samedi 10 octobre 2009

L'avis d'Ufuk Ikitepe

Ufuk Ikitepe, 38 ans, Turc
musulman pratiquant,
président de l’association
turque et conseiller
communal. Moudon

«Ces affiches me blessent en tant que Suisse et musulman pratiquant. Pourtant, cela fait plus de trente ans que je vis à Moudon, où je suis intégré et il n’y a jamais eu de problèmes. Je ne comprends juste pas ce qui a changé ou justifié cette campagne pour l’initiative anti-minarets. Les minarets? En construire en Suisse ne m’a jamais traversé l’esprit, ni celui des personnes fréquentant le centre culturel turc de Moudon. C’est même très loin de nos préoccupations. Ma seule revendication est de pouvoir vivre ma vie, que l’on respecte les musulmans de Suisse avec leur diversité. L’UDC se permet de juger mon mode de vie. On touche à ma vie privée. Je le vis très mal, d’autant plus que je me sens plus Suisse que Turc. Par contre, je suis opposé aux décisions de certains cantons de vouloir interdire le placardage des affiches. On reste tout de même en démocratie.»

«La conquête de l'Ouest n'aura pas lieu»

Lu dans le Courrier
Quelle est la fonction du minaret? Stéphane Lathion: L'appel à la prière n'est plus sa fonction la plus importante. C'est plus un élément d'esthétisme et une façon de marquer une présence. Est-il indispensable? Historiquement, ce n'est ni une obligation cultuelle ni un élément essentiel. Mais traditionnellement et symboliquement, il a progressivement pris de l'importance dans l'histoire des mondes musulmans. Le clocher des églises a connu un parcours similaire. En rappelant qu'il n'est pas une obligation cultuelle, les initiants feraient écho aux fondamentalistes. Pourquoi? Parce qu'on enlève à la religion sa dimension historique et culturelle. Pour les fondamentalistes, l'idée est justement de rayer tous les «parasites culturels», dont parfois le minaret, pour en revenir aux sources et à l'exemple du Prophète. Le minaret serait la flèche d'une idéologie islamique violente, conquérante, prosélyte, nataliste. Est-ce seulement un fantasme, comme le dénoncent les adversaires de l'initiative? Oui, mais il se base sur une interprétation historique pas complètement fausse. C'est vrai que des mosquées, comme les cathédrales durant le Moyen Age chrétien, symbolisaient une puissance et une présence religieuse sur un territoire. Mais on ne peut plus transposer cela dans le monde européen et musulman actuel. Si ce n'est dans certains cas très isolés. Il est vrai que le minaret de Wangen (Soleure) véhicule une connotation de puissance pour les Loups Gris, un groupuscule politique turc. Mais c'est un épiphénomène. La conquête de l'Ouest par les musulmans ne se fera pas, dites-vous. Pourquoi? La démographie musulmane galopante est une vue de l'esprit: leurs courbes de natalité prennent le même chemin que les courbes européennes. L'immigration fera encore croître les communautés musulmanes. Mais à terme, cela va se tasser. Autre élément: leur foi s'individualise à mesure qu'elle s'adapte au contexte européen. C'est d'autant plus vrai que la plupart sont européens, ils sont nés ici. Dans cette perspective, si le référent identitaire religieux reste présent pour une majorité silencieuse, il n'est pas l'élément primordial de leur identité. On s'éloigne d'un projet idéologique. Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que les salafistes et autres intégristes ne vont pas contaminer leurs coreligionnaires? D'abord parce que leur discours de crainte et de repli sur soi n'est pas franchement attirant. Mais il est surtout élitiste, enjoignant les «purs» à ne pas se mêler au reste de la société. Il ne font donc pas preuve d'un prosélytisme à grande échelle et ont renoncé à l'idée de conquête sociale et politique. Car leur conquête, c'est le paradis. Ceci dit, en se sectarisant dans un discours élitiste, sécuritaire et de crainte, ils peuvent intéresser des gens en manque de repères. Leur discours ne va pas se tarir, ils resteront présents et vont peut-être croître, mais dans des faibles proportions. Si le minaret est une cible symbolique, alors parlons des mosquées. Selon vous, elles ne sont pas le véhicule des thèses intégristes. Pourquoi? Car elles sont facilement contrôlables. En outre, les discours de haine et de rejet du pays d'accueil ne passent pas auprès des fidèles bien intégrés et conscients des bienfaits de la démocratie. La mosquée est aussi l'institution qui entretient des rapports avec les autorités. Du coup, les leaders se notabilisent. Pourtant, après la crise à la mosquée de Genève, celle-ci ne communique plus avec l'extérieur et semble s'être repliée sur elle-même! C'est un cas particulier, lié à son histoire récente, au pays qui la finance l'Arabie saoudite , et au traitement médiatique de l'affaire qui a braqué les dirigeants. Les premiers à souffrir de cette mauvaise image que véhicule la direction sont les fidèles, à des années lumières des bisbilles politiques, financières et de personnes liées à la mosquée dans laquelle ils ont plaisir à se rendre. RA

