Entretien avec Laurent El Ghozi, élu socialiste de Nanterre (Hauts-de-Seine), médecin et président de la Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat), l'une des quatre associations à avoir porté plainte auprès du procureur de Paris pour constitution de fichier non déclaré et conservation "de données à caractère personnel qui font apparaître les origines raciales et ethniques".
Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, a déclaré qu'il ignorait l'existence du fichier de gendarmerie MENS (minorités ethniques non sédentarisés) utilisé par l'office central de lutte contre la délinquance itinérante. Cela vous paraît-il plausible ?
Cette réponse du ministre de l'intérieur me conforte dans ma conviction que le gouvernement ment. Que Brice Hortefeux ne soit pas informé de tout ce qui se passe dans son ministère me semble normal, mais que sur ce dossier politico-médiatique qui fait la une des médias depuis des semaines, il n'ait pas été informé de l'existence de documents hyper sensibles... je ne peux pas le croire.
Cette fable ressemble à celle de Pierre Lellouche (secrétaire d'Etat aux affaires européennes) et d'Eric Besson (ministre de l'immigration) lorsqu'ils ont déclaré récemment qu'ils ignoraient l'existence d'une circulaire du cabinet du ministre de l'intérieur enjoignant les préfets de cibler les Roms. S'agissant de la nouvelle affaire, il est impossible que cette information ne remonte pas jusqu'au cabinet du ministre.
A quoi sert ce type de document qui mêle données personnelles et généalogie ?
Selon le point de vue des enquêteurs, cela sert à repérer des gens potentiellement dangereux. La généalogie est utilisée car ils considèrent que ces populations sont délinquantes de manière innée. Dans leur esprit, un fils de malfaiteur est malfaiteur à son tour. Un cousin de voleur de poules est également un voleur de poules.
L'idée est que l'esprit criminel se transmet, que tout est déterminé. On ne juge pas les gens en fonction de leurs actes mais selon ce que l'on suppose qu'ils sont, selon leur origine. C'est le résultat d'une idéologie raciste.
Qu'attendez-vous de la procédure judiciaire que vous avez entamé ?
Nous attendons qu'un juge d'instruction soit saisi du dossier et qu'il enquête de plus près que ne l'a fait la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) qui ne semblait pas informée de l'existence de ce fichier.
Ensuite, je ne doute pas que Viviane Reding (commissaire européen à la justice) demande des explications à l'Etat français dans le cadre du contentieux ouvert avec Paris pour mauvaise transposition de la législation européenne de 2004 sur la libre circulation.
Enfin nous espérerons une condamnation de l'Etat français et la destruction de ce fichier, même si aujourd'hui le gouvernement est dans le déni et le mensonge le plus complet.
Propos recueillis par Eric Nunès