Trouvé sur le teletext
jeudi 14 octobre 2010
Surveiller les renvois forcés: alibi ou mal nécessaire ?
L'Organisation d'aide aux réfugiés se dit prête à mobiliser des observateurs lors de vols spéciaux, une tâche qui divise les défenseurs de l'asile.
L'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) se dit prête à jouer le rôle d'observatrice lors des vols spéciaux organisés par l'Office des migrations (ODM) pour expulser de force des requérants d'asile déboutés. Après le refus de la Croix-Rouge de cette mission controversée, le directeur de la communication de l'OSAR Adrian Hauser confirme l'information révélée hier par Le Temps. «Cela fait longtemps que nous réclamons des observateurs neutres. Nous sommes prêts à prendre nos responsabilités. Cela doit toutefois encore être discuté avec nos organisations membres1.» L'OSAR est-elle susceptible d'intéresser l'ODM? Celui-ci répond être en contact avec plusieurs organisations et étudier plusieurs variantes. Point. Depuis la mort d'un Nigérian à l'aéroport de Kloten en mars, les renvois forcés ont de nouveau suscité la polémique. Après une interruption des vols, ils ont repris depuis quelques mois, avec au minimum un médecin et un ambulancier pour assurer la surveillance et l'encadrement médicaux. Dès janvier 2011, une directive Schengen de l'Union européenne requerra un observateur indépendant pour accompagner les déboutés durant le vol.
L'OSAR estime que ces retours forcés pourraient être nécessaires dans certains cas, mais qu'ils doivent se passer dans le respect de la dignité humaine et en garantissant la sécurité des personnes concernées. «Collaborer en jouant le rôle d'observateur servira d'alibi à l'ODM pour qu'il continue à faire tourner la machine à expulser», s'indigne au contraire Graziella de Coulon, du collectif lausannois Droit de rester. «En plus des conditions indignes d'expulsion, c'est le principe même du renvoi forcé qui est inhumain. Il faut que tout vol spécial cesse!»
«Victimes ligotées»
Dans Le Temps, François Couchepin, de l'Observatoire romand pour le droit d'asile et des étrangers, va plus loin: «Le CICR a eu raison de refuser de cautionner les méthodes de torture utilisées pour faire disparaître un certain nombre de sans-papiers. Ces retours sont exécutés en ligotant les victimes, après les avoir langées pour que les odeurs de leurs éventuelles déjections n'incommodent pas les héroïques policiers qui les surveillent.» Graziella de Coulon ajoute que le fait de rémunérer cette activité réduira la liberté de parole des futurs observateurs, ce que dénient l'ODM comme l'OSAR.
La Ligue des droits de l'homme se veut pourtant «réaliste», explique Orlane Varesano, membre du comité: «Nous aussi sommes opposés à ces vols. Mais avec ou sans observateurs, la machine tournera.»
Obligation légale
«Nous n'avons pas à juger si le recours à des observateurs est bien ou mal. Ce sera une obligation légale», réagit pour sa part le porte-parole de la Croix-Rouge suisse Beat Wagner. Celle-ci ne remet pas davantage en cause les renvois forcés, mais ne veut pas laisser penser qu'elle puisse les cautionner. Son refus du mandat proposé par l'ODM suit une recommandation du CICR: «Notre participation porterait atteinte à la neutralité et l'indépendance du mouvement international de la Croix-Rouge, mettant en danger ses activités dans certains pays.» Dans la pesée d'intérêt, cet argument a prévalu par rapport à l'objectif de préserver la dignité humaine.
Une participation de l'OSAR doit déboucher sur une protection effective des personnes expulsées pour être légitime, insiste pour sa part Adrian Hauser. Il faudrait aussi que la mission soit partagée par plusieurs organisations, suivant le modèle allemand. En Allemagne, Eglises, ONG et représentants de l'autorité collaborent au sein d'une table ronde.
Rachad Armanios dans le Courrier
Note : 1 La faîtière réunit Caritas, l'EPER, l'Organisation suisse d'entraide ouvrière, l'Union suisse des comités d'entraide juive et la Section suisse d'Amnesty International.
