jeudi 18 août 2011

Des musulmans récupèrent le lourd symbole de l’étoile jaune

étoile jaune récupération Le Conseil islamique de Nicolas Blancho lance une action qui provoque l’indignation générale.

L’étoile jaune est de retour. Utilisée à l’origine pour marquer les juifs lors des plus sombres périodes du XXe siècle, ce symbole se voit aujourd’hui dans les rues des villes suisses. L’initiative émane du Conseil central islamique de Suisse (CCIS) que préside Nicolas Blancho, comme l’a dévoilé Le Matin d’hier. L’étoile jaune à huit pointes (et non pas six) a été vue notamment à Lausanne. Il y est écrit «Muslim» en écriture gothique, la même graphie qu’avait utilisée le régime nazi pendant la guerre. Le but? Annoncer une manifestation contre l’islamophobie qui se tiendra en octobre à Berne. 5000 autocollants ont ainsi été distribués auprès des différentes mosquées et associations musulmanes de Suisse. Libre à la communauté d’en faire ce qu’elle entend. L’action est contestée.

«Le CCIS assimile les victimes de l’islamophobie de Suisse avec les victimes juives du nazisme, s’indigne Johanne Gurfinkiel, secrétaire générale de la Coordination contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD). La comparaison de ces deux situations tend en fait à banaliser le traitement subi par les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est écœurant! De plus, ce parallèle est historiquement faux et irresponsable.» Qaasim Illi, porte-parole du CCIS, se justifie: «Nous voyons des structures similaires entre l’antisémitisme sous le IIIe Reich et la vague islamophobe qui frappe notre pays. Il existe de nombreux cas de discriminations à l’égard des musulmans et nous souhaitons les mettre en lumière.»

L’opération choque des musulmans. Le directeur de la Fondation de l’entre-connaissance, Hafid Ouardiri, déplore la méthode: «Cette action est contre-productive! Le rôle de la communauté musulmane de Suisse est plutôt de créer des liens, de communiquer.» Même avis du côté du Centre islamique de Genève: «Cela nous choque autant que cela choque la communauté juive, réagit l’imam Youssef Ibram. Nous ne nous sentons pas exclus comme l’étaient les juifs sous le nazisme.» L’imam critique vivement l’attitude du CCIS, qu’il accuse de faire cavalier seul et de ne représenter qu’une extrême minorité des musulmans de Suisse. «Si l’UDC utilise des moyens irrespectueux pour communiquer, poursuit-il, nous ne devons pas suivre la même voie, mais plutôt répondre avec élégance.» Le CCIS défend, lui, la méthode en décrivant l’importance de pouvoir sensibiliser la population aux traitements racistes que subissent les musulmans. «Nous profitons d’avoir encore le droit de pouvoir nous manifester contre ce phénomène, explique Qaasim Illi. Ce ne sera peut-être plus le cas dans vingt ans.»

Kevin Grangier, porte-parole romand de l’UDC Suisse, concède un certain mérite à ce style de communication: «Pour faire le buzz, c’est plutôt malin.» Il n’est cependant pas d’accord avec le symbole utilisé, qu’il juge de «mauvais goût». Il espère que la communauté juive ne se contentera pas de simplement dénoncer l’acte, mais qu’elle attaquera le CCIS en justice. «Si le CCIS veut communiquer de manière provocante, qu’il le fasse, mais sans récupérer des symboles aussi lourds de sens.»

Eric Lecoultre

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Clandestins mais pas criminels

Une récente jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a jugé contraire au droit supérieur l’emprisonnement pour défaut de papiers d’identité de résidents illégaux. S’il est toujours possible de recourir à la contrainte – emprisonner un clandestin pour l’expulser –, le fait d’être sans titre de séjour ne devrait pas être passible de poursuites pénales.

Comment cette jurisprudence qui concerne un cas italien s’appliquera-t-elle en Suisse? A ce stade, les juristes consultés découvrent cet arrêt et les avis fluctuent au gré des personnes interviewées. On se réjouira tout d’abord que le bon sens ait – partiellement – prévalu. La forteresse Europe, que d’aucun veulent ériger sur le rejet et l’exclusion, pose bel et bien des problèmes en termes de droits fondamentaux.

