La Grèce veut clôturer un tronçon de sa frontière avec la Turquie pour lutter contre l’immigration clandestine. L’Europe s’inquiète. Reportage.
Le paysage est superbe, mais dur et sauvage. Nous sommes en Grèce, en Thrace occidentale, frontalière de la Turquie. Du chemin de terre où des clandestins relâchés des camps de rétention attendent le bus, on voit les minarets d’Edirne la turque, à moins de 5 kilomètres du clocher du village grec de Nea Vissa.
Youssef, 24 ans, vient d‘être libéré du camp de Filakio ce matin, Il est déçu par la Grèce. « Si j’avais su que c’était comme ça, je ne serais pas venu. Hier on nous a sortis tous, un par un. Ils en ont frappé quelques-uns, pour rien, sinon on n’a pas trop à se plaindre, on n’est pas dans notre pays quand même ».
Chaque jour, 140 à 150 migrants arrivent de Turquie
Il est Tunisien mais lors de son interrogatoire par les agents de la Frontex, l’Agence de surveillance des frontières extérieures de l’Europe, il a menti : pour pouvoir rester en territoire européen, il s’est déclaré Palestinien. Il rêve de venir en France. Il fait partie des 140 à 150 migrants sans papiers qui franchissent à pied ou à la nage la frontière turco-grecque quotidiennement.
Avant l’arrivée des unités de la Frontex, appelées à l’aide par Athènes pour faire face à cette vague d’immigration sans précédent, ils étaient 300 chaque jour à franchir l’Evros, le fleuve qui fait office de frontière naturelle entre les deux pays. Beaucoup trop pour la Grèce qui, elle-même en crise, dit avoir atteint ses limites d’accueil de clandestins.
« Le pays n’en peut plus », a indiqué le ministre en charge de l’immigration Christos Papoutsis dimanche avant d’annoncer la clôture de cette frontière par des barbelés.
L’Union européenne émet beaucoup de réserves sur cette initiative. Ce serait une première depuis la création de l’espace Schengen.
Sur place, on a aussi un doute ; « Le problème, explique un officier autrichien, c’est qu’il n’y a aucune coopération entre l’armée grecque et la police et les unités de la Frontex qui ont d’autres priorités. Ici tout est plus compliqué car la frontière avec la Turquie est sensible. On marche sur des œufs ».
Un autre militaire n‘y va pas par quatre chemins : « En face, ils (les Turcs) ne font pas leur boulot et nous ici on ne peut rien faire d’autre que de cueillir les migrants qui arrivent pour les emmener au camp ».
Agir a été pris ce matin. Comme les autres, il est épuisé, affamé, assoiffé. Parqué dans un bus avec une dizaine de Somaliens terrassés par la fatigue, il veut témoigner.
Pendant 18 mois, il a servi de guide aux marines américains, aux soldats hollandais britanniques et français en Afghanistan. Les talibans ont commencé à lui chercher noise. « Je sais que je suis venu illégalement mais je n’avais pas d’autre solution ». Agir veut aller dans les pays dont il a aidé les soldats. « C’est à eux de faire quelque chose pour moi, non ? »
De simples prières pour les noyés dans le fleuve
Au moins, il est vivant. Beaucoup meurent noyés dans cette quête de l’Eldorado européen. L’imam de la région se charge de les enterrer quand on retrouve les corps, sinon il fait la prière des morts au-dessus du fleuve. Ce vieil homme qui porte son turban avec fierte est en colère, contre la Grèce, la Turquie, l’Europe. « Ce qui se passe ici est inhumain. »
Ioanna, volontaire de Médecins sans frontières, ne dit pas autre chose : « Ce que j’ai vu dans ces camps est innommable. Ils sont surpeuplés. Les toilettes sont bouchées en permanence, les femmes et les enfants dorment souvent à même le sol ».
MSF, Médecins du Monde, Amnesty International et le Haut Commissariat aux Réfugiés évoquent la possibilité d’une crise humanitaire en Grèce.
Le risque existe que la population se tourne vers les extrémistes
Kostas, habitant de Nea Vissa, s’emporte : « Dès qu’il va faire beau, la Frontex ne servira qu’à jouer au taxi entre la frontière et les camps. On n’en peut plus. Je ne leur veux pas de mal mais on ne peux plus les accueillir ».
A 900 kilomètres de là, à Athènes où échouent ces damnés de la terre, on en arrive au même constat. D’autant qu’aux dernières élections un néonazi a été élu conseiller municipal dans le quartier d’Agios Pantelimonas, en voie de ghettoïsation. Pour les Athéniens, c’est un signe qu’il ne faut pas négliger.