Mêlant voyage en famille et reportage, une famille brestoise a assisté à l'arrivée de réfugiés de Libye. Là où les Africains frappent à la porte de l'Europe.
« En famille, nous avons décidé d'un printemps italien. Deux mois et demi dans la « botte », au départ de Brest, avec nos trois loupiots de 5, 8 et 10 ans. L'occasion aussi de réaliser un reportage à Lampedusa. Cette île tout au sud de l'Europe est depuis toujours une porte d'entrée pour les réfugiés du continent africain. Conséquence du soulèvement tunisien, elle voyait déferler des milliers de fuyards profitant de l'absence de contrôle en mer côté tunisien.
L'Italie, l'Europe, étaient déboussolés. Lampedusa a accueilli jusqu'à 7 000 Tunisiens simultanément. À notre arrivée, ils n'étaient plus là. Les 5 000 habitants étaient encore sous le choc. Les TV du monde entier avaient débarqué. Berlusconi aussi, achetant une maison au passage !
Lézardé, le mur virtuel de l'Europe n'a pas tardé à se reconstruire. Des accords ont été passés avec le gouvernement provisoire tunisien pour l'aider à contrôler ses frontières. Les rares personnes qui fuient sont renvoyées par avion. Trente Tunisiens encadrés par soixante policiers. En avril, il y avait deux à trois rotations par jour vers Tunis.
Ils avaient réussi !
Puis sont venus les Lybiens. Ou plutôt les travailleurs immigrés de Libye : Nigérians, Ivoiriens, Somaliens, Ghanéens... Un petit chalutier de 20 mètres a pointé son étrave. À l'intérieur, 760 réfugiés ! C'était à peine croyable. Le moindre mouvement risquait de faire chavirer le bateau. Ils étaient partis trois jours plus tôt de Misrata. S'étaient perdus en mer. Les garde-côtes n'avaient trouvé personne à la barre. Juste une corde pour conserver un cap approximatif.
Sale impression que de voir 760 noirs tassés assis à bord, dociles, silencieux, accueillis par une rangée de carabinieri impeccables, armés jusqu'aux dents. Et au milieu des rescapés, une poignée de sauveteurs blancs, en combinaison blanche, gants blancs, masque blanc sur la bouche. Heureusement, les masques, les gants sont tombés. Les sourires se sont dessinés. Des très jeunes couples se tenaient la main. Ils avaient réussi ! Le cordon sécuritaire n'a pas résisté. C'était bon de partager ces instants, de parler avec les uns et les autres, pleins d'espoir de trouver du travail, en sécurité.
Les enfants étaient de l'autre côté du port, sur la plage la plus méridionale d'Europe, où des ados jouaient au beach-volley. On voit mieux l'insupportable décalage Nord-Sud depuis ces rares points de jonction. L'Afrique n'est qu'à 180 km de Lampedusa. Brest-Lamballe...
Des insulaires solidaires
Le tourisme, principale ressource de l'île, s'est effondré. Le camping est vide. Il n'y a que des policiers et des journalistes dans les hôtels. Le gouvernement a promis 200 € à ceux qui y prendraient leurs vacances. Et pourtant, c'est la solidarité, l'empathie, qui caractérisent les Lampedusiens. Pendant des semaines, ils ont collecté des vêtements, de la nourriture, hébergé des rescapés... Il y a beaucoup d'inquiétude. Mais pas de haine, pas de racisme simpliste.
Aujourd'hui, le système est rôdé pour « protéger » l'île. Un ferry réexpédie les réfugiés vers l'Italie par paquets de mille. Chaque ville prend son quota. Les premiers secours sont amicaux. Les centres de rétention je ne sais pas. L'Italie s'organise, un peu seule. L'Europe finance. 40 000 migrants sont arrivés à Lampedusa depuis février. Selon l'Onu, au moins 1 200 autres auraient péri en mer. A une autre époque où la Marine nationale croisait au large du Cambodge pour secourir les boat-people.
Personne ne voit d'issue tant qu'il y aura la guerre. Et encore, il était sûrement plus facile de conclure des accords peu avouables empêchant l'immigration avec des dictatures, qu'avec une éventuelle future démocratie.
Pendant quelque temps, nos enfants ont joué aux « clandestins » et dessiné des bateaux surchargés. Ils étaient aux premières loges. Comme tous les Européens. »
Sébastien Panou dans Ouest-France