samedi 19 août 2006

Les chiffres savent aussi mentir

Editorial de Didier Estoppey, dans le Courrier

Christoph Blocher fait profil bas. Après avoir usé de méthodes de pitbull pour entrer au Conseil fédéral, le tribun de l'UDC se pare tout à coup de la dignité de sa charge. Et se dérobe de la plupart des débats télévisés auxquels il est invité à causer asile, prétextant que son devoir n'est pas de mener campagne, mais d'informer. Chiffres à l'appui.


La conférence de presse donnée hier par le conseiller fédéral pour commenter le «deuxième rapport annuel de monitoring NEM» offre un très bel exemple de la manière dont le magistrat et ses services savent utiliser les chiffres pour travestir les réalités et mener leur propagande. Argument choc de Christoph Blocher: la suppression de l'aide sociale, depuis avril 2004, aux requérants frappés de non-entrée en matière (NEM) n'a pas généré la hausse de la criminalité escomptée par certains. On peut donc sans crainte étendre ce régime sec à l'ensemble des requérants déboutés en acceptant la nouvelle loi sur l'asile le 24 septembre. On est heureux d'apprendre, venant de celui qui il y a peu encore menait campagne sur fond d'affiches nauséabondes faisant un lien direct entre couleur de peau et criminalité, qu'il n'y a désormais plus lieu de s'inquiéter.
Mais rien ne prouve, dans les chiffres avancés, que les requérants privés d'aide sociale ne doivent pas, pour survivre, recourir à quelques expédients prohibés par la loi. Le rapport se borne à constater «qu'aucune statistique ne prouve que la criminalité a augmenté». Et même s'il affirme que la proportion de «NEM» pincés par la police est moindre que pour l'ensemble des requérants, il n'avance aucun chiffre pour l'étayer.
Ce n'est là qu'une des multiples imprécisions ou contradictions du document. Le communiqué l'accompagnant va jusqu'à affirmer que le fait que deux tiers des requérants estampillés «NEM» n'aient jamais recouru à l'aide d'urgence est la preuve qu'ils ont quitté la Suisse, alors que Christoph Blocher a été obligé de reconnaître le contraire en conférence de presse: seuls 19% de ces requérants ont vu leur départ enregistré.
Le rapport, qui se félicite du caractère dissuasif du nouveau régime et met abusivement à son compte la diminution des requêtes –un phénomène observé dans toute l'Europe–, n'explique pas pourquoi, malgré un nombre de requérants estampillés NEM toujours plus bas, les demandes d'aide d'urgence sont toujours plus nombreuses. Ni pourquoi la durée de la même assistance –un phénomène qui ressort clairement du précédent rapport de monitoring, mais que le nouveau gomme curieusement– ne cesse d'augmenter.
Quant aux requérants qui renoncent à une telle aide, les explications sont multiples. Le rapport lui-même suggère que ceux qui craignent un renvoi préfèrent ne pas quémander, une assistance pouvant se résumer à un accompagnement dans un charter. Et affirme cyniquement que les délais toujours plus brefs dans lesquels sont prononcées les non-entrées en matière permettent souvent de rendre la décision exécutoire avant que le requérant ne soit attribué à un canton: «Cette manière de procéder réduit encore la probabilité que ces personnes sollicitent l'aide d'urgence dans les cantons.» CQFD, Monsieur Blocher.

Autosatisfaction de Blocher

24 Heures revient sur l'autosatisfaction du ministre du DFJP, qui tire un bilan positif de la situation de l'asile dans notre pays, deux ans après la suppression de l'aide sociale aux NEM.



A un mois des votations, Christoph Blocher tire un bilan positif de la suppression de l’aide sociale aux requérants frappés d’une non-entrée en matière. Le même jour, l’OSAR sort un rapport contradictoire.

Christoph Blocher s’en dé­fend. Mais à un mois des votations sur l’asile et sur les étrangers, le rapport publié hier n’est pas aussi inoffensif qu’il voudrait le faire croire. Le minis­tre UDC tire un bilan positif de la suppression de l’aide sociale aux requérants d’asile frappés d’une décision de non-entrée en ma­tière (NEM). Selon le conseiller fédéral, cette mesure — qui s’étendra à tous les requérants déboutés si la révision de la loi sur l’asile est acceptée par le peu­ple — n’a eu que des effets positifs depuis qu’elle est entrée en vi­gueur le 1er avril 2004.

