A la rentrée, les Vaudois voteront sur l’initiative «Vivre et voter ici». Ce texte veut donner le droit de vote et d’éligibilité cantonal aux étrangers qui résident depuis longtemps dans le pays. Raphaël Mahaim, député Vert, est coprésident du comité. Il croise le fer avec le chef du Département de l’intérieur, Philippe Leuba. Le libéral est farouchement hostile à cette proposition.
En cas de succès de l’initiative qu’est-ce qui distinguera un étranger d’un Suisse?
Raphaël Mahaim Mille choses. Ainsi, les étrangers n’auront par exemple pas le droit de vote et d’éligibilité au niveau fédéral. Et on aura toujours une multitude de cultures et de communautés linguistiques dans le canton.
Philippe Leuba S’il est un critère qui ne souffre aucune contradiction, c’est celui de la nationalité. Et un lien étroit doit exister pour l’étranger entre la naturalisation et la jouissance des droits politiques. La naturalisation, c’est l’expression qu’on fait partie désormais d’une communauté. De la naturalisation découle le droit de faire partie des organes souverains du canton de Vaud, de siéger au Conseil d’Etat, au Grand Conseil et même au Conseil des Etats, de nommer les magistrats et de faire et de défaire les législations.
Quel est le sens de cette initiative?
R.M . On aura résolu une injustice: 90 000 personnes environ qui font partie de la communauté vaudoise, qui paient des impôts, qui contribuent aux assurances sociales, n’ont pas voix au chapitre. Ils n’ont pas la possibilité de s’exprimer. Les personnes qui font partie d’une communauté locale doivent pouvoir se prononcer sur les objets concrets qui les concernent. Il ne s’agit nullement d’une révolution, mais d’un ferment de cohésion sociale
PH.L. Si le fait de vivre dans une communauté justifie le droit de vote et d’éligibilité, pourquoi ne pas le donner aussi à tous les clandestins? Par ailleurs, cette initiative propose une innovation qui n’existe dans aucun canton: le droit d’éligibilité. M. Mahaim dit que ce n’est pas une révolution, permettez-moi d’en douter. Cette initiative vide de sa substance la nationalité.
Un Obwaldien vivant depuis trois mois à Vevey a le droit de vote et un Italien établi depuis dix ans à Nyon ne l’a pas. N’est-ce pas injuste?
PH.L. Il est manifeste qu’un Obwaldien et un Vaudois partagent une communauté de destin à travers une histoire en partie commune. Un Suisse en Italie, même au bout de dix ans, n’obtiendrait pas le droit de vote. Il n’y aurait pas de réciprocité.
R.M. L’erreur du raisonnement de M. Leuba, c’est le lien entre nationalité et droit de vote cantonal. La nationalité n’a de sens que lorsqu’on parle de nation souveraine. Or le canton de Vaud n’est pas une nation souveraine. C’est un canton. Au niveau local, la couleur du passeport n’a pas un rôle décisif. La question est donc pertinente: un Suisse d’une autre minorité qui ne parle pas français peut être moins intégré qu’un Portugais. Ce lien entre nationalité et droit de vote ne se vérifie d’ailleurs pas pour les Vaudois à l’étranger, qui n’ont pas le droit de vote sur le plan cantonal. Cela démontre que le domicile joue un rôle dans la question des droits politiques.
PH.L. M. Mahaim se trompe sur le système politique. Les Etats cantonaux ont délégué des compétences à la Confédération et pas l’inverse. Les cantons sont souverains. Ils sont l’entité de base du pays bien plus que l’Etat fédéral.
L’initiative est antifédéraliste?
R.M. Au contraire, elle donne la possibilité de tenir compte des sensibilités cantonales différentes, en particulier sur la question des étrangers.
PH.L. Je ne dis pas que l’initiative est contre le fédéralisme, mais cela ne veut pas dire qu’elle est cohérente ou pertinente.
Ne valait-il pas mieux proposer le seul droit de vote comme Neuchâtel et le Jura?
PH.L. Une demi-incohérence ne vaut pas mieux qu’une incohérence complète.
R.M. On aurait fait des demi-citoyens; le comité d’initiative a fait le choix de la cohérence et a refusé d’entrer dans des considérations de tactique politique.
Vaud a déjà accepté ces droits au niveau communal. N’est-il pas logique de les étendre?
PH.L. Ces droits ont été octroyés dans le cadre d’une révision de la Constitution. Aucun canton n’a donné le droit de vote et d’éligibilité quand la question était directement posée aux citoyens.
R.M. Rares sont les personnes qui les contestent maintenant, et ceux qui ont voulu attaquer ce droit n’ont pas réussi à récolter les signatures.
On n’a guère l’impression que le droit de vote et d’éligibilité soit une revendication des communautés étrangères.
PH.L. Aux précédentes élections communales de 2005, 26,5% seulement des étrangers ayant le droit de vote ont voté, contre 43,7% des Suisses. Presque 75% de taux d’abstention chez les étrangers. Il n’y a pas une réelle demande. Trois sur quatre ne l’utilisent pas.
R.M. Les communautés étrangères sont peu organisées et ne peuvent relayer une demande de la base, mais je peux vous dire qu’il existe une réelle envie que j’ai rencontrée pendant la récolte des signatures, nous avons d’ailleurs obtenu très vite les 12 000 paraphes nécessaires, puis plus de 14 000 avec un petit comité. Les étrangers votent moins que les Suisses au niveau communal, mais un tel phénomène se produit chaque fois qu’il y a une extension des droits politiques. Il faut des décennies pour que le taux remonte. C’est ainsi que les femmes votent encore aujourd’hui moins que les hommes, mais les écarts se réduisent avec le temps.
A gauche, certains pensent que l’initiative fait le lit de l’UDC en période électorale.
R.M. On aurait voulu le faire six mois plus tôt, mais cela a pris plus de temps que prévu. Difficile de maîtriser le calendrier en politique. On sort d’une période agressive en matière de politique migratoire. Il me paraît bon de proposer un projet constructif en matière d’intégration. C’est une manière de dire que les étrangers sont une richesse pour l’économie, la culture, la diversité du pays. On montre l’apport des étrangers. On rompt avec une attitude défensive à l’égard de l’UDC. Discours positif, plutôt qu’une attitude défensive.
PH.L. A mon sens, l’agressivité de l’UDC à l’égard des étrangers n’explique qu’en partie les tensions sur l’immigration. L’aveuglement des autres partis qui n’ont longtemps pas voulu voir les problèmes est aussi responsable de l’ambiance actuelle. Preuve en est que les tensions sur l’immigration sont vives dans des pays européens qui ne connaissent pas l’UDC .
Justin Favrod et Mehdi-Stéphane Prin dans 24 Heures