Des milliers de migrants africains en route pour l'eldorado européen finissent leur périple en Libye. En cas de chute du régime de Kadhafi, certains évoquent la fin d'un rempart pour l'UE et l'arrivée massive de migrants. Pour Jean-Philippe Chauvy, porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), ce scénario a peu de chances de se réaliser.
Depuis le début des troubles en Libye, des chiffres impressionnants sont révélés chaque jour sur le nombre de migrants clandestins se trouvant actuellement dans ce pays et sur la possibilité de leur arrivée massive dans l'Union européenne à la suite des révoltes.
Actuellement, 1,7 million d'étrangers seraient présents en Libye, ce qui représente quelques 30% de la population totale (environ 5% pour la France). Maliens, Nigériens ou Somaliens sont présents en nombre en Libye (voir encadré), mais les verra-t-on bientôt affluer en Italie, à Malte ou en France?
Cette semaine, l'Italie, par la voix de son chef de la diplomatie Franco Frattini, a attisé les craintes de l'UE. Le ministre a dit redouter une vague de 200'000 à 300'000 immigrés en cas de chute de Mouammar Kadhafi, parlant même d'un "exode biblique" dix fois plus important que le phénomène des Albanais dans les années 90. D'autres dirigeants brandissent même le chiffre de 1,5 million de réfugiés prêts à quitter l'Etat africain le plus rapidement possible.
Des migrants apeurés et sans argent
Jean-Philippe Chauvy, porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), rejette ce catastrophisme ambiant. A ses yeux, il est impossible de prévoir ce qui arrivera en cas de chute du régime libyen. Parler de tsunami migratoire, d'invasion, ou annoncer 200'000 ou 300'000 migrants est prématuré et hors de propos. Un exode massif de clandestins vers l'Europe doit être écarté à court et à moyen terme actuellement. Quant à parler de millions de personnes, c'est "irresponsable".
L'explication est simple, surtout concernant les nombreux migrants sub-sahariens. La plupart d'entre eux ont déjà dû vendre un terrain ou d'autres biens et débourser beaucoup d'argent pour quitter leurs pays d'origine et arriver en Libye, pays qui était apparemment le plus propice jusqu'à présent pour quitter l'Afrique. Ainsi, "quand ils sont arrivés en Libye, ils étaient le plus souvent épuisés, apeurés, sans argent et livrés à eux-mêmes", note le porte-parole de l'OIM. Mais en aucun cas ils n'ont la possibilité de payer à nouveau pour traverser la Méditerranée.
Pour Jean-Philippe Chauvy, cet alarmisme ambiant provient surtout du "ressentiment actuel contre les immigrés dans l'Union européenne".
Un mouvement de Libye vers l'Egypte
Par ailleurs, il semblerait que, depuis le début de la révolte en Libye, certains migrants sub-sahariens cherchent certes à quitter le pays, mais pas pour aller vers l'Europe. Ils chercheraient plutôt à rejoindre leur pays d'origine. Ainsi, l'OIM cite le cas de 170 ressortissants du Niger qui sont rentrés ces derniers jours et 250 autres qui sont en voie de faire de même.
Pour l'heure, il n'y a aucune trace de ces migrants aux frontières égyptiennes ou tunisiennes, et encore moins du côté de Lampedusa, l'île italienne qui a vécu un fort afflux de Tunisiens après le départ de Ben Ali. La seule incertitude, inhérente à la situation en Libye, est l'éventuelle fuite, notamment vers l'Europe, des Libyens eux-mêmes. Mais, là aussi, la surveillance de la Méditerranée s'étant considérablement accrue, un exode massif semble dans l'immédiat peu envisageable.
Quel avenir pour l'accord Kadhafi-Berlusconi?
Toutefois, la chute de Mouammar Kadhafi pourrait bel et bien faire ressurgir un problème aigu en matière de migration: un accord conclu en 2008 entre le colonel libyen et l'Italie de Silvio Berlusconi a fait de Tripoli le gendarme des migrations vers l'Europe. La Libye canalise les flux de migrants et reprend les candidats à l'immigration interceptés en mer. En échange, l'Italie a promis le versement de 200 millions de dollars par an sur 25 ans (soit 5 milliards en tout).
Cette politique, qui est très controversée au sein de l'Union européenne et surtout dans les organisations de défense des droits de l'homme, a occasionné une plongée de près de 90% du nombre d'arrivées en Italie: de 37'000 en 2008, avant l'accord, à 4300 en 2010.
Si le leader libyen devait tomber, ce verrou pourrait sauter, redoutent certains, essentiellement à Rome. Et l'UE prend aussi au sérieux la menace proférée par le dirigeant libyen de ne plus collaborer en matière migratoire. C'est dans ce cadre que le ministre italien de l'Intérieur Roberto Maroni a exhorté ses partenaires européens à aider son pays à faire face à un risque de crise humanitaire "catastrophique".
Entretien avec la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga
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