A près vingt ans passés à Genève, Musa Selimi est sous la menace d’une expulsion notifiée par l’Office fédéral des migrations (ODM). Lui, son épouse et leurs deux enfants ont bientôt épuisé tous les recours de la procédure. Parfaitement intégré, employé parfait, mais sans autorisation de séjour, Musa Selimi suscite un élan de solidarité impressionnant à Carouge, où il vit, et dans le canton. Deux conseillers nationaux genevois, l’UDC Yves Nidegger et le socialiste Jean-Charles Rielle, débattent du cas. Propos recueillis par Eric Budry dans 24 Heures.
– M. Nidegger, pourquoi ne pas régulariser la situation des membres de la famille Selimi?
– Tout simplement parce que le Tribunal administratif fédéral a rendu une décision et qu’elle est exécutoire. Le problème, c’est que M. Selimi est utilisé par les mauvais perdants du référendum contre la loi fédérale sur les étrangers (LEtr), qui a été approuvée par le peuple en 2006. Ils utilisent ce cas pour tenter de démontrer que cette loi serait inique. Mais c’est un très mauvais exemple.
– Et vous, M. Rielle, pourquoi pensez-vous qu’il faut éviter l’expulsion?
– La régularisation n’était possible qu’en invoquant le cas de rigueur pour l’obtention d’un permis humanitaire. Or les conditions sont si strictes qu’elles ne sont presque jamais remplies. La loi est perverse et scélérate en ce sens qu’elle ne permet pas d’expulser des gens qui sont venus chez nous uniquement pour commettre des délits graves et qu’elle contraint à expulser des personnes parfaitement intégrées. Il faut donc la changer, en introduisant par exemple la notion de prescription. C’est ce que nous allons proposer au Conseil national, avec Luc Barthassat, mon homologue PDC.
– M. Nidegger, pourquoi dites-vous que Musa Selimi est un mauvais exemple?
– S’il avait été un homme seul, célibataire, il aurait obtenu sa régularisation. Mais comme il était marié et que son épouse et ses jeunes enfants vivaient tous au Kosovo au moment de sa demande, ses attaches essentielles se situaient clairement dans ce pays. C’est pour cette raison que l’ODM ne pouvait accepter son cas. Entre une fiche de paie et sa famille, où est l’attache humainement la plus forte?
– Le cas est-il aussi indéfendable, M. Rielle?
– J’ai une lecture complètement différente. Je vois un homme qui a quitté, il y a vingt ans, son pays et a construit sa vie ici. Il y a trouvé sa place en contribuant au développement économique de notre canton et y a construit un projet qui, à un moment, a inclus de vivre avec sa famille. L’expulser serait un message désastreux adressé aux clandestins. Il signifie: «Restez cachés ou on vous expulsera.»
– Etes-vous, M. Nidegger, indifférent au fait que la demande a été appuyée
par le canton de Genève?
– Je crois que si le fonctionnaire de l’Office cantonal de la population avait su que M. Selimi avait une épouse et des enfants au Kosovo, il n’y aurait pas eu de préavis genevois favorable. Et puis, dans ce domaine, c’est la Berne fédérale qui décide. Elle peut s’écarter du préavis cantonal, l’application du droit est ainsi harmonisée entre les cantons et c’est bien normal.
– M. Rielle, pensez-vous que Musa Selimi a triché?
– Le seul «crime» qu’on lui reproche, c’est d’avoir fait venir sa famille, en 2005, afin qu’elle vive dans un contexte plus favorable. Est-ce un «crime» que de vouloir voir grandir ses enfants? Ce sont des années qui ne se rattrapent pas. C’est pour cela que je dis que l’application de la loi ne va pas et qu’il faut impérativement changer cette loi.
– Ce n’est certainement pas votre avis, M. Nidegger?
– Non, et je trouve le message de M. Rielle très dangereux. Il dit: «Nous autres, parlementaires, nous méprisons la loi.» Un élu peut vouloir modifier une loi mais, en attendant, il doit respecter celle qui est en vigueur. Surtout si elle a été approuvée par le peuple. Le peuple est-il aussi scélérat?
– Cette attaque est grave. Je respecte la démocratie et la loi, mais lorsque son application démontre des effets pervers et qu’il y a des dérives, il est normal qu’il y ait des résistances. Je souhaiterais que l’on parle moins de droit et davantage d’éthique.
– Votre conclusion, M. Nidegger?
– J’invite M. Rielle à déposer sa modification de loi. On verra bien s’il trouvera une majorité à Berne.
– La vôtre, M. Rielle?
– Permettre à des gens de vivre dignement chez nous avec leurs familles, c’est un combat. Et je le revendique.