ASILE | Elève à Lausanne, un adolescent somalien s’est envolé hier matin vers l’Italie. Il est le premier du canton à faire les frais des Accords de Dublin, qui permettent de renvoyer des requérants vers un Etat de l’UE. Même s’ils sont mineurs et sans famille.
© VALDEMAR VERISSIMO | Dans la classe d’Etienne Corbaz, à l’Opti de Lausanne, l’ambiance est sinistre.
Sarah Bourquenoud | 14.11.2009 | 00:05
Dans la classe d’Etienne Corbaz, c’est la désolation. Jeudi matin, les élèves de l’Opti (Office de perfectionnement scolaire de transition et d’insertion) de Lausanne n’ont pas vu arriver leur camarade Abdirashid, comme tous les jours depuis la rentrée scolaire. Leur enseignant a appris par téléphone que l’élève était en route pour Zurich, où l’attendait un avion pour l’expulser de Suisse.
L’adolescent était hébergé depuis janvier à Lausanne, dans un foyer de l’EVAM (établissement vaudois d’accueil des migrants). Une maison qui accueille les requérants mineurs, arrivés en Suisse sans famille. Hier matin, il a été mis dans un avion de ligne, direction l’Italie, premier pays d’Europe où il avait posé le pied. A charge de ce pays, ensuite, de statuer sur son sort. Un processus réglementé par les Accords de Dublin, entrés en vigueur en décembre 2008. Tant que le pays de renvoi est membre de l’Union européenne, et signataire de la convention des droits de l’enfant, les accords ne prévoient pas de distinction entre les adultes et les mineurs.
«Inhumain»
A ses camarades de classe, le jeune requérant avait confié sa peur d’un retour vers l’Italie. «Les conditions pour les requérants sont épouvantables là-bas. Il craignait énormément ce renvoi, affirmant qu’il aurait moins peur de retourner en Somalie», raconte Etienne Corbaz. Car Abdirashid, qui a fui seul la Somalie en guerre en 2008, a passé des mois à errer à travers l’Italie. L’aide aux requérants y serait quasi inexistante, et beaucoup en seraient réduits à faire la queue devant les églises pour manger.
Débarqué sur le sol vaudois en janvier 2009, le jeune homme espérait un meilleur avenir en Suisse. «Il est très travailleur et motivé. On aurait pu le laisser finir cette formation, qui n’aurait pas coûté beaucoup plus cher que la procédure de renvoi», réagit Etienne Corbaz. Responsable des classes d’accueil de l’Opti, il estime «outrageant et inhumain que l’on puisse renvoyer ainsi un mineur dans un cadre légal». Depuis jeudi, il n’a eu aucune nouvelle de son élève.
Huit jeunes menacés
Du côté de l’EVAM, le directeur, Pierre Imhof, ne peut que confirmer le renvoi de l’adolescent. «C’est le premier du canton depuis les Accords de Dublin. Un autre jeune aurait dû être expulsé en juillet, mais il s’est enfui dans la nature quand la police est venue le chercher», rapporte-t-il. A l’heure actuelle, l’EVAM héberge 48 mineurs qui sont arrivés seuls en Suisse. Une procédure de renvoi est engagée contre 8 d’entre deux. «Lors de l’arrivée d’un mineur, le canton l’annonce à Berne, à l’Office de Dublin, qui transmet l’information au pays de provenance. Ce dernier a deux mois pour répondre. La Suisse doit ensuite organiser le retour dans un délai de six mois», explique Pierre Imhof.
A l’école que fréquentait Abdirashid, à Lausanne, une douzaine de jeunes pourraient voir leur situation se terminer de la même manière. «Quand ils ont appris le renvoi de leur camarade, certains ont dit: «Le prochain, ce sera moi.» Ils sont bouleversés», confie Etienne Corbaz.
«Le canton n’a pas son mot à dire»
INTERVIEW EXPRESS DE PHILIPPE LEUBA (Crédit photo: Gérald Bosshard), CONSEILLER D’ETAT
– Le canton aurait-il pu éviter l’expulsion de ce mineur?
– Non, le canton n’a aucune marge de manœuvre. Nous ne sommes compétents que pour les demandes de régularisation à titre humanitaire, pour les gens qui sont ici depuis au moins cinq ans. Les Accords de Dublin sont des procédures rapides pour éviter des drames humains, où les gens prennent racine avant d’être renvoyés. Dans ce cas précis, la Suisse avait jusqu’au 26 novembre pour renvoyer ce jeune vers l’Italie: après, la seule solution aurait été le retour en Somalie.
– Mais l’Italie ne va-t-elle pas justement renvoyer ce requérant dans son pays d’origine?
– Aucun élément ne permet de le dire. Je ne connais pas le dossier, et je ne sais pas s’il obtiendra l’asile. Mais regardez l’affaire de Fahad Khammas, expulsé vers la Suède. Il y est toujours, et n’a pas été renvoyé en Irak, comme beaucoup le craignaient.
– Huit jeunes mineurs seraient menacés d’un renvoi dans le canton. Est-ce justifiable sur un plan humanitaire?
– Je ne peux pas confirmer ce chiffre. Humainement, ces cas sont très douloureux. Le canton de Vaud ne peut agir que pour les régularisations humanitaires, et nous sommes l’un des trois cantons qui transmettent le plus de demandes.