mercredi 27 juillet 2011

Clandestins : les reconduites à la frontière vont augmenter

Fort des nouvelles dispositions législatives, le ministère de l'Intérieur devrait porter à 30.000 la cadence annuelle des éloignements d'étrangers en situation irrégulière.

centre rétention roissy

À peine rentré de l'hôpital, le ministre de l'Intérieur Claude Guéant s'attaque au dossier immigration. Le Figaro est en mesure de révéler que la Place Beauvau va augmenter le nombre de renvois des clandestins interpellés en France. Les 28.000 reconduites pour 2011 devraient être portées à 30.000. Un objectif qui pourrait être dépassé dès cette année.

«Depuis janvier, le niveau moyen de ces éloignements s'établit déjà à 2500 par mois», confie un cadre de la police aux frontières (PAF). Mai 2011 a par ailleurs connu un pic de 32% (3397 reconduites contre 2563 en 2010). Et juillet devrait confirmer la tendance, avec une hausse attendue de 7%.

La Place Beauvau veut y voir le signe de la «mobilisation sans faille des préfectures, notamment durant la crise tunisienne», mais aussi, depuis peu, «l'effet mécanique des nouvelles dispositions contenues dans la loi sur l'immigration votée en mai 2011». Un texte dont les principaux décrets d'application ont été publiés au Journal officiel le 18 juillet dernier.

Les préfets, il est vrai, comptent tout particulièrement sur ces nouveaux outils pour renforcer l'effectivité de leurs décisions, souvent contrecarrées par le juge judiciaire. Dorénavant, l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) sera repoussée à cinq jours, au lieu de deux. Ce qui évitera à un clandestin d'être remis prématurément en liberté, si la procédure d'éloignement dont il fait l'objet se révèle juridiquement fondée.

Autre disposition phare entrée en application depuis quinze jours: la durée de rétention des étrangers en situation irrégulière peut aller jusqu'à 45 jours, au lieu de 32 précédemment. Cet allongement du délai donne plus de chance à l'administration d'obtenir des laissez-passer consulaires de la part des pays qui traînent souvent des pieds pour reprendre leurs ressortissants, comme la Chine, qui attend en moyenne 35 jours avant de délivrer un sésame, ou le Mali, qui en met environ 38.

Privilégier le «pragmatisme»

De l'aveu même du prédécesseur de Claude Guéant à Beauvau: la non-délivrance de laissez-passer représente «la première cause d'échec des procédures d'éloignement, soit 34% des cas». En Espagne, le socialiste Zapatero a pu porter le délai de rétention à 60 jours. Et l'Europe tolère jusqu'à 18 mois. Il sera toujours temps de faire modifier le délai tricolore si les résultats espérés tardent à venir.

En tout état de cause, l'équipe Guéant dit vouloir privilégier le «pragmatisme» dans la lutte contre l'immigration illégale. Et ce n'est pas sans satisfaction que l'hôte de Beauvau a pris connaissance, lundi dernier, de ce commentaire de la Commission européenne au sujet de la gestion de l'affaire tunisienne: «Du point de vue formel, les mesures prises par les autorités italiennes et françaises ont respecté la loi européenne», a déclaré la commissaire chargée des Affaires intérieures, Cecilia Malmström. Paris avait décidé de rétablir les frontières avec l'Italie au lendemain de la régularisation massive par Rome de quelque 25.000 Tunisiens. «Les contrôles de police menés par les autorités françaises ont été effectués en conformité avec le code de Schengen», a reconnu Mme Malmström, pourtant véhémente à l'égard de Paris, au début de la crise.

La commissaire a été jusqu'à proposer une plus grande latitude pour rétablir temporairement les contrôles aux frontières en cas de pression migratoire «forte» et «inattendue» ou de «défaillance» d'un État membre aux frontières extérieures de l'Union. Tout ce que réclamait Guéant.

L'Europe définira en septembre les critères visant à légitimer cette initiative. «Comme quoi la fermeté paie», ne peut s'empêcher de traduire l'un des plus proches conseillers du ministre.

