mardi 22 décembre 2009

Sans-papiers, ils veulent apprendre le français

L'association Itinérance dispense des cours de français trois fois par semaine aux sans-papiers demandeurs d'asile. Ils progressent vite pour avancer dans cette nouvelle vie.

Ils ne sont que deux. Un Russe et un Afghan. Vite rejoints par quatre autres hommes, jeunes et élégants. Ils sont passés auparavant à l'accueil de jour se doucher, prendre un café. Se réchauffer. Ils ont à peine 20 ans ou un peu plus et se retrouvent comme sur les bancs de l'école. Pour certains, c'est même la première fois.

« Quel jour sommes-nous ? » demande Christine, l'une des bénévoles, au Russe Mickaël. Ce dernier s'applique. La prononciation est hésitante, les « r » roulent dans sa bouche. Il écrit la date. Se trompe. Se rattrape, l'air grave de celui qui prend son rôle très au sérieux.

« M ». « Ma ». « Maman ». « É ». « École ». Claude, une autre bénévole, a ouvert son livre sur la table. Un ouvrage d'apprentissage du français. Face à elle, Nazar-Ghul, 25 ans, ne se départit pas de son sourire. Il est Afghan et ne parlait pas un mot de français quand il est arrivé ici. Il ne parle pas l'anglais non plus. Difficile de se comprendre alors. Mais on y arrive. « Ils font de vrais efforts, lance Josiane. Ils sont motivés. » Tous ont pris la décision de rester vivre en France et ont fait une demande d'asile. Ils sont aidés dans leurs démarches administratives et dans leurs déplacements par les bénévoles de l'association Itinérance. « Nous leur demandons de vraiment s'investir dans cet apprentissage de la langue française », précise Claudie Rault-Verprey, présidente de l'association. La langue est un sésame dans un pays étranger. Un sésame parmi d'autres. Ces cours ont été mis en place en novembre 2008 et ont lieu trois fois par semaine.

« A cause des Talibans »

Face à nous, il y a ce jeune homme qui semble si confiant. Semble, seulement. Il parle anglais. Dawood Wardak est né voilà 22 ans dans la province de Kaboul. Il accepte de se confier. Sur ce froid glacial qui le trouve sous sa tente dans un camp : « oui, c'est dur de dormir de dehors. Mais nous faisons confiance à Allah. » Claudie Rault-Verprey précise : « Le fait de faire une demande d'asile devrait leur permettre d'être pris en charge avec un accompagnement social et d'avoir un logement. Ce n'est pas le cas. » Dawood Wardak dit que ce cours est « essentiel » pour lui et que ces femmes bénévoles sont comme des « mères ». Pourquoi a-t-il quitté l'Afghanistan ? « A cause des Talibans. » Etait-il persécuté ? Il me regarde et sourit : « Tu sais, même si tu avais trois ou quatre heures pour parler avec moi, je ne pourrais pas te raconter toute mon histoire. C'est très long. Puis-je te faire confiance ? » On devine le long voyage qui l'a mené ici. La méfiance. La peur. Il ajoute : « Nous parlons anglais toi et moi. En Afghanistan, parler anglais est un délit pour les Talibans. Je ne pourrais pas le faire. »

Le matin de ce jour, la France annonçait qu'elle avait renvoyé en charter des réfugiés afghans dans leur pays.

Sabrina Rouillé dans Ouest-France

Un roman sur la situation des réfugiés en Suisse romande


LIVRE Corinne Desarzens a voulu faire coller «Le gris du Gabon», son dernier roman, à la situation des requérants d’asile en Suisse romande, «où la situation a considérablement empiré en 2009.»

ÉTIENNE DUMONT 21.12.2009 18:36

Il y a juste vingt ans, Corinne Desarzens sortait en Suisse romande son tout premier roman. «Il faut se méfier des paysages» racontait sur trois générations (au moins!) et deux continents une histoire extraordinairement complexe. «Je sais. On me reproche toujours d’écrire des livres où l’on se perd dans l’histoire.» N’empêche que le lecteur n’y perdait pas son temps, ce qui est l’essentiel. Seize autres volumes ont succédé à ce premier ouvrage. Presque tous ont paru chez Michel Moret, à l’Aire veveysanne. C’est d’ailleurs le cas pour «Le gris du Gabon», où la Vaudoise se souvient qu’elle a été journaliste avant de passer au roman, forme plus avouée de fiction.

- Comment ce livre sur les requérants d’asile est-il né?

