lundi 24 octobre 2005

L'immigration à des limites

Dans le courrier des lecteurs de 24heures, le député UDC François Brélaz explique très clairement les raisons du "profilage ethnique" dont sont victimes les requérants d'origine Africaine. Désormais, selon ce député, il faudra qu'une personne menacée qui a la peau noire soit au préalable formée et qu'elle paye des impôts pour être acceptée en Suisse.

»En réponse à l’«Opinion» de M. Innocent Naki intitulée «Pourquoi cette décision est arbitraire!» ( 24 heures du 20 oc-tobre 2005):
M. Innocent Naki, enseignant et écrivain africain, s’insurge contre les «expulsions massives» dont sont victimes les demandeurs d’asile, notamment africains. Or, les Africains, qu’ils soient des NEM (non entrée en matière) en Suisse ou qu’ils tentent de parvenir en Europe par les enclaves espagnoles de Mellila et Ceuta, sont des réfugiés économiques et non politiques.
Si la Suisse a besoin d’une certaine immigration, celle-ci doit être choisie et non subie. Les immigrés doivent être des gens avec une formation, qui paient des impôts, et non des gens sans formation professionnelle qui navigueront entre petits boulots et aide sociale.
Voilà quelques mois, la Conférence romande et tessinoise des offices cantonaux de l’em-ploi a publié des statistiques intéressantes. On y apprend que la communauté africaine connaît un taux de chômage de 30%, le plus élevé de toutes les communautés. Pour ces gens, la durée moyenne de recherche d’un emploi est la plus longue (355 jours).
D’autre part, avant d’accepter tous les miséreux du monde entier, il faut se préoccuper des sans-emploi suisses et étrangers en situation légale. Ainsi, fin juin 2005, à Renens, si on additionne les chômeurs, les personnes qui ne sont pas au chômage mais cherchent un travail et les bénéficiaires du revenu minimum de réinsertion (personnes qui devraient en principe chercher un emploi), on recense 1220 travailleurs potentiels. Cela représente 11,8% de la population active. Quand il y a autant de demandeurs d’emploi dans une des plus grandes communes du canton, il est normal d’être restrictif à l’égard des personnes non qualifiées provenant de pays extraeuropéens.

Renvoyé de Suisse, il croupit en prison au Yémen

Didier Estoppey dans Le Courrier nous révèle un nouveau drame vécu par un requérant d'asile expulsé par les autorités Suisse.

Arrêté à son atterrissage à Sanaa à bord d'un vol parti de Genève, un requérant yéménite débouté croupit depuis dix jours en prison. Berne est intervenu en faveur de sa libération. Jusqu'ici en vain.

«En cas de renvoi, je vais disparaître dans les prisons yéménites comme tant d'autres opposants au régime actuel.» Ainsi s'exprimait Ihab Alariki dans une ultime supplique adressée, le 14 septembre dernier, à l'Office fédéral des migrations (ODM). La suite des événements semble cruellement lui donner raison: renvoyé de Suisse le 13 octobre, avant même d'avoir eu le temps de contester un nouveau refus de sa demande d'asile après moult recours et demandes de reconsidération, l'homme a été arrêté dès son arrivée à l'aéroport de Sanaa, la capitale yéménite. Et croupit depuis lors en prison.
Arrivé en Suisse en novembre 2000, et vivant depuis lors à Genève, M. Alariki, 34 ans, avait motivé sa demande d'asile par les ennuis que lui avaient valu dans son pays des liens supposés – qu'il réfute – avec un parti d'opposition. Le 20 septembre, la police genevoise a tenté une première fois de mettre à exécution l'ordre d'expulsion venu de Berne. Mais le requérant a manifesté son refus suffisamment fort pour que le pilote refuse de l'embarquer à bord du vol prévu.


