Les Italiens ont été les premières victimes de la xénophobie. Prof à la retraite, Raymond Durous rend hommage aux Ritals d’hier en donnant la parole aux Italiens d’aujourd’hui.
A 74 ans, Raymond Durous, professeur d’histoire-géo à la retraite, restera à jamais un enfant – le fils de Victor Durous. «Lui-même fils d’immigrant, placé à 8 ans à la campagne, il a eu une enfance épouvantable.» Et le prof d’origine valdôtaine d’enfoncer le clou. «Mon père m’a aidé à devenir ce que je suis.» C’est-à-dire un très bon prof. Des élèves comme Pierre-Yves Maillard ne l’oublient pas. «J’avais 15 ans. Sans jamais hausser le ton, Raymond Durous nous a éveillés à des problématiques sociales. L’immigration en faisait partie.» Et le conseiller d’Etat vaudois de conclure que son professeur, en 1983, militait à sa façon contre les injustices en transmettant par l’enseignement. Le prof n’a pas changé, il carbure toujours à l’enthousiasme en partant à la rencontre de ces Italiens d’aujourd’hui, les enfants des Ritals d’hier.
«Ma seule véritable identité ne se trouve pas dans un pays mais dans un statut: celui de fils d’immigrés.» Sans rancune mais sans oubli, Massimo Lorenzi ouvre le bal, apportant son écot d’humiliations pour rappeler ce que c’était d’être enfant de «Macaroni, Magut, Piaf, Rital, Spaghetti, Ventre jaune, Tchink, Pioulet, etc.».
«Interdit aux chiens et aux Italiens»
Pour Ada Marra, conseillère nationale, la génération de ses parents est une génération sacrifiée. «J’ai beaucoup d’admiration, de reconnaissance. Ils ont eu le courage de tout quitter, famille et pays, de tout sacrifier pour l’avenir de leurs enfants et le leur.» De son enfance d’immigrée, la petite fille de Paudex n’a de loin pas que des mauvais souvenirs. «J’ai tant aimé la mixité sociale qui m’a permis – moi qui venais d’une couche basse de la société – d’être accueillie pour les quatre heures dans les villas du coin.»
Un sombre souvenir ne s’effacera pas de la mémoire d’Oscar Tosato, municipal lausannois. A 18 ans un soir de 1975 à Bienne, le jeune homme fut refoulé devant l’entrée d’une discothèque. Il y était inscrit: «Interdit aux chiens et aux Italiens.» L’humiliation ne passe toujours pas.
Tous ces enfants de Ritals ont eu une sacrée capacité à résister, à affronter l’adversité. Claudio Galizia, l’actuel patron du Bistrot du Flon, se souvient d’avoir fait le coup de poing contre un balèze – un élève vaudois beaucoup plus gros que lui. «Il m’avait dit, se rappelle le patron, de foutre le camp dans mon pays de merde.»
Dans ce canton de Vaud qui, bon an mal an, devenait leur pays, les Italiens ont gardé leurs habitudes politiques, leurs antagonismes. Il ne fallait pas, par exemple, confondre à Lausanne les clients de la Colonia Libera et ceux de la Casa d’Italia. La première, au chemin des Rosiers, aujourd’hui remplie de retraités, était républicaine. Au pied du Valentin, la Casa d’Italia (maintenant Circolo Italiano), était ouvertement fasciste entre 1922 et 1945. Léon Francioli en a encore honte. Il avait promis à son père avant sa mort de ne jamais mettre les pieds à la Casa d’Italia, à jamais repaire de fascistes. Le 9 juillet, le musicien y alla voir le match France-Italie avec des copains.
De nouveaux Ritals
Les voilà donc tous intégrés, tous reconnaissants envers leurs dévoués parents. Mais que pensent ces enfants d’immigrés de l’actuelle communauté italienne? Léon Francioli et les autres s’inquiètent. «Les Italiens d’aujourd’hui sont devenus aussi intolérants et xénophobes que les Suisses l’ont été avec eux quand j’étais gamin.» Quant à savoir qui a pris la place du bouc émissaire, du Rital dans la société helvétique, tous s’accordent à dire que les Africains de l’Ouest, les Maghrébins et les gens des Balkans sont pour les xénophobes de maintenant les nouveaux Ritals .
Alain Walther dans 24 Heures
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La moitié du village est partie pour la Suisse
Après un voyage dans le wagon à bestiaux avec sa sœur Catherine, Maria Carminati est arrivée à la frontière suisse le 21 août 1946. Cette année-là, la moitié de la population de Cavaglia, village au nord de Bergame, était partie travailler en Suisse. «Mon père ne supportait plus d’entendre mes frères pleurer parce qu’ils avaient faim.»
Soixante-quatre ans plus tard, dans l’appartement de l’octogénaire, les souvenirs s’empilent et les images pieuses décorent les murs. C’est comme si tout était encore hier: tant la mort accidentelle de son fils à 16 ans, en 1975 à Renens, que cette dégradante visite médicale lui font toujours venir les larmes aux yeux.
Une fois le train arrêté à Brigue, les hommes et les femmes ont été séparés. Ne parlant qu’allemand, le personnel suisse a fait entrer les 48 femmes dans la même pièce et leur a ordonné de se déshabiller.
«Nous avons dû tout enlever, même les épingles à cheveux. Deux d’entre nous – l’une enceinte, l’autre parce qu’elle avait ses règles – ont refusé. Elles ont été aussitôt expulsées.» Ensuite, en file indienne dans le couloir, les femmes furent dirigées vers les douches. «Ils nous fournirent des couvertures sales qui donnèrent la gale. Puis nous dûmes nous laver au savon noir.» Au final, les candidates au travail en Suisse écartèrent les bras puis furent aspergées d’insecticide, du D.D.T.
«Je remercie quand même la Suisse, qui m’a donné la possibilité de m’épanouir.» La jeune Maria trouva un premier emploi à la vallée de Joux, à la pension Rochat. «La patronne s’appelait Hélène, je crois, c’était une vieille dame, une bonne personne.» Ce n’était pas le cas de tout le monde à la Vallée. «Je me faisais traiter de macaque quand je prenais le train pour aller à la messe.»
En Italie, ses premiers patrons étaient des «nouveaux riches» qui lui donnaient les restes de leurs enfants. «Je mangeais debout contre l’évier alors qu’ils nourrissaient leur chien à table.» Mme Rochat, de la pension Rochat, «comprenait la misère» de Maria. Elle donnait même à manger à Catherine quand elle rendait visite à sa sœur une fois par mois .