Mais en cas de désaveu de la Suisse, qui pratique également une telle criminalisation des personnes en séjour illégal, on entend déjà la droite populiste en appeler au respect de la volonté populaire. Elle qui n’est jamais en reste pour présenter un texte contraire au droit supérieur(1): initiative contre les minarets, expulsion des criminels étrangers ou encore – le scud est parti le 1er août – l’initiative dite «contre l’immigration de masse».

En l’occurrence, ce dernier texte est contraire à la libre circulation des personnes qui vient pourtant d’être approuvée par le peuple il y a deux ans. Que se passera-t-il en cas d’acceptation de cette initiative? Le Conseil fédéral est chargé de renégocier les accords bilatéraux. On imagine d’ici la tête des dirigeants européens. Leur patience a des limites et la Suisse sera envoyée paître en des termes même pas polis.

Ce qui ne déplairait peut-être pas à la frange la plus excitée de l’extrême droite pour qui un bantoustan helvète n’est pas un épouvantail mais bien un sort enviable. En tous les cas, cela aurait l’intérêt de mettre la secte blochérienne devant ses contradictions. Car cela ruinerait tout simplement la Suisse; on doute que l’aile économique de l’UDC s’y retrouve. Et surtout, à force de refuser toute norme qui n’ait pas été adoubée par une Landsgemeinde, la formation conservatrice se place aussi en porte-à-faux de l’histoire dont elle prétend tirer sa vertu politique.

La Suisse doit son existence à un certain nombre de traités internationaux – celui de Westphalie et les traités consécutifs aux guerres napoléoniennes – contre les prétentions des Habsbourg honnis. Le droit protège le faible contre le fort, en bonne logique rousseauiste. Cela vaut pour les pays. Mais ce principe s’applique aussi aux personnes. Et c’est peut-être précisément ce qui déplait à la formation au bouc, qui œuvre au démantèlement des normes de protection sociale.

L’extrême droite montre son vrai visage à double titre. Son discours est populiste mais ne défend en rien les intérêts populaires. Et sa lecture de l’histoire n’est que propagandiste, voire pure manipulation.

Edito de Philippe Bach dans le Courrier

(1) La revue hebdomadaire Domaine public a consacré une série d'articles forts intéressants à cette problématique. Voir notamment Alex Dépraz, «Les conséquences d’une acception de l’initiative du 1er août», DP 1920, 8 août 2011.

Des requérants d'asile très discrets

Depuis juin dernier, les requérants d'asile des Collons prennent part aux activités de la station. De quoi rassurer la population face à l'arrivée de ces émigrés.

Ghulam (droite) ainsi qu'une dizaine de requérants ont travaillé à l'élaboration de sculptures pyrotechniques au côté de l'artiste français Lucien Melich pour le symposium. le nouvelliste

Entre deux manoeuvres, Ghulam se présente. Il a 25 ans et est originaire d'Afghanistan. Chassé par la guerre contre les talibans et après dix ans d'exil en Iran, il prend le chemin de la Suisse. Voilà dix jours qu'il est au centre des Collons où, avec dix autres demandeurs d'asile, il travaille pour le spectacle final du Symposium de sculpture. "C'est bien pour nous de travailler, c'est important ça nous occupe. Et je suis fier de ce que je fais", explique-t-il dans un anglais teinté d'Orient. Pourtant Ghulam et ses collègues ont bien failli ne jamais connaître le val d'Hérens.