La Belgique se dote d'un "centre de retour" pour les demandeurs d'asile

Le gouvernement fédéral ouvrira à l'automne un centre spécial pour les demandeurs d'asile dont la requête a été rejetée. Le Centre pourra accueillir 70 personnes, qui y attendront la fin des formalités préparant leur retour dans leur pays d'origine. Il s'agit d'une première en Belgique, rapporte mercredi De Morgen.

Le centre occupera un immeuble vide détenu par la Régie des Bâtiments. Il se situera à quelques dizaines de kilomètres de Bruxelles, et donc non loin de l'aéroport. La plupart des demandeurs d'asile déboutés seront en effet rapatriés par avion. Le gouvernement n'a pas encore divulgué la localisation précise du centre, car l'arrivée de ce type d'établissement provoque toujours une vague de protestation parmi les riverains. Jusqu'à présent les demandeurs d'asile appelés à rentrer chez eux résident dans des centres d'accueil "ordinaires" et disposent de plusieurs jours pour quitter le territoire belge. Le gouvernement souhaite désormais faire une différence claire entre les centres (et le personnel) qui accueillent les demandeurs d'asile et les centres "de retour". Dans un premier temps, ce centre fera figure de projet-pilote. Il n'accueillera que des demandeurs d'asile isolé, principalement originaires des Balkans, et donc pas de familles avec enfants. Si ce projet est une réussite, le centre pourra être ouvert à un public plus large.

RTLinfo

Le multiculturalisme au cœur des attentats

Les causes du drame restent floues. La principale relève-t-elle de la psychiatrie ou de la haine de la différence culturelle?

oslo recueillement

Est-ce la faute à la psychiatrie (lire ci-dessous) ou au multiculturalisme? Anders Behring Breivik est-il en d’autres termes un monstre qui a agi de façon isolée ou a-t-il été influencé par un contexte sociétal donné? Ou est-ce un peu des deux? Le double attentat perpétré vendredi par ce Norvégien de 32 ans interroge sur les causes réelles de la tragédie qui a coûté la vie à 76 personnes.

Dans une vidéo diffusée sur Internet peu avant de passer à l’acte, Anders Behring Breivik parle du «viol culturel et marxiste de l’Europe» entre 1968 et 2011. Il y dénonce le multiculturalisme comme une «idéologie haineuse anti-européenne destinée à déconstruire» la culture, les traditions, les identités et la chrétienté européennes voire même les Etats-nations européens. A ses yeux, il est impossible aujourd’hui de stopper l’alliance multiculturelle (ndlr: élites, médias, politiques) de façon démocratique. Il appelle à l’avènement de la révolution conservatrice qui permettra de «bannir une nouvelle fois l’islam d’Europe».

Professeur à l’Université de Genève et spécialiste du multiculturalisme, Matteo Gianni constate que le discours très critique sur le multiculturalisme n’est pas propre au terroriste présumé d’Oslo. Cela fait plus de quinze ans que l’extrême droite radicale véhicule cette rhétorique de la menace, de l’invasion, voire du racisme anti-Blancs. «Samuel Huntington (ndlr: Le choc des civilisations) avait déjà thématisé le sujet. Aujourd’hui, le discours anti-musulmans est la locomotive de cette rhétorique. On l’a vu en Suisse avec le vote sur les minarets. Les partis populistes en ont fait leur fonds de commerce et les partis traditionnels de centre droit doivent jouer sur la même corde, même si sur le fond, ils contestent ces thèses.» Spécialiste de l’extrême droite à l’Institut de relations internationales et stratégiques, Jean-Yves Camus souligne que l’obsession de Breivik, c’est l’Eurabia, cette idée née dans la tête des néo-conservateurs selon laquelle l’Europe serait devenue un vassal de l’islam.

