Ne nous voilons pas la face. L’islam devient une source d’obsession, tant en France qu’en Suisse. Burqaphobie au-delà du Jura. Minaretopathie en deçà.
Alors, entre ces burqas que l’on veut arracher et ces minarets qu’on brûle d’abattre, le combat est-il commun? En apparence peut-être. Mais Allah sait si elles sont trompeuses!
En France, plusieurs députés, tant de gauche que de droite, sont en train de mener une enquête en vue d’abolir le port du voile intégral – burqa ou niqab – qui transforme les femmes en sacs de tissu. Or, contrairement aux préjugés qui fleurissent en Europe, cette tenue vestimentaire n’est nullement prescrite par l’islam.
D’ailleurs, le Coran n’accorde pas une place démesurée à la toilette féminine. Il se contente – verset 31, sourate XXIV – d’ordonner: «Et dis aux croyantes de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît, et qu’elles rabattent leur voile sur leur poitrine.» Ce qui laisse tout de même une certaine marge de manœuvre textile!
Le port du voile intégral relève de la coutume préislamique de certaines régions, com- me l’Afghanistan et l’Arabie saoudite. Dans nos contrées, il est devenu le symbole de la soumission féminine au machisme rétrograde. Certes, quelques musulmanes françaises converties ou issues de l’immigration affirment choisir librement cet écran aux regards concupiscents. Cela dit, ce symbole vestimentaire entre tellement en conflit avec le combat que mènent les Européennes pour parvenir à l’égalité entre les sexes que l’on peut comprendre le rejet dont la burqa est la cible.
Toutefois, une interdiction poserait de graves problèmes et constituerait – au moins dans certains cas – une atteinte à la liberté de porter ce que bon vous semble. Et si l’on supprime le port du voile intégral, les intégristes se verront légitimés à réclamer la prohibition des minijupes. Une interdiction peut en cacher une autre!
Avec l’initiative visant à abolir les minarets – qui sera soumise au peuple le 29 novembre prochain –, il en va autrement. En interdisant la burqa, on n’atteint pas une religion, on vise un symbole contraire à notre culture. Mais en abolissant les minarets, c’est bien une confession particulière – l’islam et non pas une autre – que l’on cherche à frapper. Pourquoi les minarets, et pourquoi pas les pagodes, les clochers?
En outre, tout à leur aveuglement raciste, les promoteurs de l’initiative n’ont pas vu la contradiction qu’ils risquent d’introduire dans la Constitution fédérale. Leur texte vise à ajouter un alinéa 3 – «la construction de minarets est interdite» – à l’article 72 de la Constitution. Or l’alinéa 1 de ce même article stipule: «La réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons.» Dès lors, la construction des édifices religieux relève des cantons et non pas de la Confédération.
De plus, comme il ne prend pour cible qu’une seule confession, cet alinéa sera inapplicable puisqu’il s’oppose à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les discriminations de cette nature. Une fois de plus, l’extrême droite amuse la galerie avec une initiative inutile, alors que la Suisse a bien d’autres chats en crise à fouetter.
Une réflexion de Jean-Noël Cuénod, correspondant à Paris pour 24 Heures.