MINARETS: L'HEURE DE VÉRITÉ POUR L'ISLAM EN SUISSE

RACHAD ARMANIOS

ReligionsSelon le premier sondage sur l'interdiction des minarets, en votation le 29 novembre, l'initiative serait refusée. Mais les réponses laissent entrevoir un résultat serré. Selon le sondage commandé par le Tages Anzeiger, 51,3% des mille citoyens interrogés dans toute la Suisse sont contre; 34,9% sont pour. Et 13,8% sont indécis. La campagne s'annonce décisive. Car les indécis pourraient pencher vers le oui. Stéphane Lathion, spécialiste de l'islam en Suisse, analyse les enjeux de cette votation, sans faire mystère de son parti pris contre l'initiative lancée par des membres de l'UDC et de l'UDF (Union démocratique fédérale). Président du Groupe de recherche sur l'islam en Suisse, il a co-dirigé Les minarets de la discorde, un livre synthétique qui vise à faire le point sur le débat autour de l'islam en Suisse et en Europe à l'occasion de la votation.1

Le minaret est-il une cible prétexte?

Stéphane Lathion: Une majorité parmi les initiants dit: on est conscients que le minaret est un prétexte mais nous voulons un débat sur l'islam car sa présence pose problème. Cette posture est reflétée par l'affiche de l'UDC puisqu'elle est illustrée par une femme en burqa. La tendance chrétienne représentée par l'UDF insiste plus sur ce qu'elle perçoit comme une guerre de civilisation. Une toute petite minorité reste au premier degré et voit le minaret comme une réelle menace à interdire. Enfin, parmi les partisans du oui, figurent des défenseurs de la laïcité et des «valeurs suisses», dont des gens de gauche.


Après des questions très pratiques sur le voile ou des cours de piscines non mixtes, la récente polémique sur la burqa et maintenant ce vote semblent déconnectés du vécu quotidien. Comment expliquer ce glissement vers le symbolique?

Parce que l'intégration des musulmans se passe plutôt bien. Force alors est d'agiter les peurs et les fantasmes en recourant à des éléments symboliques et visibles. Les minarets? Il y a peu de demandes pour en construire. Mais on assure sur aucune base qu'elles vont exploser!


Une bonne intégration? Faites-vous preuve d'angélisme?

Il y a des problèmes, comme il y en a eu avant avec les Espagnols, Portugais, Italiens, mais l'intégration en général des musulmans en Suisse et en Europe se passe bien.


Vous soulignez pourtant que les peurs et méfiances liées à l'islam sont aussi dues à l'expérience et à l'actualité!

En France, la burqa semble un «micro-problème». Il existe, il faut l'aborder et le régler de façon pragmatique. En Suisse, il y a eu la question des cours de natation séparés pour les filles. Mais quantitativement, ce sont très peu de demandes. Et les autorités fédérales ont réglé cela en mars dernier de façon très pragmatique. Ceci dit, il faut être clair sur ce que l'on accepte ou pas et rester vigilant avec les extrémistes.


Si l'on songe au voile, l'islam peut en particulier être perçu comme un obstacle à l'émancipation des femmes.

C'est vrai que les musulmans ont souvent un problème avec les rapports de genre. Mais ce que le non-musulman met dans le voile, cela le regarde. Le voile est porté selon des motivations diverses. Il y a les discours traditionnel, spirituel, la revendication identitaire ou politique. Et il y a l'obligation. Dès lors, il faut déterminer dans quelles limites placer le voile tout en favorisant le vivre-ensemble, qui est le but premier. En Suisse, chaque canton trouve des solutions pragmatiques pour permettre la pluralité culturelle. Mais les réactions épidermiques à l'islam qui se figent dans des refus de principe ne font qu'évacuer le débat.


Donc cette initiative est l'occasion de débattre?