Ces derniers mois, des figures politiques de premier plan s’en sont aussi prises au multiculturalisme. Pour la chancelière allemande Angela Merkel, le «Multikulti» a été un échec total. Son compatriote Thilo Sarrazin, social-démocrate qui fut membre du directoire de la Bundesbank, enfonça le clou avec son livre L’Allemagne va à sa perte. Le président français Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique David Cameron sont intervenus dans le même sens récemment. En mars 2007, le philosophe français Alain Finkielkraut s’était même fendu de ce commentaire dans le quotidien Haaretz: «Les juifs de France n’ont d’avenir que si la France reste une nation; il n’y a pas d’avenir possible pour les juifs dans une société multiculturelle, parce que le pouvoir des groupes antijuifs risque d’être plus important.»

Sur quoi reposent ces critiques? Matteo Gianni estime qu’il y a une grande confusion dans les termes utilisés. D’un point de vue sociologique, parler de multiculturalisme, c’est décrire l’état social d’une société. C’est la conséquence sociologique inévitable de tout système démocratique par définition ouvert. Voici trois décennies, la Norvège était encore un Etat relativement homogène. La mondialisation a transformé le pays, le nombre d’immigrants ayant doublé depuis le milieu des années 1990. Aujourd’hui, il abrite 500 000 immigrés, qui représentent 10% de la population.

D’un point de vue politique, le multiculturalisme traduit les mesures qui sont mises en place pour permettre à la société multiculturelle de vive en relative harmonie. Sociologiquement, la France est multiculturelle, politiquement elle ne l’est pas au contraire du Canada ou, dans une moindre mesure des Pays-Bas. Angela Merkel parle d’échec, mais «techniquement», l’Allemagne n’a jamais appliqué politiquement le multiculturalisme, privilégiant une politique d’assimilation et de naturalisation restrictive et n’ayant accordé que récemment le droit à la double nationalité. Jean-Yves Camus explique: «On a peut-être été trop loin dans la politique d’intégration des cultures d’origine et pas assez insisté sur l’adaptation à la culture d’accueil.»

«Le discours d’Anders Behring Breivik paraît cohérent, mais il est totalement déstructuré, poursuit Matteo Gianni. Il voit dans le multiculturalisme un danger pour la démocratie et l’identité culturelle de l’Europe. Or le fait de donner des droits à des étrangers n’est pas un acte de charité, c’est la simple application des principes fondamentaux de nos systèmes démocratiques. Nier le multiculturalisme équivaut dès lors à nier la démocratie. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas débattre de jusqu’où doit aller l’ouverture à la différence.» Jean-Yves Camus réfute un lien causal entre le débat actuel sur le multiculturalisme et l’acte terroriste de Breivik: «Ce dernier s’est radicalisé avant, dès les années 2000. Et les partis populistes scandinaves, dont le Parti [norvégien] du progrès ont émergé dans les années 1970.»

Le multiculturalisme serait-il dès lors le cheval de Troie de l’islamisme? Directeur de recherche au CNRS, Pierre-André Taguieff est l’auteur de la formule. Mais il l’explicite: «Le projet de se servir du multiculturalisme comme un cheval de Troie est bien présent dans certains milieux islamistes considérant qu’en Europe, le djihad serait voué à l’échec et qu’il faut en conséquence suivre une stratégie culturelle (au sens gramscien) pour modifier le système des représentations et des croyances des Européens, avant de passer à la phase politique de la prise du pouvoir.» Pierre-André Taguieff voit néanmoins dans la critique du multiculturalisme «l’expression d’un désarroi face à la globalisation perçue comme un processus aveugle et destructeur, quelque chose comme une machine à broyer les peuples». De fait, on tend à conférer une «étiquette culturalisante» à tout, s’étonne Matteo Gianni. Si le chômage et la criminalité augmentent, c’est la faute au multiculturalisme. «Un système politique qui ne s’ouvrirait pas à la différence ne serait pas démocratique», rappelle pourtant le professeur. «Il ne faut d’ailleurs pas faire l’erreur de croire que tous les problèmes liés à l’immigration sont d’ordre culturel. Certains relèvent par exemple du niveau d’éducation», analyse le professeur.