Collaboration avec l'office du tourisme

Au centre, quarante requérants d'asile logent à la semaine. La plupart sont des familles. Ghulam est un des quatre hommes célibataires de l'établissement. "Le nombre fluctue car ils arrivent des centres de premier accueil de Viège (pour les hommes célibataires) et Saint-Gingolph (pour les familles) et y séjournent le temps qu'un appartement se libère en plaine", précise Pascal Pellaz, responsable du centre. Le but de ce séjour est de conforter l'intégration avec un suivi social et même technique pour assurer leur autonomie au quotidien. "Mais à peine leurs bagages posés, ils demandent à travailler", assure-t-il. "L'image du requérant paresseux qui traîne dans les rues et dort sous un arbre est complètement fausse. Tous ici on fait preuve de beaucoup de volonté de collaboration." C'est ainsi que dès leur arrivée, les émigrés se sont attelés à des travaux utilitaires en collaboration avec la commune de Vex et l'Office du tourisme de Thyon-les-Collons. En plus de leur participation au Symposium de sculpture, les requérants se sont livrés entre autres à la remise en état du court de tennis ou à l'entretien du sentier pédestre didactique. Par ailleurs, des excursions sont également prévues pour les familiariser avec la région. "Au-delà du bénéfice engendré pour les demandeurs d'asile, le programme d'occupation assure la tranquillité du site et la réduction des coûts. Depuis l'instauration de ces activités, les visites médicales sont moins fréquentes, les émigrés étant dans un meilleur état psychique."

Rencontre avec la population

Malgré les appréhensions de remous dans la station, les requérants originaires des Balkans, d'Irak ou d'Afghanistan se font très discrets. "Leur arrivée n'a en rien gêné l'activité touristique, nous les voyons très peu", explique Eric Crettaz, directeur de l'Office de Thyon-les-Collons. Et Danny Defago, président de Vex d'ajouter: "La police intercommunale n'a jamais été sollicitée pour un problème en relation avec les requérants." Quant à la population locale, elle a pu faire leur connaissance lors de la brocante organisée à l'occasion de la fête nationale, le 31 juillet dernier. Les requérants avaient confectionné des spécialités culinaires de leur pays d'origine et les ont proposées aux visiteurs de la manifestation. "Ces gens échappent à des situations graves dans leur pays grâce à notre hospitalité et je m'en réjouis", explique le président de la commune. Cependant, bien que l'engagement et la sympathie de ces émigrés aient apaisé les esprits des villageois, Danny Defago craint pour l'image de la station de Thyon. "Aujourd'hui, je maintiens tout de même ma position initiale. J'affirme qu'une station touristique n'est pas l'endroit adéquat pour l'établissement d'un centre de demandeurs d'asile. La simple présence de ce dernier peut malheureusement engendrer des préjugés chez des touristes qui préféreraient bouder la station", conclut-il.

«C’est Calmy-Rey qu’on traite de collabo»

Offensé par de nouvelles attaques, contre «Vol spécial», Fernand Melgar sort de sa réserve. Il réfute la «propagande mensongère» de Paulo Branco.

A Locarno, Paulo Branco, président du jury, a qualifié de «fasciste» Vol spécial, le documentaire que Fernand Melgar a ramené du centre de détention de Frambois, où les déboutés de l’asile attendent leur expulsion. Le producteur portugais avait encore du venin à exprimer. Dans une interview publiée par 24 heures, il réitère ses insultes et clame son indignation. «Je n’ai jamais vu un film aussi obscène que Vol spécial.» Il dénonce le collaborationnisme des spectateurs, la complicité du réalisateur avec les bourreaux. L’archaïsme idéologique confine au délire paranoïaque, multiplie les erreurs de fait, les insinuations mensongères et les divagations – il faut oser tirer un lien entre le Prix du Jury œcuménique attribué à Vol spécial et les accointances du Vatican avec les nazis pendant la guerre.

La violence de cette nouvelle attaque a déterminé Fernand Melgar à sortir de sa réserve. Car ce n’est pas seulement lui, mais tous les partenaires du film, et encore le Festival de Locarno et la Suisse que le parrain vieillissant du cinéma d’auteur insulte.

Fernand Melgar a demandé à 23 personnes, autorités politiques ou responsables culturels, dont Didier Burkhalter, Jean-Frédéric Jauslin, Marco Solari, Olivier Père ou Gilles Marchand, de prendre position face au terrorisme intellectuel. En attendant les réponses, le cinéaste lausannois réfute les contrevérités de son détracteur.