Oui, il est évident que le débat sur l'islam en Europe et en Suisse doit avoir lieu. Mais via la polémique, la provocation, à la limite l'insulte? Ce ne sont pas les bonnes conditions pour un débat démocratique. Reste que les adversaires de l'initiative doivent maintenant aller sur le ring au lieu de s'attaquer à l'affiche de l'UDC en lui offrant une posture de victime.


N'a-t-elle pas franchi la ligne rouge?

Avec cette affiche, l'UDC se décrédibilise. Elle montre combien les minarets sont un prétexte et que les interdire n'a, par conséquent, aucun sens.


Pourquoi serait-il important que les musulmans puissent construire des minarets?

C'est un signe de visibilité. Une reconnaissance de leur présence en Suisse et en Europe aujourd'hui. Ils sont européens, suisses, ils font partie de notre réalité. C'est peut-être difficile à admettre qu'il ne suffit pas de s'appeler Jean-François, Stéphane ou Robert pour être suisse aujourd'hui. On a admis que Francesco ou Juan, c'était bon. Erkan, Ahmed ou Mohamed, ça l'est aussi. Cela ne se fait pas sans tensions, certes. Mais faut-il dire à ces gens, qui pour beaucoup ont un passeport suisse, qu'ils ne sont pas des nôtres? Il faudra en assumer les conséquences.


Lesquelles?

Les frustrations pourront déboucher sur une radicalisation, une violence ou un repli identitaire.


Le message n'est pas forcément que les musulmans n'ont pas leur place, mais qu'ils doivent être «comme» les Suisses?

Mais au nom de quoi? Si on dit ça, alors on revoit notre conception de la pluralité, du respect de la différence, de la tolérance. La question sous-jacente est plutôt de définir ce que signifie être suisse aujourd'hui. Et là, il y a du travail, entre ceux qui mettent en avant les racines chrétiennes ou plutôt la laïcité ou encore la diversité culturelle et religieuse!


L'UDC sortira-t-elle gagnante quel que soit le résultat?

Oui, car même si elle se prend une veste, son objectif minimal de susciter le débat sur l'islam sera atteint. Là où l'UDC court un risque, c'est si elle recourt pendant la campagne à des moyens tellement malhonnêtes qu'elle aura réussi à braquer les gens même au sein de ses troupes. Une division laisserait des traces durables à l'interne. L'encart publicitaire de l'UDC genevoise contre la «racaille» d'Annemasse est à cet égard éclairant.


Si l'initiative passe, quelles conséquences pour la démocratie suisse?

Ce sera la preuve que le système fonctionne puisque le peuple peut faire passer une initiative. Mais ce serait un gros revers pour le Conseil fédéral et les partis. Ils devront assumer les conséquences d'avoir laissé passer devant le peuple un objet aussi émotionnel et juridiquement controversé en pariant sur le fait que la raison l'emportera. I
Note : 1Sous la direction également de Patrick Haenni, édité par Religioscope et Infolio, 109 pp.

Le minaret de Genève


Avec ses 22 mètres, il est haut, le seul minaret romand, à Genève. Pourtant, on le voit à peine. Et il n'agite pas du tout le voisinage

Renaud Michiels - le 09 octobre 2009, 22h03
Le Matin


Il est bien là, le minaret, décrit par l'UDC comme le signe d'une «islamisation rampante» qu'il faut bannir. Il est là mais on le voit à peine... Si le sujet n'était pas si émotionnel, la situation serait cocasse. Depuis la sulfureuse affiche de l'UDC montrant des minarets-missiles trouant la Suisse, le pays ne parle que de minarets. Mais autour du seul minaret romand, au Petit-Saconnex, à Genève, le sujet ne fait pas vraiment débat.

Mieux: même sur place on ne le voit quasi pas, malgré ses 22 mètres de haut. «On le voit tellement peu que je ne l'avais pas vu, sourit un commerçant du coin qui travaille sur place depuis dix-huit ans. Il a fallu qu'un client m'en parle un jour pour réaliser qu'il y avait un minaret à 50 mètres de mon lieu de travail. Mais ici, votations ou pas, personne n'en parle. Il fait partie du décor.»

Un minaret muet
S'il est si discret, ce minaret lié à la mosquée du Petit-Saconnex, c'est d'abord parce qu'il est muet. Il n'a jamais été utilisé pour l'appel à la prière depuis l'inauguration de la mosquée, en 1978. «Pas à cause d'une loi ou d'une interdiction, mais par respect du voisinage, se souvient l'ancien porte-parole de la mosquée, Hafid Ouardiri. A ma connaissance, c'est pareil pour les trois autres minarets de Suisse», à Zurich, à Winterthour et à Wangen bei Olten (SO). Mais sa discrétion, le minaret la doit aussi à la géographie des lieux. De loin, on ne le voit pas: les immeubles locatifs avoisinants le dépassent et le dissimulent. De près, si on en fait le tour, les grands arbres des parcs qui l'entourent ou la mosquée elle-même le cachent aussi souvent. Et il n'y a presque aucun commerce à l'horizon. Résultat: la majorité des Genevois ne savent même pas où il est.

