Des universitaires accusent l’ancien dirigeant de la Bundesbank d’avoir manipulé des statistiques.
Thilo Sarrazin est-il un imposteur? L’ex-dirigeant de la Bundesbank assure que l’immigration musulmane est le danger qui mine l’avenir de la République fédérale dans son livre L’Allemagne se liquide elle-même , férocement critiqué depuis cet été. Les statistiques le démontrent, selon lui. Personne d’ailleurs n’ose contester celles qu’il cite dans son ouvrage, affirmait-il encore en décembre dans les colonnes du quotidien Frank-furter Allgemeine Zeitung .
Or, une équipe de chercheurs de l’Université Humboldt de Berlin conduite par le professeur Naika Foroutan, d’origine iranienne, assure au contraire qu’il a tout faux. Leur étude, qui vient de paraître, met les thèses de Sarrazin à l’épreuve et décortique sans pitié son ouvrage, en s’appuyant sur les sources officielles du Ministère de l’intérieur, de l’office des statistiques, ou des services fédéraux de l’immigration.
Sarrazin traite ainsi du handicap culturel «héréditaire» que se transmettraient les immigrés de la première à la troisième génération. Huit pour cent seulement des Turcs vivant en Allemagne auraient atteint le niveau de l’Abitur (la maturité), selon lui, tirant ainsi le niveau général vers le bas.
Or 22,4% des membres de la seconde génération scolarisés en Allemagne ont obtenu ce diplôme au contraire, précisent les statistiques du Ministère de l’intérieur – 28,5% même en ce qui concerne les jeunes d’origine musulmane en général – pour une moyenne en Allemagne de 24,4%. Trois pour cent seulement des immigrés turcs de la première génération détenaient un tel diplôme.
Le supposé «manque d’enthousiasme» des Turcs et des Arabes à apprendre l’allemand est également démenti par l’étude des universitaires: 70% des Turcs parlent très bien (37%) ou bien (33%) l’allemand. Mais Sarrazin assure que les traditions culturelles freinent l’intégration, et écartent les jeunes musulmanes du sport à l’école et de la piscine, tandis que le port du foulard va croissant. Or 90% des jeunes concernés participent au contraire aux activités sportives selon les statistiques officielles. Septante our cent des jeunes filles de plus de 16 ans de la seconde génération n’ont jamais porté le foulard. Dix-sept pour cent environ le portent «toujours», contre 25% dans la première génération.
Les chercheurs de l’Université Humboldt ont vérifié enfin auprès de la police ses affirmations selon lesquelles «20% des délits sont commis par 1000 jeunes Turcs et Arabes à Berlin». Des assertions «que ne sauraient justifier les données de la police criminelle, selon lesquelles 8,7% des délits ont été commis par des personnes de ces origines», leur a répondu le président de la police berlinoise.
Un constat qui démontre l’amateurisme de l’ex-banquier. Même s’il faut manier toutes ces statistiques avec prudence, les universitaires berlinois ont relancé sur de nouveaux rails le débat qui divise l’Allemagne sur son avenir.
Michel Verrier, Berlin, dans 24 Heures