samedi 23 juillet 2011

Duel autour du droit de vote et d’éligibilité des étrangers

A la rentrée, les Vaudois voteront sur l’initiative «Vivre et voter ici». Ce texte veut donner le droit de vote et d’éligibilité cantonal aux étrangers qui résident depuis longtemps dans le pays. Raphaël Mahaim, député Vert, est coprésident du comité. Il croise le fer avec le chef du Département de l’intérieur, Philippe Leuba. Le libéral est farouchement hostile à cette proposition.

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En cas de succès de l’initiative qu’est-ce qui distinguera un étranger d’un Suisse?

Raphaël Mahaim Mille choses. Ainsi, les étrangers n’auront par exemple pas le droit de vote et d’éligibilité au niveau fédéral. Et on aura toujours une multitude de cultures et de communautés linguistiques dans le canton.

Philippe Leuba S’il est un critère qui ne souffre aucune contradiction, c’est celui de la nationalité. Et un lien étroit doit exister pour l’étranger entre la naturalisation et la jouissance des droits politiques. La naturalisation, c’est l’expression qu’on fait partie désormais d’une communauté. De la naturalisation découle le droit de faire partie des organes souverains du canton de Vaud, de siéger au Conseil d’Etat, au Grand Conseil et même au Conseil des Etats, de nommer les magistrats et de faire et de défaire les législations.

Quel est le sens de cette initiative?

R.M . On aura résolu une injustice: 90 000 personnes environ qui font partie de la communauté vaudoise, qui paient des impôts, qui contribuent aux assurances sociales, n’ont pas voix au chapitre. Ils n’ont pas la possibilité de s’exprimer. Les personnes qui font partie d’une communauté locale doivent pouvoir se prononcer sur les objets concrets qui les concernent. Il ne s’agit nullement d’une révolution, mais d’un ferment de cohésion sociale

PH.L. Si le fait de vivre dans une communauté justifie le droit de vote et d’éligibilité, pourquoi ne pas le donner aussi à tous les clandestins? Par ailleurs, cette initiative propose une innovation qui n’existe dans aucun canton: le droit d’éligibilité. M. Mahaim dit que ce n’est pas une révolution, permettez-moi d’en douter. Cette initiative vide de sa substance la nationalité.

Un Obwaldien vivant depuis trois mois à Vevey a le droit de vote et un Italien établi depuis dix ans à Nyon ne l’a pas. N’est-ce pas injuste?

PH.L. Il est manifeste qu’un Obwaldien et un Vaudois partagent une communauté de destin à travers une histoire en partie commune. Un Suisse en Italie, même au bout de dix ans, n’obtiendrait pas le droit de vote. Il n’y aurait pas de réciprocité.

R.M. L’erreur du raisonnement de M. Leuba, c’est le lien entre nationalité et droit de vote cantonal. La nationalité n’a de sens que lorsqu’on parle de nation souveraine. Or le canton de Vaud n’est pas une nation souveraine. C’est un canton. Au niveau local, la couleur du passeport n’a pas un rôle décisif. La question est donc pertinente: un Suisse d’une autre minorité qui ne parle pas français peut être moins intégré qu’un Portugais. Ce lien entre nationalité et droit de vote ne se vérifie d’ailleurs pas pour les Vaudois à l’étranger, qui n’ont pas le droit de vote sur le plan cantonal. Cela démontre que le domicile joue un rôle dans la question des droits politiques.

PH.L. M. Mahaim se trompe sur le système politique. Les Etats cantonaux ont délégué des compétences à la Confédération et pas l’inverse. Les cantons sont souverains. Ils sont l’entité de base du pays bien plus que l’Etat fédéral.

L’initiative est antifédéraliste?

R.M. Au contraire, elle donne la possibilité de tenir compte des sensibilités cantonales différentes, en particulier sur la question des étrangers.

PH.L. Je ne dis pas que l’initiative est contre le fédéralisme, mais cela ne veut pas dire qu’elle est cohérente ou pertinente.

Ne valait-il pas mieux proposer le seul droit de vote comme Neuchâtel et le Jura?

PH.L. Une demi-incohérence ne vaut pas mieux qu’une incohérence complète.

R.M. On aurait fait des demi-citoyens; le comité d’initiative a fait le choix de la cohérence et a refusé d’entrer dans des considérations de tactique politique.

