jeudi 1 septembre 2011

Le patron de l’Office fédéral des migrations éjecté

Alard du Bois-Reymond a été licencié. Simonetta Sommaruga n’a pas souhaité divulguer les motifs exacts de cette séparation. La ministre et le patron de l’ODM n’ont pas su établir une «relation de confiance» adéquate. Il avait notamment déclenché la polémique avec des propos déplacés sur les Nigérians.

Il était sur un siège éjectable depuis plusieurs mois. L’annonce du ­licenciement d’Alard du Bois-Reymond, patron controversé de l’Office fédéral des migrations (ODM), n’est qu’une demi-surprise tant des signaux extérieurs prédisaient une fin de carrière précipitée. «Après mûre réflexion, j’ai décidé de m’en séparer. La décision n’a pas été facile à prendre», a souligné Simonetta Sommaruga mercredi devant les médias. Avant de préciser qu’elle et le principal concerné ont décidé de ne pas divulguer les motifs exacts de cette séparation.

La conseillère fédérale a annoncé le même jour au Conseil fédéral l’ouverture d’une enquête externe portant sur des milliers de demandes d’asile d’Irakiens déposées entre 2006 et 2008 – donc sous les règnes de Christoph Blocher et d’Eveline Widmer-Schlumpf – qui n’auraient pas été traitées correctement (lire encadré). Alard du Bois-Reymond n’était pas encore à l’ODM à ce moment-là. Mais la ministre, évasive, a refusé de confirmer qu’il n’y avait aucun lien entre les deux objets. Contacté par Le Temps, Alard du Bois-Reymond est lui catégorique: «Il n’y a absolument aucun lien direct.»

Son explication: «Nous n’avons pas su établir une relation de confiance. Mais il n’y a pas eu d’élément déclencheur.» En mai déjà, un collaborateur du Département fédéral de justice et police nous confiait: «Madame Sommaruga et Alard du Bois-Reymond ne s’entendent pas. Ils ont des approches très différentes des dossiers, il a tendance à vouloir prendre des décisions de son côté, le courant ne passe pas. Elle est beaucoup plus proche d’Eduard Gnesa.» Eduard Gnesa n’est autre que l’ex-patron de l’ODM, dont Eveline Widmer-Schlumpf s’est débarrassée en 2009. Il est depuis devenu «ambassadeur extraordinaire chargé de la collaboration internationale dans le domaine des migrations.»

Alard du Bois-Reymond est entré en fonction en janvier 2010, dans un contexte difficile. L’ODM subissait une mue radicale amorcée par Eveline Widmer-Schlumpf, entraînant un climat délétère et une grande déstabilisation au sein du personnel. Des têtes ont valsé; deux tiers des 80 postes de cadres ont été mis au concours. Lui-même a tenté d’appliquer au mieux le grand nettoyage programmé par la Grisonne pour se libérer de l’héritage de Christoph Blocher, mais il n’a pas su se faire apprécier à l’interne. Un audit interne révélé en juin par la RSR est sans appel: le document montre notamment que plus d’un quart de l’office était «à bout» ou «déçu» des changements. Mais aussi, plus inquiétant, que 4 collaborateurs sur 5 pensent que «les décisions à l’ODM ne sont pas prises sur la base de faits établis et d’arguments objectifs».

Alard du Bois-Reymond a surtout très rapidement été au centre d’une polémique, qui a laissé des cicatrices. Il a dû faire face, en mars 2010, à la mort d’un Nigérian sur le tarmac de l’aéroport de Kloten, alors qu’il était sur le point d’être expulsé. Il a provoqué la controverse plus tard en déclarant que 99,5% des requérants nigérians utilisent la filière de l’asile pour s’adonner à des activités illégales, comme le trafic de drogue.

«C’était complètement déplacé! Cela n’a fait que compliquer les longues et difficiles négociations avec les Nigérians», souligne un diplomate. Une rumeur laisse entendre qu’il aurait fait verser une indemnité de 50 000 francs à la famille du Nigérian décédé sans en référer plus haut. «C’est totalement faux», commente Alard du Bois-Reymond. Il dit l’avoir fait en accord avec les Affaires étrangères et son supérieur hiérarchique. «D’ailleurs aujourd’hui mes relations avec le Nigeria sont excellentes», s’empresse-t-il d’ajouter.

Autres reproches: l’ODM a été accusé, en décembre 2010, de ne pas respecter la jurisprudence de l’autorité de recours sur l’admissibilité des renvois vers certains pays à risques. Un désaveu d’une extrême sévérité, infligé par le Tribunal administratif fédéral. Le TAF avait aussi tapé sur les doigts de l’ODM, l’accusant d’appliquer l’Accord de Dublin avec trop de célérité, en expulsant des requérants sans qu’ils puissent déposer un recours. Lors du «printemps arabe», il était par ailleurs frappant de constater les prises de position divergentes du patron de l’ODM et de sa cheffe s’agissant des menaces d’«afflux» de réfugiés, lui étant beaucoup plus alarmiste qu’elle.

