Ils sont enfants de clandestins venus travailler en Suisse. Malgré leur situation irrégulière, ils ont suivi la scolarité obligatoire. Mais au moment d’apprendre un métier, les portes se ferment. Un article signé Caroline Zuercher dans 24 Heures.
© PIERRE ALBOUY | Carlos (prénom d’emprunt), 18 ans,Bolivien sans papiers depuis huit ans en Suisse: «Ils feraient mieux de nous virer tout de suite plutôt que de nous laisser aller à l’école et créer notre vie ici.» Après l’avoir engagé comme apprenti maçon, son patron a dû renoncer, vu sa situation irrégulière.
«C’est injuste.» Andrès ne sait pas trop que dire d’autre. Cet Equatorien de 16 ans est arrivé à Lausanne il y a dix ans et termine sa neuvième année d’école. Son problème: ses parents sont venus clandestinement en Suisse pour travailler et leurs démarches pour légaliser cette situation semblent mal emmanchées. Or, sans permis, le jeune homme ne pourra pas entreprendre l’apprentissage d’électricien dont il rêve.
En Suisse, 10 000 à 30 000 enfants n’auraient pas de statut légal. Ces mineurs vont à l’école, et certains poursuivent leur éducation au gymnase ou à l’école de culture générale. Mais pour la majorité d’entre eux, le couperet tombe à la fin de la scolarité obligatoire: ils ne peuvent pas effectuer de formation professionnelle.
Carlos*, 18 ans, connaît le même destin. Ce Bolivien, établi à Genève depuis huit ans, a terminé l’école l’été dernier. Avec le projet de devenir maçon, comme il en rêve depuis toujours. Après avoir déposé une demande de régularisation, il a trouvé en novembre une place d’apprentissage. Mais son patron n’a pu le garder, faute de permis valable. «J’étais dégoûté, s’exclame-t-il. Je n’aime pas trop l’école, je suis un peu hyperactif, il faut que je me dépense, alors je voulais travailler.»
«Sans diplôme, on n’a rien»
Ce qu’il fait maintenant? «J’aide ma mère, qui est femme de ménage, je reste à la maison, je sors avec mes amis… Et je fréquente l’AISP (Association à l’insertion socioprofessionnelle, qui accompagne les jeunes). On y suit des cours de français, de maths ou d’informatique. Et on peut aussi rédiger des lettres de motivation ou des CV.»
En fait, Carlos ne cherche plus de travail. Pour l’instant, il le sait, aucun patron ne voudra de lui. «Ils feraient mieux de nous virer tout de suite, plutôt que de nous laisser aller à l’école et créer notre vie ici», soupire-t-il. Avec sa casquette, ses baskets et sa veste matelassée, il ressemble à un ado comme les autres – de ceux qui aiment le foot, les consoles de jeux, les amis et une copine. Dans quinze ans, il se verrait bien contremaître. «S’il le faut, je travaillerai au noir. Mais moi, je veux faire un apprentissage. Sans diplôme, on n’a rien. Et je ne veux pas vivre la même vie que ma maman.»
Carlos parle en souriant. Ses yeux sont rieurs et lorsqu’on le lui fait remarquer, il se marre: «Ce n’est pas parce que je suis en attente que je dois faire la gueule.» Changement de ton. Alissia, elle, n’a pas envie de rigoler. Sa grande crainte, c’est de voir Andrès, son fils, traîner dans la rue, là «où il n’y a rien à apprendre». Cette femme de ménage, physiothérapeute de formation, mord ses lèvres. Ses yeux deviennent humides. «Tous les parents rêvent d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Nous avons fait notre vie, et ils n’ont pas choisi d’y être mêlés. J’aurais aimé qu’ils puissent grandir en pleine sécurité, et réussir leurs études sans devoir se soucier du reste.»
C’est ce qui les a poussés, elle et son mari, à entreprendre des démarches pour obtenir un permis. Ils ont essuyé un premier refus de Berne et déposé un recours. «Si la réponse est négative, ce sera une véritable torture mentale, soupire Andrès. Je devrai quitter mes amis, me retrouver là-bas… J’aime la Suisse, sa propreté, sa tranquillité: moi aussi, je me sens comme ça.»
Ultime espoir
Après réflexion, Andrès tranche: il restera dans son pays d’adoption quoi qu’il arrive. «Mon fils ne sait ni lire ni écrire en espagnol, explique sa maman. Avant, je pouvais dire à mes enfants «On y va!» Mais maintenant, ce n’est plus possible…» Alors, Alissia garde un ultime espoir, celui que Berne finisse par accorder un permis à toute sa famille: «Nous faisons notre possible pour l’obtenir et rester ici en toute légalité. On se dit que, un jour, les autorités verront que nous nous sommes intégrés et que nous contribuons à l’économie suisse en payant nos cotisations.»
* Prénom fictif