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Voir également le commentaire de Jean Sanchez, chef adjoint de la police cantonale genevoise
Avec ses 40 % d’étrangers, la ville de Moudon a su développer un bon système d’ intégration.
SECURITÉ - Trois pistolets électriques ont été acquis par les forces de l'ordre. Leur usage est réservé aux cas extrêmes, en lieu et place d'une arme à feu.
La nouvelle a éclipsé les autres aspects de la conférence de presse annuelle de la police genevoise visant à faire le point sur les activités des forces de l'ordre et sur l'évolution en matière de sécurité, telle que l'ont établie les statisticiens du quai des Brômes[1].
Trois Tasers X-26 ont été acquis par la police genevoise pour le prix de 2150 francs l'unité. Il s'agit d'un armement réservé aux polices ou aux armées. Une arme dite de neutralisation momentanée tout de même assez éloignée de ce qui peut être acquis sur le marché libre de certains pays.
Seize gendarmes du groupe d'intervention ont été formés au maniement de ces engins. Ces derniers utilisent une technologie appelée EMD (pour Electro-Muscular Disruption ou Perturbation électro-musculaire). Deux fils reliés à des hameçons envoient un courant de 50000 volts durant cinq secondes dans le corps du sujet qu'il est prévu d'immobiliser. Résultat de ce choc, il est tétanisé et tombe à terre. «Ce n'est pas douloureux en soi, mais extrêmement oppressant», concède l'un des gendarmes du groupe d'intervention. Qui a été lui-même immobilisé à l'aide d'un Taser.
L'état-major de la police était présent au grand complet hier. Il a insisté sur le caractère exceptionnel des engagements de cette arme controversée. Même si, Benoît Kuchler, chef criminaliste, se veut rassurant. Selon lui, bien employé, le Taser n'est pas dangereux. Une abondante littérature scientifique ne met pas en évidence de problèmes cardiaques particuliers. Du moins en France.
Du bon emploi
Quid des morts évoqués notamment par des rapports d'Amnesty International? «Il faut savoir que l'emploi du Taser n'est pas approprié pour les cas psychiatriques avec des crises de démence», explique M. Kuchler. «Quel que soit le type de contraintes alors utilisé – et elles sont parfois indispensables –, cela peut mettre en danger la vie du malade.» Il évoque des décès imputés au seul enfermement d'une personne en crise. Bref, pour lui, les décès constatés aux Etats-Unis relèvent probablement d'un emploi inapproprié de cette arme.
Le Taser que la police genevoise entend utiliser est fort éloigné du recours banalisé pratiqué aux Etats-Unis. «Cela doit être une alternative à l'arme à feu», précise Daniel Oguey, commandant de la gendarmerie adjoint. Selon les chiffres de la police genevoise, l'an passé, dans une douzaine d'interventions, l'emploi du Taser aurait pu se justifier.
Selon la doctrine d'engagement, quatre types d'intervention sont évoqués: le cas de forcenés, de suicidaires, d'individus en crise de démence qui mettent en danger leur vie ou celle d'autrui et les mutineries en prison. En revanche, pas question d'utiliser un Taser dans le cadre d'expulsion de réfugiés déboutés.
Un cadre réglementaire relativement strict a été prévu: les engins sont munis de minicaméras, qui permettront de documenter les interventions. Enfin, l'utilisation d'un Taser sera conditionnée à l'autorisation de l'officier responsable d'une intervention. I
[1] De fait, les chiffres de la criminalité à Genève sont relativement stables. Les cambriolages augmentent de 20% – des effectifs viennent d’être déplacés pour faire face à cette recrudescence – mais le nombre de meurtres diminue, tout comme le nombre de morts sur les routes.
