L’année passée, 20.000 clandestins venus d’Amérique centrale ont été enlevés par des narcotrafiquants tandis qu’ils traversaient le Mexique.
Ils l'appellent "la Bête". Ces dernières années, ce train de marchandises qui parcourt le Mexique terrorise les candidats à l’immigration clandestine aux Etats-Unis. Au bout du trajet, pour les uns, le rêve américain. Pour les autres, un cauchemar. Tout au long du voyage, les migrants sont la cible du crime organisé mexicain… et des autorités. Ils sont attaqués, frappés, dépouillés, enlevés en masse, torturés, violés… Avec toujours le même objectif : leur soutirer un numéro de téléphone pour rançonner les familles restées au pays. "Ils se sont rendu compte que les pauvres aussi pouvaient rapporter gros", explique le prêtre Alejandro Solalinde, fondateur d’une auberge qui accueille les migrants dans l’Etat d’Oaxaca. Avec une rançon de 2.000 euros en moyenne, le bénéfice peut atteindre 40 millions d’euros par an.
"Le train a été arrêté par des hommes armés. Ils ont enlevé une quarantaine d’hommes et de femmes." Ce témoignage d’un jeune migrant centraméricain date du 16 décembre dernier. Comme des milliers d’autres, il tentait d’entrer aux Etats-Unis par le Mexique, effectuant ce qu’Amnesty International appelle "la traversée la plus dangereuse du monde".
"Ils nous frappaient avec un morceau de bois très lourd"
Selon l’ONG britannique, 20.000 enlèvements de migrants surviennent chaque année, soit plus de cinquante par jour. Le trafic est d’autant plus juteux qu’il jouit d’une impunité absolue. "Ils sont illégaux et craignent d’être renvoyés dans leur pays d’origine, ils ne portent donc pas plainte, précise le prêtre. Personne ne s’en préoccupe." Tout au moins jusqu’à ces derniers mois: deux scandales ont obligé le gouvernement mexicain à reconnaître, du bout des lèvres, la gravité de la situation. Le 23 août 2010, dans un ranch de San Fernando, près de la frontière avec les Etats-Unis, l’armée découvre les corps de 72 migrants, la plupart originaires d’Amérique centrale. D’après le témoignage d’un survivant, le groupe aurait été enlevé par les Zetas, un des cartels les plus violents du Mexique, et ses membres exécutés après avoir refusé de s’enrôler comme passeurs de drogue ou tueurs.
En décembre dernier, dans le sud du Mexique, c’est un groupe de 40 migrants qui est à son tour enlevé par des hommes armés. Les gouvernements du Salvador, du Guatemala et du Honduras tapent enfin du poing sur la table. Ils dénoncent les constantes violations des droits de l’homme dont les migrants sont victimes et exigent du Mexique une enquête. Un mois plus tard, toujours aucune nouvelle des 40 migrants. La hautcommissaire des Nations unies aux droits de l’homme Navi Pillay s’est dite, la semaine dernière, "profondément préoccupée" par leur sort ainsi que "par les menaces de mort reçues par un éminent défenseur des droits de l’homme mexicain", le père Solalinde. Elle exhorte les autorités mexicaines à "une enquête approfondie et transparente sur les circonstances entourant l’enlèvement et sur les allégations de mauvais traitements et d’abus de la part de la police et des agents de migration".
Pour le père Solalinde, comme pour plusieurs associations de défense des droits de l’homme, les responsabilités sont évidentes: "Il s’agit des Zetas et de fonctionnaires corrompus." L’équipe de l’auberge a précieusement archivé des centaines de témoignages filmés. Les méthodes, les lieux, les agresseurs… sont les mêmes dans des dizaines de récits. "Ils me demandaient le numéro de mes parents. Comme je n’ai pas voulu le leur donner, ils ont dit qu’ils allaient s’amuser avec moi…", raconte Daniel, un adolescent de 15 ans. Guillermo porte, lui, les marques de son long passage à tabac, le bas de son dos, ses fesses et ses cuisses ne sont qu’un énorme hématome. "On avait les mains et les pieds attachés, ils nous laissaient sans manger, sans boire, sans dormir. Ils nous frappaient avec un morceau de bois très lourd." Membres des cartels ou policiers, les criminels sont identifiés. Mais le discours officiel tente de reléguer ces enlèvements à un problème entre migrants centraméricains. "Ils cherchent à cacher que les chefs de ce négoce sont mexicains et que ce sont des hauts fonctionnaires", dénonce le prêtre qui, la semaine dernière, a rencontré le ministre de la Sécurité publique. "Il a beaucoup parlé, pour exposer des chiffres qui n’ont rien à voir avec la réalité. Je suis sorti de l’entretien en me demandant de quel côté il était."
Léonore Mahieux, correspondante à Mexico pour Le Journal du Dimanche