La ministre socialiste a empoigné sans complexe le dossier explosif de la migration. Procédure d’asile raccourcie, accords de réadmission, mise au pas des requérants qui troublent l’ordre public: Simonetta Sommaruga a suscité des attentes difficiles à satisfaire. Tour d’horizon pour Fribourg et Vaud.
Elle a promis de raccourcir la procédure d’asile, de 1400 jours en moyenne aujourd’hui, à 120 jours. Elle s’est engagée à mettre au pas les réquérants qui troublent l’ordre public. Elle a clamé sa volonté de conclure des accords de réadmission pour pouvoir renvoyer chez eux les demandeurs d’asile déboutés. En huit mois passés à la tête du Département de justice et police, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’est fortement profilée sur le dossier de l’asile. «Il est juste qu’on parle beaucoup de ce sujet qui préoccupe la population», répète à l’envi la socialiste bernoise. Mais à susciter tellement d’attentes, elle a pris le risque de décevoir. Une déception qui commence à poindre.
Au feu, les pompiers!
Sur le terrain, d’abord, la situation, sans être catastrophique, se tend en raison de l’arrivée de migrants en provenance d’Afrique du Nord. Entre janvier et fin mai, 8120 nouvelles demandes d’asile ont ainsi été déposées en Suisse, contre 5972 pour la même période de 2010. En extrapolant, on devrait dépasser les 20000 demandes cette année, contre 16000 en moyenne ces trois dernières années. On est toutefois encore très loin du pic de la guerre du Kosovo en 1999 et ses 47000 requêtes. Les cantons n’en ont pas moins commencé à se plaindre que la Confédération se décharge trop vite sur eux. A la clé: problèmes d’hébergement, incivilités, tensions avec la population. Simonetta Sommaruga a réagi au quart de tour, et envisage de distribuer aux perturbateurs des bons de nourriture plutôt que de l’argent de poche qu’ils dépensent en alcool. Elle a également obtenu que l’armée mette à disposition des cantonnements pour loger des demandeurs d’asile, ce qui évitera de les confier aux cantons. Le pompier Sommaruga se démène sur tous les fronts, au risque de donner l’impression qu’il y a déjà le feu. Dans le même temps, elle a promis au parlement de révolutionner la loi sur l’asile pour raccourcir la durée de la procédure de 4 ans à 4 mois en moyenne. Un défi titanesque. «Entre saisir les problèmes et les résoudre, il y a un pas», craint le vice-président de l’UDC, Yvan Perrin, pourtant bien disposé envers la ministre. «Il faut maintenant qu’elle agisse», s’impatiente poliment Urs Schwaller (pdc/FR).
La gauche pas tendre
«Pour agir, ce n’est pas la loi qu’il faut changer, mais la pratique des fonctionnaires de l’Office fédéral des migrations, qui ne respectent pas les délais», ajoute Fulvio Pelli, président du Parti libéral-radical, qui dénonçait hier la «pagaille» dans l’asile. Pour le Tessinois, les «cas Dublin» – personnes ayant déjà déposé une demande dans un autre pays européen, 40% des dossiers – doivent être traités en priorité. Simonetta Sommaruga rappelle que depuis le début de l’année, 1349 renvois ont eu lieu vers l’espace Dublin, dont 841 vers l’Italie. Mais elle admet qu’il y a matière à progrès. La nouvelle patronne de l’asile déplaît aussi à la gauche de la gauche. «Elle se présente comme la Dame de Fer du Conseil fédéral, alliant une orientation sociale-libérale avec la poursuite d’une application toujours plus brutale de la politique xénophobe de l’Etat», dénonce Jean-Michel Dolivo, député vaudois d’A Gauche toute? Au sein même du Parti socialiste, des élus, romands surtout, craignent que Simonetta Sommaruga ne fasse le jeu de l’UDC. «Avec la crise en Afrique du Nord, elle doit gérer une situation exceptionnelle», reconnaît de son côté Denise Graf, d’Amnesty International, pour qui Simonetta Sommaruga «a compris qu'il fallait collaborer avec les autres pays européens». Mais Amnesty promet de veiller à ce que les nombreuses réformes annoncées ne limitent pas davantage les droits des requérants. Le danger est réel, selon Denise Graf.
«Au moins, elle aura essayé»
Président du PS suisse, Christian Levrat vole au secours de sa conseillère fédérale. Les droits des requérants? Elle a renoncé à raccourcir le délai de recours et à limiter le regroupement familial. La grogne des cantons? Elle émane de conseillers d’Etat radicaux, en campagne contre le PS. Quant à la révolution annoncée de la procédure, Christian Levrat en soutient la direction générale. «Simonetta Sommaruga s’est néanmoins mis une pression importante. On verra bien si elle parvient à accélérer la procédure d’asile sans toucher aux droits des requérants. Si elle n’y arrive pas, il sera temps de tout arrêter, mais au moins, elle aura essayé.» Voilà la Bernoise avertie. «J’admets que la barre est placée très haut», dit-elle. A elle de faire la preuve de son ressort.^
Serge Gumy dans la Liberté