Vaud a déjà accepté ces droits au niveau communal. N’est-il pas logique de les étendre?

PH.L. Ces droits ont été octroyés dans le cadre d’une révision de la Constitution. Aucun canton n’a donné le droit de vote et d’éligibilité quand la question était directement posée aux citoyens.

R.M. Rares sont les personnes qui les contestent maintenant, et ceux qui ont voulu attaquer ce droit n’ont pas réussi à récolter les signatures.

On n’a guère l’impression que le droit de vote et d’éligibilité soit une revendication des communautés étrangères.

PH.L. Aux précédentes élections communales de 2005, 26,5% seulement des étrangers ayant le droit de vote ont voté, contre 43,7% des Suisses. Presque 75% de taux d’abstention chez les étrangers. Il n’y a pas une réelle demande. Trois sur quatre ne l’utilisent pas.

R.M. Les communautés étrangères sont peu organisées et ne peuvent relayer une demande de la base, mais je peux vous dire qu’il existe une réelle envie que j’ai rencontrée pendant la récolte des signatures, nous avons d’ailleurs obtenu très vite les 12 000 paraphes nécessaires, puis plus de 14 000 avec un petit comité. Les étrangers votent moins que les Suisses au niveau communal, mais un tel phénomène se produit chaque fois qu’il y a une extension des droits politiques. Il faut des décennies pour que le taux remonte. C’est ainsi que les femmes votent encore aujourd’hui moins que les hommes, mais les écarts se réduisent avec le temps.

A gauche, certains pensent que l’initiative fait le lit de l’UDC en période électorale.

R.M. On aurait voulu le faire six mois plus tôt, mais cela a pris plus de temps que prévu. Difficile de maîtriser le calendrier en politique. On sort d’une période agressive en matière de politique migratoire. Il me paraît bon de proposer un projet constructif en matière d’intégration. C’est une manière de dire que les étrangers sont une richesse pour l’économie, la culture, la diversité du pays. On montre l’apport des étrangers. On rompt avec une attitude défensive à l’égard de l’UDC. Discours positif, plutôt qu’une attitude défensive.

PH.L. A mon sens, l’agressivité de l’UDC à l’égard des étrangers n’explique qu’en partie les tensions sur l’immigration. L’aveuglement des autres partis qui n’ont longtemps pas voulu voir les problèmes est aussi responsable de l’ambiance actuelle. Preuve en est que les tensions sur l’immigration sont vives dans des pays européens qui ne connaissent pas l’UDC .

Justin Favrod et Mehdi-Stéphane Prin dans 24 Heures

Fernand Melgar: «Je n’ai pas confiance en Simonetta Sommaruga sur les questions d’asile»

Fernand Melgar présente son nouveau documentaire, «Vol spécial», le 6 août à Locarno. Sans Simonetta Sommaruga, qui a décliné l’invitation, et déçoit le réalisateur.

Après «La forteresse» sur l’accueil des requérants à Vallorbe (VD), le cinéaste Fernand Melgar s’est intéressé à leur départ forcé. «Vol spécial» a été tourné à Frambois, centre de détention administrative à Genève. Après les récents incidents à l’aéroport de Zurich, durant lesquels on a vu un Nigérian se faire matraquer par un policier, le sujet est particulièrement sensible.