Paulo Branco trouve scandaleux que «Vol spécial» montre les images d’un immigré ­décédé.

Fernand Melgar: «Le premier argument sur lequel il base sa dénonciation est que j’aurais construit le film autour d’un pensionnaire dont je savais qu’il allait mourir. Or ce Nigérian, décédé pendant un vol spécial, n’était pas détenu à Frambois. Il me semble que c’est évident pour qui a vu le film…»

Paulo Branco ressasse l’épithète «complice».

Fernand Melgar: «C’est le seul point sur lequel je supporterais d’entrer en matière. On assistait aux réunions de travail des surveillants, on savait qui allait être expulsé. Mais nous avions le consentement de tous les gens que nous filmions. Nous avons passé un contrat avec eux, ils ont signé des autorisations de tournage. A tout moment, ils pouvaient décider de disparaître du film. Et puis les détenus ne sont pas idiots. On leur a dit qu’on connaîtrait avant eux le moment de leur expulsion. Réponse unanime: «De toute façon, c’est foutu pour nous. Ce qui compte, c’est qu’on ne nous oublie pas, qu’on sache ce qui se passe.» Ils nous ont demandé d’être là, jusqu’au bout, jusqu’à l’entravement, parce qu’ils avaient peur. Branco est dans la confusion totale lorsqu’il croit qu’une personne va se faire tuer et que nous sommes les complices du meurtre.»

Paulo Branco déplore l’absence de contestation ou de révolte.

Fernand Melgar: «Je pourrais m’enchaîner au grillage de Frambois en criant «Je ne partirai pas, moi, Fernand Melgar, cinéaste engagé.»­ Je ne fais pas des films militants, mais un cinéma de responsabilité collective. Je suis responsable de ce que je filme, le directeur du centre est responsable de ses actions. Mais vous, qui regardez le film, vous êtes aussi responsables. Pour Branco, le directeur de Frambois, c’est le Mal absolu, genre le colonel Kurtz dans Apocalypse Now. Plutôt que de crier «Salaud! Fasciste!», je préfère proposer une réflexion sur les responsabilités individuelle et collective.»

Paulo Branco dénonce la glorification du directeur de Frambois à Locarno sans qu’il ait été amené à se justifier.
Fernand Melgar: «Mensonge! A Locarno, il y a eu une rencontre d’une heure avec le public. La première question a été pour le directeur de Frambois. C’était: «Comment pouvez-vous vous regarder dans la glace le matin?» Il a répondu: «Je fais juste le sale boulot que vous m’avez demandé de faire. Et j’essaie de le faire le mieux possible.»

Paulo Branco qualifie le film de «portrait peu correct d’un pays qui oublie de se remettre en cause».

Fernand Melgar: «Branco est plus parisien que portugais. Les Parisiens ont un côté détestable: la Belgique ou la Suisse, c’est tout de suite bienvenue chez les ploucs. De plus, il est du dernier chic de rajouter bienvenue chez les nazis. Donc il traite 3000 spectateurs de collabos. Il insulte Micheline Calmy-Rey. Et Dick Marty, et tout le parterre politique. Les Français n’arrivent pas à comprendre que la première citoyenne du pays assiste à la première du film, me serre la main, en parle à la télévision. Aucun pays européen n’a jamais ouvert les portes d’un centre de rétention temporaire à un documentariste. La Suisse a cette étonnante franchise. C’est pourquoi je peux y faire mes films. C’est l’aspect merveilleux de ce pays: on peut remettre en cause les institutions, réfléchir aux avancées du totalitarisme.»

Propos recueillis par Antoine Duplan dans le Temps

Tunisie : un scandale nommé Choucha

La plupart des 200 000 "nationaux de pays tiers" arrivés de Libye ont pu être rapatriés, sauf un grand nombre de Subsahariens, qui vivotent dans un camp de réfugiés installé non loin de la frontière tunisienne.