Des observateurs à Genève
Les observateurs devraient être prévus aussi à l'occasion de vols dits «normaux», en particulier quand les requérants, malgré leur refus de partir, sont amenés à la porte de l'avion sans possibilité toutefois qu'ils soient forcés à y monter, estime Orlane Varesano, de la Ligue des droits de l'homme. «Les incitations pour les en convaincre peuvent être plus ou moins brutales. Et si le requérant refuse, il peut y avoir des punitions dans le fourgon de retour.» Des cas ont été documentés par le passé. C'est pourquoi, depuis novembre 2009, l'ODM autorise la commission des visiteurs de prison du Grand Conseil genevois, pour les cas attribués à ce canton, à accompagner les requérants déboutés depuis le centre de détention de Frambois jusqu'à la porte de l'avion. A l'exclusion des retours par vols spéciaux.
La commission a effectué douze missions: «Le bilan est très positif, aucun dérapage n'est à déplorer. Un observateur extérieur est un élément pacificateur, qui rassure le requérant», se réjouit la présidente de la commission, la socialiste Loly Bolay.
Rachad Armanios dans le Courrier
De l’Odyssée à la harga
Comme effet d’une politique, “el-harga” est une tragédie. Comme choix individuel, c’est certainement une faute. Comme mouvement social, c’est un signe de renoncement.
S’il était juste de dénoncer le désespoir infligé à notre jeunesse, la poussant vers la plus périlleuse des voies, il ne conviendrait peut-être pas de faire des harragas un modèle de solution pour nos adolescents. Pas seulement, parce que le choix débouche, après le risque, sur un monde de clandestinité, de faux, de trafic et de contrebande, forcément propice à la précarité et à la délinquance.
La couverture médiatique de “la mutinerie” dans un centre de rétention à Cagliari montre que notre traitement du phénomène de la harga, exclusivement abordé sous l’angle victimaire et de la débrouille, n’est peut-être pas faite pour rendre service aux jeunes Algériens désemparés par le manque de perspectives d’avenir. Il faut certainement rappeler que l’état est tenu de défendre en toutes circonstances ses ressortissants et d’exiger de leur réserver un traitement digne par les autorités des pays où ils se trouvent, mais il ne faudrait peut-être pas insister sur leur statut de victimes et omettre de noter la vanité de leurs eldorados. Ce n’est pas parce que les horizons nationaux sont bouchés qu’il faille se complaire dans une pédagogie de l’errance.
Une industrie de la harga est en train de se développer sur la base du passage de clandestins sur l’autre rive et de contrebande d’articles divers vers cette rive-ci. Les passeurs locaux et leurs fournisseurs en exil sont seuls à s’enrichir dans cet échange “clandestins contre marchandise”. Les quelques enquêtes menées sur place, comme celle récemment réalisée par un confrère en Grèce, font ressortir que le plus gros des harragas survit d’expédients, parfois de larcin et même de prostitution, dans une extrême vulnérabilité administrative et juridique.
L’urgence est de mettre fin à cette hémorragie de sang jeune, livré à l’esclavagisme de certains, au racisme d’autres et à la traque des polices. Et de convaincre les plus jeunes que l’éducation et l’instruction offrent bien plus de chance de s’intégrer dans un monde mondialisé que le vagabondage transnational.
Bien mieux, puisqu’il semble que les harragas sont capables de mutinerie quand des autorités étrangères les briment ou les brutalisent, que ne se révoltent-ils pas pour réclamer le droit au bonheur chez eux ? Mieux vaut encourager la capacité de revendication de la jeunesse que de la conforter dans le réflexe de renoncement qui consiste à abandonner la partie pour aller “tenter sa chance” ailleurs que de l’exiger ici.
Le temps de l’Odyssée est passé. Paradoxalement aujourd’hui, c’est le développement d’un pays qui impose le respect de ses émigrants. Ce que peut alors faire une nation pour ses malheureux, c’est se développer. Après, le monde est à eux.
De ce point, le développement n’est plus un choix, c’est un droit. Et l’état qui ne peut pas respecter ce droit est un état de non-droit. Surtout quand il en a les moyens.
Un article de Mustapha Hammouche dans la Liberté, quotidien national algérien