vendredi 5 août 2011

Pour en finir avec le national-racisme de l'extrême droite

Le malaise de la classe politique autour de l'extrême droite permet à ce courant de développer ses idées et de les diffuser. L'opposition devra être solide pour pouvoir les contrer, explique Vincent Cespedes, philosophe.

Parmi l'offre des excitations comblant le manque à vivre, celle de l'extrême droite peut paraître alléchante : le national-racisme. Frissons garantis. Il suffit d'avoir le bon prénom et la bonne couleur de peau pour prendre part à ce sport d'équipe addictif, entre le défoulement adolescent et la chasse aux faibles, avec pour seuls adversaires ceux qui les protègent (les "bien-pensants"), et pour seule règle du jeu la jouissance de haïr en commun. On entend souvent dire que l'extrême droite "revient".

Une extrême droite transfigurée

Mais l'extrême droite ne revient pas : elle est revenue - transfigurée - il y a vingt ans déjà, en Russie, en Europe de l'Est et dans les vieilles démocraties occidentales. Tout le monde, d'ailleurs, l'a vu revenir. Mais personne n'a su quoi faire à part protester, quoi dire à part avertir. Elle a progressivement contaminé les discours, les esprits, les débats et les politiques. Elle a frappé avec une rhétorique et une brutalité de plus en plus clinquantes.

Marine et Jean-Marie Le Pen lors du congrès du FN, 16/01/11, à Tours (AFP PHOTO ALAIN JOCARD )

Marine et Jean-Marie Le Pen lors du congrès du FN le 16 janvier 2011 à Tours - Crédit : ALAIN JOCARD 

Elle a joui de mépriser jusqu'à avilir, de détruire jusqu'à tuer, et le drame d'Oslo fait figure en cela de sinistre apothéose. La gauche européenne est tombée d'avoir baissé d'un cran sa radicalité face à ce péril, quand il lui fallait redoubler d'ardeur pour réaffirmer son humanisme et désamorcer activement la montée des haines.

Elle fut logiquement évincée des rêves de changement; un tapis rouge, tant ultralibéral que médiatique, fut alors déroulé pour la boue brune. Et ils seront légion, les trublions français qui surferont dessus, d'un Nicolas Sarkozy, protégeant ministériellement l' "Identité nationale" de "l'Immigration", à un Alain Finkielkraut, doctrinaire de la menace multiculturelle et contempteur du "métissage".

Confusions savamment distillées, sur un ton professoral, entre "immigration" et "invasion", "idéologie" et "identité", "islam" et "arabes" - ou comment aggraver l'obscurantisme au nom de la philosophie des Lumières. Les attentats d'Oslo devraient être pour nous une piqûre de rappel. Le mal est toujours vivace, encore plus dangereux car banalisé, de l'Italie (Ligue du Nord) à la Hongrie (Parti de la Justice et de la Vie Hongroise). La folie des frontières ne connaît pas de frontières : elle traverse l'Europe de part en part, comme elle traverse les corps pour en faire rejaillir les funestes fantômes de la "Race" et de l'"Identité".

Pour comprendre le national-racisme, il faut retenir certaines leçons de Wilhelm Reich sur ce qu'il appelle la "peste émotionnelle". Elle se propage chez des individus "désespérément frustré[s]", "qui n’[ont] jamais songé à [leur] responsabilité sociale" et qui succombent "à l’érotisme tapageur du fascisme" : "Le pestiféré , écrit le philosophe, s’insurge contre le genre de vie des autres, même s’ils ne gênent en rien ses propres habitudes car il considère leur existence comme une provocation". Et les fascistes ne jouissent qu'en s’identifiant à l’autorité, "les yeux constamment tournés vers le haut".

La recherche d'un leader

Or, aujourd'hui, le national-racisme européen se cherche des leaders charismatiques capables d'incarner l'autorité. Tâche difficile, car le relativisme horizontal des rapports sur la Toile en empêche précisément l'émergence. Et c'est cette incapacité à se trouver un Chef qui le distingue (provisoirement ?) du fascisme classique, avec sa militarisation de la politique et ses violences "préventives". Un marché aux leaders est donc ouvert : le national-racisme est "à la recherche de sa Nouvelle Star". Conscients de l'enjeu, tout ce que l'Europe compte de paranoïaques de l'Autre et de Zorros de la "race blanche" se précipitent dans le casting.

