La députée PDC Anne Marie von Arx-Vernon souhaite que la Ville de Genève, à majorité de gauche, s'engage pour la formation des jeunes sans-papiers. Propos recueillis par Rachad Armanios pour le Courrier.
Face à l'interdiction d'engager des apprentis sans-papiers, les collectivités publiques progressistes sur cette question, comme la Ville de Genève, devraient se solidariser avec l'exécutif de la municipalité lausannoise, qui a créé la polémique en annonçant son projet d'engager quatre apprentis sans-papiers (lire également en page 5). C'est l'avis d'Anne Marie von Arx-Vernon, députée PDC et auteure d'une motion en faveur d'un «chèque apprentissage» pour jeunes clandestins ayant effectué leur scolarité à Genève que le Grand Conseil devrait en toute logique refuser les 18-19 mars prochains. Suivant ainsi la commission de l'économie qui a voté contre l'entrée en matière. Cette motion est relayée au Conseil national par le PDC genevois Luc Barthassat. Elle vise à offrir aux jeunes sans-papiers des places d'apprentissage en entreprise.
Est-il légitime, comme le projette l'exécutif de Lausanne, de transgresser la loi en engageant des apprentis sans-papiers?
Anne Marie von Arx-Vernon: Oui, dès lors que l'on place l'humain au centre des préoccupations et en se fondant sur la prépondérance de la Convention des droits de l'enfant. Contrairement à des entreprises, des collectivités publiques peuvent et doivent prendre ce risque politique pour montrer l'exemple. Patrice Mugny, lorsqu'il était maire de Genève, avait dit son intention que la Ville donne l'exemple. On attend toujours. Par solidarité avec Lausanne et pour mettre un maximum de pression sur Berne, Genève et d'autres municipalités seraient inspirées d'emboîter le pas à Lausanne.
Que propose votre motion?
Elle demande de mettre en oeuvre un mode d'accès à l'apprentissage dual, pour les jeunes sans-papiers ayant suivi leur scolarité à Genève et qui y sont donc intégrés, en se fondant sur le principe du chèque service. Créé il y a dix ans, il permet d'engager du personnel de maison dont certains sans statut légal, tout en déclarant les charges sociales. Ces travailleurs au noir passent dans une zone «grise», ce qui met fin à une certaine hypocrisie tout en protégeant ces gens en situation très précaire. Malheureusement, la commission de l'économie n'est pas entrée en matière – à une voix près.
La commission ne voulait pas placer les patrons en situation d'illégalité...
On sait bien que ce chèque frise le code. Si le «chèque service» concerne des particuliers, là, l'employeur est une entreprise dont la responsabilité est plus grande. Le chèque apprentissage n'est plus pertinent s'il met les PME en difficultés, car le but est de les aider à engager des apprentis qu'elles sont prêtes à employer. C'est pourquoi il faut changer de stratégie, en continuant à faire pression pour que la loi change au niveau fédéral – c'est le but de la motion de Luc Barthassat – et en renforçant l'apprentissage pour les écoliers sans-papiers en écoles professionnelles. Multiplier les places et les filières dans ces écoles est d'ailleurs, selon mes informations, la voie étudiée par le Département de l'instruction publique qui n'a toujours pas rendu son rapport sur la question, attendu pour février 2009.
Vous renoncez au chèque apprentissage à Genève?
Nous comprenons les réticences des entreprises, mais nous regrettons que la commission ait refusé l'entrée en matière qui aurait permis d'explorer d'autres pistes. C'est d'autant plus regrettable que certains, dont des libéraux «humanistes», sont d'accord sur le fond. Seulement, ils n'ont pas voulu exposer ces jeunes à la vindicte populiste de l'UDC et du MCG. Ils craignent aussi que la solution soit pire que le remède au cas où exposer ces familles déboucherait sur leur expulsion.
Ce n'est pas votre avis?
Pour ne pas «réveiller le chat qui dort», jusqu'à quand doit-on se taire en laissant ces jeunes livrés à eux-mêmes? Alors qu'ils sont parfaitement intégrés, on les laisse à la rue, à la merci des tentations de la délinquance et du travail au noir. Et pourquoi se priver du travail de ces jeunes que nous scolarisons alors même que nous devrons ensuite faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère? Cyniquement dit, il s'agit d'un retour sur investissement: un écolier coûte 14 000 francs par an. Mais avant tout, sur le plan humain, ces jeunes sont doublement discriminés face à l'apprentissage: en tant que sans-papiers et parce qu'ils ne suivent pas le cursus universitaire où là, ils n'auraient pas de problème.