Le débat fait rage en Valais. Des parents dénoncent le fait que leur fils métis s’est vu proposer ce jeu en cours de gym.
Faut-il bannir de notre vocabulaire la question «Qui a peur de l’homme noir?» De prime abord, ce jeu de poursuite, qui se pratique dans les cours de gymnastique et sous les préaux d’école, est tout ce qu’il y a de plus sympathique. Mais le nom que certains lui donnent suscite le débat en Valais. A Monthey, les parents de quatre enfants métis sont partis en guerre contre ce qu’ils qualifient de «racisme pur et simple».
L’histoire débute en mai 2010. Hedi Putallaz découvre alors une affichette sous le préau de l’école de son fils. Dans cette liste énumérant les jeux qui peuvent être pratiqués figure «Qui a peur de l’homme noir» Le sang de cet homme, marié à une Afro-Américaine, ne fait qu’un tour. Derrière ce terme, explique-t-il en substance, il y a l’idée que la personne de couleur fait peur et ne doit pas attraper les autres participants.
Le Valaisan prend contact avec la direction de l’établissement et obtient le retrait puis le changement du message. Tout aurait pu s’arrêter là si, le mois dernier, un professeur de gymnastique n’avait pas une nouvelle fois proposé au fils Putallaz de jouer à «l’homme noir».
Pour Hedi et son épouse, Aleiah, c’en est trop! Ils reprennent contact avec l’école. Puis avec le Service de l’enseignement valaisan. Leur exigence: «Une directive officielle du Canton doit dire que cette appellation est changée.» Car, précisent-ils, le terme reste utilisé dans d’autres écoles du canton. Leur credo: «Le Valais ne doit pas être considéré comme le Mississippi de la Suisse!»
«Anodin»
Selon Jean-François Lovey, chef du Service valaisan de l’enseignement, on en est bien loin: «Honnêtement, ce jeu me paraît anodin. La démarche de ces parents montre l’extrême correction de notre société devenue lisse. Elle pourrait même s’avérer contre-productive en suscitant le mépris.» S’il doit encore étudier le dossier, Jean-François Lovey se dit «peu ébranlé» par cette affaire. Sa conclusion: «Si, à l’échelle du canton, nous décidions d’appeler ce jeu «Qui a peur du loup?» nous nous mettrions aussi des gens à dos.»
Anecdotique? Absolument pas, rétorquent Hedi et Aleiah Putallaz, en regrettant le «déni» de certains. Certes, les enfants ne connaissent pas forcément l’histoire, et notamment l’esclavagisme, mais les adultes si. «Jouer à «l’homme noir , c’est comme retourner à ce passé hideux qu’ont vécu mes ancêtres», estime Aleiah Putallaz. «Si ce jeu s’appelait «Avez-vous peur de l’homme juif» ou « de l’homosexuel , comment réagiriez-vous?» renchérit son époux.
Un avis partagé par la Commission fédérale contre le racisme: la Constitution, rappelle-t-elle, interdit toute discrimination du fait, notamment, de la race. «Stigmatiser les personnes de couleur en tant que «bougres imbéciles» fait référence au temps du colonialisme; c’est inapproprié et dommageable aux personnes de peau noire ou foncée, précise sa présidente, Doris Angst. Une attitude que l’on peut par conséquent qualifier aujourd’hui de raciste.»
«Un combat juste»
De son côté, l’école primaire de Monthey fait baisser la pression. Pour son directeur, Hubert Grenon, ce jeu fait plutôt référence à l’homme en noir. Il ne faut donc pas y voir de discrimination. L’an dernier, après la première intervention du couple Putallaz, une directive orale est passée auprès des enseignants, leur suggérant l’appellation «Le loup dans la bergerie» . Peut-être cette consigne n’a-t-elle pas été entendue par tous? admet le directeur, en précisant que le professeur qui a récemment proposé ce jeu au fils Putallaz était un animateur extérieur. Quoi qu’il en soit, le directeur enverra un e-mail à tous les enseignants.
Hedi et Aleiah Putallaz, eux, attendent pour voir. Et maintiennent leur exigence: que le Canton intervienne. A défaut, menacent-ils, ils déposeront plainte. «Notre combat est juste. Dans un Etat de droit, personne ne peut dire que nous avons tort», conclut le père de famille. S’il le faut, assure-t-il, il ira jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
Caroline Zuercher dans la Tribune de Genève