Le minaret n'est en fait connu que des élèves de l'Ecole de commerce André-Chavanne - qui a ses terrains de sport face à la bâtisse -, des fidèles et des habitants du quartier. Qui n'ont pas l'air d'en faire un fromage. «Je ne vois pas bien l'intérêt d'avoir un minaret. Mais bon, je m'en fiche et il ne m'embête pas», glisse un voisin en passant. «Il est beau et ne m'a jamais causé aucun problème, note un jeune papa qui a grandi dans l'immeuble à côté du minaret. Au contraire, la mosquée invite chaque année pour la Fête des voisins et c'est vraiment sympa. Le seul hic, c'est parfois les problèmes de parcage.» Une remarque qui revient régulièrement. La mosquée attire de nombreux fidèles. Et le vendredi, jour de prière, c'est parfois la gabegie: les voitures s'entassent un peu partout. «En plus, certains acceptent mal de recevoir des bûches, note une employée du Foyer Colladon, un EMS du quartier. Et parfois les bus sont bondés et nos aînés ne trouvent plus de place et râlent. Il y a quand même quelques désagréments pour les habitants. Mais ils sont liés à la mosquée, pas au minaret. S'il n'y en avait pas, ce serait pareil.»

Au Petit-Saconnex, les voisins du minaret le trouvent «joli» ou l'ignorent. Mais peu s'emballent autour de l'initiative anti-minarets de l'UDC, qui continuera pourtant de diviser la Suisse jusqu'aux votations du 29 novembre. «Il y a parfois des discussions autour de la mosquée, même si à mon avis chaque religion a droit à son lieu de culte, commente Diego Brunet, patron du café le plus proche. Mais pas autour du minaret lui-même.» Débat qu'il tente tout de même de lancer auprès de ses clients, histoire de vérifier. En vain.

Minarets: les églises contre l'interdiction des affiches de l'UDC


Les représentants des Eglises catholiques, protestantes et libres sont contre l'interdiction des affiches anti-minarets de l'UDC. Ils se montrent également tolérants envers celles des mouvements athées qui disent que "dieu n'existe probablement pas".

Dans un entretien au "Landbote" et à la "Thurgauer Zeitung", l'évêque de Sion Norbert Brunner, le président de la Fédération des Eglises protestantes Thomas Wipf et le président de la Fédération des Eglises évangéliques Max Schläpfer ont estimé qu'interdire des affiches est une mauvaise solution. Il faut combattre l'initiative anti-minarets, mais pas par ce biais, notent-ils.

"Nous devons faire confiance aux électeurs. Ils sont capables de juger cette affiche consternante", a expliqué M. Wipf.

Initiative antiminarets: L'Organisation de la conférence islamique confiante


AFFICHES | «Je suis sûr que le peuple suisse prendra la meilleure décision», a estimé à Genève le secrétaire général de l'OCI Ekmeleddin Ihsanoglu.

© Cyberphoto |

ATS | 09.10.2009 | 11:05

Le secrétaire général de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) est confiant que l'initiative anti- minarets sera rejetée par le peuple suisse le 29 novembre. Il l'a affirmé vendredi à Genève en réponse à la question d'un journaliste.
«Je suis sûr que le peuple suisse prendra la meilleure décision», a déclaré le secrétaire général de l'OCI Ekmeleddin Ihsanoglu, lors d'une conférence de presse au Palais des Nations. «J'ai discuté à plusieurs reprises de cette initiative avec les dirigeants suisses, y compris la ministre des Affaires étrangères», a indiqué le responsable de l'OCI. «J'ai été informé que la majorité des dirigeants politiques et religieux en Suisse sont contre cette initiative sur l'interdiction des minarets. Je suppose qu'ils emporteront la majorité au référendum», a affirmé le représentant de l'OCI.