La pépinière nationale-raciste délivre une drogue dure. Elle réduit le monde à des dimensions plus faciles à gérer ; elle réduit la pensée à du "Nous contre Eux" binaire. En France, la droite sarkozyste s'est grossièrement abîmée dans ce trafic. La gauche de 2012 devra être visionnaire, enthousiasmante et inspirée pour promettre une solidarité plus intense que la haine, et convaincre les junkies du national-racisme d'accepter leur cure de désintoxication.

Vincent Cespedes, philosophe et écrivain, dans le Nouvel Observateur

Bateau arrivé à Lampedusa: une centaine de morts, selon une rescapée

Une centaine de migrants voyageant à bord d’une embarcation partie vendredi de Libye et arrivée jeudi sur l’île de Lampedusa sont morts au cours de la traversée et leurs corps ont été jetés à la mer, a raconté une rescapée marocaine.

«Nous étions 300, mais une centaine, surtout des femmes, n’ont pas survécu, et les hommes ont été obligés de jeter leurs corps à la mer», a raconté cette femme, citée par l'agence ANSA, mais dont l’identité n’a pas été révélée.

Témoignage contradictoire

Ce témoignage présente une contradiction avec les informations officielles fournies plus tôt par les garde-côtes italiens, dont les décomptes font état de 300 survivants à bord du bateau, trouvé à la dérive à 90 milles de Lampedusa. Le commandant de la capitainerie de Lampedusa, Antonio Morana, a toutefois affirmé que «les vedettes des secours avaient vu flotter en mer dans la zone des opérations des vêtements, peut-être même des cadavres», étayant ainsi les déclarations de cette Marocaine. Il n’a pas été possible de procéder à des vérifications plus avant car «nous avons été obligés de repartir pour transporter au plus vite les 300 migrants qui se trouvent dans des conditions de santé précaires», a-t-il ajouté, soulignant qu’il n’était pas possible de lancer des recherches dans l’immédiat en raison de l’obscurité. Le témoin fait partie du groupe de quatre femmes et un homme héliportés sur l’île depuis le bateau pour être hospitalisés en urgence en raison de la gravité de leur état dû à la déshydratation et au choc des épreuves traversées.

Un cadavre trouvé à bord

Un cadavre a également été découvert à bord du navire d’une vingtaine de mètres secouru jeudi après-midi par les gardes-côtes italiens, eux-mêmes alertés par un remorqueur chypriote. Ce dernier avait dû s’éloigner après que plusieurs passagers se furent jetés à l’eau pour tenter de monter à bord. Le remorqueur avait alors lancé des canots de sauvetage à la mer pour éviter qu’ils ne se noient. Jeudi matin, un hélicoptère des gardes-côtes avait largué de l’eau et de premiers secours, mais la tentative désespérée d’un des passagers de s’accrocher à la nacelle de transport l’avait contraint à l’abandonner. Le navire a ensuite été secouru par quatre vedettes des garde-côtes arrivées sur place à 14h40 et sur lesquelles les migrants ont été transférés pour être acheminés jusqu’à Lampedusa, où ils devraient arriver au cours de la nuit.

Réaction politique

Face à la «nouvelle tragédie terrible», la présidente du Parti démocrate (gauche, principal parti d’opposition), Rosy Bindi, a exigé une «intervention immédiate pour éviter que les traversées des migrants ne se transforment en voyages de la mort». «Le gouvernement italien doit sortir de sa torpeur et mobiliser avec une initiative politique forte les organismes internationaux et l’Europe», a-t-elle affirmé, espérant que «le bilan des victimes ne soit pas aussi effrayant que le laissent supposer les premières informations». Des milliers de personnes fuyant la Libye, la plupart des travailleurs immigrés venant d’Afrique ou des réfugiés des conflits de la région, sont arrivés au cours des derniers mois à Lampedusa, une petite île à mi-chemin entre les côtes africaines et la Sicile. Des centaines d’entre eux sont morts noyés: en avril, 250 migrants avaient trouvé la mort lors d’un naufrage au large de l’île. Enfin, lundi, 25 migrants apparemment morts par asphyxie ont été trouvés dans la salle des machines d’un bateau lui aussi en provenance de Libye.

