Le Grand Conseil a soutenu indirectement, mardi, la proposition d’Oscar Tosato d’engager des apprentis sans-papiers. A Lausanne, on planche déjà sur des solutions afin de réaliser le projet municipal dans le cadre légal. Un article de Gérald Cordonier dans 24 Heures.
Il y a une semaine, la ville de Lausanne claironnait vouloir engager des apprentis sans-papiers. Bravant ainsi les lois fédérales qui interdisent l’accès au travail à toute personne en situation irrégulière. Aujourd’hui, le «pari de l’illégalité» proposé par le municipal socialiste de l’Enfance et de la Formation Oscar Tosato se ramollit. Le tollé politique et médiatique provoqué par sa proposition contraindra, certainement, l’élu à revoir, en partie, sa copie. Et à brandir sa bravoure dans un cadre beaucoup plus légal qu’il ne l’imaginait. C’est du moins ce qu’ont souhaité les députés du Grand Conseil, mardi après-midi (24 heures d’hier). Et ce sur quoi planchent certains élus lausannois de tout bord, afin de faire avancer la cause des sans-papiers.
Quelles pistes exploiter pour permettre à des jeunes clandestins de suivre la formation professionnelle qui leur est aujourd’hui interdite, sans autorisation de séjour, ni permis de travail? Et contourner, justement, ces composantes de «travail» et de «salaire», liées légalement à l’apprentissage? Du côté des socialistes, on réfléchit à la création possible de «chèques de formation» pour les apprentis en entreprise. Ce système – à l’étude actuellement à Genève – permettrait de contourner le rapport salarié, tout en régularisant les prestations sociales.
Une autre piste suggérée dans la révision actuelle de la loi cantonale sur la formation laisse, pour sa part, imaginer que le «contrat d’apprentissage» – assimilé à un contrat de travail – puisse devenir un «contrat de formation». «Par ce biais, observe Oscar Tosato, le canton de Genève autorise, depuis 1993, qu’un jeune sans statut légal ait accès aux filières post-obligatoires à plein-temps et reçoive, à la fin, un CFC en bonne et due forme.»
A droite de l’échiquier politique, c’est la création d’«entreprises de formation» qui inspire le conseiller communal libéral-radical Guy-Pascal Gaudard: «Certaines PME pourraient être autorisées à parrainer des jeunes à travers un contrat d’accompagnement.» Une proposition que compte exploiter le directeur socialiste de la Formation: «Concrètement, plusieurs entreprises se mettent ensemble et deviennent une sorte d’école, pour former un apprenti.»
A ce jour, le débat autour de l’apprentissage des sans-papiers à Lausanne est loin de son épilogue. L’UDC et le PLR comptent d’ailleurs demander des éclaircissements sur la démarche municipale, mardi prochain en séance de Conseil communal. Dans le clan socialiste, on sert toutefois les coudes derrière le directeur de la Jeunesse. «Oscar Tosato voulait lancer le débat et il a réellement réussi, assure la présidente des socialistes lausannois, Rebecca Ruiz. Le sort des jeunes clandestins a eu des échos non seulement ici mais aussi en Suisse alémanique ou encore à l’étranger: notre municipal a été interviewé sur les ondes de France Inter.»
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Contre-productif?
La fin d’un tabou. Pour améliorer le sort des clandestins, Lausanne a décidé de mettre fin à la politique du «faites-le, mais n’en dites rien!» Au risque de braquer les projecteurs sur des acquis en marge de la loi, qui permettent déjà à des sans-papiers de suivre des formations professionnelles ou de profiter de prestations sociales. Depuis une semaine, les réactions sont mitigées dans les milieux proches des clandestins. Tous saluent le courage des autorités lausannoises. Mais certains craignent qu’un débat trop tendu devienne contre-productif. Et ne réveille, au sein de la droite dure, des velléités de lutter contre certains acquis jusqu’à présent tolérés. Depuis l’annonce lausannoise, l’UDC a réitéré sa volonté de connaître le nombre de jeunes scolarisés dans les écoles, dans les gymnases ou à l’université, ainsi que les coûts induits par ces étudiants. Le parti souhaite savoir combien de sans-papiers connus des forces de l’ordre ne sont pas expulsés.
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Interview express d’Oscar Tosato, municipal lausannois de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Education.
«La ville ne se laissera intimider par aucune menace»
– Comment réagissez-vous au tollé provoqué par votre proposition d’engager des apprentis sans-papiers?
– Je vois surtout que la question de la formation professionnelle refusée aux sans-papiers touche vraiment la population. Mais je suis très étonné de la virulence de la réaction de Philippe Leuba, qui plus est par rapport à un préavis qui annonce, avant tout, «une intention de trouver des solutions». Le conseiller d’Etat s’est totalement focalisé sur la forme et pas du tout sur le fond! Quoi qu’il en soit, la Municipalité lausannoise pense clairement qu’elle a atteint son but: faire prendre conscience de la réalité des enfants de sans-papiers, à Lausanne et ailleurs, qui ont leur avenir complètement bouché au terme de leur scolarité obligatoire.
– Votre coup politique risque tout de même de crisper le débat autour des clandestins.
– Dans une ville comme Lausanne, avec une majorité rose-rouge-verte et une vraie tradition humanitaire, il est clair que lancer un acte politique avec une telle portée nationale apparaît, aujourd’hui, comme un coup politique. Mais croyez-vous vraiment que tout n’a pas été avant tout réfléchi pour que la cause des sans-papiers puisse avancer? Cela fait de nombreux mois que le préavis était prêt. Et une chose est claire: la ville continuera son combat et ne se laissera intimider par aucune menace.
– Vous allez tout de même devoir plancher sur des solutions inscrites dans un cadre légal…
– Evidemment que notre volonté est de privilégier toutes les solutions possibles dans le respect de la loi. Mais nous resterons dans le cadre légal… tant que cela sera possible.