La femme et les enfants d'abord


La suite n'a pas tardé: le 4 octobre, c'est à 4 heures du matin que la police se présente au domicile de sa famille, pour embarquement immédiat. M. Alariki, lui, avait pris la précaution de se planquer chez des amis. Ce qui n'a pas empêché les forces de l'ordre d'expulser Madame et ses deux enfants, dont un bébé de 16 mois. «Je n'ai même pas emporté de bagages, raconte l'épouse, que nous avons pu joindre à Sanaa. J'étais convaincue qu'on ne nous renverrait pas sans mon mari.» C'est accompagnée de deux fonctionnaires de l'ODM qu'elle a fait le voyage du retour.
Son mari a suivi, de guerre lasse, après s'être rendu aux autorités genevoises. «Il n'aurait pas dû rentrer, mais il n'était plus dans son état normal depuis le renvoi des siens, confient des proches à Genève. Il nous a dit qu'il n'avait plus le choix, que la Suisse aussi était devenue une prison pour lui.»
Son retour n'en est pas moins considéré comme purement volontaire par le responsable du domaine de l'asile à l'Office cantonal de la population, Bernard Ducrest. Même s'il a d'abord fallu pousser le reste de la famille dehors... «Nous avons eu de multiples contacts avec ces gens pour chercher à préparer leur retour. A Genève, nous avons des procédures plutôt soft. Mais, à un moment donné, il faut bien appliquer les décisions, sinon personne ne rentrerait...» Mais quid de l'arrestation de Monsieur? «La responsabilité de vérifier l'exigibilité du renvoi incombe à l'autorité fédérale», rappelle M. Ducrest.
L'autorité fédérale, elle, commence par s'étonner de notre appel. «Il n'y a qu'un ou deux rapatriements par année vers le Yémen, et tout s'est toujours bien passé, nous affirme d'abord le porte parole de l'ODM, Dominique Boillat. Nous n'avons eu connaissance d'aucun problème concernant ce monsieur.»


Berne intervient

Mais, depuis l'affaire d'un requérant birman toujours en prison depuis son rapatriement de Suisse, il y a plus d'un an, qui avait défrayé la chronique, on prend tout risque de dérapage au sérieux. Vérification faite auprès de la mission permanente du Yémen, à Genève, l'ODM a obtenu vendredi, après nos premiers appels, la confirmation de la détention de M. Alariki. «Il semble qu'on lui reproche un passé pénal en Suisse, indique M. Boillat. Son dossier est pourtant totalement vierge. Le fait que nous ayons raccompagné Madame a peut-être été interprété comme une mesure policière qui a éveillé les soupçons des autorités yéménites. Nous avons immédiatement entrepris des démarches afin de lever ce malentendu. La mission du Yémen a bon espoir qu'il sera libéré dans les jours qui viennent.»
Dans la communauté yéménite de Genève, on est moins optimiste. On évoque un autre cas récent de requérant arrêté au Yémen à son retour de Suisse. Une rumeur réfutée par l'ODM, qui affirme n'avoir connaissance d'aucun cas similaire à celui de M. Alariki. Nos interlocuteurs yéménites craignent également que le fait de demander l'asile à l'étranger soit interprété par le gouvernement de Sanaa comme un aveu de culpabilité ou une trahison. A Amnesty International aussi, on se montre prudent. Sans pouvoir se prononcer sur le cas de M. Alariki, Denise Graf, responsable des questions d'asile au sein de la section suisse, indique avoir été amenée à intervenir, à deux reprises, contre des décisions de renvoi de Yéménites. «Le Yémen ressemble un peu à Guantanamo. Beaucoup de gens y sont détenus au secret, sans accès à aucun moyen de défense.»
M. Alariki n'a pas encore disparu dans les geôle yéménites. Son épouse a pu lui rendre visite mercredi dernier. Mais malgré l'optimisme de l'ODM et de la mission yéménite à Genève, elle attendait toujours hier soir sa libération... «Cela fait deux jours qu'on me dit 'demain peut-être'. Mes enfants s'impatientent et sont très inquiets.»


Nouveau renvoi en vue

Du côté des milieux de défense des requérants d'asile aussi, l'affaire laisse un goût très amer. Le Genevois Michel Ottet, du réseau Elisa, se dit scandalisé de la manière dont la famille de M. Alariki a été renvoyée, et encore plus de la légèreté avec laquelle son cas a été traité. «Son arrestation prouve que ses craintes étaient fondées. Nous allons demander son retour. L'affaire m'inquiète d'autant plus que les autorités genevoises s'apprêtent à exécuter le renvoi d'un autre requérant yéménite débouté. J'espère que, après ce qui vient de se passer, elles sauront y renoncer.»

Naufragés d'Afrique sur nos terres

Voici un excellent article de Christian Leconte, publié samedi dernier dans Le Temps, qui rapporte le témoignage de jeunes requérants Africains. D'autres témoignages du même genre peuvent être consultés dans les pages "Quand on NEM..." dans la colonne de droite; toutes ces histoires témoignent également de cette politique officielle de "profilage ethnique" dont nous parlait récemment Didier Estoppey
Les images de milliers d'immigrés africains escaladant les grillages de Ceuta et Melilla ont bouleversé le monde. Qui sont ces hommes? Que fuient-ils? Où vont-ils?