Jeudi 28 juillet, camp de Choucha, dans le désert tunisien, à 7 km de Ras Jedir, le poste-frontière avec la Libye. « Bienvenue à Choucha ! » nous lance, ironique, Ali M., un réfugié somalien. L’exode, il connaît. Il y a seize ans, fuyant la misère, il quittait son pays et traversait le Soudan pour s’installer comme forgeron en Libye. Cette fois, avec son épouse et cinq de ses six enfants, il a fui les combats entre les brigades de Kaddafi et les forces rebelles soutenues par l’Otan.

Au 26 juillet, la plupart des 200 000 « nationaux de pays tiers » (NPT) ayant trouvé refuge en Tunisie avaient pu regagner leurs pays, certains avec l’aide de leurs propres gouvernements, d’autres avec celle de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Mais 4 500 d’entre eux, originaires de 35 pays, dont 25 d’Afrique subsaharienne –  Somalie (1 004 personnes), Érythrée (711), Soudan et Soudan du Sud (645), Éthiopie (253), Côte d’Ivoire (33)… –, n’ont nulle part où aller et sont bloqués à Choucha. Il leur est difficile de rentrer dans leurs pays natals en raison de la pauvreté qui y sévit et/ou de l’insécurité qui y règne. Ils se trouvent donc dans une situation nécessitant une protection internationale.

« Je ne peux pas rentrer dans mon pays, la Côte d’Ivoire, et j’ai demandé le statut de réfugié, déclare Silué C., un jeune ouvrier qui résidait en Libye depuis 2008. Je veux vivre dans un pays libre, sinon je préfère retourner en Libye… » « Je ne veux pas retourner au Darfour, où je suis né, parce qu’il y a encore la guerre, explique Ahmed A. J’ai demandé le statut de réfugié, malgré les conditions de vie difficiles dans le camp. » « La vie n’est pas facile pour les jeunes en Érythrée, raconte Saber T., installé en Libye depuis 2003. C’est pourquoi j’ai demandé le statut de réfugié. » L’ambiance à Choucha est au désespoir, au point que certains « pensionnaires » confient, en privé, que s’ils n’obtiennent pas l’asile dans un pays développé, ils n’auront d’autre choix que de retourner en Libye et de tenter, à partir de là, de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée.

Tensions

En attendant, les journées sont longues et éprouvantes, ce qui suscite immanquablement des tensions. Fin mai, des échauffourées ont éclaté entre Somaliens et Érythréens, puis entre réfugiés et groupes de jeunes venus de Ben Guerdane. Bilan : six morts et l’incendie des deux tiers des tentes du camp. Aujourd’hui, Choucha a été restructuré selon les normes internationales par l’armée tunisienne avec le concours du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). « Nous faisons un réel travail humanitaire », déclare le colonel major Mohamed Soussi, chirurgien de guerre et chef de l’hôpital militaire tuniso-émirati installé près de la frontière (lire encadré). Les tentes ont été espacées pour éviter la promiscuité ; de larges « avenues » ont été ouvertes ; les réfugiés ont été regroupés par communautés avec à leur tête des « sages » ; des Érythréens et des Nigérians ont transformé deux tentes en églises. Les organisations humanitaires sont là, mais pas leurs représentants, « en dehors de ceux du HCR, de l’OIM et du PAM [Programme alimentaire mondial, NDLR], nous souffle à l’oreille un journaliste local. Si vous voulez les voir, il y en a 200 ou 300 dont la plupart font bronzette dans un palace thalasso de Zarzis, à 80 km plus au nord ».

Sous une tente, des cours d’anglais sont dispensés par une ONG danoise. Les points d’eau se sont multipliés. L’armée est stricte quant à l’hygiène, objet de séances d’initiation quotidiennes. Pour éviter les épidémies, elle brûle les vieilles couvertures et détruit les produits alimentaires dont la date limite de consommation est dépassée. Des Égyptiens, repartis depuis, ont même tiré un câble du réseau électrique pour pouvoir recharger leurs téléphones portables. Les femmes tentent de distraire les enfants, et des jeunes Tunisiens viennent de temps à autre faire de l’animation. Un cuisinier tunisien sert aux pensionnaires du couscous, le plat local, mais sans viande. Il a dû ajouter au menu du riz pour les Asiatiques. Les sorties en dehors du camp sont soumises à autorisation.

