lundi 23 août 2010

La police municipale accusée d'actes de brutalité envers des Roms

Des agents auraient dérapé lors d'une intervention. Le délégué à la déontologie sera saisi et l'association Mesemrom rencontrera le municipal Marc Vuilleumier.
La police lausannoise a-t-elle employé la manière forte pour déloger des Roms qui dormaient à la belle étoile? Six personnes d'origine slovaque disent avoir été plaquées au sol à coups de genou en juillet dernier, alors qu'elles dormaient à Vidy. L'association Mesemrom, qui a recueilli leurs témoignages, a écrit au commandant de la police municipale. Une militante de Mesemrom, Véra Tchérémissinof, rencontrera la semaine prochaine le municipal de la Sécurité publique, Marc Vuilleumier. Jeudi au téléphone, le magistrat disait pourtant ne pas être au courant de l'opération de police litigieuse. L'intervention a eu lieu dans la nuit du 19 au 20 juillet. Selon Mesemrom, cinq jeunes et une personne âgée dormaient à la belle étoile lorsque trois voitures de police, avec chacune deux agents à bord, sont arrivées. «Les policiers, après les avoir fait se lever, leur ont ordonné de se coucher à plat ventre côte à côte les mains derrière la nuque, relate l'association dans sa lettre. Ils les ont ensuite aplatis au sol à coup de genou, malgré les plaintes du plus faible d'entre eux qui souffrait visiblement. (...) Ils ont été tirés violemment par leurs vêtements, et leurs sacs, fouillés et vidés à terre pour contrôle, leur ont été rendus non pas en main propre mais jetés à terre.» Deux Roms d'une vingtaine d'années auraient été menottés, l'un d'entre eux emmené au poste de police parce qu'il n'avait pas son passeport. Selon les témoignages, l'un des agents a tenté de modérer ses collègues, sans y parvenir. «Dans un premier temps, nous voulons avoir des explications, commente Véra Tchérémissinof. Ensuite, nous verrons s'il y a lieu de déposer plainte.»

Jean-Philippe Pittet, porte-parole de la police municipale, confirme qu'il y a eu une intervention visant des Roms cette nuit-là. Mais le déroulement des faits n'a pas encore pu être tiré au clair, une partie des protagonistes étant en vacances. Le cas sera soumis au délégué à la déontologie. Plusieurs Roms ont été condamnés ces derniers mois à des amendes pour camping illégal à Lausanne. Suite à des oppositions, la Commission de police a annulé les sanctions, estimant que le fait de dormir à la belle étoile ne pouvait pas être assimilé à du camping (notre édition d'hier). Selon Mesemrom, un homme interpellé alors qu'il dormait sur un banc s'est même vu confisquer sur-le-champ la somme de cent francs. «Lorsqu'il s'agit de personnes qui n'ont pas de domicile en Suisse, les agents peuvent percevoir un montant de garantie afin de couvrir les frais de la Commission de police», explique Jean-Philippe Pittet. Si la Commission de police juge qu'il n'y a pas eu d'infraction, la somme est ensuite restituée.

Michaël Rodriguez dans le Courrier

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A jamais enfants d’immigrés

Maria Carminati

Les Italiens ont été les premières victimes de la xénophobie. Prof à la retraite, Raymond Durous rend hommage aux Ritals d’hier en donnant la parole aux Italiens d’aujourd’hui.

A 74 ans, Raymond Durous, professeur d’histoire-géo à la retraite, restera à jamais un enfant – le fils de Victor Durous. «Lui-même fils d’immigrant, placé à 8 ans à la campagne, il a eu une enfance épouvantable.» Et le prof d’origine valdôtaine d’enfoncer le clou. «Mon père m’a aidé à devenir ce que je suis.» C’est-à-dire un très bon prof. Des élèves comme Pierre-Yves Maillard ne l’oublient pas. «J’avais 15 ans. Sans jamais hausser le ton, Raymond Durous nous a éveillés à des problématiques sociales. L’immigration en faisait partie.» Et le conseiller d’Etat vaudois de conclure que son professeur, en 1983, militait à sa façon contre les injustices en transmettant par l’enseignement. Le prof n’a pas changé, il carbure toujours à l’enthousiasme en partant à la rencontre de ces Italiens d’aujourd’hui, les enfants des Ritals d’hier.

«Ma seule véritable identité ne se trouve pas dans un pays mais dans un statut: celui de fils d’immigrés.» Sans rancune mais sans oubli, Massimo Lorenzi ouvre le bal, apportant son écot d’humiliations pour rappeler ce que c’était d’être enfant de «Macaroni, Magut, Piaf, Rital, Spaghetti, Ventre jaune, Tchink, Pioulet, etc.».