Les passeurs ont dit à Emmanuel le Libérien qu'il fallait mentir sur son âge «parce qu'en Suisse c'est une question vitale». S'il est majeur, il est un requérant d'asile comme un autre, sans réel droit, menacé d'être expulsé à tout moment.
Emmanuel a retenu la leçon. «J'ai 16 ans», soutient-il. Mineur donc. La loi le protège, il a même le droit d'aller à l'école.
Mais les Suisses ont trouvé une parade: le test osseux (radiographie du poignet) qui déterminerait l'âge. Au Centre d'enregistrement des requérants d'asile (CERA) de Vallorbe, le verdict est tombé: «Vous avez environ 20 ans.»
Tous la même histoire
Emmanuel a dit que c'était faux. Il a fait un recours puis est entré en clandestinité. Il traîne en ce moment à Lausanne. Dort dehors ou dans un sleep-in lorsqu'une bonne âme lui glisse 5 francs. Il retrouve là d'autres naufragés, tout aussi dépourvus. Africains, pour la plupart.
«Je n'aime pas ces endroits-là parce qu'on a tous la même histoire et c'est bien à cela que je voulais échapper, la même histoire, les mêmes guerres, la même misère.» Les bancs des gares, c'est mieux. La solitude est sa force. Il brave l'indifférence et «la police qui insulte et fouille partout, même dans le plus intime du corps pour savoir si on trafique de la drogue.»
Emmanuel a quitté le Liberia en guerre en 2002. Parents morts, le frère et la soeur morts. Des voisins ont vu le gamin assis par terre. Ils ont donné de l'argent pour qu'il se sauve en pick-up via le Mali.
La grande traversée
Début de la traversée qui va durer deux années. C'est la moyenne pour les «clandos». «Je ne savais pas où j'allais. Alors des types m'ont dit: on va tous vers l'Europe, toi aussi.» Plusieurs escales pour se renflouer en argent et obtenir de faux papiers: Agadez au Niger, Tamanrasset en Algérie.
«A Agadez, on loge dans des cases et on fait n'importe quoi comme travail.
Je suis resté six mois», se souvient Emmanuel. Quand l'argent nécessaire est réuni, il faut attendre qu'un pick-up soit rempli pour poursuivre le voyage. L'attente peut durer un mois. «Ils entassent 30 personnes sur les camionnettes bourrées de produits de contrebande, relate-t-il. A Bordj Mokhtar, à la frontière algérienne, d'autres guides nous prennent en charge.
Ils connaissent parfaitement les coins d'eau dans le désert et sont informés sur les itinéraires des patrouilles de surveillance. Ils donnent notre argent pour que les gendarmes ferment les yeux. Les passeurs roulent vite, il faut bien s'accrocher. Quand une personne tombe, le camion ne s'arrête pas. Celui-là va mourir. On sait cela, ça fait partie du contrat.»
Esclaves à Tamanrasset
Tamanrasset, au Sahara. Un ghetto, une plaque tournante. Des milliers d'Africains y séjournent. Emmanuel reste là une année.
«J'ai compris là-bas que nous étions des esclaves, se souvient-il. Pour gagner de l'argent et continuer la route, on travaille pour les Algériens de Tamanrasset. On est leurs domestiques. On gagne 100 dinars par jour (2fr.50) à creuser des trous ou à faire de la lessive. Des femmes se prostituent. Il y a des réseaux qui fonctionnent bien, tout est prévu. Des hommes de Tamanrasset s'occupent d'elles avec les passeurs.»
Tamanrasset est une étape à travers les immenses étendues désertiques. Puis un jour, un autre pick-up direction Ghardaïa et Alger ou Oran. Un choix à faire: tenter de rallier l'Europe via le Maroc ou via la Tunisie. Emmanuel opte pour la Tunisie car les Marocains sont «sans pitié»: «Ils raflent les gens et les abandonnent en plein désert», apprend-il.
En Suisse, où la guerre finit
Une nuit, un bateau pour Lampedusa, une île italienne au sud de la Sicile. Les frêles esquifs souvent chavirent et les corps échouent sur les plages. Le sien soutient les vagues.
Entrée illégale dans l'espace Schengen. Une automobile conduite par un «frère africain» le remonte vers la Suisse, «le pays de la Croix-Rouge qui sait ce qui se passe dans ton pays», a assuré le passeur.
Mais à Vallorbe, un cassant NEM (non-entrée en matière) a estampillé le dossier Emmanuel. Peu de chances désormais qu'un second examen désavoue le premier car le Liberia vient de voter: «La guerre est finie, vous pouvez rentrer chez vous.»