Sur le plan de la forme, je dirais avec le perroquet qui lui a donné son titre. J’ai découvert sur un site Web cet oiseau ni très grand, ni très coloré, qui apprend à parler plus facilement que les autres perroquets. Il est très intelligent, le gris du Gabon! Il apportait en plus un élément africain et une assonance intéressante. Suivant comme on le prononce, «gris» devient «cri».

- Pourquoi avoir choisi la forme romanesque afin de parler du drame que vivent en Suisse les requérants d’asile?

D’une part pour le confort de la lecture. Il faut qu’il y ait une carotte au bout du bâton. De l’autre, parce qu’un document m’aurait obligé à tout dire. A m’appesantir. L’élément «vitesse» me semblait ici important. Il fallait écrire rapidement, parce que l’actualité bouge sans cesse. Le lecteur doit aussi pouvoir avancer à grandes enjambées, sans s’achopper à chaque chiffre, en plus contestable.

- Votre mari s’occupe de réfugiés depuis vingt ans.

C’est un élément parmi d’autres. Marc arrive avec les faits à table. C’est le versant raisonnable. Le monde de l’immigration, qui a atteint la Suisse avec les saisonniers des années 1950, je le perçois davantage sous forme de sensations. Il y a les souvenirs qui jouent, bien sûr, mais tout le monde sait que nous avons une mémoire en grande partie rêvée.

- Qu’entendez-vous par là?

Mon livre n’est pas écrit pas une militante. Je me base sur des contacts personnels. Des observations. Je me penche sur des détails. Les choses entendues. Je montre le phénomène des réfugiés tel que les gens le perçoivent. Je me branche sur l’actualité en évitant de donner des brèves de comptoir.

- Mais il y a tout de même la réalité!

La réalité, c’est que les conditions des requérants se sont terriblement durcies durant cette dernière année. Il a parfois suffi pour ça de changer deux mots dans un règlement. Enfourner des hommes par dizaines dans un sous-sol, comme ici à Nyon, c’est vraiment une nouveauté chez nous. Ces réfugiés, qui sont là pour un temps supposé bref, mais qui peut durer, vivent dans des conditions qu’on n’admettrait pas pour des animaux. Il s’agit, hélas pour eux, d’êtres humains.

- Un exemple

J’ai assisté au transport d’un requérant qu’on emmenait à Zurich. Il était attaché dans un fourgon, avec la tête plaquée au fond, comme s’il ne devait pas voir le paysage. En vous racontant ça, je réalise que je suis restée bien trop «correcte» dans mon livre. J’aurais pu parler de rafles et même de déportations. On envoie des requérants en Italie sans même savoir s’il y a quelqu’un pour les accueillir et sans se demander ce qu’ils deviendront. Certains ne trouvent personne à la gare d’arrivée et doivent mendier l’argent du billet de retour. Je connais au moins un cas.

- Mais pourquoi avoir ajouté un perroquet, une fillette qui disparaît, d’étranges messieurs d’un certain âge?

Je ne voulais pas que réfugiés et personnages fictifs produisent un effet de placage. Il fallait élargir l’horizon. Je me suis servie d’autres faits réels. Le perroquet, qui mesure à peine 30 centimètres, apportait sa vie. J’avais gardé en archives, car je conserve beaucoup de coupures de presse, l’affaire d’une petite fille disparue en Suisse allemande. Ces faits extérieurs sont venus nourrir l’histoire, qui ressemble du coup à la vie. La vie est faite de tas de morceaux qui ne vont pas ensemble. On s’y perd. Il est donc normal, pour revenir à votre première question, de se perdre dans un livre.

- Vous dites avoir un peu bâclé «Le gris du Gabon»

Mais c’est vrai! Il fallait que le roman colle à l’actualité Je devais en plus compter le temps de sa fabrication technique. Je ne pouvais pas me permettre qu’il paraisse en 2010, voire en 2011. On a pris du retard, à cause d’une disquette envolée. Mais finalement, tout a presque été dans les temps. Prévu pour le 5 novembre, le livre est sorti le 20…

- Quelle suite lui donner?

Pour moi, qui ai été frappé par ces hommes aux allures de princes qu’ont les Erythréens ou les Ethiopiens, il me fallait aller voir sur place. J’ai parcouru le Nord der l’Ethiopie fin 2009. Je retourne en janvier pour découvrir le sud du pays, dont la vallée de l’Omo. Un endroit dont je ne connaissais même pas le nom auparavant.

- Avec une perspective de livre?

Je vais écrire quelque chose.