Tribune de Genève et AFP

Malgré le soutien d’Eric Voruz, Massud a le blues

Le conseiller national est révolté par la décision de renvoi du requérant d’asile bien intégré. Il veut en faire un cas d’école.

massud shafiq

«Je ne sors plus. J’aimerais pouvoir dormir toute la nuit et tout le jour… Et ça, ça ne me ressemble vraiment pas.» Jadis enjoué et plein d’énergie, Massud Shafiq, aide de cuisine irakien, n’est plus le même homme depuis qu’il a perdu le droit de travailler le 13 juillet dernier, suite au retrait de son permis humanitaire par l’Office fédéral des migrations (ODM).

380 signatures collectées

Cela faisait quatre ans et demi que ce Kurde d’Irak, âgé de 27 ans, s’était fait sa place dans notre pays et auprès d’employeurs de La Côte (24 heures du 12 juillet) quand est arrivé le funeste courrier venu de Berne. La mobilisation de ses collègues et des pensionnaires de l’EMS dans lequel il travaillait est restée vaine pour l’heure. Quelque 380 signatures de soutien ont été transmises à l’ODM, sans réponse. «Depuis le 13 juillet, c’est comme si le temps s’était arrêté», déplore Massud Shafiq, qui vit mal cette attente oisive.

Le temps ne s’est pourtant pas arrêté pour tout le monde, car, depuis cette date fatidique, l’Irakien compte un soutien notoire en la personne d’Eric Voruz, conseiller national socialiste morgien et membre de la plate-forme nationale de soutien aux sans-papiers. «Ce renvoi est révoltant, lâche-t-il tout de go. Par courrier à l’ODM et au Service vaudois de la population, j’ai demandé que cette situation soit mieux analysée et je mènerai la même démarche auprès du conseiller personnel de Simonetta Sommaruga.» Le Morgien déplore particulièrement que l’on retire du jour au lendemain le droit de travailler à une personne que l’on ne renverra pas de sitôt. «Même l’ONU invite encore à ne pas renvoyer des personnes en Irak, rappelle le conseiller national. Il faut donc que Confédération et canton suspendent momentanément son cas.» Dans le même temps, il sollicitera la mansuétude de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants pour que cette entité laisse Massud dans l’appartement qui lui a été mis à disposition.

Depuis quatre ans qu’il travaillait, dans l’agriculture, puis dans la restauration, Massud Shafiq n’a rien coûté aux caisses publiques. Il avait même remboursé tous les frais engendrés à son arrivée (logement, cours d’intégration et de français notamment). Pour cela, il rétrocédait 10% de son salaire mensuel. Hormis son loyer et son assurance-maladie, le requérant était parvenu à acquérir une voiture, qu’il a dû brader. «Je n’ai plus le droit d’avoir des plaques d’immatriculation avec mon nouveau statut», explique-t-il. Aujourd’hui même, l’Irakien se rend au Service de la population pour solliciter une aide d’urgence.

«J’en ai marre de ces cas où l’on envoie à l’aide d’urgence des gens qui n’ont jamais fait appel à l’aide de la collectivité jusque-là», s’emporte le socialiste, qui évoque d’autres cas, comme cet ouvrier que la Verrerie de Saint-Prex a été forcée de licencier sur injonction du canton.

Motion en préparation

Eric Voruz ne s’arrêtera pas à une intervention d’urgence en faveur de Massud. Il prévoit de déposer une motion pour demander la révision de la loi sur l’asile. Il souhaite en substance que, lorsqu’une demande d’asile est rejetée, l’autorisation de travailler s’éteigne à l’expiration du délai fixé pour quitter le pays, mais en respectant les délais de congé fixés par le Code des obligations ou par convention collective. «Et s’il le faut, le salaire correspondant au délai de congé et au droit aux vacances sera remboursé par l’Etat à l’employeur. C’est quand même à lui qu’incombe la faute qui conduit à la rupture du contrat de travail.»

Didier Sandoz dans 24 Heures