Des réfugiés, des personnes à l’aide sociale, des gens sous tutelle: dans le canton de Vaud mais aussi à Genève, une caisse-maladie n’en veut pas. Enquête sur une dérive. Frédéric Vassaux dans l’Illustré.
Une assurance qui refuse des assurés, des assurés qui se retrouvent avec des factures impayées, voire menacés de poursuites: la caisse maladie Intras a une manière très personnelle d’interpréter la loi. Pourtant, celle-ci est limpide. «Les assureurs doivent, dans les limites de leur rayon d’activité territorial, accepter toute personne tenue de s’assurer», stipule l’article 4 alinéa 2 de la Loi fédérale sur l’assurance maladie. En substance, comme précise le site de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), «l’assuré a le libre choix de l’assureur-maladie qui doit l’accepter quel que soit son âge, son état de santé et ceci sans réserves ou délai d’attente». Mais l’assureur Intras, repris il y a deux ans et demi par le groupe CSS, a apparemment de la peine à prendre ce principe à la lettre. Depuis maintenant huit mois, la caisse-maladie tente d’échapper à ses obligations.
L’affaire commence à la fin de l’année dernière, lorsque les services sociaux du canton de Vaud, usant du sacro-saint système de la concurrence, un système d’ailleurs farouchement défendu par les assureurs eux-mêmes, veulent profiter des primes attractives d’Intras et y affilier 110 personnes du Centre social d’intégration des réfugiés. Une procédure tout ce qu’il y a de plus courante, puisque des milliers de Suisses changent chaque année d’assureur maladie, une fois les primes des caisses connues. Mais là, surprise: alors qu’elle a reçu de la part des services sociaux tous les documents nécessaires à l’affiliation, Intras rechigne, demande de nouvelles pièces, exige de remplir un formulaire complet qu’elle n’est pas en droit d’exiger. Ce que les services sociaux font savoir à la caisse-maladie en lui demandant de nouveau d’affilier ces 110 réfugiés, comme la loi l’exige. Mais Intras cherche tous les subterfuges pour ne pas traiter ces affiliations. Lassés, les services sociaux demandent alors au Service des assurances sociales et de l’hébergement (SASH) d’intervenir. Ce qu’il fait en saisissant l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui somme Intras de donner suite aux demandes d’affiliation qui lui ont été soumises. Mais la caisse s’entête et refuse toujours. Huit mois après, la procédure lancée par l’Etat de Vaud est toujours en cours.
Mais ce petit jeu n’est pas sans conséquences. Car, entretemps, les anciennes caisses-maladie des assurés, ne voyant pas venir la confirmation d’affiliation de la nouvelle caisse, soit Intras, sont obligées de conserver les assurés, la loi exigeant que chacun bénéficie d’une couverture maladie. Une solution pratique pour Intras, qui ainsi se débarrasse d’assurés dont elle ne veut visiblement pas du tout!
«Oui, c’est vrai, confirme Pierre-Yves Maillard, directeur de la Santé du canton de Vaud, nous avons un problème d’affiliation avec Intras. Aujourd’hui, les assureurs maladie sont obnubilés par une seule chose: la sélection des risques. Ils n’ont que ce concept en tête. Mais rien ne prouve que les réfugiés soient forcément de mauvais risques!» Et, surtout, comme c’est l’Etat de Vaud qui paie, via l’Office cantonal de contrôle de l’assurance maladie (OCC), les primes maladie des bénéficiaires du revenu d’insertion, c’est aussi lui qui perd l’argent de la différence de primes qu’aurait généré l’affiliation chez Intras. Un scandale, puisque ce sont des deniers publics qui sont ainsi gaspillés. «Absolument. Cela cause effectivement un tort financier à l’Etat», poursuit le conseiller d’Etat vaudois. Et on comprend d’autant moins l’attitude d’Intras que les assurés en question ne seront jamais en défaut de paiement, puisque c’est l’Etat qui paie leurs primes et leurs participations aux frais médicaux.
Un vrai système
Plus troublant encore: alors que les anciens assureurs maladie se sont automatiquement manifestés dès lors qu’ils n’avaient pas reçu la confirmation d’affiliation d’Intras, l’un d’entre eux, Auxilia, n’a pas repris tous ses anciens assurés. Certains réfugiés se trouvent ainsi sans assurance, malgré les demandes répétées des services sociaux. Corollaire: des situations pénibles où certains assurés se retrouvent directement avec des factures de médecin ou du CHUV impayées et bientôt menacés de poursuites. Et, étonnant hasard, Auxilia se trouve faire partie du groupe CSS, le même groupe qui possède aussi Intras… De quoi se poser des questions sur la façon dont les caisses d’un même groupe considèrent la protection des données. A croire qu’il s’agit quasiment d’un système, d’une véritable politique d’entreprise mise en place par l’assurance pour se défaire de ce qu’elle juge manifestement comme un mauvais risque. D’ailleurs, Genève aussi connaît des soucis similaires avec Intras. Une vingtaine de personnes seraient concernées. Contacté, le Service de l’assurance maladie reconnaît avoir des problèmes d’affiliation concernant Intras mais refuse d’en dire davantage. Et l’Office du tuteur général, à Lausanne, est également touché par l’affaire. En tout, dans le canton de Vaud, quelques centaines de personnes seraient atteintes.
Pourtant, ces assureurs qui ont tant lutté pour le maintien du système de la concurrence devraient être heureux de voir affluer de nouveaux clients. Le problème, c’est qu’Intras aimerait pouvoir les choisir lui-même. Inacceptable. Et surtout illégal.
«(…) Selon l’art. 4, al.2 LAMal, les assureurs doivent dans les limites de leur rayon d’activité territorial, accepter toutes les personnes tenues de s’assurer. Nous sommes donc intervenus auprès de l’assureur-maladie en question (INTRAS) pour lui rappeler ses obligations légales et pour le sommer d’accepter les affiliations qui lui ont été valablement adressées par le Centre social d’intégration des réfugiés (CSIR) en décembre 2009 et de réparer les éventuels dommages qui ont résulté du retard d’affiliation.»
Extrait d’une lettre envoyée à l’Etat de Vaud le 26 mai dernier et signée du directeur de l’OFSP, Pascal Strupler
INTRAS: «ON EN A PLUS QUE NOTRE PART DE MARCHÉ»
Pourquoi refusez-vous d’affilier des réfugiés dans le canton de Vaud?
On ne refuse personne. Seulement, nous estimons que l’on a beaucoup plus de réfugiés que les autres caisses et que cette répartition devrait se faire selon les parts de marché des assurances maladie dans le canton.
Pourtant, vous refusez bien d’en affilier 110.
Oui, parce qu’on en a déjà beaucoup plus que notre part de marché.
Mais la loi ne parle jamais de quotas. Vous êtes obligé de les accepter. Si vous refusez, c’est illégal.
Nous ne les refusons pas de manière générale, mais sommes en discussion avec l’OFSP et les cantons. Notre position est simple: nous assurons chaque client mais la répartition des réfugiés ne doit pas se faire de manière arbitraire.
Pourquoi?
Nos statistiques montrent qu’ils génèrent en moyenne plus de coûts. Il est injuste que nos clients doivent prendre en charge la majeure partie des coûts des réfugiés alors que d’autres n’en assurent aucun.