Il n’aura ni caméra, ni micro, ni appareil de photo. Il montera à bord avec seulement ses yeux et sa mémoire. L’ancien conseiller d’Etat bernois, Mario Annoni, 57 ans, président de Pro Helvetia depuis 2006, se retrouvera bientôt seul au petit matin, valise à la main, pour se joindre en tant qu’observateur neutre à des opérations de renvois de requérants, les fameux «vols spéciaux».
L’Office fédéral des migrations (ODM) a annoncé qu’il faisait partie des cinq personnes choisies pour une expérience pilote. D’ici au mois de décembre, le numéro un de la culture en Suisse suivra à plusieurs reprises les opérations de transfert du centre de détention à l’aéroport, l’embarquement, le vol et l’arrivée dans le pays. «C’est la phase après le film…» explique-t-il en faisant allusion au documentaire de Fernand Melgar présenté cet été à Locarno.
«Niveau 4»
Mais pourquoi se lance-t-il dans cette galère? «Si je m’engage, explique-t-il, c’est parce que nous traversons une phase difficile pour tous ceux qui vivent ces renvois sous la contrainte, les requérants comme les policiers. On parle aujourd’hui du niveau 4… Dans ces circonstances il faut mobiliser des forces. »
Dans le jargon de l’ODM, le fameux «niveau 4» prévoit des mesures coercitives exceptionnelles: la personne est totalement entravée, casquée, muselée et assise sur une chaise roulante pour être conduite jusqu’à l’avion. Mario Annoni devra considérer si les personnes sont «traitées avec dignité et si les directives sont respectées par les polices».
Dans le cadre des bons offices de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), le président de Pro Helvetia se retrouvera aux côtés de l’ancien commandant de la police cantonale neuchâteloise Laurent Krügel. Les cinq observateurs, isolément, prendront place sur quinze vols spéciaux d’ici à la fin de l’année. Ces renvois ne sont évidemment pas connus à l’avance pour ménager un effet de surprise. Les contrôles se dérouleront aussi dans la confidentialité: «Pour travailler correctement, les observateurs ne peuvent pas faire une conférence de presse après chaque vol…» note Simon Weber, porte-parole de la FEPS.
Leurs témoignages seront transmis à la plate-forme réunie autour de l’ODM avec l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), les services cantonaux des étrangers et la Conférence des Commandants des polices cantonales. «Il faut bien se comprendre, insiste Mario Annoni, nous ne sommes pas là pour dire si ces renvois doivent avoir lieu ou non, mais s’ils se passent dans le respect des droits humains. Au terme du mandat, nous aurons la possibilité de faire des recommandations, de dire s’il faut maintenir le système ainsi ou non. En Allemagne, où il a été introduit, il y a, semble-t-il, moins de problèmes. »
Le Matin Dimanche