Dans son manifeste de 1500 pages, Anders Behring Breivik associe le multiculturalisme aux marxistes «culturels». Serait-ce dès lors un concept de gauche qui aurait justifié que l’auteur de la tuerie d’Oslo et d’Utoeya, décrit comme un conservateur chrétien, s’en prenne aux jeunesses travaillistes norvégiennes? Pierre-André Taguieff s’en défend: «Le multiculturalisme peut être conçu et défendu aussi bien par des gauchistes radicaux que par des libéraux de droite, voyant dans la diversité culturelle un atout ou un moyen d’approfondir le système démocratique.»

Stéphane Bussard dans le Temps

Réfugiés : l'Europe doit défendre ses valeurs

Soixante ans après la signature de la convention de Genève sur les réfugiés, le 28 juillet 1951, qui a aidé des millions d'hommes, de femmes et d'enfants fuyant la persécution, les guerres et la torture, à obtenir la garantie d'une protection et l'espoir d'un avenir meilleur, le monde reste marqué par les conflits.

Depuis le printemps, nous avons vu plus d'un million de personnes laisser derrière elles tout ce qu'elles possédaient pour fuir la guerre en Libye. Bien que seul un nombre restreint d'entre elles ait échoué en Europe, les images de ces réfugiés ont marqué les esprits. Des images choquantes d'hommes, de femmes et d'enfants tentant, au péril de leur vie, de traverser la Méditerranée, le plus souvent dans des embarcations de fortune, un périple au cours duquel ils seront nombreux à laisser la vie, même si le nombre de victimes reste inconnu.

L'Europe se doit de chérir les valeurs de la convention sur les réfugiés de 1951. Elle le doit, non seulement, à tous les réfugiés, mais aussi à elle-même. La convention est née du puissant sentiment de "Plus jamais ça !" ressenti à la suite de la seconde guerre mondiale. Elle a fourni un cadre juridique clair à la protection des individus fuyant la persécution. Les valeurs qui y sont inscrites ainsi que dans d'autres textes internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions de Genève sur le droit en matière de conflit armé, font partie de l'identité de l'Europe et de l'Union européenne (UE). Une Union dont les droits de l'homme et la protection des réfugiés sont des éléments essentiels.

Pendant quatre des six décennies écoulées depuis la signature de la convention de Genève, les principaux bénéficiaires de la protection des réfugiés ont été les Européens, dont bon nombre sont aujourd'hui des citoyens de l'UE. Nous gardons tous en mémoire les conflits armés dans les Balkans et les réfugiés nécessitant une protection. Et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a été créé d'abord pour aider les centaines de milliers de personnes qui étaient toujours déracinées et sans ressources cinq ans après la fin de la seconde guerre mondiale.

Les dirigeants politiques européens ont longtemps encouragé le développement de structures démocratiques comme étant le meilleur garant des droits et une réelle opportunité pour les peuples. A l'heure où se déroulent les événements que l'on sait sur la rive sud de la Méditerranée, il existe une vraie chance de traduire les exhortations en actions. Les gouvernements et les populations de Tunisie et d'Egypte ont fait preuve d'une générosité et d'une hospitalité remarquables en accueillant des milliers de personnes fuyant la Libye. Si l'UE a reconnu l'importance d'être solidaire avec les pays d'Afrique du Nord, elle pourrait faire beaucoup plus.

Les débats dans les Etats membres ont tendance à se concentrer sur les défis que peuvent poser les personnes fuyant la Libye plutôt que sur le potentiel d'enrichissement qu'elles représentent pour nos sociétés. Ils méconnaissent souvent la répartition relative des demandeurs d'asile et des réfugiés dans le monde.

Ensemble, les Vingt-Sept ont reçu un peu plus de 243 000 demandes d'asile en 2010, soit 29 % du total mondial. L'Afrique du Sud, à elle seule, en a reçu environ 180 000. Quant aux réfugiés reconnus en tant que tels, ils sont environ quatre sur cinq à vivre dans les pays en développement. Les Etats membres ont accordé le statut de réfugié ou une autre forme de protection à approximativement 74 000 personnes en 2010. A titre de comparaison, le seul complexe des camps de réfugiés de Dadaab, au Kenya, a accueilli environ 400 000 réfugiés, nombre qui augmente, selon les estimations, de 1 300 à 1 500 unités par jour en raison de la crise que connaît la Somalie.