«Interdit aux chiens et aux Italiens»

Pour Ada Marra, conseillère nationale, la génération de ses parents est une génération sacrifiée. «J’ai beaucoup d’admiration, de reconnaissance. Ils ont eu le courage de tout quitter, famille et pays, de tout sacrifier pour l’avenir de leurs enfants et le leur.» De son enfance d’immigrée, la petite fille de Paudex n’a de loin pas que des mauvais souvenirs. «J’ai tant aimé la mixité sociale qui m’a permis – moi qui venais d’une couche basse de la société – d’être accueillie pour les quatre heures dans les villas du coin.»

Un sombre souvenir ne s’effacera pas de la mémoire d’Oscar Tosato, municipal lausannois. A 18 ans un soir de 1975 à Bienne, le jeune homme fut refoulé devant l’entrée d’une discothèque. Il y était inscrit: «Interdit aux chiens et aux Italiens.» L’humiliation ne passe toujours pas.

Tous ces enfants de Ritals ont eu une sacrée capacité à résister, à affronter l’adversité. Claudio Galizia, l’actuel patron du Bistrot du Flon, se souvient d’avoir fait le coup de poing contre un balèze – un élève vaudois beaucoup plus gros que lui. «Il m’avait dit, se rappelle le patron, de foutre le camp dans mon pays de merde.»

Dans ce canton de Vaud qui, bon an mal an, devenait leur pays, les Italiens ont gardé leurs habitudes politiques, leurs antagonismes. Il ne fallait pas, par exemple, confondre à Lausanne les clients de la Colonia Libera et ceux de la Casa d’Italia. La première, au chemin des Rosiers, aujourd’hui remplie de retraités, était républicaine. Au pied du Valentin, la Casa d’Italia (maintenant Circolo Italiano), était ouvertement fasciste entre 1922 et 1945. Léon Francioli en a encore honte. Il avait promis à son père avant sa mort de ne jamais mettre les pieds à la Casa d’Italia, à jamais repaire de fascistes. Le 9 juillet, le musicien y alla voir le match France-Italie avec des copains.

De nouveaux Ritals

Les voilà donc tous intégrés, tous reconnaissants envers leurs dévoués parents. Mais que pensent ces enfants d’immigrés de l’actuelle communauté italienne? Léon Francioli et les autres s’inquiètent. «Les Italiens d’aujourd’hui sont devenus aussi intolérants et xénophobes que les Suisses l’ont été avec eux quand j’étais gamin.» Quant à savoir qui a pris la place du bouc émissaire, du Rital dans la société helvétique, tous s’accordent à dire que les Africains de l’Ouest, les Maghrébins et les gens des Balkans sont pour les xénophobes de maintenant les nouveaux Ritals .

Alain Walther dans 24 Heures

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La moitié du village est partie pour la Suisse

Après un voyage dans le wagon à bestiaux avec sa sœur Catherine, Maria Carminati est arrivée à la frontière suisse le 21 août 1946. Cette année-là, la moitié de la population de Cavaglia, village au nord de Bergame, était partie travailler en Suisse. «Mon père ne supportait plus d’entendre mes frères pleurer parce qu’ils avaient faim.»

Soixante-quatre ans plus tard, dans l’appartement de l’octogénaire, les souvenirs s’empilent et les images pieuses décorent les murs. C’est comme si tout était encore hier: tant la mort accidentelle de son fils à 16 ans, en 1975 à Renens, que cette dégradante visite médicale lui font toujours venir les larmes aux yeux.

Une fois le train arrêté à Brigue, les hommes et les femmes ont été séparés. Ne parlant qu’allemand, le personnel suisse a fait entrer les 48 femmes dans la même pièce et leur a ordonné de se déshabiller.

«Nous avons dû tout enlever, même les épingles à cheveux. Deux d’entre nous – l’une enceinte, l’autre parce qu’elle avait ses règles – ont refusé. Elles ont été aussitôt expulsées.» Ensuite, en file indienne dans le couloir, les femmes furent dirigées vers les douches. «Ils nous fournirent des couvertures sales qui donnèrent la gale. Puis nous dûmes nous laver au savon noir.» Au final, les candidates au travail en Suisse écartèrent les bras puis furent aspergées d’insecticide, du D.D.T.

«Je remercie quand même la Suisse, qui m’a donné la possibilité de m’épanouir.» La jeune Maria trouva un premier emploi à la vallée de Joux, à la pension Rochat. «La patronne s’appelait Hélène, je crois, c’était une vieille dame, une bonne personne.» Ce n’était pas le cas de tout le monde à la Vallée. «Je me faisais traiter de macaque quand je prenais le train pour aller à la messe.»

