mardi 7 mars 2006

Les camps "spéciaux" de réfugiés


Lire l'article de l'historienne Alix Heininger dans Le Courrier.
En février 1944, non loin de Bassecourt, dans le Jura bernois se dressent les baraques d’un camp de réfugiés. Selon les autorités fédérales, il abrite une
population très spéciale composée de réfugiés politiques communistes ou d’extrême
gauche. En réalité, il s’agit d’Espagnols anciens combattants de la guerre civile, d’Allemands et d’Autrichiens membres du Parti communiste, et d’Italiens antifascistes. Pour les autorités, les activités politiques de ces hommes mettent en danger la sécurité de l’Etat, ce qui justifie une surveillance et un isolement stricts. Tout au long de la guerre, le concept de camp spécial pour réfugiés politiques d’extrême gauche se met en place et se précise. Dans les premiers
temps de leurs séjour en Suisse, les futurs internés de Bassecourt vivent souvent dans la clandestinité. Après leur arrestation, ils sont jugés et incarcérés
pour infraction à la loi sur le séjour et l’établissement des étrangers. Mais contrairement au réfugié ordinaire qui ira rejoindre un camp, ceux-ci sont maintenus en établissementpénitentiaire au-delà de leur peine. Car les autorités estiment que les camps de travail n’offrent pas les garanties de sécurité suffisantes.
Un concept nouveau En 1941, un premier camp spécial pour interner cette catégorie sensible de réfugié est ouvert à Malvaglia dans le Tessin. En plus des futurs internés de Bassecourt, il abrite des réfugiés politiques de tendance
socialiste, trotskistes et des syndicalistes. Puis le camp est déplacé à Gordola.
Le transfert à Bassecourt donne lieu à une redéfinition de la population du camp spécial. D’après le socialiste et conseiller national Hans Oprecht, la situation des internés de Gordola est inquiétante. Depuis l’armistice italien, ceuxci sont privés de congé et confinés dans le camp, car Berne craint qu’ils aillent rejoindre la résistance italienne. Cette situation les plonge dans un état psychologique proche de la maladie des fils barbelés. Pour améliorer les conditions d’internement d’une partie des internés, Oprecht propose de séparer les «communistes fidèles à la ligne» des autres réfugiés. Il établira lui-même une liste pour définir les deux groupes.
Les premiers traverseront la Suisse pour rejoindre Bassecourt et les autres seront répartis dans des camps de travail ordinaire. Mal-être et contestation Juriste au Ministère public fédéral, Fritz Dick livrera vingtquatre ans après la fermeture
du camp ses stratégie de sélection pour l’internement dans le camp spécial. Le réfugié présentant des caractéristiques de dangerosités politiques (en clair: soupçonné d’activités communistes) est interné à Bassecourt. S’il s’intègre dans
la communauté du camp, la preuve est faite: il s’agit d’un dangereux communiste. Dans
le cas contraire, s’il multiplie les demandes de transfert et qu’il est isolé des autres internés, Dick envisage de le transférer dans un autre camp.Les réfugiés de Bassecourt vivent très mal cette situation d’internement spécial qu’ils perçoivent comme une discrimination politique. Lors de sa visite dans le camp en mai 1944, le délégué du CICR remarque que «les réfugiés de ce camp de travail se trouvent dans une situation différente de celle des réfugiés des autres camps de travail, ils paraissent en souffrir.» Sa qualité de médecin lui permet de déceler chez ces hommes un état d’équilibre nerveux et moral anormal. Selon lui, ils souffrent de «se sentir l’objet d’une surveillance spéciale de la part des autorités fédérales de justice».
Par ailleurs, il les présente comme des réfugiés travailleurs, de bonne volonté.
Les autorités fédérales ne sont pas du même avis. A la lecture du rapport du délégué,
elles somment le CICR de ne plus intervenir contre les mesures instituées par le Conseil fédéral pour sauvegarder la sécurité de l’Etat. Les réfugiés tentent également par diverses actions de faire connaître leur situation.
En juin 1944, Harry Gmür reçoit une lettre d’un réfugié de Bassecourt accompagnée d’un rapport intitulé La situation des internés politiques en Suisse. Le réfugié demande à Gmür de diffuser le plus largement possible ce rapport. Celui-ci contient l’essentiel des réclamations des réfugiés du camp. Ils se disent placés dans une
catégorie discriminatoire qui implique qu’ils n’ont pas accès aux formations professionnelles offertes aux autres réfugiés. Le camp de Bassecourt y est décrit comme un «camp d’opinion pénitentiaire». La santé des internés y est mauvaise, principalement à cause de la très longue période d’internement subie par certains.
La revendication principale des internés de Bassecourt est de pouvoir préparer l’avenir de leur pays. En conséquence, ils veulent se réunir en toute liberté pour organiser leur retour et mettre en place un projet politique. Gmür a très bien rempli
sa mission: les jours suivants, le public peut lire dans plusieurs journaux de gauche à travers toute la Suisse alémanique des articles inspirés du rapport ou en reproduisant de larges extraits. Guerre et démocratie Le camp de Bassecourt
confirme le caractère anticommuniste de la culture politique des autorités suisses. La surveillance et l’isolement rigoureux imposé à ces réfugiés ne sont qu’une des manifestations de cette tendance pendant la guerre. Les réseaux de soutien des
internés de Bassecourt, pour la plupart issus du Parti communiste suisse, sont également empêchés d’agir sur le plan politique pendant la guerre. Mais ils continuent à jouer leur rôle dans l’opposition, notamment par le soutien qu’ils accordent aux réfugiés politiques, comme Gmür l’a fait par les articles dans la presse. Bassecourt revêt un caractère particulier par sa fonction de camp spécial dans une démocratie en temps de guerre. Le traitement des internés montre que le fonctionnement normal des institutions judiciaires est suspendu au profit d’une mesure administrative, plus ou moins arbitraire. En effet, la décisions de placement
d’un réfugié dans ce camp spécial n’appartient pas à l’autorité judiciaire mais à un fonctionnaire du Ministère public. Ces éléments très concrets ouvrent une réflexion plus large sur ce qui est à l’époque envisagé comme une pratique spéciale en des temps particuliers et la persistance, bienaprès la guerre, de certaines pratiques administratives à l’égard des réfugiés toujours sous le prétexte d’une situation particulière ou pour une population spéciale.