L'UE dispose de la capacité à accroître sa part de responsabilité en matière de réfugiés et de demandeurs d'asile. Il reste illusoire, à l'heure actuelle, d'espérer un régime d'asile commun, et ce en raison de la persistance de divergences significatives entre les politiques d'accueil et de traitement des demandeurs d'asile dans les différents Etats membres.

En 2010, la probabilité pour les demandeurs d'asile originaires d'Irak d'obtenir une protection internationale était de 49 % en France, de 56 % en Allemagne et de moins de 2 % en Grèce ou en Irlande. Un régime traitant les demandes d'asile de manière aussi disparate est incomplet. Le 60e anniversaire de la convention fournira, nous l'espérons, une nouvelle impulsion à la mise en place d'un régime d'asile européen commun digne de ce nom. Le nouveau Bureau européen d'appui en matière d'asile devrait y contribuer de manière sensible, tant entre les pays de l'UE qu'entre l'Union et les pays tiers.

Mais l'Europe pourrait faire bien plus en termes de réinstallation, processus par lequel des réfugiés sont transférés à titre permanent, généralement d'un pays moins développé vers un nouveau pays de résidence permanente, le plus souvent dans un pays développé. Les réfugiés sont réinstallés lorsqu'ils ne peuvent séjourner en sécurité dans leur premier pays d'accueil ou qu'il n'existe aucune perspective de solution durable dans ce pays. Les quelque 6 000 places rendues disponibles en Europe à des fins de réinstallation représentent environ 7,5 % des places disponibles au niveau mondial.

L'accélération d'un programme de réinstallation à l'échelle de l'UE et l'élaboration d'un système d'admission plus efficace, notamment par la mise à disposition de places supplémentaires et par l'accélération des procédures de départ pour les personnes en attente de réinstallation aux frontières de la Tunisie et de l'Egypte avec la Libye, constitueraient une preuve bienvenue d'un engagement accru en matière de solidarité internationale.

A l'heure de la célébration du 60e anniversaire de la convention sur les réfugiés, reconnaissons combien elle reste essentielle pour les valeurs de l'Europe. Alors que de nouvelles crises surviennent sans que les anciennes aient été résolues, engageons-nous de même à faire plus pour protéger les personnes déplacées et persécutées. L'Europe a un rôle irremplaçable et toujours crucial à jouer. Soyons certains de ne pas manquer ce rendez-vous important.

Antonio Guterres, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés et Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée des affaires intérieures, dans la rubrique Idées du Monde

Retour du polyhandicapé expulsé de France : « L'Etat a menti »

Ardi Vrenezi, Kosovar de 16 ans, va bientôt revenir en France. Des dizaines de policiers étaient venus le chercher sur son lit d'hôpital le 3 mai 2010. Il avait été expulsé le lendemain avec sa famille pour séjour irrégulier.

Ardi est atteint d'encéphalopathie dégénérative, une maladie rare qui ne peut être guérie, mais une prise en charge médicale permet de limiter les atteintes physiques et mentales. C'est ce dont a bénéficié Ardi en France, pendant deux ans. D'abord à domicile, puis dans un établissement spécialisé de Moselle.

De mai à décembre, Ardi « a perdu 6 à 8 kg »

La loi est pourtant censée protéger les personnes malades atteintes de pathologies graves contre les expulsions et leur permet d'avoir un titre de séjour. Ce qui aurait dû être le cas d'Ardi rappelle Richard Moyon, de Réseau éducation sans frontières (RESF). (Voir la vidéo réalisée par le comité de soutien à Ardi sur Rue89)


Or, comme l'avait montré Rue89 en octobre 2010, le Kosovo ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour prendre en charge cette lourde maladie.

Isabelle Kieffer, la pédiatre qui suivait Ardi en France, s'est rendue sur place en décembre 2010. Cela a d'ailleurs fait l'objet d'un documentaire, « Immigration aux frontières du droit », réalisé par Manon Loizeau et diffusé le 1er juin 2011 sur Canal+.

