L'association «Enceinte à Genève» guide des femmes migrantes au cours de leur grossesse et leur fournit un soutien dans une ville où tout renvoie à la différence.
Toutes originaires d'ailleurs, c'est pourtant ici qu'elles deviendront mères. Dans quelques mois, elles donneront naissance à leur premier enfant à Genève, leur nouvelle terre d'asile, sans réellement savoir comment cette étape majeure de leur existence va se dérouler. Une situation vécue avec beaucoup d'angoisse, celle d'être livrée à soi-même ou celle de ne pas pouvoir communiquer avec le personnel médical. Pour vaincre ce stress, des femmes exilées allophones ont décidé de s'informer auprès du programme «Enceinte à Genève». Il propose de suivre cinq cours de préparation à l'accouchement pour femmes migrantes non-francophones, remboursés par l'assurance maladie. Réalisé dans les locaux de l'Arcade sages-femmes à Plainpalais, le programme est mené en collaboration avec l'association Appartenances-Genève, qui s'engage pour l'accès aux soins des familles et des personnes exilées.
C'est ainsi que chaque vendredi après-midi, durant cinq semaines, une quinzaine de ressortissantes rejoignent la salle de cours au boulevard Carl-Vogt, chacune accompagnée de son interprète. Elles sont originaires d'Europe de l'Est, d'Afrique ou d'Amérique latine et vivent à Genève depuis quelques mois, voire quelques années. Elenice est brésilienne, elle atteint son huitième mois de grossesse et ne parle pas un mot de français, à part un «bonjour» qu'elle murmure avec timidité en entrant dans l'arcade. La plupart des femmes allogènes présentes à ces cours ne parlent pas ou très peu le français et ne savent souvent ni le lire, ni l'écrire. Ce qui limite en conséquence les interactions avec leur entourage francophone. Si la barrière de la langue constitue un frein à l'intégration, ici tout le monde a son interprète et a le droit d'être comprise.
Pas d'homme à l'horizon
Les deux sages-femmes qui animent le cours, Fabienne Borel et Odile Evéquoz, s'affairent à installer des sièges contre les murs tout en accueillant avec un large sourire et des gestes affectueux les nouvelles arrivantes. Tandis que certaines viennent s'installer sur de gros coussins, ou que d'autres s'agitent devant la fontaine à eau, Elenice patiente devant les toilettes de l'Arcade. «C'est universel chez les femmes enceintes, elles sont toujours au petit coin», confie Fabienne Borel sur un ton amusé.
Les interprètes, mandatées par la Croix Rouge suisse, sont aussi des femmes, des mères ou des grands-mères venues des quatre coins du monde. Ici, les hommes ne sont pas autorisés. «Leur présence peut entraîner des gênes, notamment chez les femmes musulmanes», remarque l'instigatrice de ce programme. L'agitation s'estompe peu à peu, toutes les femmes prennent place et le silence s'impose rapidement. Les regards se tournent vers les deux sages-femmes qui s'enquièrent de l'état de santé des participantes au cas par cas. Ebou, Burkinabée de 24 ans, entre dans l'arcade avec un peu de retard. Tout en s'excusant, elle explique qu'elle devait emmener sa fille de cinq ans à l'école. D'un même élan, les interprètes traduisent les paroles de la jeune Africaine. Les autres femmes, l'oreille tendue, esquissent des sourires complices.
Unies dans la précarité
Au-delà de leurs origines diverses, un détail les réunit: le ventre rebondi. Autre point commun: les situations légales précaires. «La majorité d'entre elles sont requérantes d'asile, les autres, dans une moindre mesure, sont clandestines, explique Fabienne Borel. Pour la plupart, elles sont plongées dans l'incertitude, dans la peur du renvoi, dans la difficulté du logement. Certaines vivent dans des foyers pour requérants d'asile, dans une pièce unique.» C'est le cas d'Abyssa, originaire d'Ethiopie. Elle loge depuis quatre mois dans une chambre du centre d'accueil au Grand-Saconnex. «Je partage la salle de bain, les toilettes ainsi que la cuisine avec d'autres locataires. Avec le bébé, ce sera plus difficile», craint-elle.
Une femme érythréenne saisit alors une poupée, à disposition pour les démonstrations, et lui montre comment, dans son pays, les femmes baignent le nouveau-né dans une bassine. Ses gestes méticuleux sont ceux d'une mère. Elle a déjà donné la vie, mais elle pense tout de même avoir besoin de suivre ce cours, «car ici tout est différent». De l'achat des couches-culottes à l'accouchement dans un hôpital, il faut tout réapprendre et s'adapter aux autres façons de faire.
Des représentations particulières
Pour Eden, originaire elle aussi d'Erythrée, la situation est tout aussi pesante: «J'habite dans un petit appartement au foyer des Tattes, au troisième étage sans ascenseur. Monter les escaliers est maintenant une épreuve pénible. Mais avec le bébé dans une poussette, ce sera pire!». «Pourquoi ne pas porter l'enfant dans le dos, comme le font les femmes de votre pays?», lui suggère Fabienne Borel. Eden hoche la tête mais ne semble pas convaincue. Porter son enfant dans le dos, c'est à nouveau se distinguer des autres mères d'ici, alors qu'adopter la poussette peut représenter un facteur d'intégration.
La séance débute par un cours d'anatomie «pour sensibiliser aux différentes parties du corps, comme l'utérus, ou à l'évolution du bébé dans le ventre de la femme, signale la sage-femme. Nous avons constaté que les plus éduquées n'ont pas d'idée précise des étapes de la grossesse.» A chaque parole énoncée par l'une des deux maïeuticiennes succède une cacophonie provoquée par les dialectes différents. La patience est de rigueur, chaque explication nécessite une traduction. Une fois le silence rétabli, les animatrices du cours proposent un nouvel exercice. «Nous leur demandons souvent de représenter le bébé à l'intérieur du corps, explique Odile. Certaines dessinent un serpent, une sorte de spermatozoïde géant dans le ventre de la femme. Elles ont une idée très vague, magique voire animiste de ce phénomène.»
La présentation terminée, les questions fusent les unes à la suite des autres. Fadouma est la plus loquace. Elle a vécu en Somalie ainsi qu'au Yémen et attend à présent son premier enfant. Ses questionnements sont multiples et très précis. Ils concernent l'alimentation, l'allaitement, le sommeil, le sexe, l'exercice physique, etc. Trop longtemps contenues, ces interrogations doivent être exprimées. Elles dévoilent toute l'anxiété sous-jacente. Fadouma pense pouvoir compter sur le soutien de son mari, mais convient qu'elle ne peut pas tout déléguer.
La dernière rencontre s'achève. Certaines femmes sont déçues: «Nous avons appris énormément mais c'était bien trop court.» Elles se sont néanmoins senties en sécurité dans ce lieu suffisamment réconfortant pour envisager sereinement la venue de leur enfant, sans pour autant échapper aux écueils de leur vie. Une ultime séance sera organisée la semaine suivante, cette fois-ci en présence des futurs pères, pour ceux qui le veulent.
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