«C'est un mauvais signal.» Porte-parole d'Amnesty International Suisse, Manon Schick ne voit pas d'un bon oeil l'acquisition de trois pistolets électriques Taser par la police genevoise, la première à faire le pas en Suisse romande. Après avoir publié, fin 2008, un rapport faisant état de plus trois cents cas de décès liés – indirectement – à l'utilisation de ces armes aux Etats-Unis entre 2001 et 2008, l'organisation réclamait un moratoire sur l'achat et l'usage des pistolets à électrochocs en Suisse. «Au moins en attendant d'avoir davantage de garanties.»
Manon Schick nuance toutefois son propos: «Nous ne sommes pas contre le Taser en général, mais son utilisation nécessite une réglementation très stricte. A priori cela semble être le cas à Genève, c'est plutôt rassurant.» Seul le groupe d'intervention de la gendarmerie, après formation, sera habilité à y recourir. Et dans certains types d'intervention (lire ci-dessus). Selon l'ONG, le Taser ne devrait toutefois être employé qu'en dernier recours, au même titre que l'arme à feu de service. Or il y a un risque de banalisation, pointe sa porte-parole: «Il s'agit bien d'une arme potentiellement létale. Si le Taser devenait un simple moyen pour calmer des forcenés, ce serait très grave.»
Damien Scalia, président de la section genevoise de la Ligue suisse des droits de l'homme, abonde: «Le fait que cette arme soit perçue comme non mortelle risque d'élargir le spectre de son utilisation. On réfléchit plus longtemps avant de sortir une arme à feu qu'un pistolet électrique. Il y a des risques de dérapage.» Le militant s'interroge tout autant sur son utilité. «En milieu carcéral (une des utilisations potentielles, ndlr), par exemple, la police a toujours trouvé des moyens d'intervenir sans avoir à sortir ses armes. Je doute qu'il y ait une réelle nécessité.»
Par ailleurs, Damien Scalia rappelle que des instances internationales comme le Conseil de l'Europe considèrent les armes à électrochocs comme de potentiels «instruments de torture», dans la mesure où elles provoquent des souffrance aiguës. «Mais j'ose espérer que ça ne sera pas le cas de la part de la police genevoise», précise-t-il.
Manon Schick craint également un effet boule de neige en Suisse romande. «En ouvrant la voie, Genève risque d'encourager d'autres polices à recourir au Taser, alors que plusieurs cantons avaient décidé d'y renoncer.»
Mario Togni
L'achat de Tasers par les forces de l'ordre genevoises n'est pas des plus opportuns. Oh, certes, un cadre réglementaire strict a été édicté. Mais on a mis le doigt dans l'engrenage et il y a toujours à craindre de la banalisation d'une telle arme.
Car, quelles que soient les belles promesses faites hier, on voit dans d'autres villes et dans d'autres pays, ces pistolets électriques faire partie de l'attirail de base des policiers. Avec les bavures qu'on connaît. D'où un moratoire sur la généralisation de ces engins exigé par Amnesty International.
C'est un bien mauvais signal que Genève envoie aux autres cantons romands. Et un fier service qu'il rend à l'entreprise Taser, qui pourra se targuer, dans sa propagande, d'avoir séduit la capitale des droits de l'homme.
Hier, on nous a présenté le pistolet électrique comme une alternative à l'arme à feu. Mais il sera toujours plus tentant d'utiliser une telle arme plutôt que de donner l'ordre d'abattre une personne représentant un danger. Paradoxalement, en étant – théoriquement – non létal, le Taser peut être utilisé plus fréquemment. Partant, son incorporation dans l'arsenal des forces de l'ordre peut accroître la violence de l'Etat, qui devrait pourtant rester l'exception.
Les forces de l’ordre se sont voulues rassurantes, hier, lors de la présentation de leur rapport annuel: l’usage de cette arme sera des plus limité. Exemple? Maîtriser des forcenés sur la voie publique, un suicidaire, une personne démente et menaçante, ou des prisonniers dans le cadre d’une mutinerie. «Cela représente potentiellement au maximum une quinzaine d’interventions par an, estime Benoît Kuchler, chef criminaliste. Les 16 hommes du groupe d’intervention ont été spécifiquement formés par l’Institut suisse de police.»