Contactée par Rue89, Isabelle Kieffer explique que l'état de santé d'Ardi s'est dégradé :

« Il est en déficit alimentaire depuis plusieurs mois. Au Kosovo, j'ai constaté qu'au bout de six ou sept cuillerées, il ne pouvait plus avaler, car c'était trop fatigant pour lui. De mai à décembre, il a perdu 6 à 8 kg. Et il a sans doute encore perdu du poids.

Il fait également des crises d'épilepsie quasiment tous les jours et très soutenues alors qu'en France, il en faisait une ou deux par mois. C'est à cause de la rupture des médicaments. Ardi a dû être hospitalisé deux fois en urgence à Pristina. »

Au Kosovo, un accès aux médicaments compliqué

En juin 2010, la préfecture de Lorraine charge l'agence régionale de santé d'envoyer des médecins afin de vérifier l'évolution de la maladie d'Ardi. Coût de la journée au Kosovo : 1 264 euros. D'après L'Humanité, voici ce qu'il en ressort :

« Nous [les experts chargé du rapport, ndlr] avons constaté qu'il était possible de se procurer l'ensemble des molécules actives nécessaires au traitement d'Ardi Vrenezi. »

L'accès aux médicaments au Kosovo est pourtant bien plus compliqué qu'en France : certains sont difficiles à trouver et très chers. Et un autre, contre les crises d'épilepsie, n'existe pas sous forme buvable, seul moyen pour Ardi de l'ingérer. Le documentaire de Manon Loizeau montre que les médecins du Kosovo ont subi des pressions.

« L'Etat a dû recourir au mensonge »

Selon Isabelle Kieffer, les experts envoyés par l'agence régionale de santé n'ont pas examiné Ardi :

« Il y a de fausses citations dans le rapport. Il y est écrit qu'Handikos, l'ONG située dans le village d'Ardi, est suffisamment équipée pour accueillir dans de bonnes conditions le patient. Or, la responsable leur a affirmé tout le contraire. Et ils ont refusé d'aller voir Ardi à son domicile pour vérifier ses conditions de vie.

Je ressens beaucoup d'amertume. Ils nous [les médecins qui ont suivi Ardi en France, ndlr] citent comme étant d'accord, alors qu'ils ne nous ont pas demandé à un seul instant notre avis. C'est gravissime. »

Pour le docteur Kieffer, cette mission n'avait pour but que de légitimer l'expulsion d'Ardi en montrant qu'il pouvait se soigner de manière correcte au Kosovo. Si l'état d'Ardi s'est dégradé, c'est à cause de la prise en charge partielle de la maladie :

« Il a fallu attendre quatorze mois alors qu'on avait tous les éléments qui prouvaient qu'Ardi ne pouvait pas être soigné au Kosovo. C'est une honte pour le pays. Pour justifier une décision injustifiable, l'Etat a dû recourir au mensonge. »

Un visa de trois mois. Et après ?

Ardi et sa famille ont obtenu un visa de trois mois, d'après l'Association des paralysés de France (APF) et RESF. Dans un premier temps, les associations craignaient que seuls Ardi et ses parents aient droit à un visa. Contacté par Rue89, Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l'Intérieur, dément :

« Il n'a jamais été question de n'accorder un visa qu'à Ardi et ses parents. Sa sœur et son frère auront donc bien un visa. »

Par contre, le porte-parole n'a pas souhaité s'exprimer sur la durée de permis de séjour, ni sur la date de retour des Vrenezi. A son arrivée, qui devrait s'effectuer en avion sanitaire, Ardi sera hospitalisé afin de faire un bilan. L'institut d'éducation motrice de Freyming-Merlebach (Moselle) est disposé à l'accueillir à nouveau. Depuis son expulsion, une place lui était réservé jusqu'en août 2012.

Pour qu'Ardi puisse finir sa vie dans de bonnes conditions, les associations vont maintenant se mobiliser pour que la famille Vrenezi obtienne un titre de séjour.