Le mal-aimé Alard du Bois-Reymond quittera ses fonctions fin octobre, avec une indemnité équivalant à un an de salaire. C’est l’actuel directeur suppléant, Mario Gattiker, qui assurera la direction de l’ODM à titre intérimaire à partir de novembre.

Valérie de Graffenried dans le Temps

Des milliers de demandes d’asile en rade à l’Office des migrations

L’administration a laissé en déshérence pendant des années des requêtes de réfugiés irakiens. Simonetta Sommaruga veut savoir si la loi a été violée.

L’Office fédéral des migrations (ODM) est sens dessus dessous. Hier, en même temps qu’elle annonçait le licenciement de son directeur Alard du Bois-Reymond (lire ci-contre), sa ministre de tutelle Simonetta Sommaruga a informé le Conseil fédéral, puis la presse de l’ouverture d’une enquête externe. Celle-ci devra expliquer pourquoi l’ODM a laissé en rade, sans les traiter, 7000 à 10 000 demandes d’asile déposées entre 2006 et 2008 par des Irakiens auprès des ambassades de Suisse en Syrie et en Egypte.
C’est fin mai que la cheffe du Département fédéral de justice et police dit avoir découvert la pile de demandes d’asile en souffrance, alertée par une personne extérieure à l’administration. Les employés de l’ODM avaient commencé à les traiter en 2010. Simonetta Sommaruga les a stoppés dans leur élan début juillet, dans l’attente, d’ici à la fin de l’année, des résultats de l’enquête externe qu’elle a confiée à l’ancien juge fédéral Michel Féraud.

Un ordre de Berne
Selon la conseillère fédérale, le directeur de l’Office fédéral des migrations de l’époque, Eduard Gnesa, avait demandé aux ambassades du Caire et de Damas de transmettre à l’ODM les demandes d’asile qui leur étaient adressées, sans les traiter elles-mêmes. «Nous avons agi en toute bonne conscience», répond laconiquement l’intéressé, qui est depuis 2009 ambassadeur extraordinaire chargé de la collaboration internationale en matière de migrations au Département fédéral des affaires étrangères.
Eduard Gnesa n’en dira pas plus. Mais selon des sources convergentes, la Suisse, submergée par des demandes d’asile d’Irakiens à ses ambassades en Syrie et en Egypte, est convenue, avec d’autres pays, de confier ces personnes aux bons soins du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui les a enregistrées et leur a prêté assistance. «Nous pouvons partir du principe que les personnes concernées n’ont pas souffert et qu’elles ont été prises en charge», assure de son côté Simonetta Sommaruga. De toute manière, à l’entendre, les milliers de demandes d’asile émanant de ces Irakiens, dont beaucoup étaient lacunaires, avaient peu de chances d’aboutir, la Syrie et l’Egypte étant à l’époque considérées comme des pays sûrs.
Nos sources ajoutent que s’il avait voulu respecter la loi à la lettre et traiter toutes les demandes d’asile en bonne et due forme, l’ODM aurait dû déployer des ressources en personnel considérables dans les ambassades concernées, alors même que l’issue de la procédure ne faisait que peu de doute.

Qui savait quoi?
Reste une question: qui savait quoi? Ni l’ancien conseiller fédéral UDC Christoph Blocher, qui a dirigé le DFJP jusqu’à fin 2007, ni Eveline Widmer-Schlumpf, qui lui a succédé à la tête de l’asile, ni la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey n’étaient au courant, ont-ils fait savoir à Simonetta Sommaruga. Une version contredite par une source bien placée, qui soutient que Christoph Blocher a forcément dû être avisé. «M. Blocher n’exclut pas d’avoir été informé, mais 5 ans après les faits, il lui est difficile de les reconstruire», répond son chargé de communication Livio Zanolari. «Christoph Blocher suivait de très près les affaires de l’ODM, il est probable qu’il ait donné des instructions», affirme Denise Graf, d’Amnesty International.
Pour rappel, une demande d’asile peut aujourd’hui encore être déposée dans une ambassade de Suisse. Mais une révision partielle de la loi, actuellement en discussion, prévoit de supprimer cette possibilité.

Le chef de l’Office des migrations doit prendre la porte
«C’est un soulagement. Je pense que ce soir, pas mal de mes collègues vont ouvrir le champagne.» A l’Office fédéral des migrations (ODM), l’annonce du licenciement du directeur Alard du Bois-Reymond n’a pas fait que des malheureux. A l’interne, le moment choisi par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga pour s’en séparer a cependant surpris. «Nous pensions qu’elle n’entreprendrait rien avant les élections fédérales», indique la  même source.
Hier, la ministre de Justice et police n’a pas précisé les raisons qui l’ont incitée à virer son chef d’office, en poste depuis 20 mois seulement. La socialiste a néanmoins laissé entendre que ce licenciement n’était pas lié à la découverte de milliers de demandes d’asiles restées en rade dans les ambassades de Suisse en Egypte et en Syrie A cette époque, Alard du Bois-Reymond dirigeait la section assurance invalidité à l’Office des assurances sociales. Interrogé par «20 Minutes», l’intéressé admet néanmoins qu’il connaissait cette affaire et qu’il aurait dû avertir sa cheffe.