«Le Taser ne sera pas utilisé pour les expulsions d’étrangers, a souligné le conseiller d’Etat Laurent Moutinot, responsable du Département des institutions. Je sais bien qu’Amnesty s’est opposé à l’introduction généralisée du Taser, mais nous en ferons une utilisation ciblée et réglementée.» Ainsi, un officier de police devra préalablement valider son usage et un rapport devra être adressé à la cheffe de la police après l’intervention, précise le service de presse. A noter que l’arme est équipée de fléchettes dispensant la décharge électrique et d’une minicaméra. Les images permettront de démontrer, si besoin, la légitimité de l’intervention.
Quant aux risques sur la santé, le policier calme le jeu en citant des tests indépendants du SAMU et de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich: «Aucun effet physiologique postérieur à l’utilisation n’a pu être mis en évidence sur les sujets testés.» Un médecin sera toutefois présent lors de chaque intervention. «Il pourrait par exemple être amené à retirer les fléchettes si celles-ci avaient touché une partie sensible comme les yeux ou les parties génitales.»
Quoi qu’il en soit, la personne qui «goûtera» au courant du Taser doit s’attendre à être groggy durant plusieurs minutes. Période durant laquelle elle subira encore quelques contractions musculaires, des vertiges et des pertes de mémoire. «Cela pourrait avoir a priori un effet dissuasif sur les sujets visés, affirme Benoît Kuchler. On peut s’attendre à une baisse importante des lésions (de 70% à 90%) par rapport à l’usage d’armes traditionnelles et à l’usage de la force.»
Comme le confirme Monica Bonfanti, le Taser (2150 francs la pièce) a déjà été introduit en Suisse alémanique, comme à Berne, à Bâle et à Zurich. «La police genevoise en fera l’un des usages les plus restrictifs de Suisse. Une utilisation de cette arme telle qu’elle a été faite à l’aéroport de Vancouver est inimaginable.» Un immigré polonais y était décédé en octobre 2007 après avoir reçu deux décharges de Taser.
Appel au moratoire
La police genevoise donne un très mauvais signal, réplique Amnesty International. «Cela pourrait conduire plusieurs autres polices romandes à faire de même, regrette Manon Schick, porte-parole de l’organisation de défense des droits de l’homme. En décembre 2008, nous avions publié un rapport recensant 330 victimes du Taser aux Etats-Unis. Ces décès sont intervenus entre 2001 et 2008. Il s’agissait notamment de personnes qui souffraient déjà de problèmes cardiaques, de drogues ou de femmes enceintes. Contrairement à ce que prétend son fabricant, cette arme est létale.» Amnesty préconise donc un moratoire sur le Taser «en attendant des études indépendantes et exhaustives».
Vaud attend le futur commandant de la policeJacqueline de Quattro, cheffe du Département vaudois de la sécurité et de l’environnement, est favorable à une utilisation, très cadrée, du Taser. Toutefois, elle ne prendra aucune décision précipitée. Elle tiendra compte des règles de prudence émises par la Conférence suisse des directeurs de justice et police. Surtout, elle attend la nomination du nouveau chef de la police, qui pourrait avoir lieu au cours du mois prochain.
Jacqueline de Quattro entend avoir son accord afin qu’il y ait une unité de doctrine entre les forces de police et le département. A ce moment-là seulement un règlement pourrait être soumis au Conseil d’Etat. Le porte-parole de la police cantonale Jean-Christophe Sauterel estime aussi que la balle est dans le camp des politiques. Selon lui, la police souhaite également des règles strictes: le Taser ne serait accessible qu’aux forces spéciales. Son usage ne pourrait avoir lieu sans l’aval du commandant de police ou, à défaut, de l’officier qui le remplace.
J. FD