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Les renvois posent de sérieuses difficultés à la Suisse. A quelques semaines des élections, vous ne craignez pas la récupération politique?
Les politiciens peuvent récupérer tout ce qu’ils veulent, je fais des films pour qu’on en parle. Et, à part ça, je me demande qui va oser défendre les requérants d’asile avant les élections…
Après «La forteresse» en 2008, pourquoi ce nouveau sujet sur l’asile en Suisse?
Lorsqu’on évoque les renvois, les gens imaginent des criminels. Ils les voient sous la forme de moutons, de rats, de corbeaux, car les campagnes de l’UDC ont imposé cette image. Dans la réalité, les centres de détention administrative sont remplis de gens dont le seul crime est de n’avoir pas de statut légal ou d’avoir osé demander l’asile. C’est tout. De là, un jour, sur la simple décision d’un fonctionnaire, on leur passe les menottes et on les amène à l’aéroport, où ils sont encore ligotés. C’est ça que je veux montrer: des destins broyés par la machinerie administrative.
Les autorités expliqueront que si ces gens sont retenus et renvoyés de force, c’est qu’ils refusent de partir de leur plein gré et qu’ils avaient le choix. Pas convaincu?
Mais de quel choix parle-t-on? Des pères de famille ont fait leur vie ici et ils devraient accepter de tout quitter? D’autres savent qu’ils sont en danger dans leur pays et l’Office des migrations n’a pas voulu le reconnaître. Devraient-ils se jeter de leur plein gré dans les bras de leurs bourreaux?
Mais que proposez-vous, d’accueillir tous les requérants?
Je demande moins d’hypocrisie dans notre rapport au Sud. D’un côté, l’Occident exploite ses richesses, spécule sur ses matières premières. Il rapatrie les bénéfices de ses activités mais rejette les victimes du système. J’estime qu’on ne peut plus vivre dans cet écosystème et ce n’est pas être révolutionnaire que de le dire.
Et, en attendant que le monde change, comment fait-on?
Inutile de me poser vingt fois la même question. Je suis documentariste, et ce que je veux montrer, c’est qu’en Suisse on ne respecte pas la dignité humaine. La détention administrative revient à enfermer des hommes comme des animaux dans un enclos. Et on ne nous dit pas tout. Je n’ai pas pu filmer la manière dont on ligote les gens sur le siège de l’avion, avec un casque de boxeur sur la tête et des couches-culottes pour le voyage. On ne m’a pas laissé tourner car il paraît qu’on ne doit pas montrer une personne dans une situation humiliante.
Le domaine de l’asile et des étrangers est maintenant du ressort de Simonetta Sommaruga, une socialiste. Vous avez confiance en elle?
Non.
Pourquoi?
En proposant la création de nouveaux centres d’enregistrement afin d’accélérer les procédures, elle renforce une sorte de régime de la semi-détention qui pourrait très vite se transformer en détention tout court. Ce faisant, elle reprend un projet né sous l’ère Blocher qu’Eveline Widmer-Schlumpf n’a pas osé présenter. Simonetta Sommaruga, elle, va au-delà des vœux de l’UDC.
Avez-vous pris contact avec elle à propos de votre film?
Je lui ai écrit une gentille lettre pour l’inviter à la première à Locarno. Ainsi que le chef de l’Office des migrations, Alard du Bois-Reymond. Mais le samedi 6 août, à 14 h, ils sont occupés, tout comme les autres conseillers fédéraux. Seule Micheline Calmy-Rey n’a pas encore répondu. C’est étonnant, non? Car, s’il y a une journée où tous les politiciens se bousculent, c’est bien celle-là! A la projection de «La forteresse», Eveline Widmer-Schlumpf était présente, elle!

Propos recueillis par Magali Goumaz pour le Matin Dimanche

Un avion nommé désespoir

«Vol spécial», le nouveau film de Fernand Melgar, suit la trajectoire de six migrants emprisonnés à Frambois. L’un d’eux aurait été torturé à son retour au Cameroun.

Le regard de l’homme, à travers la caméra, est empreint de douceur. Mais lorsqu’il parle des êtres qu’il a filmés, la voix est vibrante de révolte. Chez Fernand Melgar, l’espace laissé à la pensée et aux émotions du spectateur n’exclut pas l’engagement, et vice-versa.
Avec Vol spécial, qui sera présenté en compétition internationale le 6 août au festival de Locarno, le réalisateur suisse poursuit ce travail éminemment politique qui consiste à redonner un visage à ceux que la machine administrative réduit à des statistiques, et les affiches de l’UDC à des animaux – moutons, corbeaux ou rats. «Les gens doivent savoir qu’en votant pour durcir le droit d’asile, ils votent sur des êtres humains. Des familles sont détruites», martèle Fernand Melgar.