En Italie, ses premiers patrons étaient des «nouveaux riches» qui lui donnaient les restes de leurs enfants. «Je mangeais debout contre l’évier alors qu’ils nourrissaient leur chien à table.» Mme Rochat, de la pension Rochat, «comprenait la misère» de Maria. Elle donnait même à manger à Catherine quand elle rendait visite à sa sœur une fois par mois .

Un pasteur accuse l’état d’avoir poussé un père au suicide

Séparé de sa femme résidant sur La Côte, un Indien était au désespoir de ne plus jamais revoir son enfant de 5 ans, le Service de la population lui ayant interdit le séjour en Suisse. Norbert Valley s’en prend à l’Etat.

Norbert Valley

Un jour de fin juillet, on a retrouvé son corps au bord du lac Léman, non loin de Gland. Il reposait sous un arbre. Lui, le déraciné originaire du sud de l’Inde, a choisi la pendaison pour mettre fin à ses jours. Il était rongé par mille tourments, mais une seule chose explique cet acte de désespoir: sa conviction de ne plus pouvoir revoir son fils, à tout jamais, s’il était chassé de notre pays après la séparation d’avec sa femme établie dans la région. Ganapati* avait 26 ans.

Dans une lettre en anglais qu’il a adressée au pasteur Norbert Valley, il écrit ces mots: «Je suis si désolé, je ne peux vivre sans mon fils. C’est tellement, tellement douloureux. J’ai déjà eu assez de misères. C’est vraiment trop lourd à porter pour le restant de mon existence. Cette voie que j’ai choisie ne signifie pas que j’ai fui ma vie. Je ne peux pas concevoir de vivre sans mon fils. Je n’ai qu’un fils.»

L’émotion est vive dans la voix du pasteur qui a connu Ganapati dès son arrivée et suivi tout son parcours en Suisse. Il évoque la cérémonie d’adieu en présence de son enfant, âgé de 5 ans, en train de confectionner une croix en bois pour son papa. L’assistante sociale qui a accompagné Ganapati dans ses nombreuses démarches ne peut retenir ses larmes en relatant ce même événement.

Mariage en Inde

Le pasteur de l’église évangélique de Gland, établi maintenant dans le canton de Fribourg, ne peut supporter l’idée qu’une décision du Service vaudois de la population (SPOP) ait pu conduire un homme à se donner la mort: «Malgré tous ses efforts pour prouver sa bonne foi à l’administration vaudoise, il n’a pas été entendu. Un enfant de 5 ans est privé de son papa.»

Choc culturel

Ganapati L’histoire de Ganapati ne se résume pas en quelques lignes. Il a connu son épouse, qui vit dans le canton, en mars 2004, lors d’un voyage de cette dernière en Inde. Le mariage est célébré dans ce pays, un enfant naît une année après leur rencontre. Mais ce n’est qu’après de multiples démarches de sa femme, le 31 décembre 2006, qu’il peut venir s’établir sur les rives du Léman. L’homme, écrit le pasteur Valley, «a très rapidement souffert d’un rejet en raison de sa couleur et la situation du couple s’est détériorée».

Entre les époux, les relations s’enveniment. Occasionnellement, Ganapati noie sa détresse dans l’alcool. Sa conjointe se sent menacée par ses réactions surdimensionnées. Après vingt mois de vie commune, ils se séparent.

C’est lors du changement d’adresse que le SPOP entre en scène. Les faits qu’on reproche à Ganapati, condamné deux fois à des jours-amendes, conduisent le SPOP à estimer que son intégration est un échec. N’ayant pas rempli la condition d’une vie en couple de trois ans au moins, le 30 novembre 2009, l’homme reçoit un avis d’expulsion.

Après recours, le Tribunal cantonal confirme la décision du SPOP. Le 13 juillet, Ganapati apprend qu’il dispose de trois mois pour quitter la Suisse.

Seconde chance refusée

Le pasteur Norbert Valley est scandalisé de la précipitation du SPOP, qui n’a pas attendu la fin de la procédure de divorce pour prendre sa décision.

De son côté, l’assistante sociale admet que le comportement de son protégé n’a pas toujours été celui attendu. Elle remarque cependant qu’on lui a refusé une seconde chance alors qu’il était sur la bonne voie. Elle précise qu’il n’était ni dealer ni délinquant. Et s’il avait été reconnu coupable d’actes de violence sur sa femme, elle aurait cessé de le soutenir.

Et la relation avec son enfant, primordiale aux yeux de Ganapati? La famille qui les accueillait lors des droits de visite témoigne aujourd’hui que le comportement du père avec son fils était «tout à fait adapté. Il était paisible.»

Dans sa dernière lettre, l’homme demandait au pasteur de dire à son fils qu’il n’était pas une mauvaise personne. «Je l’aime si fort.»

* Prénom d’emprunt

Article signé Jean-Marc Corset dans 24 Heures