42 millions économisés
Cela a permis de diminuer les dépenses de 42 millions de francs (sur 92 millions économisés en tout dans le domaine de l’asile), ainsi que le nombre de demandes d’asile. Sans pour autant débou­cher sur une explosion de la cri­minalité et sans que les personnes privées d’aide sociale ne sombrent dans la clandestinité, comme le redoutaient les milieux de l’asile. Pour Christoph Blocher, le fait que près des deux tiers des per­sonnes frappées de NEM n’auraient jamais demandé l’aide d’urgence est bien «la preuve qu’elles ont immédiatement ob­tempéré à leur obligation de quit­ter la Suisse». Une assertion jugée inepte par ces mêmes milieux de l’asile, qui estiment que ces per­sonnes pourraient aussi bien avoir disparu dans la nature.
En outre, selon le rapport de monitoring publié hier, le report de charges sur les cantons s’est fait sans douleur, les indemnités forfaitaires versées par la Confé­dération (passées de 600 francs à 1800 francs le 1er avril pour chaque personne bénéficiant de l’aide d’urgence) étant jugées suffisantes. Seuls les coûts struc­turels ont augmenté. Les can­tons ne sont pas aussi optimis­tes. Tant Vaud que Genève sont ainsi favorables à l’augmentation jusqu’à 6000 francs du forfait fédéral, en consultation. «Sur la durée, nous ne savons pas si nous allons pouvoir tenir avec les actuels 1800 francs», s’in­quiète Eric Etienne, directeur adjoint au Département gene­vois de la solidarité et de l’em­ploi. «Il y a là un gros point d’interrogation.» Le conseiller d’Etat vaudois Jean-Claude Mermoud, lui-même UDC, partage ces doutes. «La Con­fédération doit prendre en charge les coûts structurels», estime le magistrat. «On ne peut pas faire d’aide d’urgence sans structure, sans personnel. Or, les indemnités actuelles ne suffisent pas.» L’extension de la suppression de l’aide sociale à tous les requérants déboutés étant un des points cen­traux de la votation du 24 septem­bre, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) a également sorti hier son propre rapport. Le­quel conclut que l’accès à l’aide d’urgence n’est pas garanti partout — notamment dans les cantons de Schwyz, des Grisons et du Jura — et que la nature de cette aide varie fortement d’un canton à l’autre. Christoph Blocher a vertement fustigé ce rapport, qualifié de peu sérieux. «Le ton monte», note Yann Golay, porte-parole de l’OSAR. Et de renvoyer la balle. «Depuis que Christoph Blocher est là, les rapports de la Confédéra­tion sont devenus des instruments pour vendre la politique du gou­vernement.»

En constante hausse
Le nombre de personnes soumi­ses au nouveau régime ayant solli­cité l’aide d’urgence est en cons­tante augmentation, peut-on par ailleurs lire dans le rapport de monitoring. Elles étaient 908 au 1er trimestre 2006, contre 746 l’an­née précédente à la même période et 394 au 2e trimestre 2004, date de l’entrée en vigueur de la dispo­sition privant les NEM de l’aide sociale. Le canton de Vaud se dis­tingue en particulier: l’effectif des bénéficiaires de l’aide d’urgence est «monté en flèche», passant de 56 au 2e trimestre 2005 à 104 au 1er trimestre 2006. Cette progres­sion est la conséquence d’un arrêt du Tribunal administratif.

SUR LE MÊME SUJET:
  • Une politique d'asile qui n'a pas fini de diviser sur le site de Swissinfo (liens utiles, audio, rappel du contexte, avis de l'ONU sur la politique d'asile suisse, etc.)
  • Résumé du rapport contradictoire de l'OSAR: La pratique des cantons en matière d’exclusion de l’aide sociale demeure largement problématique. C’est ce qui ressort d’un nouveau rapport publié aujourd’hui par l’Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR). L’accès à une aide de première nécessité n’est pas partout garanti. Et la situation des personnes particulièrement vulnérables s’avère souvent intenable. L’OSAR appelle donc les cantons à respecter la dignité humaine. Elle rejette l’extension prévue de l’exclusion de l’aide sociale car cette mesure pousse les personnes qui en font l’objet dans l’illégalité et la misère et n’apporte aucune solution au retour des requérants d’asile déboutés.

  • Nothilfe im Asylbereich, le rapport de l'OSAR, 74 pages, en allemand
  • Asile: le bilan contesté de l'aide d'urgence : l'article que le Temps consacre à la satisfaction de M. Blocher

Le conseiller fédéral UDC était satisfait de pouvoir démentir les craintes de maintes Cassandre ( Keystone)


L'atmosphère n'est pas bonne

Le Conseil des Suisses de l'étranger dit oui à la loi sur l'asile (extraits de l'article paru sur Swissinfo)

Le Conseil des Suisses de l'étranger réuni à Bâle s'est prononcé de façon étonnamment claire en faveur de la loi sur l'asile. Un sujet soumis au peuple le 24 septembre prochain.

Le conseil des Suisses de l'étranger réuni à Bâle

( ... ) Vendredi, la discussion sur les nouvelles lois sur l'asile et les étrangers a suscité des interventions passionnées. Les opposants au double projet de loi ont constaté qu'elles représentent une rupture avec la tradition humanitaire de la Suisse. Certains ont aussi estimé que la détention en vue de renvoi, applicable aux jeunes également, n'est pas conforme aux règles onusiennes sur les droit de l'enfant.

Du côté des avis favorables, l'idée est de rendre la Suisse moins attractive pour les délinquants. Et de se donner les moyens de s'occuper des requérants d'asile qui en ont vraiment besoin. «C'est une responsabilité à l'égard des Suisses, on ne peut pas donner le message que le pays peut accueillir tout le monde», justifie Thérèse Meyer, présidente du groupe parlementaire des Suisses de l'étranger et députée démocrate chrétienne (PDC / centre droit).

( ... ) Au final, 38 délégués contre 26 ont appuyé les durcissements des lois sur l'asile et les étrangers. "C'est clair, l'atmosphère n'est pas bonne, expliquait après les débats Remo Gysing, député socialiste. J'attendais un résultat plus serré." ( ... )

Lire l'intégralité de l'article de Swissinfo

Un requérant débouté s’adresse au Parlement

Brève de

LAUSANNE Le député vert Luc Recordon a pris la défense de Gabriel Amisi (de son nom complet Rukeratabaro Gabriel-Pascal Amisi), un demandeur d’asile originaire de la République démocratique du Congo (RDC) dont la requête a été rejetée par Berne. Hier matin, il l’a accompagné au secrétariat du Grand Conseil vaudois afin de remettre au président Jean-Marie Surer un paquet de 1159 signatures s’opposant au renvoi du Congolais débouté.