Image © Christian Bonzon
Dissimulé par des immeubles et de grands arbres, le minaret du Petit-Saconnex se fond dans le paysage. La majorité des Genevois ne savent même pas où il est.
Il est bien là, le minaret, décrit par l'UDC comme le signe d'une «islamisation rampante» qu'il faut bannir. Il est là mais on le voit à peine... Si le sujet n'était pas si émotionnel, la situation serait cocasse. Depuis la sulfureuse affiche de l'UDC montrant des minarets-missiles trouant la Suisse, le pays ne parle que de minarets. Mais autour du seul minaret romand, au Petit-Saconnex, à Genève, le sujet ne fait pas vraiment débat.
Mieux: même sur place on ne le voit quasi pas, malgré ses 22 mètres de haut. «On le voit tellement peu que je ne l'avais pas vu, sourit un commerçant du coin qui travaille sur place depuis dix-huit ans. Il a fallu qu'un client m'en parle un jour pour réaliser qu'il y avait un minaret à 50 mètres de mon lieu de travail. Mais ici, votations ou pas, personne n'en parle. Il fait partie du décor.»
Un minaret muet
S'il est si discret, ce minaret lié à la mosquée du Petit-Saconnex, c'est d'abord parce qu'il est muet. Il n'a jamais été utilisé pour l'appel à la prière depuis l'inauguration de la mosquée, en 1978. «Pas à cause d'une loi ou d'une interdiction, mais par respect du voisinage, se souvient l'ancien porte-parole de la mosquée, Hafid Ouardiri. A ma connaissance, c'est pareil pour les trois autres minarets de Suisse», à Zurich, à Winterthour et à Wangen bei Olten (SO). Mais sa discrétion, le minaret la doit aussi à la géographie des lieux. De loin, on ne le voit pas: les immeubles locatifs avoisinants le dépassent et le dissimulent. De près, si on en fait le tour, les grands arbres des parcs qui l'entourent ou la mosquée elle-même le cachent aussi souvent. Et il n'y a presque aucun commerce à l'horizon. Résultat: la majorité des Genevois ne savent même pas où il est.
Le minaret n'est en fait connu que des élèves de l'Ecole de commerce André-Chavanne - qui a ses terrains de sport face à la bâtisse -, des fidèles et des habitants du quartier. Qui n'ont pas l'air d'en faire un fromage. «Je ne vois pas bien l'intérêt d'avoir un minaret. Mais bon, je m'en fiche et il ne m'embête pas», glisse un voisin en passant. «Il est beau et ne m'a jamais causé aucun problème, note un jeune papa qui a grandi dans l'immeuble à côté du minaret. Au contraire, la mosquée invite chaque année pour la Fête des voisins et c'est vraiment sympa. Le seul hic, c'est parfois les problèmes de parcage.» Une remarque qui revient régulièrement. La mosquée attire de nombreux fidèles. Et le vendredi, jour de prière, c'est parfois la gabegie: les voitures s'entassent un peu partout. «En plus, certains acceptent mal de recevoir des bûches, note une employée du Foyer Colladon, un EMS du quartier. Et parfois les bus sont bondés et nos aînés ne trouvent plus de place et râlent. Il y a quand même quelques désagréments pour les habitants. Mais ils sont liés à la mosquée, pas au minaret. S'il n'y en avait pas, ce serait pareil.»
Au Petit-Saconnex, les voisins du minaret le trouvent «joli» ou l'ignorent. Mais peu s'emballent autour de l'initiative anti-minarets de l'UDC, qui continuera pourtant de diviser la Suisse jusqu'aux votations du 29 novembre. «Il y a parfois des discussions autour de la mosquée, même si à mon avis chaque religion a droit à son lieu de culte, commente Diego Brunet, patron du café le plus proche. Mais pas autour du minaret lui-même.» Débat qu'il tente tout de même de lancer auprès de ses clients, histoire de vérifier. En vain.