Emmanuel va monter vers l'Allemagne. Un frère lui a dit que le gouvernement avait changé et que les lois sur l'asile «allaient être plus souples».
Exil congolais
Centre de requérants de Vallorbe (CERA). Les Congolais Christian K. (26 ans) et Serge M. (31 ans) demandent l'asile politique. «Chez nous, on est comme des animaux dans la vie», résument-ils. Christian ne sait pas si son père est encore en vie. «Je vivais du commerce d'or mais la police m'avait à l'oeil à cause de mon père qui faisait de la politique. On me cherchait alors j'ai fui», dit-il.
Pour 3500 dollars américains, il a loué un faux passeport avec un vrai visa Schengen et on lui a fourni un billet d'avion Kinshasa-Rome. Serge, voix douce et profil d'intellectuel, a fait de la prison «pour activités subversives». Il militait dans un parti d'opposition, l'Union démocratique pour le progrès, «contre Mobutu puis contre Kabila».
«J'intervenais souvent dans ce qu'on appelle chez nous les lieux de débat public: on choisit un passage fréquenté dans la ville et on prend à témoin la foule», explique-t-il.
Arrestation, cachot puis liberté provisoire. Serge prend à nouveau la parole. Nouvelle arrestation, passage à tabac, travaux forcés, évasion. Il se procure, moyennant 3200 francs, un passeport d'emprunt. Dans la capitale italienne, un passeur congolais récupère les passeports qui seront renvoyés au pays. Des caches abritent les clandestins quelques jours.
Puis Christian, Serge et d'autres montent en Suisse dans une fourgonnette qui roule de nuit. Prix: 300 euros.
Coupés du monde
Pourquoi la Suisse? «Parce qu'ils parlent français et qu'il y a du travail.»
Pourquoi pas la France? «A cause de Sarkozy.»
A Vallorbe, les sorties hors du centre sont limitées, les types de la sécurité n'ont pas le droit de leur sourire mais on leur donne à manger. Ils ont passé des radios, ont été vaccinés, lavés et interrogés. Ils attendent.
Savent-ils ce qui s'est passé dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla? «Non, ici on est coupé du monde.»
Le CERA se trouvait jadis à Genève mais trop d'associations rôdaient autour,alertaient l'opinion sur la misère des requérants déboutés. Vallorbe est
plus lointaine, plus reculée. L'Aracoh, une organisation, les épaule. On sert le café et des croissants, on parle d'aide juridique.
Diallo, envoyé par sa famille
Diallo, un jeune Guinéen, est lui aussi passé par Vallorbe. Il vit aujourd'hui à Lausanne, clandestinement. Il a épuisé les recours, dort dehors ou en foyer, travaille parfois au noir, passe au Point d'appui, un local qui offre des repas et où «des gens bien écoutent».
Diallo raconte que sa famille l'a envoyé au Nord «parce qu'un salaire européen fait vivre longtemps plusieurs personnes guinéennes». Tout le monde se cotise et on fait voyager le plus robuste ou le plus malin.
Pas question pour ce dernier d'échouer. Un retour au pays n'est envisageable que si fortune est faite. Rentrer plus pauvre jette l'opprobre sur toute la famille.
Diallo dit qu'il a passé trois semaines dans les soutes d'un bateau qui a accosté en Italie. Trois semaines à boire de l'eau sale et manger de la farine. «Quand on me relate toutes ces histoires, au Maroc, dans le désert ou sur la mer, j'ai honte, confie une bénévole. Je me dis surtout qu'on devrait donner au moins une chance à ceux qui ont voyagé plusieurs années et ont risqué à maintes reprises leur vie pour arriver jusqu'ici.» Diallo a été lui aussi prié de quitter le territoire. Avec pour seul papier un carnet de vaccination suisse.


Selon le HCR, le nombre de réfugiés dans le monde est en baisse constante
depuis quelques années: 17 millions début 2004. Les pays du Sud sont
beaucoup plus confrontés à la question de l'asile que l'Europe. Ces dix
dernières années, sept réfugiés sur dix auraient trouvé l'asile dans un pays
du Sud alors qu'en Europe le nombre de requérants d'asile a baissé de 22% en
2004. En Suisse, 2004 représente l'année où le nombre de demandes déposées a
été le plus faible depuis vingt ans avec 14248 demandes.