Selon des sources convergentes, Simonetta Sommaruga aurait en réalité constaté qu’Alard du Bois-Reymond n’était pas la bonne personne à la bonne place. A l’interne, le jugement à son sujet est sévère: on le décrit comme «asocial» et mal préparé sur les dossiers. Le directeur de l’ODM ferait en outre régner la terreur instaurée par l’ancienne cheffe du DFJP, Eveline Widmer-Schlumpf, qui l’a engagé. Et la réorganisation de l’office, plutôt que d’améliorer le fonctionnement de l’asile, aurait créé un gigantesque chaos. De peur de déstabiliser davantage l’ODM, Simonetta Sommaruga se serait dans un premier temps accommodée du directeur en place, avant de conclure à leur incompatibilité. «Ces décisions mûrissent», a-t-elle allusivement expliqué, tout en assurant le personnel de l’office de son soutien.

Parfait bilingue, ancien du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Alard du Bois-Reymond détonne au sein de l’administration en raison de son franc-parler et de son sens de la provocation. En 2010, il affirmait ainsi que «la plupart des requérants d’asile nigérians viennent en Suisse pour faire des affaires illégales». Il quittera son poste fin octobre, avec une année de salaire en poche, soit l’équivalent de 250 000 à 300 000 francs.

Serge Gumy dans la Liberté

Une tête roule à l’Office des migrations

Alard du Bois-Reymond s’en va. Une enquête a été ordonnée sur des milliers de requêtes d’asile restées en souffrance.

Simonetta Sommaruga fait le ménage à l’Office fédéral des migrations (ODM). La ministre de Justice et police a annoncé hier le départ de son directeur, Alard du Bois-Reymond. Le haut fonctionnaire, engagé début 2010 sous l’ère Eveline Widmer-Schlumpf, était sous le feu des critiques. Ses propos («99,5% des requérants nigérians utilisent la filière de l’asile pour s’adonner à des activités illégales») avaient fait scandale. Ses méthodes de direction étaient décriées, dans un office encore marqué par des divisions internes et des restructurations successives.

En plus des polémiques sur les renvois forcés, les couacs s’accumulaient. Dernier en date, l’émission alémanique 10 vor 10 diffusait en juillet des images de policiers frappant des Nigérians lors d’un renvoi forcé. Le même jour, l’ODM diffusait un communiqué disant que le renvoi s’était déroulé sans problème.

Des demandes ignorées

Simonetta Sommaruga a fait une autre annonce hier: des milliers de demandes d’asile d’Irakiens ont été ignorées par l’ODM. Entre 2006 et 2008, de 7000 à 10 000 requêtes ont été adressées aux ambassades suisses en Syrie et en Egypte. L’ODM a alors demandé aux diplomates de les ignorer, puisque les requérants étaient admis dans un camp de l’ONU. Début 2010, à son arrivée, Alard du Bois-Reymond aurait ordonné le traitement de ces requêtes. Celles-ci auraient été traitées progressivement et partiellement. «Nous avons été prévenus en mai par une personne extérieure à l’administration», indique Simonetta Sommaruga. Elle a confié une enquête externe sur cette affaire à Michel Féraux, ancien juge au Tribunal fédéral, qui devra établir des responsabilités.

Cette affaire a-t-elle été la goutte d’eau qui a provoqué le départ d’Alard du Bois-Reymond? Simonetta Sommaruga se refuse à tout commentaire à ce propos, si ce n’est que le départ d’Alard du Bois-Reymond fait suite à une «longue réflexion». Le fonctionnaire s’en ira à fin octobre et recevra une indemnité légale d’une année de salaire. Il est remplacé ad interim par Mario Gattiker, sous-directeur de l’ODM. Chef de section à l’ancien Office fédéral des étrangers jusqu’en 2003, Mario Gattiker est politiquement plus proche de la ministre.

«Elle fait son travail»

Dans le contexte électoral, les politiques commentent. Le conseiller national Antonio Hodgers (Verts/GE) prend acte du départ d’Alard du Bois-Reymond, sans enthousiasme: «Simonetta Sommaruga n’a pas cessé de donner des signaux à la droite et à l’UDC sur l’asile, alors j’espère qu’elle ne nommera pas ensuite une personnalité encore plus problématique.» La ministre ne fait pas de politique en l’occurrence, «elle fait simplement son travail, c’est tout», estime Ada Marra (PS/VD), qui pointe du doigt ses prédécesseurs: le manque de moyens de l’ODM est patent après les réformes entreprises par Christoph Blocher, puis Eveline Widmer-Schlumpf. Yvan Perrin, vice-président de l’UDC, se demande «si ce qu’on apprend aujourd’hui n’explique pas le fait qu’Eveline Widmer-Schlumpf voulait absolument remettre ce département à quelqu’un d’autre l’année passée».

Patrick Chuard dans 24 Heures

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