Les conséquences de la politique fédérale en matière d'asile dans le Jura

Lire la brève de RFJ - Radio Fréquence Jura

J'irai dormir dans la rue

Lire l'article du Journal du Jura en ligne : Correspondance ouverte et difficultés de logement: un réfugié qui a fui La Havane accuse la Coordination de l'asile de Nidau. Celle-ci lance un appel au calme.
«A cinq reprises déjà, on a ouvert mon courrier personnel, puis on m'a dit que c'était une erreur!» dénonce Fernando*, qui a demandé l'asile en Suisse en mai 2002 et qui vit à Nidau depuis plus de trois ans. «Maintenant, on m'oblige à partager mon studio, qui est un vrai poulailler, avec un autre requérant d'asile. Je n'en peux plus.» Fernando accuse les autorités et Coordination de l'asile de Nidau, qui relève de l'Armée du Salut. Selon lui, non seulement on a violé sa vie privée en lisant son courrier, mais on aurait également ouvert son armoire personnelle. «On nous traite comme des moins-que-rien», éclate-t-il.
Le responsable de la Coordination de l'asile de Nidau, André Hänny, connaît le cas de Fernando. S'il nie tout problème d'armoire, il reconnaît certaines difficultés liées au courrier: «Une ou deux lettres ont été ouvertes par accident, c'est vrai, mais cinq, c'est une exagération. La Poste doit parfois livrer dans notre bureau les lettres des requérants. En lisant notre courrier, il arrive que nous ouvrions par erreur une enveloppe qui ne nous est pas adressée, mais nous n'avons aucun intérêt à le faire volontairement.»
Fernando se dit tellement poussé à bout par la cohabitation forcée avec un autre réfugié qu'il menace de dormir dans la rue, devant le bâtiment du Service cantonal des migrations, à Berne. «Nous lui avons demandé de réfléchir et de rester dans son appartement à Nidau, explique André Hänny. Par chance, nous lui avons trouvé un colocataire cubain. Tous les requérants doivent vivre à deux, pour des questions de coûts.» Une réalité confirmée par Regula Pfäffli, remplaçante de la direction d'Asile Bienne et Région. Elle donne indirectement un conseil à Fernando, dont le dossier ne relève pas de ses services: «Si quelqu'un n'est pas satisfait avec une décision dans une commune, il peut faire recours auprès du préfet.» Camper devant le Service des migrations ne servirait à rien