La durée de transit à Choucha n’aurait normalement pas dû dépasser dix jours. Le camp est placé sous la responsabilité du HCR, l’organe de l’ONU chargé d’enregistrer les demandeurs d’asile, de déterminer s’ils peuvent prétendre au statut de réfugié, de leur délivrer des papiers et de veiller au respect des normes minimales de protection internationale pour toutes les personnes relevant de sa compétence. Ali, comme beaucoup d’autres, a eu un entretien avec un représentant du HCR : « Il m’a averti que la réponse à ma demande d’asile risquait de prendre du temps, jusqu’à six mois. Alors je lui ai demandé où il logeait actuellement. Il m’a répondu qu’il était à Djerba. Je lui ai fait remarquer que lorsqu’on réside dans un palace, on peut bien sûr attendre tout ce temps. Je lui ai proposé de venir passer une seule journée sous la tente à Choucha avec ses enfants, juste pour voir… »

La seule solution pour ces 4 500 réfugiés est leur « réinstallation » dans des pays développés. C’est ce que préconise le HCR, qui a appelé ces derniers à accueillir les « passagers » de Choucha, avant même de procéder aux formalités d’obtention du droit d’asile, qui sont longues. À ce jour, les gouvernements sollicités n’envisagent de recevoir que 1 354 réfugiés. Si les États-Unis acceptent d’en abriter 776, les pays de l’Union européenne ne s’engagent à en prendre que 263 au total. La France, l’Italie et l’Allemagne font carrément la sourde oreille, malgré l’appel d’une délégation du Parlement européen qui a visité Choucha du 13 au 16 juillet. « L’Union européenne, déclare cette délégation conduite par le Maltais Simon Busuttil, doit contribuer davantage à la réinstallation des réfugiés en provenance de zones de conflit. Nous demandons instamment aux États membres d’adhérer au programme de réinstallation proposé, y compris au mécanisme d’urgence. »

Devoir de protection

« Le monde parle de droits de l’homme, de liberté et de dignité, mais apparemment cela ne vaut pas pour nous », déplore Ali, qui est à la tête de la communauté somalienne, la plus nombreuse du camp. Le scandale humanitaire se double en effet d’un scandale politique. Les gouvernements des pays de l’Otan justifient leur intervention militaire en Libye en invoquant la « responsabilité de protéger » les populations civiles libyennes. Mais ce principe vaut aussi pour les autres « victimes », les réfugiés africains piégés à Choucha, dont l’exode a été autant provoqué par l’Otan que par Kaddafi.

L’autre victime risque d’être la Tunisie, qui a ouvert sa frontière pour des raisons humanitaires et n’a refoulé aucun réfugié. Son armée, engagée par ailleurs dans d’autres missions, comme la protection des frontières et la gestion de l’après-révolution du 14 janvier, a canalisé les flots humains, édifié les camps de transit, dressé les tentes, fourni des services, notamment médicaux, et assuré la sécurité des « hôtes ». Mais les autorités tunisiennes estiment que Choucha n’est qu’un centre de transit et que la communauté internationale doit prendre sa part dans l’effort humanitaire. D’autant que la Tunisie accueille déjà plus de 72 000 réfugiés libyens.

Abdelaziz Barrouhi, envoyé spécial, pour Jeune Afrique

Maroc : forte poussée de l’immigration clandestine vers l’Espagne

Les côtes espagnoles sont régulièrement prises d’assaut par les candidats à l’immigration clandestine en ce mois d’août, où le climat favorable favorise les tentatives à la nage, ou par bateau. La presse espagnole rapporte près de 150 personnes sauvées près des côtes espagnoles depuis dimanche dernier. Parmi eux, des Marocains. Les autres, pour la plupart avaient pris le départ depuis les plages marocaines. 