Pas de problèmes pour les musulmans
Il a fait remarquer qu'il n'y a jamais eu de problèmes pour les musulmans à Genève pendant des décennies. «La Suisse est une vieille société démocratique que nous apprécions. Nous respectons ses traditions, ses règles institutionnelles», a dit le professeur Ihsanoglu.
«Les Suisses sont un peuple tolérant, un exemple pour tous de coexistence pacifique entre toutes les religions, toutes les cultures, unique en Europe»; la Suisse a été «un oasis de paix dans l'enfer des guerres», a encore souligné le secrétaire général de l'OCI. L'OCI regroupe 53 pays musulmans dans le monde.

«L’initiative contre les minarets, mauvaise réponse à un vrai défi»


INTERVIEW dans 24heures| Le conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba est convaincu que la Suisse est une terre chrétienne. Pourtant, il combat l’initiative pour l’interdiction des minarets. Reste que, à ses yeux, l’intégration des musulmans est un défi majeur.

© VANESSA CARDOSO | ​Le conseiller d’Etat Philippe Leuba est contre l’initiative pour l’interdictions des minarets. Il estime qu’il s’agit d’une mauvaise réponse à de bonnes questions concernant l’intégration des musulmans en Suisse.

SERGE GUMY / JUSTIN FAVROD | 10.10.2009 | 00:01

Chrétien convaincu et ministre ferme de l’Immigration, le conseiller d’Etat libéral vaudois Philippe Leuba n’était pas attendu comme pourfendeur de l’initiative antiminarets. Il rejette pourtant le texte de l’UDC et de l’Union démocratique fédérale. Il s’en explique.

– Pourquoi rejetez-vous l’initiative visant à interdire la construction de nouveaux minarets en Suisse?
– Les questions religieuses, comme l’érection de minarets, sont de compétence cantonale et doivent le rester. L’aménagement du territoire et les règles en matière de construction sont aussi de compétence cantonale, voire communale. C’est donc une erreur de vouloir modifier la Constitution fédérale. Mais ce sont des raisons secondaires à mon opposition.

– Alors, quelle est votre motivation première?
– L’initiative apporte une mauvaise réponse à de bonnes questions. La population s’interroge sur l’intégration des musulmans en Suisse, sur leur soumission au droit suisse. Concrètement, se posent à nous aujourd’hui des questions comme la participation des filles aux cours de natation, le port du voile à l’école, l’égalité entre hommes et femmes ou la formation des imams. Mais à toutes ces questions légitimes, l’interdiction de minarets ne répond absolument pas.

– Quelles réponses apporter?
– En appliquant à tous la loi et en refusant le communautarisme. Ainsi, en 1993, le Tribunal fédéral avait accepté qu’une jeune musulmane soit dispensée de natation au nom de la liberté de conscience. En 2008, le même tribunal a refusé une dispense en affirmant que la loi est la même pour tous. C’est un revirement considérable qui dit que notre pays refuse le communautarisme et exige l’intégration.

– Le communautarisme, danger réel dans le canton ou fantasme?
– Le risque est actuellement plus théorique que réel. Or, c’est à cette crainte théorique que l’initiative entend répondre. Mais vous ne lutterez pas contre le communautarisme en combattant l’érection de minarets! Au contraire, l’initiative le renforce en créant des exceptions spécifiques aux musulmans! Elle croit faire baisser la fièvre en cassant le thermomètre!

– En quoi l’intégration des musulmans serait-elle plus difficile?
– Héritier du droit romain, du christianisme et des Lumières, l’ordre légal des pays occidentaux repose sur un principe essentiel: la séparation du temporel et du spirituel. Les pays musulmans ne connaissent pas cette distinction. C’est une différence fondamentale.

– Les minarets, pour les initiants, symbolisent la volonté de conquête de l’islam. Et pour vous?
– Non, je ne vois pas dans le minaret la baïonnette au bout du fusil.

– Ça veut dire qu’on peut construire sans problème des minarets dans le canton?
– Je n’ai pas dit ça. Je comprends d’ailleurs que ça puisse déranger les voisins. M’y opposerais-je moi-même s’il y avait un projet à Chexbres? Question théorique, il n’y a pas de mosquée dans ma commune. Mais le minaret de Genève ne me dérange pas, car il correspond à un lieu de culte et à une communauté.

– Vos réponses à l’immigration musulmane paraissent très juridiques, et peu politiques…
– Mais quel est l’outil du politique? Le droit!

– Au fait, que connaissez-vous de l’islam?
– Je n’ai certes pas étudié le Coran. Par contre, j’ai lu une volumineuse étude sur l’islam en Suisse et approfondi la question avec de nombreux spécialistes, dont le Pr Yves Besson de l’Université de Fribourg. J’ai aussi voyagé plusieurs fois dans des pays musulmans.