leurs passeports suisses. Le serment du Grütli, la guerre du Sonderbund, le nom de tous les conseillers fédéraux: ils prêteront serment fin avril au Palais de Rumine. La routine sur le chemin de la naturalisation. Un exploit pour ces anciens travailleurs clandestins qui ont bien failli être expulsés. Aujourd’hui avec Stéphanie, gymnasienne, et Bastien, collégien, ils coulent une vie tranquille au Jardin de Prélaz dans l’Ouest lausannois.

Dans le Wall Street Journal

A l’époque, l’affaire fait grand bruit. Même le Wall Street Journal dépêche son enquêteur spécialiste du dossier immigration. On apprenait ainsi dans le journal étasunien que dans la banlieue de Lausanne, à Pully, «200 femmes sud-américaines avaient été appréhendées à la descente du bus». Le confrère gringo avait un peu forcé le trait. La vérité était suffisamment choquante.

Le 17 mai 2001, Isabel Basantes, femme de ménage sans-papiers depuis onze ans, est interpellée par un policier pulliéran. L’agent fait dans la légalité mais pas dans la dentelle. Préventivement, il oblige la clandestine à retirer 4300 francs en prévision de l’amende à payer avant son expulsion. Levée de boucliers dans le canton de Vaud. Leur patron, des politiciens, des artistes, un collectif, l’administration vaudoise, tout le monde voudrait bien que ces étrangers, employés modèles parfaitement intégrés, restent dans le canton de Vaud. Berne finira par accorder des permis humanitaires. Victoire pour le comité de soutien qui demandait la régularisation de tous les sans-papiers.

2009: encore plus dur

Le temps a passé, les employés modèles mais clandestins, comme les Basantes en 2001, sont toujours aussi nombreux. Equatorien comme Mauricio Catota, cuisinier soutenu par son employeur, le Lausanne-Palace (24 heures du 16 mars). Comme Fausto aussi, le grand frère de Carlos. Arrivé en 1991, l’aîné de Basantes, 50 ans, est aujourd’hui grand-père. Berne a demandé qu’il y soit renvoyé. «C’est par la grâce de Dieu et le soutien des gens que nous sommes devenus Suisses», expliquent Isabel et Carlos qui savent qu’aujourd’hui, c’est encore plus dur d’être un «Basantes».

Vers une meilleure solidarité entre Etats européens

Vers une meilleure solidarité entre Etats européens

[ 06/04/09  ]

Plusieurs petits Etats européens croulent sous les demandes d'asile. Les Vingt-Sept réfléchissent à une meilleure coordination et une harmonisation des procédures.

Lampedusa, Chypre, Malte : des destinations qui font rêver les touristes mais qui sont aussi d'importants points d'entrée en Europe pour les immigrés clandestins. Alors qu'elle ne compte que 6.000 habitants, l'île de Lampedusa a vu arriver 20.500 immigrés en 2007 et 36.900 en 2008. La pression existe aussi sur l'île de Malte, peuplée de 400.000 habitants, sur laquelle le nombre de clandestins « recensés » s'élevait à 1.377 en 2007 et à 2.335 en 2008. Ce déséquilibre est alimenté par le système de Dublin, qui oblige les demandeurs d'asile à déposer leur dossier dans le premier pays d'Europe où ils posent le pied. S'il a permis de juguler le phénomène d'« asylum shopping », c'est-à-dire les demandes multiples de personnes dont la situation ne nécessite pas l'asile, le règlement de Dublin montre aujourd'hui ses limites.

« Ce règlement, s'il est appliqué de manière trop rigide, pénalise les demandeurs d'asile, qui très souvent n'ont pas la possibilité d'arriver autre part que dans des Etats membres n'ayant pas eux-mêmes les moyens nécessaires pour les accueillir », constate Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne.

Transferts de dossiers

Face à ce constat d'échec, plusieurs pistes de réforme ont été envisagées. Premier point : permettre que les demandes d'asile effectuées dans un Etat membre qui ne peut pas les traiter de manière adéquate puissent être transférées dans un autre Etat, notamment lorsque le demandeur d'asile peut faire valoir des liens familiaux dans cet autre Etat. Un bureau européen pour l'asile devrait également voir le jour d'ici à la fin de l'année pour permettre une meilleure coopération entre Etats et envoyer des équipes en renfort dans les pays qui croulent sous les dossiers. Enfin, c'est la partie la plus délicate, la Commission européenne devrait se prononcer ce mois-ci sur les conditions d'harmonisation des procédures d'asile et des statuts dans les vingt-sept pays membres de l'Union.

Lu dans les Echos