Christoph Blocher fait profil bas. Après avoir usé de méthodes de pitbull pour entrer au Conseil fédéral, le tribun de l'UDC se pare tout à coup de la dignité de sa charge. Et se dérobe de la plupart des débats télévisés auxquels il est invité à causer asile, prétextant que son devoir n'est pas de mener campagne, mais d'informer. Chiffres à l'appui.
La conférence de presse donnée hier par le conseiller fédéral pour commenter le «deuxième rapport annuel de monitoring NEM» offre un très bel exemple de la manière dont le magistrat et ses services savent utiliser les chiffres pour travestir les réalités et mener leur propagande. Argument choc de Christoph Blocher: la suppression de l'aide sociale, depuis avril 2004, aux requérants frappés de non-entrée en matière (NEM) n'a pas généré la hausse de la criminalité escomptée par certains. On peut donc sans crainte étendre ce régime sec à l'ensemble des requérants déboutés en acceptant la nouvelle loi sur l'asile le 24 septembre. On est heureux d'apprendre, venant de celui qui il y a peu encore menait campagne sur fond d'affiches nauséabondes faisant un lien direct entre couleur de peau et criminalité, qu'il n'y a désormais plus lieu de s'inquiéter.
Mais rien ne prouve, dans les chiffres avancés, que les requérants privés d'aide sociale ne doivent pas, pour survivre, recourir à quelques expédients prohibés par la loi. Le rapport se borne à constater «qu'aucune statistique ne prouve que la criminalité a augmenté». Et même s'il affirme que la proportion de «NEM» pincés par la police est moindre que pour l'ensemble des requérants, il n'avance aucun chiffre pour l'étayer.
Ce n'est là qu'une des multiples imprécisions ou contradictions du document. Le communiqué l'accompagnant va jusqu'à affirmer que le fait que deux tiers des requérants estampillés «NEM» n'aient jamais recouru à l'aide d'urgence est la preuve qu'ils ont quitté la Suisse, alors que Christoph Blocher a été obligé de reconnaître le contraire en conférence de presse: seuls 19% de ces requérants ont vu leur départ enregistré.
Le rapport, qui se félicite du caractère dissuasif du nouveau régime et met abusivement à son compte la diminution des requêtes –un phénomène observé dans toute l'Europe–, n'explique pas pourquoi, malgré un nombre de requérants estampillés NEM toujours plus bas, les demandes d'aide d'urgence sont toujours plus nombreuses. Ni pourquoi la durée de la même assistance –un phénomène qui ressort clairement du précédent rapport de monitoring, mais que le nouveau gomme curieusement– ne cesse d'augmenter.
Quant aux requérants qui renoncent à une telle aide, les explications sont multiples. Le rapport lui-même suggère que ceux qui craignent un renvoi préfèrent ne pas quémander, une assistance pouvant se résumer à un accompagnement dans un charter. Et affirme cyniquement que les délais toujours plus brefs dans lesquels sont prononcées les non-entrées en matière permettent souvent de rendre la décision exécutoire avant que le requérant ne soit attribué à un canton: «Cette manière de procéder réduit encore la probabilité que ces personnes sollicitent l'aide d'urgence dans les cantons.» CQFD, Monsieur Blocher.