Gil Arias, directeur adjoint de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), affirmait récemment que 2 600 personnes étaient entrées clandestinement en Espagne depuis le début de l’année. Le détroit de Gibraltar se présente comme la principale voie d’entrée de ces immigrés clandestins, car au début du mois d’août en cours, on ne comptait pas moins de 1400 personnes qui auraient atteint les côtes andalouses en partant d’Afrique du nord, depuis le 1er janvier 2011. Il faut désormais y ajouter les 147 personnes recueillies près des côtes espagnoles depuis le début de la semaine.

La presse espagnole rapporte en effet que les services de la Guardia Civil, du Sauvetage maritime et de la Douane espagnole ont intercepté depuis dimanche dernier, 8 embarcations au large des côtes d’Almeria, Melilla, Murcie, Motril, et Tarifa.

Le Maroc, l'un des principaux pourvoyeurs

Parmi les candidats à l’immigration clandestine interceptés en ce début de semaine, on retrouve une bonne partie originaire du Maghreb, dont des marocains. 3 embarcations transportant 59 Maghrébins ont ainsi été escortées par les autorités espagnoles d’Almeria, tandis que 11 autres réussissaient à regagner la terre ferme, avant d’être repris par les forces de sécurité de la même ville. De même, 14 adultes d’origine maghrébine ont été interceptés à Motril, et 5 Marocains ont été interceptés dans un canoë gonflable au large au Tarifa.

Pour le reste, il s’agissait de Subsahariens, dont un bon nombre est parti des côtes marocaines.  On a d’ailleurs recensé, au cours des derniers jours, un nombre important de clandestins qui ont rallié à la nage l’enclave espagnole de Ceuta, frontalière de provinces marocaines.

L’Espagne et le Maroc sous pression

La pression de l’immigration clandestine en Espagne est telle que les capacités d’accueil des centres pour immigrés sont largement dépassés. Dans les présides espagnols de Ceuta et Melilla, ces centres d’accueils abriteraient actuellement 700 pensionnaires chacun, soit 200 de plus que leurs capacités initiales. Le constat est le même pour les centres pour mineurs non accompagnés. A Melilla, le Centre pour mineurs de la Purisima accueille ces derniers temps, entre 130 et 140 pensionnaires, alors qu’il a été conçu pour en supporter 120.

Alors que le voisin ibérique a de plus en plus de mal à faire de la place pour les personnes à l’assaut de son Eldorado, le Maroc a constamment été appelé en renfort au cours des derniers mois. En juillet dernier, des hauts fonctionnaires espagnols avaient effectué des visites à Rabat pour aborder la question du contrôle des frontières entre les deux pays. La pression ne faiblissait pas lors du début du mois d'août avec Miguel Marin, président de l'éxecutif de Melilla ou le député de Ceuta Francisco Marquez de la Rubia. Le Maroc a très vite réagi vu qu’au cours des derniers jours, la marine marocaine à aider à intercepter près de 90 candidats à l’immigration clandestine qui s’apprêtaient à regagner Ceuta. Malgré l'inflation de l'immigration clandestine récemment constatée, les responsables espagnols ont tenu à saluer les efforts du Maroc.

L’autre volet de l’action marocaine est la réadmission des clandestins subsahariens refoulés depuis l’Espagne. Il y a deux ans, le Premier ministre espagnol Zapatero, citait d'ailleurs le royaume en exemple, en plaidant pour un accord sur la réadmission des clandestins refoulés de l’Europe, dans les pays d’origine ou de transit de ces migrants. S'il le Maroc joue bien le rôle de gendarme de l'immigration clandestine espagnole, est-il prêt à jouer aussi bien celui de terre d'accueil pour les refoulés d'Europe. Une chose est sûre en tout cas, la contrepartie espagnole devra être assez convaincante pour que Rabat prenne sur elle.

Yann Ngomo pour Yabiladi