Fin du parcours
Dans La Forteresse (2008), le réalisateur glissait sa caméra dans le centre d’enregistrement de Vallorbe, où sont hébergés des requérants au début de leur procédure d’asile. Avec Vol spécial, le cinéaste a voulu voir ce qui se passe à «la fin du parcours», quand les migrants ont perdu quasiment tout espoir de vie en Suisse. «La genèse de ce film est à la fois intime et liée à l’histoire de Fahad», explique-t-il. Fahad, c’est l’un des protagonistes de la La Forteresse, cet Irakien menacé dans son pays d’origine pour avoir servi d’interprète à l’armée américaine. Après la sortie du film, l’homme a été refoulé vers la Suède, pays dans lequel il avait déposé sa première demande d’asile. Il a finalement réussi à regagner la Suisse, où il s’est marié in extremis l’an dernier.
La rencontre avec Fahad aura permis à Fernand Melgar de découvrir un univers qu’il ne connaissait pas: la détention administrative. Pour réaliser Vol spécial, il a passé une année à la prison de Frambois, à Genève, l’un des vingt-huit centres de détention administrative du pays. Des établissements carcéraux d’un genre particulier, puisque les hommes et les femmes qui y sont enfermés n’ont pour la plupart commis aucun délit. Etrangers, ils sont considérés comme indésirables en Suisse. Surpris au petit matin par la police, séparés de leur famille, ils sont parqués là dans l’attente de leur renvoi. Pour ceux qui ne peuvent pas être expulsés faute d’accord de réadmission avec le pays d’origine, l’incarcération vise à accroître la pression psychologique.

40 heures en enfer
La durée de cette peine qui ne dit pas son nom peut varier de quelques jours à vingt-quatre mois. Certains, comme Pitchou, un jeune Congolais arraché à son fils nouveau-né dont Le Courrier a relaté le sort (notre édition du 27 février 2010), seront libérés in extremis. Mais la plupart d’entre eux, à l’instar du Camerounais Geordry, seront embarqués de force à bord d’un vol spécial, pieds et poings liés, attachés à leur siège et coiffés d’un casque. On leur enfile des couches-culottes, rapporte le cinéaste, de sorte qu’ils «baignent dans leurs excréments» pendant les huit à quinze heures que dure en moyenne un vol, avec des pointes à quarante heures. «C’est une forme de torture».
Implicitement, l’Office fédéral des migrations (ODM) semble lui donner raison. Pour motiver son refus de laisser la caméra capter l’embarquement des requérants, l’ODM a invoqué «une ordonnance qui interdit de filmer quelqu’un dans des situations humiliantes ou dégradantes», se souvient Fernand Melgar. C’est lors d’un tel transfert qu’un Nigérian est mort en mars 2010 à l’aéroport de Zurich-Kloten. Le 7 juillet dernier, un autre Nigérian a été matraqué par la police zurichoise à son embarquement dans l’avion.
Les vols spéciaux, qui donnent son titre au film, restent donc dans un trou noir. Le fait que la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) ait accepté d’envoyer des observateurs pour accompagner ces convois ne rassure pas le cinéaste. «C’est un scandale! Comment une personne qui a des croyances et qui défend des valeurs humaines peut-elle supporter cela? Va-t-elle leur faire des lectures de la Bible?»

Gardiens inquiets
Dans cette salle d’attente angoissée qu’est Frambois, il y a néanmoins place pour un petit bout de «théâtre» de la vie. C’est ce que montre le film, à travers six personnes en instance d’expulsion. Leur colère, leur incompréhension, mais aussi les liens qu’elles tissent avec le personnel de la prison. Des employés au profil plus social que policier, selon Fernand Melgar, et qui vivent difficilement les drames auxquels ils assistent. «Très souvent, les gens qui se sont fait expulser téléphonent pour dire qu’ils sont bien arrivés. Les gardiens se font du souci».
Non sans raison: plusieurs des passagers de Vol spécial ont été ou sont en danger de mort, affirme le cinéaste, qui est allé enquêter su place. Geordry, le Camerounais, a été «emprisonné et torturé durant cinq mois» à son arrivée à Yaoundé. Des éléments compromettants de sa demande d’asile auraient été transmis aux autorités locales. Alain, un syndicaliste congolais a dû se réfugier dans un pays voisin, et son entourage a été inquiété. «Ce ne sont pas des cas isolés», assure Fernand Melgar. Un webdocumentaire coproduit par la RTS et ARTE, annoncé pour début 2012, plongera dans le destin de ces expulsés. Il promet de faire des vagues.

Michaël Rodriguez dans le Courrier

 


http://www.volspecial.ch/