La conseillère aux Etats jurassienne Anne Seydoux-Christe accuse son parti de faire le jeu de l’UDC en soutenant au parlement le durcissement de la loi sur l’asile.
Elle a combattu le recours au droit d’urgence, l’exclusion de la désertion des motifs d’asile ou encore la limitation du regroupement familial. Démocrate-chrétienne atypique, la sénatrice jurassienne Anne Seydoux-Christe reproche à son parti d’avoir perdu sa boussole. Entretien.
Comment jugez-vous l’attitude de votre parti face à la révision de la loi sur l’asile?
Anne Seydoux-Christe: J’aurais attendu de mon groupe davantage de résistance au durcissement et une affirmation claire des valeurs chrétiennes du PDC. En voulant à tout prix montrer que le parti se préoccupe de l’asile, nous renions nos valeurs et nous faisons collectivement le jeu de l’UDC. Cette stratégie ne nous a pas vraiment fait gagner des électeurs! Il est étonnant que les socialistes s’y mettent à leur tour, sous l’influence de sondages montrant que l’UDC est considérée comme plus compétente en matière de politique migratoire...
Le parlement a jugé la situation de l’asile si préoccupante qu’il a voté des mesures urgentes. Que pensez-vous du climat qui règne à Berne sur ce dossier?
Je le trouve désolant. En 2011, la moitié des 19 467 demandes d’asile traitées ont été éliminées sans examen, la plupart parce qu’elles émanaient de personnes qui avaient transité par un Etat européen. Sur les 8500 demandes examinées sur le fond, 6781 ont débouché sur l’octroi de l’asile ou de l’admission provisoire. Autrement dit, l’Office fédéral des migrations (ODM) a reconnu un besoin de protection dans 79,5% des cas examinés! Il y a donc réellement des gens qui souffrent et qui préféreraient mille fois rester dans leur pays s’ils n’y étaient pas menacés.
On oublie aussi que le nombre de demandes d’asile a été précédemment bien plus élevé. Il était de 42 000 en 1998 et de 47 000 en 1999 en raison de la guerre au Kosovo. Et pourtant, on n’a pas eu recours alors au droit d’urgence que l’on invoque aujourd’hui!
Le parlement oublie-t-il cela, ou ne veut-il pas s’en souvenir?
Selon moi, il ne veut pas s’en souvenir. Le climat politique général vis-à-vis des étrangers s’est dégradé. On essaie de susciter une angoisse dans la population en faisant croire que la situation est dramatique, qu’il y a une montée de la criminalité. Pourtant, seul un faible pourcentage de requérants d’asile posent de réels problèmes. Pour y faire face, les autorités disposent de tout l’arsenal nécessaire dans le droit pénal. Plutôt que de créer des centres spéciaux pour les récalcitrants, il serait possible de répartir différemment les requérants qui posent problème dans les structures existantes et de leur proposer des occupations. La notion de récalcitrant donne par ailleurs lieu à interprétations. Un requérant qui rentre éméché un soir au centre en fait-il partie?
Qu’est-ce qui vous heurte le plus dans cette révision?
Le parlement a décidé de limiter le regroupement familial des requérants d’asile à l’unité la plus petite possible: le conjoint et les enfants mineurs. Cela signifie qu’un enfant majeur handicapé ou des grands-parents à charge de leur famille ne pourraient plus bénéficier de l’asile familial. Ils devront faire une demande individuelle, ce qui va complètement à l’encontre de la volonté de raccourcir les procédures et de désencombrer l’ODM. Comme représentante d’un parti de la famille, je n’accepte pas ça.
Certains ont l’impression d’avoir gagné parce que le Conseil des Etats n’a pas voulu étendre l’aide d’urgence à tous, mais ce n’est pas mon cas. La nouvelle loi dit que l’aide sociale des requérants d’asile doit être inférieure de 30% à celle des Suisses.
Je m’interroge sur cette conception des besoins fondamentaux: ceux des demandeurs d’asile sont-ils inférieurs à ceux de nos concitoyens?
Beaucoup d’élus justifient ces mesures par la nécessité de rassurer la population...
Depuis le temps qu’on révise cette loi, on n’a jamais découragé qui que ce soit de venir! L’aide d’urgence a été un échec: peu de gens quittent la Suisse, beaucoup disparaissent dans la nature et deviennent des sans-papiers. Ceux-là mêmes qui aujourd’hui prétendent lutter contre ce phénomène en réalité l’alimentent. Le parlement se fourvoie et trompe la population. La décision de ne plus reconnaître les déserteurs comme réfugiés est hypocrite: les Erythréens et les Syriens ne peuvent pas être renvoyés car ils risquent d’être torturés et exécutés. En touchant à la définition de la notion de réfugié, le parlement va à l’encontre de la Convention de Genève de 1951.
Michaël Rodriguez dans le Courrier